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31 mars 2013 7 31 /03 /mars /2013 21:53
 
 
le jardin mouillé
 
 
 
La croisée est ouverte; il pleut
Comme minutieusement,
A petit bruit et peu à peu,
Sur le jardin frais et dormant.

Feuille à feuille, la pluie éveille
L'arbre poudreux qu'elle verdit;
Au mur, on dirait que la treuille
S'étire d'un geste engourdi.

L'herbe frémit, le gravier tiède
Crépite et l'on croirait là-bas
Entendre sur le sable et l'herbe
Comme d'imperceptibles pas.

Le jardin chuchote et tressaille,
Furtif et confidentiel;
L'averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel.

Il pleut, et, les yeux clos, j'écoute,
De toute sa pluie à la fois,
Le jardin mouillé qui s'égoutte
Dans l'ombre que j'ai faite en moi.
 
 
 
Henri de Regnier (1864-1936). Les Médailles d'argile (1903).
 
 
croquis d'orient
 
 
 
Le soleil, dans l’azur épais, luisant et gras,
Est comme un fruit obèse et dont l’écorce éclate,
Auquel ce bon vieux Turc compare sur sa natte
La citrouille turgide au milieu des cédrats.

Au seuil de sa boutique amoncellent leurs tas
L’aubergine vineuse et la rouge tomate,
Et son œil en extase aux couleurs se dilate.
Le turban rond s’enroule à son crâne au poil ras.

Dans l’ombre, il va bientôt s’étendre pour la sieste,
Tandis qu’une acre odeur de miasme et de peste
S’exhale autour de lui de ce quai d’Orient,

Où, Sultane de rêve aux merveilleux royaumes,
Il sent venir, avec un frisson souriant,
La fièvre fabuleuse et diverse en fantômes.
 
 
 
Henri de Regnier (1864-1936). Le Miroir des heures (1911).
 
 
les jardins
 
 
 
Ne pensez pas, un jour, que mon cœur vous oublie
Et qu’il ne se souvienne plus d’avoir aimé
Vos ombrages souvent dont la paix m’a charmé,
Beaux promenoirs d’amour et de mélancolie,

Vous dont la pompe illustre à la grâce s’allie,
Qui mêlez l’un à l’autre en votre air embaumé
Et la rose odorante et le buis parfumé.
Jardins, ô chers jardins, de France et d’Italie !

Vous voici. Je revois vos marbres et vos eaux ;
J’entends mon pas lointain au fond de vos échos,
Car les lieux, comme nous, ont aussi leur mémoire;
Et vous ne changez point et le temps passe en vain
Et l’ombre tourne encor, mouvante, aiguë et noire,
Autour de l’if français et du cyprès romain !
 
 
 
Henri de Regnier (1864-1936). Le Mirir des heures (1911).
 
 
fontaine.jpg
 
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24 février 2013 7 24 /02 /février /2013 22:22
 
 
balance
 
 
 
Sous le signe de la Balance,
Un jour d'octobre je suis né,
Vénus hélas ! m'a condamné
A subir sa folle influence;

Les femmes que j'ai rencontrées.
Mon cœur devint leur éventail
Et ma mémoire est le bercail
Où vont les brebis égarées;

Cythère ! il nous faut jeter l'ancre
Et perdre un dimanche banal,
Dans son petit soulier de bal,
Notre cœur tout barbouillé d'encre.
 
 
 
georges gabory (1899-1978). Poésies pour dames seules. (NRF, 1922).
 
 
marine
 
 
 
Entendez le bruit de mes sanglots !...
C’était un navire superbe
Qui se balançait sur les flots
Comme un coquelicot dans l’herbe…

Capitaine du Tour du Monde,
La nuit est chaude et vous pensez
A l’odeur d’une fille blonde
Qui ris lorsque vous l’embrassez…

L’Océan né de mes pinceaux
Vous emporte loin du rivage :
Quand on a brulé ses vaisseaux,
Il faut revenir à la nage.
 
 
 
georges gabory (1899-1978). Coeurs à prendre. (Le Sagittaire, 1920)
 
 
zambelli
 
 
 
Est-il de Paris à Pékin
Plus joli masque de théâtre
Qui sourie aux anges de plâtre
Nus sous le manteau d'Arlequin ?

Vous savez lire entre les lignes...
Les mots nagent dans l'encrier,
Mais les mots ne sont pas des cygnes !
Je ne pourrai jamais tailler

Dans ce nuage une statue,
Si je n'ai pas vaincu les mots !
La danseuse sortant des flots
De tulle-illusion-perdue
.
 
 
 
georges gabory (1899-1978). Poésies pour dames seules (NRF, 1922).
 
 
sirene.jpg
 
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27 janvier 2013 7 27 /01 /janvier /2013 21:16
 
 
vestiges
 
 
 
I.
 
A fleur d'aube, les toitures,
Les grilles, les pavés
Soupirent, —- achevé
Leur roman d'aventures.

Ils vont ruminer tout seuls
Les étranges épisodes
Que de plus étranges rhapsodes
Ont chuchoté sous des linceuls.

Hermétiques, ils refoulent
Leur émoi, farouchement;
Excédés du mouvement
Et des propos de la foule.

Mais quelquefois un taudis
Qui dans la brume rêvasse
Sourit de toutes ses crevasses
Comme à la vision d'un Paradis.
 
II.
 
Que de carreaux sont vides,
Sur le damier des jours !
Mais ce sont les noirs, toujours,
Qui comblent le coeur avide.

Aladin, Monte-Christo
Et les sorciers d'Egypte
Ont laissé dans ces cryptes
Scintiller des cristaux.

Mystérieuses vierges
Des obscurs firmaments,
Allumez lentement,
Rituellement les cierges.

Un calme torrentiel
Couvre clairière et grève
Que traversent pour le rêve
Les vedettes du ciel.
 
III.
 
Est-ce le sycomore
Ou le chemin aux éboulis
Que cet instant te remémore
Dans le parc qui se désemplit ?

Tapi dans une vieille romance,
Au fond d'un magazine jauni
Ou dans le fichu de Clémence,
— Car baroques sont ses nids ;

Tel jour de l'adolescence
Sort, insatisfait encor,
Et rôde, envoûté d'une chère absence,
Dans un immuable décor.

Et c'est lui que le conventicule
Des arbres s'effeuillant
Verse avec le crépuscule
Sur l'horizon défaillant.
 
IV.
 
Que n'êtes-vous venue,
Surgie au fond de l'avenue ?
Surgie au fond de l'avenue,
Lassitude, vous êtes venue.

Que n'êtes-vous apparue,
Blottie au coin de quelque rue ?
Blottie au coin de chaque rue,
La solitude m'est apparue.

Quand les feuilles rendront
Sa nuit à l'avenue,
Le long des rhododendrons
Où vous n'êtes pas venue ;

Quand les rideaux se gonfleront
A la brise, dans chaque rue,
Les rayons danseront en rond
Avec mon coeur, ma disparue.
 
 
 
emmanuel lochac (1986-1956). La Phalange (décembre 1935).
 
 
nocturnes
 
 
 
I.
 
Descends les degrés du silence
Et de l'obscurité
Où le temps redouté
Est pure défaillance.

Ton immobilité
Permet que tu respires;
Te voici dans l'empire
Vague, de l'illimité.

Cette nuit presque ancienne,
Tranquille infiniment,
Te verse son calmant
A travers les persiennes.

Les battements de ton sang,
N'est-ce pas une présence ?
Écoute-les, et pense
A l'Inconnu saisissant.
 
 
II.
 
Salutaire atonie,
Je me confie à toi.
Inerte sous le toit,
Je goûte l'insomnie.

Cohésion, dans la paix,
De l'ombre et de mon être.
Tache de la fenêtre
Sur le dehors épais.

Nulle part d'influence
Que de l'aérien;
Et la vie, à ce rien,
D'irréel se nuance.

Tout ce qui se conçoit
Est de nature floue;
Mais le vaisseau se renfloue
Qu'on sentait sombrer en soi.
 
 
 
emmanuel lochac (1986-1956). La Revue de Paris (août 1936).
 
 
sixain
 
 
 
Un poète, s'il ne veut pas déchoir, répète
Les premiers vers qu'il lit pour une blondinette.
Il ne sait pas chanter le progrès social ;
Et toujours il revient au thème initial.
L'unique chant, du roi Salomon à Verlaine
Est un refrain d'amour fleuri de marjolaine.
 
 
 
emmanuel lochac (1986-1956). La Phalange (décembre 1935).
 
 
femme-copie-1.jpg
 
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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 22:07
 
 
soledad
 
 
 
L'Espagne, au loin, la mer
Dormante sous la lune

La haute croix de fer
Au sommet de la dune,

Ce calme, cette nuit
De jasmins embaumée

Tout ce royaume où luit
L'étoile bien-aimée,

Dans quelle élection,
Mon coeur, plus belle au monde,

Ta désolation
Fut-elle plus profonde?
 
 
 
Robert Houdelot (1912-1997). Poèmes (1926).
 
 
avignon, sombre fleur
 
 
 
Avignon, sombre fleur sans pareille et sans nom
Qu'on détache le soir et la nuit qu'on respire,
Belle, voluptueuse et cruelle Avignon,
J'ai trouve dans tes murs le meilleur et le pire.

Le meilleur, si l'amour d'un temps qui fut perdu
A choisi pour renaître une heure enfin bénie,
Le Pire, si d'entrer au jardin défendu,
M'a laisse Plus amer que jamais dans ma vie ;

Et comme, en regagnant les ténèbres du nord
A travers le sommeil de villes inconnues,
Je passais lentement de la vie à la mort,
Avignon, j'ai rêvé de tes étoiles nues.
 
 
 
Robert Houdelot (1912-1997). Poèmes (1926).
 
 
la fraîche pluie
 
 
 
La fraîche pluie et le soleil,
Le vent d'été qui les emmêle,
Mon Enfant, ce jour est pareil
A mon âme folle et fidèle.

Mon Enfant, n'en ayez pas peur,
Car l'amour est aussi, je pense,
Tissé de fièvre, de douceur,
De soleil, d'ombre et de silence.
 
 
 
Robert Houdelot (1912-1997). Poèmes (1926).
 
 
colombe-copie-1.jpg
 
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25 novembre 2012 7 25 /11 /novembre /2012 09:06
 
 
chanson du chat gris
 
 
 
Heure très belle et très fine
Où le soleil non pareil
Qui décline
Promène sur le mur de longues tresses d'or !
Oh ! Regarde... Sur le gazon
Devant la maison...

Le chat gris à la queue rayée,
Qui, charmant tigre domestique,
Lève une patte
Délicate
Et joue avec un moustique.
 
 
 
louis codet, 1876-1914. Poèmes et chansons (1926).
 
 
la promenade matinale
 
 
 
Chausse, mon compagnon, tes espadrilles blanches;
II fait grand jour, et la montagne nous attend !...
Nous passerons le pont tremblant, le pont de planche
Nous irons vers ce lac que l'on voit miroitant.

Dépêche, il fait grand jour... Que la montagne est verte !
La sapinière a tant d'arôme ce matin !...
Nous aurons chaud, là-bas, dans la gorge déserte
Où sont les éboulis et les coteaux de thym...

Dépêche-toi !... Déjà toutes les femmes lavent;
Tous les bergers sont loin : entends-tu les troupeaux ?
Hardi, hardi ! Prenons nos sacs et nos chapeaux !...

Je vois un vieux pêcheur marcher au long du gave,
Et dans le pré deux petits gars, en reculant,
Font monter au ciel bleu leur rouge cerf-volant.
 
 
 
louis codet, 1876-1914. Poèmes et chansons (1926).
 
 
le port catalan
 
 
 
Que j'aime la douceur de la mer catalane,
Au retour des bateaux, le soir, quand les pêcheurs
Traînent sur les galets, jusqu'au pied des platanes,
Leurs barques aux beaux flancs, claires comme des fleurs.

On pèse les poissons qu'on vend sur le rivage,
Et le vieux Gaudérique en bonnet phrygien,
Fume sa pipe, assis sur un rond de cordages,
Tandis qu'un enfant nu joue avec un gros chien.

Une voile palpite encore au vent d'Espagne ;
On voit parmi les chênes-verts de la montagne
Descendre les mulets portant les raisins noirs...

Que j'aime la douceur de la mer catalane !
Nous danserons, ce soir, quelque lente sardane,
Sous la lune qui luit, pure comme un miroir.
 
 
 
louis codet, 1876-1914. Poèmes et chansons (1926).
 
 

soleil 2

 
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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 23:04
 
 
le fleuve
 
 
 
Avec midi,
Solitaire, tu resplendis ;
le silence à tes bords gagne jusqu'aux oiseaux.
J'ai surpris ton frémissement
quand la lune vient se baigner à tes roseaux.
Mais dans le matin tournoyant
peut-être encore es-tu plus beau !

Parmi les chênes,
les pins
Et les dunes mouvantes,
jamais il ne s'achève, ton destin :
la source chante
là-haut, dans la montagne,
sans fin.
 
 
 
André Castagnou, 1889-1942. Les Quatre Saisons (1923).
 
 
angelus
 
 
 
J'aime les cloches, le matin,
dans les branches des peupliers.
J'aime les cloches, chantent mes coqs,
et brille le coq de mon clocher.
Les coqs chantent, chantez beaux coqs !
Vers l'aube, l’aurore, l'espoir peut-être.
Qu'en sais-je, qu'en savons-nous ?
Plus que le chant du coq,

vive l'alouette et son tireli,
vive l'alouette !
Mais Frère Jacques, dormez-vous ?
Sonnez les matines!
Cloches, clochettes, clarines.
l'alouette s'envole,
vole avant l’Angelus
L’Angelus du matin.
J'aime les cloches, le matin.
 
 
 
André Castagnou, 1889-1942. Les Quatre Saisons (1923).
 
 
trinacrie
 
 
 
Là-bas, sur les plages mandchoues,
au bout du Transibérien,
Cendrars a rencontré Sindbad le Marin.
Moi j'ai peur de la neige
Et je ne connais point la fleur du caoutchouc.
Je ne quitterai pas la belle Trinacrie
où des déesses brunes passent en des carrioles peintes,
et sur la mer couleur de raisin
le soleil est un bouquet de roses.
 
 
 
André Castagnou, 1889-1942. Les Quatre Saisons (1923).
 
 

sirene.jpg

 
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30 septembre 2012 7 30 /09 /septembre /2012 09:01
 
 
sonnet
 
 
 
Je veux courir en Bièvre et je boucle mes guêtres
Mais, quand je poursuivrai l'ase ou la perdrix grise,
Viendrez-vous pas ici chasser la Peine, assise
Au seuil empoussiéré de la maison sans maîtres ?

Je vous réserverai — vous connaissez les aîtres —
Cette chambre carrée où vous plaît une frise
Multipliant la nymphe hostile à l'entreprise
— Où le rosier grimpant a cerné la fenêtre.

Vous aurez le miroir qui sait votre visage
Depuis longtemps déjà, le lit, le paysage
Et le jardin noyé, ce soir, de brume basse.

Vous aurez le verger, les raisins de septembre.
Et la maison, le parc, la cueilleuse, la chambre
Enchanteront mon rêve aux loisirs de la chasse.
 
 
 
Jean Pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (1923).
 
 
bohême
 
 
 
— Nous n'entendrons plus ta chanson,
Marchande, « belles fraises »,
Ni ta trompette à l'aigre son,
Doux rempailleur de chaises !

— Prépare l'omelette au lard,
Je vais plier les nappes.
— Oh ! ces écharpes de brouillard
Sur mon quai de Jemmapes.

— Ou sont les restes du pâté ?
— Où, tes rires, faunesse ?
— J'ai perdu la passoire à thé.
— J'ai vécu ma jeunesse...

Nos premières heures d'amants
Ses baisers d'étourdie,
Rêve !... — Deux déménagements
Valent un incendie.
 
 
 
Jean Pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (1923).
 
 
la nuit d'avril
 
 
 
Je ne me suis pas fait la tête de Musset,
Je tartine des vers, je prépare un essai,
J'ai le quart d'un roman à sécher dans l'armoire.
... Mais que sont vos baisers, ô filles de mémoire!
Vous entendre dicter des mots après des mots
Triste jeu !
... Le loisir d'été sous les ormeaux,
Une écharpe du soir qui se lève et qui glisse…
Des couplets sur ce bon Monsieur de La Palice
Que répète un enfant dans le jardin couvert
Ce crépuscule rouge, et puis jaune, et puis vert...
... Une femme passant le pont de la Concorde
... Le râle d'un archet pâmé sur une corde,
La danse, la chanson avec la danse, un son
De flûte, sur la danse entraînant la chanson,
Ce geste d'une femme et celui d'une branche
Ah ! vains mots ! pauvres mots en habits du dimanche
Ah ! vivre tout cela, le vivre et l'épuiser !...
Muse, reprends mon luth et garde ton baiser !
 
 
 
Jean Pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (1923).
 
 

amour

 
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31 août 2012 5 31 /08 /août /2012 14:32
Derème
 
 
l'acacia
 
 
 
L'acacia blanc sur la berge,
Remue au vent du soir ;
Les rouliers boivent du vin noir
Sous la glycine bleue et fraîche de l'auberge.

Mes beaux rêves s'en sont allés,
Rouliers, dans vos charrettes ;
Mon coeur plein de larmes secrètes
Songe à des rosiers verts que la foudre a brûlés.

Pourquoi faut-il qu'à vos voix dures
Renaissent mes beaux jours
Et ma jeunesse et mes amours
Avec tous les oiseaux et toutes les verdures,

Alors qu'un âpre désespoir
Casse toutes les branches
Et que la berge et l'eau sont blanches
Acacia, des fleurs que t'arrache le soir ?
 
 
 
tristan derème (1889-1941). La Verdure dorée. (1922).
 
 
nous qui dans les matins ...
 
 
 
Nous qui dans les matins grandioses voulions
Vivre couverts de gloire et de peaux de lions,
Nous finirons gérants de bar, tabellions,

Archivistes ou grooms d'autos aux larges trompes ;
Mais, sevrés pour jamais du triomphe et des pompes,
Qu'importe à notre coeur, Destin, que tu le trompes,

Si tu nous sais donner l'espoir toujours nouveau
D'aborder au pays sans neige ni tombeau
Où verdit à l'azur le laurier le plus beau,

Et si cette espérance a doré nos journées,
Si nous avons souri des guirlandes fanées
Confiants au loyer des tâches obstinées,

Et si, chantant dans la ténèbre et dans le vent,
Nous nous sentons avec une candeur d'enfant,
Baigner dans la lumière et le soleil levant.
 
 
 
tristan derème (1889-1941). La Verdure dorée. (192é).
 
 
chanson
 
 
 
Quand il ouvrait sa tabatière,
Il en sortait trois papillons :
Le premier portait sa rapière,
L'autre corrigeait ses brouillons ;
Le dernier taillait ses crayons.

Ah! vraiment la belle histoire
Que l'on vous fredonne ici !
Personne ne veut la croire
Et j'en ai bien du souci.

Mon oncle avait une barque,
Mais peinte à l'huile en un tableau.
La Sagesse, en effet, remarque
Que l'onde est parfois un tombeau :
Le poisson même meurt dans l'eau.

Ah! vraiment la belle histoire ... etc...

Mon grand oncle avait une poule :
Elle pondait sur le jet d'eau.
Les curieux venaient en foule
Pour voir danser chaque oeuf nouveau.
De sa poule il me fit cadeau.

Ah! vraiment la belle histoire ... etc...

Mon grand oncle avait une canne
A pêche, mais pas d'hameçon.
On me prévient qu'un sot ricane
A ce complet de ma chanson :
Mais il rit moins que le poisson.

Ah! vraiment la belle histoire ... etc...

Mon grand oncle avait une puce
Qui l'éveillait tous les matins.
Elle est morte à la Sainte-Luce.
Que nos réveils sont incertains !
Il dort... Ainsi vont les destins...

Ah! vraiment la belle histoire !
Personne ne veut la croire !
Gardez-la dans cette armoire
Qu'on appelle la mémoire.
Quelqu'un la continuera ;
Tout le monde la saura ;
Tout le monde chantera
Tous les couplets qu'elle aura.
Mon grand oncle, et caetera. 
 
 
 
tristan derème (1889-1941). Le Violon des muses. (1935).
 
 

fleur 3

 
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31 juillet 2012 2 31 /07 /juillet /2012 07:12
 
 
jeux d'anjou
 
 
 
Anjou,
Ciel, toits et Loire de cendre bleue,
Et fines ailes des moulins tournant un peu,
Quand le vent joue;

Maisons blanches et saules d'argent
Mirant dans l'eau vos tons si doux,
Que de fois je me surprends songeant
Secrètement à vous !

Et plus encore sans doute,
A cette fille de Champtocé
Arrêtée sur le bord de la route
Et qui souriait quand je suis passé.

Bords argentés de Loire
Beau pays des yeux gris
Entre les boucles noires,
Que je vous chéris !
Maisons blanches dormant dans les prés
Ou les vignes,
Sous les toits bleus d'ardoise fine,
Jamais sans doute ne vous oublierai,
Ni la molle Angevine.
 
 
 
tristan klingsor (1874-1966). Le Divan (1926).
 
 
la balancelle
 
 
 
Si tu pouvais aller vers le pays ou dort
Celle qui fit mon cœur si lourd,
Je te ferais mettre toutes voiles dehors
O balancelle de Collioure.

Pour me retenir le roi de Majorque
M’offrirait en vain
Sa fille aux joues ocres
Et cent vingt mille morabotins
D’or.

Malgré le regret,
Belle ville rose et bel azur noir
Du port,
Dès ce soir, déchirant la soie d’eau, dès ce soir
Je partirais.

Mais parée de jaune et vert comme un jeune ara,
La balancelle est sur le sable
Et pour le pays inconnaissable
Jamais elle n’appareillera.
 
 
 
tristan klinsor (1874-1966). Poèmes de la figue et de la rose. (1932).
 
 
paysage
 
 
 
Les arbres du jardin,
Se découpent dans l'air léger du soir
Comme s'ils étaient peints
Sur une fine soie;
Le bel oiseau gris qui se balance
Sur la branche d'un pêcher fleuri
Se garde de troubler le silence
D'un seul cri;
Tout dort,
Et la lune qui se mire dans l'eau du lac
Est comme une mince barque
Au milieu d'un parc illuminé d'or.
 
 
 
tristan klingsor (1874-1966).
 
 

fontaine.jpg

 
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29 juin 2012 5 29 /06 /juin /2012 22:25
 
 
le départ
 
 
 
Lorsque viendra le temps où l'on vanne le blé
Dans l'air plein de soleil et de poussières claires,
Et que dans la douceur des longs soirs de l'été
La brise de la mer soufflera sur les aires,

Comme nous serons loin de la maison des champs,
Où jusqu'ici nous ramenèrent, chaque année,
Le bel été paré des fruits les plus charmants
Et le calme infini de ses chaudes journées !

Nous ne connaîtrons plus le plaisir simple et sûr
De tourner notre vue éperdument heureuse
Sur un large horizon de collines d'azur
Et d'oliviers légers dont l'ombre est lumineuse.

Nous chassions tous les jours les grands vols des perdreaux
Que nos beaux chiens faisaient lever dans les bruyères;
Le goût du bain réunissait au sein de l'eau
Nos jeunes corps épris de voluptés légères !

France, nous respirions dans toute sa douceur,
L'air du pays natal, l'air de miel et de roses !
Racine et Fénelon enchantaient notre coeur !
Mais le charme de vivre est fait de peu de chose.

Maintenant, dans le port s'agitent les vaisseaux;
Le soir va recouvrir les campagnes de France :
Nous laisserons au fond des bois et des ruisseaux
Notre jeunesse et notre heureuse insouciance !
 
 
 
pierre camo (1877-1974). Le Jardin de la sagesse. (1906).
 
 
la douceur catalane
 
 
 
A Louis Bausil.
 
J'ai perdu pour toujours ma douceur catalane,
Et ma maison de l'Aspre aux murs jaunes et blancs,
D'où mes yeux contemplaient, en la fleur de mes ans,
Les Albères avec la Tour de la Massane.

Alentour s’étendait un pays désolé
De lièges au tronc rouge et de sievas sauvages,
Où tintait le clocher d'un petit ermitage
Dans l'azur sec et chaud d'un grand plateau brûlé.

Le vent marin et le parfum des lauriers-roses
Baignaient d'effluves la terrasse du jardin;
L'odeur du miel et des bouquets de romarin
Pénétrait jusqu'au fond des grandes chambres closes.

Quand revenaient les longs après-midi d’été,
Sous le vieux catalpa, les branches coutumières
Abritaient les chapeaux à fleurs, les robes claires,
Et les propos légers nés de l'intimité.

Des coupes de raisin et de figues sucrées
Tentaient la guêpe d'or et le frelon rôdeur,
Et les alcarazas d'eau vive et de fraîcheur
S'évaporaient dans la lumière colorée.

Le malheur et la mort sont passés en ces lieux :
Il a fallu quitter le paisible domaine,
Et s'en aller tenter la fortune incertaine,
Un soir de grands départs et de sombres adieux.

Le vieux mas et les vieilles choses usuelles
Ne feront plus jamais ma joie et mon séjour,
Et j'ignore en quels bords ira sombrer un jour
Tout ce qui formera ma dépouille mortelle.

Le Roussillon, Bausil, dont vous goûtez les fruits.
Est devenu pour moi la terre de passage
Où fleurissent à peine, entre deux longs voyages.
D'anciennes amitiés sur un passé détruit !
 
 
 
pierre camo (1877-1974). Les Beaux Jours. (1918).
 
 
les adieux au vaisseau
 
 
 
Vaisseau qui vas revoir le rivage de France,
Et la blanche Provence, et le ciel boréal,
Que les vents te soient doux, qu'un flot toujours égal,
O vaisseau de mon coeur, t'emporte et te balance !

Dans tes bois parfumés, fils des forêts du Nord,
J'avais mis, en partant, toute ma destinée,
Et tu m'as bien conduit sur la terre éloignée,
Aux limites du Sud, du large et de la mort.

J'invoquerai pour toi les Déesses humides,
Et les Dieux inconnus des mers de l'Equateur,
Et, par eux, tu fuiras l'ouragan du malheur,
Le pirate africain et les roches perfides.

Je graverai ton nom, avec ces vers d'adieux,
Au tronc de ce manguier sauvage et solitaire,
Et puis je prendrai seul la route de la terre,
Vers les plateaux d'argile et les bois d'arbres bleus.

Adieu, le soir descend, la grande nuit s'avance,
La Croix du Sud déjà scintille au zénith clair,
Et bientôt le phosphore éclairera la mer.
Adieu, mon beau vaisseau, qui vas revoir la France !

Je reste seul, avec le poids du souvenir.
Le vent du sud, chargé de sel et d'amertume,
Qui fait pencher ta proue et s'effranger l'écume,
Rend mon coeur triste et désolé jusqu'à mourir.

Mais la rose fleurie aux portes de la Reine
Et les filles du Sud, belles comme le soir,
Sauront bientôt en moi tenir et prévaloir
Contre ce que je laisse aux flancs de ta carène,

Vaisseau porteur du pavillon à trois couleurs,
Qui fends l'onde déjà pour voir d'autres contrées,
Et retrouver l'automne aux zones tempérées,
Et mes grands bois de France aux mourantes splendeurs.
 
 
 
pierre camo (1877-1974). Les Beaux Jours. (1918).
 
 

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N°1 - 2009/01
 
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