le jardin mouillé
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La croisée est ouverte; il pleut Comme minutieusement, A petit bruit et peu à peu, Sur le jardin frais et dormant. Feuille à feuille, la pluie éveille L'arbre poudreux qu'elle verdit; Au mur, on dirait que la treuille S'étire d'un geste engourdi. L'herbe frémit, le gravier tiède Crépite et l'on croirait là-bas Entendre sur le sable et l'herbe Comme d'imperceptibles pas. Le jardin chuchote et tressaille, Furtif et confidentiel; L'averse semble maille à maille Tisser la terre avec le ciel. Il pleut, et, les yeux clos, j'écoute, De toute sa pluie à la fois, Le jardin mouillé qui s'égoutte Dans l'ombre que j'ai faite en moi. |
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Henri de Regnier (1864-1936). Les Médailles d'argile (1903).
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croquis d'orient
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Le soleil, dans l’azur épais, luisant et gras, Est comme un fruit obèse et dont l’écorce éclate, Auquel ce bon vieux Turc compare sur sa natte La citrouille turgide au milieu des cédrats. Au seuil de sa boutique amoncellent leurs tas L’aubergine vineuse et la rouge tomate, Et son œil en extase aux couleurs se dilate. Le turban rond s’enroule à son crâne au poil ras. Dans l’ombre, il va bientôt s’étendre pour la sieste, Tandis qu’une acre odeur de miasme et de peste S’exhale autour de lui de ce quai d’Orient, Où, Sultane de rêve aux merveilleux royaumes, Il sent venir, avec un frisson souriant, La fièvre fabuleuse et diverse en fantômes. |
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Henri de Regnier (1864-1936). Le Miroir des heures (1911).
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les jardins
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Ne pensez pas, un jour, que mon cœur vous oublie Et qu’il ne se souvienne plus d’avoir aimé Vos ombrages souvent dont la paix m’a charmé, Beaux promenoirs d’amour et de mélancolie, Vous dont la pompe illustre à la grâce s’allie, Qui mêlez l’un à l’autre en votre air embaumé Et la rose odorante et le buis parfumé. Jardins, ô chers jardins, de France et d’Italie ! Vous voici. Je revois vos marbres et vos eaux ; J’entends mon pas lointain au fond de vos échos, Car les lieux, comme nous, ont aussi leur mémoire; Et vous ne changez point et le temps passe en vain Et l’ombre tourne encor, mouvante, aiguë et noire, Autour de l’if français et du cyprès romain ! |
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Henri de Regnier (1864-1936). Le Mirir des heures (1911).
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