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30 décembre 2017 6 30 /12 /décembre /2017 11:28
René Kerdyk
 
 
green
 
 
 
L'orgue éclate dans la rue
Du village d'Otterton.
La machine tonitrue
Fausse au moins d'un double ton.

Ce n'est pas l'humble détresse
De nos petits orgues bas.
C'est une ardente allégresse
Qui tourbillonne et s'ébat.

Tzing, tzing ! Vive la musique !
Ça vous saisit à la peau.
Tantôt l'hymne britannique
Qui soulève les chapeaux,

Tantôt le song de la veille,
Succès de Gertie Millar
Et les groupes s'émerveillent
De cet orchestre braillard

Qui, sur la rose des dalles
Du village d'Otterton
Bâtit une succursale
Au paradis de Milton.
 
 
 
rené kerdyk (1885-1945). Mercure de France. (août 1913).
 
 
ariette de guerre
 
 
 
Je songe à vous, rayons chargés
De mes fins livres reliés,
0 chers bouquins qui consoliez
Mes longs nocturnes affligés,

A vous les files principales
Des classiques de bonne marque,
La robe mauve d’Andromaque
Et les pâle Provinciales,

Et toi, multiple intermezzo;
Tout tiède encore de mes mains,
Livres jaunes, Régnier, Samain,
Et notre Verlaine si haut,

Si haut dans la chaleur des lampes,
Parmi les roses balancées,
Et les caresses tôt passées,
Et les distants gestes d'estampes…

Et je songe à disposer pour
Vous, Despax, Hourcade, Drouet,
Et nos moindres frères tués
Un coin choisi de tendre amour

Où peut-être un soir une femme
Mettra, avec des doigts qui tremblent,
Ces vers, afin qu'on dorme ensemble
Très doucement, serrant nos âmes.
 
 
 
rené kerdyk (1885-1945). Mercure de France. (mars 1917).
 
 
intime
 
 
 
Les lettres sur le bureau
Semblent exhaler des plaintes
Et la courte horloge peinte
Fait des poids comme un vieux beau.

L'inutile plume d'oie
Et le bloc de pâle azur
Dévotement dorment sur
L'album de Ma Mère l'Oye.

Sous les verres les images
Disent des enfantillages
Et les parents dans leurs cadres
Sont bien sages pour leur âge.

Le buvard aux bavardages
Rose comme un écolier
Attend l'heure de lier
Sa bouche aux lèvres des phrases

Tandis qu’au loin mes pigeons
Roucoulent des gargarismes
Et font un Henri Matisse
Avec l'ombre du balcon...
 
 
 
rené kerdyk (1885-1945). Nouvelle Revue française (septembre 1921).
 
 

 
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28 novembre 2017 2 28 /11 /novembre /2017 16:12
Léo Larguier
 
 
sur l'automne
 
 
 
Automne, sur les monts ton règne recommence !
Si je presse des doigts le raisin velouté,
Une libation impatiente s'élance
Vers ta gloire prochaine et ta divinité.

Accourez, vendangeurs, les vignes sont vermeilles ;
Sous le soleil la terre a donné tout son sang,
Que la faucille sonne à l’anse des corbeilles,
Avant de pénétrer dans le cep rougissant.

Ornez vos fronts du premier pampre, ô vendangeuses,
Et parcourez le mont en chantant avec moi.
Pour décider, du haut de ses cimes neigeuses,
L'Automne à ramener son cortège de roi.

Brillante sous les fleurs, les parfums et les flammes,
Sa venue est prédite, à la fois, à nos yeux,
Par la forêt qui se dépouille, et, dans nos âmes,
Par la victoire du désir délicieux.

Célébrons-le, par notre joie et par des danses,
A l’heure où le soir monte et rougit l’horizon.
Bacchus aimait les chants et les folles cadences,
Et qu'on entrât comme des dieux dans sa saison.

Laissons les gerbes d'or embaumer la vallée,
O compagnons, l’Automne entr'ouvre ses vergers
Où la terre de feuilles pourpres est voilée,
Où les arbres de fruits et d'ombres sont chargés.

C'est là que notre troupe, à l'Automne enlacée,
Connaîtra le mystère auguste de l’amour,
Quand la feuille, par tous les souffles embrassée,
Vivante, volera dans la douceur du jour.
 
 
 
paul souchon (1874-1951). Les Elévations poétiques. (1898).
 
 
salut à la provence
 
 
 
Provence de la mer, des monts et de la plaine,
Fille du ciel, de l'onde et du soleil d'été,
Accueille ton enfant, que son âme soit pleine
Encor de ta beauté !

Je te reviens plus fort mais plus mélancolique :
Les Alpes, la grandeur morne de leurs hivers
Ont pesé sur mon front, la servitude antique
M'a lié de ses fers !

Que tes bois d'oliviers où des maisons dorées
Songent sous le soleil, que tes villes, tes champs,
Tes rivages, ton fleuve et tes sources sacrées
Ressuscitent mes chants !

Comme un jardin privé moi qui t'ai parcourue
Je t'aime dans le vol des jours et des saisons
O terre maternelle, ô Provence apparue
Enfin, aux horizons !
 
 
 
paul souchon (1874-1951). Nouvelles élévations poétiques. (1901).
 
 
louanges à paris
 
 
 
O Paris ! ô couronne ! ô fleur !
J'ai quitté mon ciel et ma mère,
Ma mère et sa pâle douleur,
Mon ciel, le plus pur de la terre !

Et, depuis, si j'ai regretté
Et ma Provence et ma jeunesse,
Chaque fois, Paris, ta beauté
M'a séparé de ma tristesse !

Tes bois, tes parcs m'ont révélé
La grandeur de l'âme française,
L'ordre par le rythme voilé,
La force qu'une grâce apaise !

Mais je fus aussi pénétré,
O Paris, de clartés intimes,
Et l'amour que tu m'as montré
M'aura conduit sur d'autres cimes !

Car, sous ton ciel, le sentiment
Comme une fleur embaume et passe
Et tu recherches seulement
Le plaisir de toute une race !

Et j'ai subi l'enchantement
Que tu verses aux cœurs, ô ville,
Qui revêts par ton mouvement
La splendeur d'un astre immobile !
 
 
 
paul souchon (1874-1951). La Beauté de Paris. (1904).
 
 

 
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29 octobre 2017 7 29 /10 /octobre /2017 19:52
Léo Larguier
 
 
sur les môles
 
 
 
Sur les môles aux vieux platanes,
Et dans les ports au bord des mers,
Où le troupeau des courtisanes
S'enivrait de parfums amers,
Vous débarquiez, gloires épiques :
Un profil droit, entre les piques
Se découpait en dominant
Sous un portique aux blanches pierres,
Mais passez, gloires militaires,
Vos lauriers sont tachés de sang !

Caesar n'est rien... La nuit tranquille
Descend ; ne sonnez plus, buccins,
Et laissez méditer Virgile
Sous la douceur des cieux latins.
Une étoile tremble et se lève,
Le poète poursuit son rêve ;
Vénus qui marchait dans le bois
S'appuie au bras d'un beau satyre,
Et cesse en frémissant de rire
Pour écouter la grande voix.

Du vieux renom des capitaines,
Dans les temps il ne reste rien :
Hors les blessés, les sombres plaines,
Les corbeaux, nul ne se souvient,
Mais lisez ce beau livre antique,
Surprenez ce soir idyllique
Dans les mots divins de ces vers,
Admirez ces têtes fleuries ;
Écoutez... les Dyonisies
Chantent sous les ombrages verts

Tournez les pages... Des colombes
Battent de l'aile dans l'azur ;
Des rosiers embaument les tombes,
Le monde est clair, le jour est pur ;
Contre une colonne dorique,
Une vierge mélancolique
Effeuille sans même les voir
Des pétales de marguerite,
Tandis que passe Théocrite
Dans un vers bleu comme le soir !

Car tout vit dans le livre immense,
Il est pareil à la maison
Que parfume dans le silence,
La muse à la blonde toison ;
Et ses fenêtres sont ouvertes
Sur les plaines de blés couvertes
Où l'on ne voit que des bouviers ;
Les dieux y viennent à l'aurore,
Laissant à sa porte sonore
Des grappes d'or et des ramiers !
 
 
 
léo larguier (1878-1950). La Maison du poète. (1903).
 
 
crépuscule
 
 
 
Un point d'or, l'azur des coteaux,
Le soir d'été baignant la terre,
Un vieux chemin plein de mystère,
Sous les fronts penchés des bouleaux.

Et s'effaçant sous la ramée,
Un couple qui s'en va disant,
Au bleu clair de lune d'argent :
« Mon bien-aimé, ma bien-aimée ! »

Ce n'est rien, mais c'est l'infini
D'une vie aimable et rapide.
Le vent tiédit, l'étang se ride,
On entend des voix dans un nid...

O planètes, terres lointaines,
Avez-vous aussi de beaux soirs,
Des chemins creux et des bois noirs
Pleins de frissons et de fontaines,

Et des lilas et des rosiers,
Avec de belles formes blanches,
Sous les tremblants arceaux des branches
Aux fins de jour, dans les sentiers ?
 
 
 
léo larguier (1878-1950). Les Isolements. (1906).
 
 
de lointaintes choses
 
 
 
J'aime parfois songer à de lointaines choses :
A des jardins persans dont les hauts cèdres bleus
Bénissent l'air léger tout vanillé de roses,
A des maisons d'Asie étouffantes et closes,
Aux chalets isolés qui rient d'un seuil neigeux.

Aux femmes de Golconde ; à Marie-Antoinette
Accoudée en été dans le blanc de midi
Sous un rose chapeau d'où naît la pâquerette,
Fermant un peu les yeux, penchant un peu la tête
Vers les linons mousseux d'un corsage arrondi.

Aux brisants hérissés de bêtes aquatiques,
A des poissons nageant dans l'eau de Magellan,
Aux tempêtes de nuit sur les glaces antiques,
Aux lointains amoureux des régions arctiques
Que baigne un crépuscule infini, triste et lent.

Aux mystères des bois embrumés, à des sentes
Que l'automne remplit de feuilles, de bois mort,
Aux choses qui la nuit tressaillent dans les plantes,
Au-dessous des cailloux, aux rochers pleins de fentes
Sur qui jusqu'au matin la tiède lune dort.
 
 
 
léo larguier (1878-1950). Orchestres. (1914).
 
 

 
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24 septembre 2017 7 24 /09 /septembre /2017 12:39
Jean POurtal de Lavezède
 
 
souvenir
 
 
 
Le jardin se déroule en pelouses précises,
Frais tapis étoiles où voltige un oiseau ;
Dans l'azur luit le rire argenté du jet d'eau
Et de leur propre encens les fleurs paraissent grises.

Au firmament léger dérivent des banquises ;
L'allée amène au seuil où des roses ponceau
Dressent contre le mur la gloire d'un arceau.
Dans la grande maison vivent des ombres grises.

C'était par un printemps pareil à celui-ci
Et dans le clair séjour de l'âge sans souci
Que la mort Vous saisit, Vous qui fûtes l'élue.

Si j'ai connu depuis l'amour et la beauté,
Cette vaine demeure à la nuit dévolue
Jamais plus ne s'ouvrit aux splendeurs de l'été.
 
 
 
jean pourtal de ladevèze (1898-1976). Revue « La Muse française ». (1937).
 
 
septembre
 
 
 
Tu t'es réveillé ce matin
Parmi les chants, parmi la joie
Des oiseaux, des fleurs et la soie
Des beaux rayons au ciel sans tain.

La douceur du jour, ses dorures
T'ont pu laisser croire un instant
Qu'au vif de l'été le printemps
Renaissait en pales verdures.

Le soleil pique de rousseurs
La route et les façades blondes ;
A la couronne des tours rondes
Les pigeons roucoulent, danseurs ;

Et le jeune amour que tu portes
Vers un chimérique destin
Voit se poser dans le jardin
Le premier vol de feuilles mortes.
 
 
 
jean pourtal de ladevèze (1898-1976). Sur les Balcons du ciel. (1936).
 
 
stances
 
 
 
La lumière joue indécise
Sur les vagues étangs du soir
Et rose, mauve et bleue, irise
L’onde secrète du miroir.

Nul visage n’a laissé trace
Du passé sitôt aboli
Sur l’insensible et vaine glace
Entre les berges d’or pâli.

Mais s’y reflète un paysage
Lointain et clair, pressé de nuit :
Sous le feu rouge d’un nuage
La rivière doucement luit.

Narcisse est mort sur ce rivage :
Une lame d’argent poli
N’aurait su garder davantage
Sa belle forme de l’oubli.
 
 
 
jean pourtal de ladevèze (1898-1976). Revue « Le Divan ». (1941).
 
 

 
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27 août 2017 7 27 /08 /août /2017 12:18
François Bernouard
 
 
regrets
 
 
 
D'avoir trop aimé ma maîtresse
Qui ne m'as jamais bien compris
J'ai beaucoup souffert et j'ai pris
Une haine obscure des caresses

D'avoir trop aimé ma maîtresse
Et son cœur que je n'ai compris
J'en ai méprisé mon esprit
Et mon amour et ma jeunesse...

... Comme le temps est passé
Notre amour est trépassé
Tout est bien... tu m'as quitté
En emportant tes caresses

Ah qu'aurions-nous fait l'été
Dans les mois où l'églantier
Jette au cœur des bonds d'ivresse
Toi de ta jeune beauté
Moi de ma vieille jeunesse.
 
 
 
françois bernouard (1884-1948). Les Regrets à Futile. (1912).
 
 
fin
 
 
 
Posséder dans son lit, longtemps, même maîtresse
Me semble un peu pareil à demeurer toujours
Dans le même logis. L’esprit prend chaque jour,
Au refrain de sa voix un regain de tristesse.

Les tableaux sont au mur ; on en a l’habitude
Et on ne les voit plus. Les bibelots rangés
N’évoquent plus d’envie aux regards étrangers,
Et cette vie à deux semble une solitude !

On s’aime en vieux amis qui veulent bien se rendre
Un service futile avant de s’endormir.
On parle d’une fin mais sans oser agir,
Et chaque soir on sent la vieillesse descendre.
 
 
 
françois bernouard (1884-1948). Revue « Schéhérazade ». (décembre 1909).
 
 
la bohémienne
 
 
 
Vielle et laide et bavarde et prétentieuse aussi
Elle farde sa bouche afin d’être encore belle
Et recherche le vierge adolescent transi
Pour mettre en ses pensers l’espérance éternelle.

Assise sur la borne à chaque coin de rue,
D’une voix contrefaite elle dit le passé
Et lorsqu’elle entrevoit la jeunesse accourue
Pour boire à sa parole un espoir dépassé,

Elle charge ses ans de la gloire infinie
Des grecs et des romains et de cent peuples morts,
Qui vécurent, amants, de son triste génie
Voyant dans leurs espoirs la beauté de son corps.

Et cette bohémienne affectueuse et nue
Qui tour à tour inspire à la gloire, à l’amour ;
Qui montre des tarots où l’on croit voir ses jours
Et fit boire à Socrate une infâme cigüe.

Ah ! quand tu verras jeune homme, en ta jeunesse,
En ton désir fleuri d’un rêve adolescent
Fuis son regard trompeur, méprise sa tendresse ;
La Vérité est vieille et la Vérité ment.
 
 
 
françois bernouard (1884-1948). Revue « Schéhérazade ». (mars 1911).
 
 

 
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30 juillet 2017 7 30 /07 /juillet /2017 11:32
Louis Mercier
 
 
les vieux nids
 
 
 
Au printemps, lorsque les oiseaux,
A l'ombre des feuilles nouvelles,
Le long des bois, aux bords des eaux,
Couvent leurs amours sous leurs ailes,

Si par hasard vous découvrez,
Reliques des saisons dernières,
Solitaires et délabrés,
Quelques vieux nids dans les bruyères,

Ayez pitié de ces vieux nids
Qu'afflige un printemps égoïste,
Et qui de leurs bonheurs finis
Gardent comme un souvenir triste.

Songez aux toits inhabités,
A la masure démolie,
Aux berceaux, aux cœurs dévastés,
Aux vieilles choses qu'on oublie.

Mais surtout ne les brisez pas,
Ces vieux nids qu'en vos rêveries
Vous découvrirez sous vos pas,
Parmi les bruyères fleuries.

Car, au retour des mauvais mois,
Quand la neige, emplissant les haies
Et s'entassant au front des bois,
A recouvert toutes les baies,

Las d'avoir faim, las de souffrir,
Plus d'un petit oiseau, peut-être,
Les soirs d'hiver, revient mourir
Dans le vieux nid qui l'a vu naître.
 
 
 
louis mercier (1870-1951). L'Enchantée. (1897).
 
 
un soir de grand hiver
 
 
 
Un soir de grand hiver. La neige emplit la nuit
Et sa sourde blancheur rend l'ombre plus étrange.
Il neige dans la cour, il neige sur la grange,
Et sur l'étable, et dans la mare et sur le puits.

Tout ce que la maison peut découvrir du monde,
Les champs des siens et ceux des autres, les hameaux
Et les bourgs éloignés qu'on voit lorsqu'il fait beau,
Tout appartient ce soir à la neige profonde.

On dirait qu'elle tombe ainsi depuis des ans,
Et qu'elle tombera durant toute la vie ;
Il semble qu'à jamais la terre est endormie
Et qu'on ne reverra jamais plus le printemps.

Mais, pendant que la neige innombrable accumule
Du froid et du silence autour de la maison,
Et que ses flocons fous meurent dans les tisons,
Le feu, paisible et fort, au cœur de l'âtre brûle;

Le feu divin, source de joie et de clarté,
Fils du soleil qui dort dans les arbres antiques,
Rayonne, et sa lueur joyeuse et prophétique
Annonce la splendeur prochaine de l'été,

Et soudain, du réduit obscur dont il est l'hôte,
Sentant un lumineux bien-être l'envahir,
Un grillon se réveille et chante au souvenir
Du chaud parfum des prés quand les herbes sont hautes.
 
 
 
louis mercier (1870-1951). Le Poème de la maison. (1910).
 
 
offrande d'une rose
 
 
 
Pour bien dire ton los, glorieux Vendômois,
Plutôt que de tenter, d'un doigt lourd, sur la lyre
Un chant dont Apollon et toi vous pourriez rire,
Que j'aimerais mieux être un jardinier françois,

Maître en son art, habile à seconder les lois
Des subtiles amours où les fleurs se désirent !
Lors, m’unissant à ceux que tes grandeurs inspirent
Et qui vont t'acclamant du luth et de la voix,

Je saurais inventer une rose nouvelle,
Mignonne, veloutée et purpurine, telle
Qu'elle égale en parfum, en charme, en volupté,

Les lèvres de Cassandre et les lèvres d'Hélène ;
Par elle avec honneur ton nom serait porté
Et des roses, Ronsard, ta rose serait reine.
 
 
 
louis mercier (1870-1951). Revue « La Muse française ». (juillet 1924).
 
 

 
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25 juin 2017 7 25 /06 /juin /2017 14:38
Frédéric Saisset
 
 
été
 
 
 
Un vol d'abeilles tourne au-dessus des rosiers
Où la lumière matinale glisse et joue.
Une enfant passe avec du soleil sur la joue,
Dans la ronde des buis autour des balisiers.

Sur la crête du mur parmi les groseilliers
Un paon dresse son col turquoise et fait la roue ;
Le peuple d'animaux de la ferme s'ébroue
Et l'on entend les coqs chanter à pleins gosiers.

La chaleur se répand comme une onde muette
A travers les halliers et les jardins en fête ;
L'arbre vibre de joie et danse en ses rameaux.

O saison du soleil dont les âmes sont pleines,
Tu traverses les champs, les forêts, et les eaux,
Comme un grand oiseau d'or qui vole sur les plaines.
 
 
 
frédéric saisset (1873-1907). Revue Poésie. (1928).
 
 
airs du pays
 
 
 
Lo Pardal s'est couché sur l'oranger, mignonne,
Et l'air du soir fraîchit sur les montagnes d'or ;
Le Canigou neigeux dans du soleil s'endort,
N'est-ce pas ton amour qui se penche et se donne ?

La Bèpe à la rivière agite l'eau sonore,
Frappant de son battoir expert son tablier...
Si longtemps qu'elle va sûrement oublier
Qu'on l'attend, pauvre Bèpe, et qu'on la cherche encore.

Mais voici Jean del Riu, le vigilant garçon
Qui va, faisant danser, de village en village,
Jeunes filles et jouvenceaux sur son passage,
Ce brave Jean del Riu, avec son violon !...

Et c'est, là-bas, un groupe où la flûte module,
Au son de la guitare, un air lent et rythmé
Où notre Roussillon natal s'est enfermé...
Goigs dels ous, chant du nostalgique crépuscule.

Mais L’Hortolana cueille au jardin des fruits verts.
Ventura de la mort de son âme soupire...
Pour le quadrille !... en place! ô couples en délire !
C'est tout le Roussillon qui passe dans ces airs !
 
 
 
frédéric saisset (1873-1907). Paysages de l'âme. (1912).
 
 
les filles de la ferme
 
 
 
Les Filles de la ferme, au sourire d'enfant,
Qui cueillent tout le jour le raisin d'or des vignes,
Ont des gestes naïfs et doux comme des cygnes
Et des yeux où l'amour s'étale, triomphant.

Elles rentrent le soir sous l'ombre des prairies
Où leurs rires joyeux s'échappent en essaims.
Un parfum jeune et chaud s'exhale de leurs seins.
Leurs lèvres ont le goût des campagnes fleuries.

Elles chantent. L’air clair qui caresse leur chair
De sonores baisers les berce et les enivre ;
Elles chantent la joie et la fierté de vivre,
Et leurs rires ailés s'envolent dans l'air clair.

Le Soir semble écouter, grave, au fond de la plaine,
Le rythme paresseux de leurs folles chansons.
Leur candeur fait rêver les oiseaux des buissons.
Le ciel, plus doux, semble ridé de leur haleine.

Elles chantent en chœur, et les sources des bois
N'ont pas de sons plus purs que leur fraîche musique ;
Et la Nuit à pas noirs, descend, mélancolique,
Sur les rires derniers et les dernières voix.
 
 
 
frédéric saisset (1873-1907). Les Soirs d'ombre et d'or. (1898).
 
 

 
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28 mai 2017 7 28 /05 /mai /2017 16:48
Charles Guérin
 
 
ton cœur est fatigué des voyages
 
 
 
Ton cœur est fatigué des voyages ? Tu cherches
Pour asile un toit bas et de chaume couvert,
Un verger frais baigné d’un crépuscule vert
Où du linge gonflé de vent pende à des perches ?

Alors ne va pas plus avant : Voici l’enclos.
Cette porte d’osier qui repousse des feuilles,
Ouvre-la, s’il est vrai, poète, que tu veuilles
Connaître après l’amer chemin, le doux repos.

Arrête-toi devant l’étable obscure. Ecoute.
L’agneau bêle, le bœuf mugit et l’âne brait.
Approche du cellier humide où, bruit secret,
Le laitage à travers les éclisses s’égoutte.

C’est le soir. La maison rêve ; regarde-la,
Vois le feu qu’on y fait à l’heure accoutumée
Se trahir dans l’azur par une humble fumée.
Mais tu cherchais la paix de l’âme ? Entre : Elle est là.
 
 
 
charles guérin (1873-1907). Le Semeur de cendres. (1901).
 
 
soir de juin
 
 
 
Il a plu. Soir de juin. Ecoute,
Par la fenêtre large ouverte,
Tomber le reste de l’averse
De feuille en feuille, goutte à goutte.

C’est l’heure choisie entre toutes
Où flotte à travers la campagne
L’odeur de vanille qu’exhale
La poussière humide des routes.

L’hirondelle joyeuse jase.
Le soleil déclinant se croise
Avec la nuit sur les collines ;

Et son mourant sourire essuie
Sur la chair pâle des glycines
Les cheveux d’argent de la pluie.
 
 
 
charles guérin (1873-1907). Le Coeur solitaire. (1898).
 
 
la nuit
 
 
 
La nuit répand sur le village
Son ombre et sa tranquillité ;
L'Ame inquiète du feuillage
Soupire aux souffles de l'été.

En face du jour qui s'achève
Des groupes sombres sont assis,
Pleins d'un impénétrable rêve,
Au fond des porches obscurcis.

Un chariot crie. Une fille
Retire sous l'arche d'un pont
Son seau clair où l'eau noire oscille.
Des bœufs chargés d'herbe s'en vont.

Il sort une tiède buée
De l'étable où les bêtes font
Leur bruit de paille remuée.
Une fumée au ciel se fond.

C'est l'heure grise des veillées ;
Le vent limpide emporte au loin,
Hors des granges entrebâillées,
L'enivrant arome du foin,

Et ramène des hameaux proches
Le grand bourdonnement d'amour
Que lui jette l'essaim des cloches
Par ses ruches de pierre à jour.
 
 
 
charles guérin (1873-1907). Le Semeur de cendres. (1901).
 
 

 
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23 avril 2017 7 23 /04 /avril /2017 15:23
Vincent Muselli
 
 
les buveurs
 
 
 
Ah ! pourrai-je chanter d'une assez forte voix
La gloire et les travaux que Bacchus vous procure,
Héroïques buveurs qui n'avez nulle cure
Des lendemains promis à la Gueule-de-bois !

Les pommes de nos champs, les raisins de nos treilles,
Du meilleur de leur suc nourrissent vos discours ;
Et, pour vous conquérir l'esprit et les oreilles,
Les savants alambics vous prêtent leur concours.

Chaque soir, lorsqu'ayant les bouteilles vidées,
Le cœur rempli d'amour, et le cerveau d'idées,
Vous allez, pèlerins, vers d'abstraits paradis.

Vos chapeaux, flamme noire, ont vos cannes pour cierges,
Et vos coups de souliers aux portes impartis
Dans leurs lits inquiets font trembler les concierges.
 
 
 
vincent muselli (1879-1956). Les Masques. (1919).
 
 
le devoir
 
 
 
Qu'on soit ignorant ou doctime,
Haillons que l'on porte ou pourpoint,
Devant quiconque, en quelque point,
Il surgit, tyran légitime.

Mais quand ses ordres il intime,
Que de son dur foudre il nous point,
Aucune voix ne nous dit point
Sur quel autel être victime.

Le saint périt et le soldat,
Pour le ciel comme pour l'État,
Et le poète pour un livre.

Sait-on sacrifices plus beaux
Que ceux par quoi l'on se délivre,
O Nuit, pâture des flambeaux !
 
 
 
vincent muselli (1879-1956). Les Sonnets à Philis. (1930).
 
 
exotisme
 
 
 
Sur les fauteuils gonflés des plus rouges luxures,
Et dont les triples rangs peuplent le corridor,
Les dragons parfumés qu'énervent leurs morsures,
Dans le sang des velours trempent leurs ongles d'or.

Le grand singe aux pieds roux dansant devant la glace
Agite dans l'air chaud la chaîne et le mouchoir,
Et ses jambes qu'entrouvre une obscène grimace,
Montrent son impudeur aux oiseaux du perchoir.

L'enfant n'écoute plus aux porcelaines creuses
Gémir l'écho lointain des fanfares heureuses,
Mais sous leur ventre en fleurs il se cache en criant.

Car le soleil, tombant des fenêtres ouvertes,
Roule, et comme un poisson fébrile et flamboyant,
Dans l'aquarium bleu mange des carpes vertes.
 
 
 
vincent muselli (1879-1956). Les Masques. (1919).
 
 

 
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26 mars 2017 7 26 /03 /mars /2017 11:04
Charles-Ferdinand Ramuz
 
 
pour marcher au pas
 
 
 
Gauche, droite, gauche, on est vignerons,
on taille, on sulfate, on sarcle, on rebiolle,
on a des tonneaux, on a des canons,
on est des tout beaux, on est des tout bons,
on est des tout bons quand l’année est bonne,
on est vignerons.

Gauche, droite, gauche, on est paysans,
on a des tridents, des râteaux, des herses,
tout le long du jour, on est dans les champs ;
l’homme va derrière, les bêtes devant,
mais à l’occasion l’ordre se renverse ;
On est paysans.

Gauche, droite, gauche, c’est nous les vachers,
ceux d’en haut les monts, d’entre les nuages,
de parmi la neige, de près des rochers ;
on est descendus, ayant tout lâché,
on a dit aux femmes : « Faites le fromage »,
c’est nous les vachers.

Gauche, droite, gauche, on est maréchaux,
tout gronde chez nous et ronfle et ressaute ;
tant mieux, qu’on se dit, on sait ce qu’on vaut,
on battra le fer pendant qu’il est chaud,
on est faits au feu d’avance, nous autres,
on est maréchaux.

Et, les menuisiers, on est là parmi,
on est tous venus, nous qu’on fait les chaises ;
on fait les berceaux, les cercueils aussi ;
on en refera, mais pour l’ennemi,
on les fera grands qu’il y soit à l’aise,
on a nos outils.
 
 
 
charles-ferdinand ramuz (1878-1947). Chansons. (1914).
 
 
chanson des vaudois
 
 
 
Il nous fallait des fusils :
vite, on a été les prendre ;
l’ouvrier sans son outil
Ferait mieux d’aller se pendre.

On nous a dit : « La frontière,
ça n’est pas assez marqué,
faites-y un mur de pierre,
cimenté, recimenté.

« Faites-y une muraille,
où il n’y ait pas de trou... »
Dites-m’en une qui vaille
celle de ceux de chez nous.

Cent mille hommes, deux cent mille,
trois cent mille, s’il le faut,
un joli mur de poitrines :
des poitrines, pas de dos.

Blanc ? présent, Belet ? de même,
et Belet qui touche Blanc,
ça vous a fermé la plaine,
du levant jusqu’au couchant.

Et, derrière, la montagne,
mais y en a-t-il besoin ?
Après Belet vient Chavannes
et plus loin vient Parmelin.

Et tous se sentent les coudes,
et, quand le cœur bat à un,
chez très tous le cœur leur bouge,
ayant mille cœurs chacun.

Alouette, monte vite
voir si l’ennemi viendrait ;
nous, on a bourré nos pipes,
c’est vous dire qu’on est prêts.

Et on écrira à celles
qui restent à la maison ;
Faites-vous seulement belles
pour le retour des garçons.

Pleurer, ça fait les yeux rouges,
les garçons seraient déçus ;
gardez-nous des joues bien douces,
qu’on mette un baiser dessus.

Qu’on vous trouve toutes prêtes
et sentant bon le savon ;
et on fera une fête
qui tiendra tout le canton.
 
 
 
charles-ferdinand ramuz (1878-1947). Chansons. (1914).
 
 
le jour de nos noces
 
 
 
Le jour de notre noce, j'y pense tout le temps,
il fera un soleil comme on n'a jamais vu;
il fera bon aller en char
à cause du vent frais qui vous souffle au visage,
quand la bonne jument va trottant sur la route
et qu'on claque du fouet pour qu'elle aille plus fort.
On lui donnera de l'avoine,
en veux-tu, en voilà ;
on l'étrillera bien qu'elle ait l'air d'un cheval
comme ceux de la ville ;
et trotte ! et tu auras ton voile qui s'envole,
Et tu souriras au travers
parce qu'il aura l'air
de faire signe aux arbres,
comme quand on agite un mouchoir au départ
On se regardera, on dira: « On s'en va,
on commence le grand voyage;
heureusement qu'il n'y a pas
des océans à traverser. »
Et quand nous serons arrivés,
la cloche sonnera, la porte s'ouvrira,
l'orgue se mettra à jouer ;
tu diras oui, je dirai oui ;
et nos voix trembleront un peu
et hésiteront à cause du monde
et parce qu'on n'aime à se dire ces choses
que tout doucement à l'oreille.
 
 
 
charles-ferdinand ramuz (1878-1947). Le Petit Village. (1903).
 
 

 
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