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14 octobre 2018 7 14 /10 /octobre /2018 17:07
Gouvernement Conte
 
Rome est dans Rome
 
Nous commençons à publier dans ce numéro une série d’articles et de points de vue destinés à alimenter le débat en vue des prochaines élections européennes. En raison du bras de fer qui oppose actuellement la Commission Juncker et le gouvernement italien, il nous a paru intéressant d’évoquer en premier lieu la situation de nos amis transalpins.
 
Ceux qui pressentaient, au printemps dernier, que les changements politiques à Rome allaient profondément secouer l’Europe avaient vu juste. Après s’être vigoureusement opposé à la Commission pendant tout l’été sur les questions migratoires, le gouvernement italien vient d’ouvrir un second front en présentant un budget pour 2019 qui rompt avec tous les dogmes austéritaires. Bruxelles s’est immédiatement fendu d’une lettre de rappel à l’ordre. Peine perdue : Rome n’a nulle intention de modifier son projet, en tous cas à ce stade. On imagine l’émoi des Moscovici, Juncker, Oettinger et autres Draghi !
 
Il est vrai que, dans la confrontation qui l’oppose à la Commission, l’équipe de Giuseppe Conte s’appuie sur quelques bons arguments. Le déficit qu’elle envisage pour 2019 est dans l’épure du Pacte de stabilité, ce qui n’est pas le cas d’autres pays, à commencer par la France. Si le niveau de sa dette publique reste élevé, l’Italie fait valoir qu’elle dispose d’un volume d’épargne privée parmi les plus élevés d’Europe, qu’elle est moins dépendante que d’autres des investisseurs étrangers et qu’elle ne présente donc aucun risque de défaut.
 
De là à considérer que la Commission a d’autres raisons de s’opposer à ce budget, et qu’elle cherche surtout à punir un gouvernement qui assume ouvertement sa ligne souverainiste, il n’y a qu’un pas, que Rome n’hésite pas à franchir. Tout en affichant, avec sérénité mais non sans malice, son souhait de « poursuivre le dialogue avec Bruxelles ».
 
Que peut craindre en effet le gouvernement italien ? Les marges de manœuvre de la Commission sont quasiment inexistantes. A supposer qu’elle engage une procédure pour « déficit excessif », la démarche durera des mois et l’actuelle équipe Juncker n’a plus la longévité politique pour la mener à bien. D’aucuns espéraient que les marchés financiers feraient discrètement le travail, en provoquant une flambée des taux des obligations italiennes. Aucun risque à l’horizon : les investisseurs asiatiques ou américains, peu sensibles aux sirènes de Bruxelles, continuent d’acheter sans état d’âme de la dette italienne.
 
La Commission sait, par ailleurs, que le rapport de force avec l’Italie a changé et qu’il n’est plus nécessairement en sa faveur. La coalition au pouvoir à Rome dispose en effet d’une assise politique solide, qui s’est renforcée depuis les élections de mars dernier. Selon les derniers sondages, près de deux électeurs italiens sur trois soutiennent son action, et les partis qui la composent - la Ligue, conservatrice, et le Mouvement Cinq Étoiles, populiste – s’appuient sur une base sociale très large. L’opinion publique veut clairement tourner la page de la partitocratie et des scandales à répétition qui ont affaibli l’Etat. Elle souhaite la réussite d’un programme – réduction de la pauvreté, moindre pression fiscale sur les classes moyennes, sécurité, relance des programmes d’infrastructures – qui correspond aux aspirations profondes du pays. Ceux qui, à Paris ou à Berlin, parient sur l’éclatement de la coalition devraient y réfléchir à deux fois.
 
En outre, le gouvernement a engagé, dès son arrivée, une intense activité diplomatique pour éviter tout risque d’isolement. Elle a renoué ses liens avec des nations – USA, Russie, Chine – que l’arrogance de Bruxelles exaspère et qui peuvent apporter à Rome des appuis financiers bienvenus. Au plan européen, un veto italien sur les sanctions contre la Russie, sur le budget de l'Union, une attitude plus indulgente vis-à-vis du Royaume Uni sur le Brexit sont des armes redoutables que Rome saura faire jouer si ses partenaires se montrent trop sévères. Sans parler du double langage entretenu par l’Italie sur une éventuelle sortie de la monnaie unique, qui entrainerait inévitablement l’effondrement de l’euro et, sans doute, la fin de l’UE.
 
Enfin, la coalition italienne travaille activement, dans la perspective des élections européennes du printemps prochain, à faire voler en éclat l’alliance des conservateurs et des sociaux-démocrates qui a la haute main sur le Parlement de Strasbourg, la Commission et la BCE. Matteo Salvini avance habilement ses pions, avec l’appui de ses alliés hongrois, tchèques, slovaques et polonais. De son côté, le Mouvement Cinq Étoiles prend des initiatives pour fédérer les écologistes et les groupes de gauche euro-critiques dans une nouvelle alliance. Dans ce contexte, Bruxelles et à Berlin entendent manœuvrer avec prudence. Il s’agit d’éviter les provocations inutiles que Rome porterait immédiatement à son crédit.
 
Certains commentateurs faisaient, il y a quelques semaines encore, un parallèle entre l’Italie et la Grèce. C’est méconnaitre les réalités économique et politique. La péninsule, deuxième puissance industrielle du continent, dispose d’atouts puissants pour faire entendre sa voix et faire valoir ses choix. Il est clair que le gouvernement italien se donne les moyens de valoriser ces atouts : une forte légitimité intérieure, une stratégie internationale habile, une bonne pratique des rapports de force au sein de l’Union… Voilà un plan d’ensemble que les patriotes français de toutes obédiences devraient méditer. Le laboratoire italien n’a sans doute pas fini de nous étonner.
 
  François Renié.

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17 novembre 2012 6 17 /11 /novembre /2012 00:15
L'heure
des diktats

 

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L'Allemagne abat ses cartes. L'une après l'autre. Avec la sérénité et la tranquillité du joueur qui domine le jeu. Que la crise européenne s'accélère, comme c'est à nouveau le cas depuis quelques semaines, que les gouvernements du sud de l'Europe vacillent sous les effets de la récession, que la France elle-même commence à perdre pied, et les cartes allemandes s'abattent plus vite encore.
Après avoir forcé ses "partenaires" à voter au canon un traité qui va instaurer partout l'austérité germanique, voilà que M. Schäuble passe à l'étape suivante : celle de la mise sous tutelle des budgets nationaux et des économies de chacun des Etats-membres de l'Union. Depuis un an, le pouvoir de la Commission a pourtant été considérablement élargi, sous la pression de l'Allemagne et avec la complicité de ses hommes-liges, MM. Van Rompuy à Bruxelles, Juncker à Luxembourg et Draghi à Francfort. Le "pacte de stabilité" a été renforcé et on avance rapidement vers une union bancaire.
Mais L'Allemagne veut plus et plus vite. Elle exige maintenant de ses partenaires la nomination d'un super-commissaire européen aux finances disposant d'un vrai droit de veto sur tous les budgets nationaux. Elle s'appuie sur tout ce que la Commission ou la BCE compte d'amis ou d'obligés de Berlin, et Dieu sait s'ils sont nombreux.
Londres a  fait savoir que ce sera sans la Grande Bretagne. M. Cameron manoeuvre habilement pour tenir son pays à l'écart de la crise de l'euro et l'opinion publique britannique s'exprime de plus en plus ouvertement pour une sortie de l'Union européenne. Mme Merkel ne fera rien pour irriter les Anglais. Ses objectifs concernent la seule zone mark, ce qu'on appelle, pour quelques temps encore, l'Eurozone.
Le gouvernement français s'est lui aussi fait tirer l'oreille. Moins par souverainisme budgétaire que parce qu'il craint une bronca des parlementaires contre une mesure qu'ils vivront comme une mise sous tutelle. Qu'importe, on forcera une fois encore la main de M. Hollande et de ses ministres. En laissant entendre s'il le faut que la France est "l'homme malade" de l'Europe et qu'un quarteron d'experts allemands travaillent sans relâche sur son cas. C'est ce qui vient de se passer cette semaine et la manoeuvre a parfaitement réussie. L'opinion française s'est légitimement émue des rumeurs d'ingérence de l'Allemagne. La presse bourgeoise a obligeamment relayé l'information en incriminant "l'immobilisme" et "l'amateurisme" qui règnent au sein du pouvoir. M. Hollande a dépêché d'urgence M. Ayrault à Berlin, que Mme Merkel s'est empressé de rassurer. L'incident étant clos, les Français sont murs pour tourner casaque et accepter tous les diktats de M. Schäuble. Les prochaines semaines devraient, hélas, nous donner raison sur ce point !
Ce qui semble surtout inquiéter l'Allemagne, c'est la dégradation du climat social en Europe. Elle ne veut à aucun prix d'un mouvement de grande ampleur qui forcerait les gouvernements de la zone euro à changer de cap économique, sous la pression de la rue. On a vu le 14 novembre que si la contestation prenait de l'ampleur, c'était surtout dans les pays d'Europe du sud, que l'Allemagne veut chasser de la zone euro. Quelques manifestations à Paris et à Bruxelles, rien à Londres et à peu près rien en Allemagne, en Scandinavie et dans les pays de l'est. Mais rien ne dit que le mouvement ne va pas faire progressivement tache d'huile du sud vers le nord, sous l'effet de la récession qui gagne. Raison de plus pour hâter les choses et les rendre  irréversibles, pense sans aucun doute M. Schäuble. L'heure des diktats est arrivé. Celle des superviseurs, des contrôleurs et des sanctions ne devrait plus tarder.
François Renié.
 
Mardi 16 octobre
- Le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, propose de renforcer les pouvoirs du commissaire européen à l'économie en lui donnant un droit de veto sur les budgets nationaux. Cette proposition, qui séme le trouble à la veille du Conseil européen, est immédiatement soutenue par le directoire de la Banque centrale européenne et par certains secteurs de la Commission.
Mercredi 17 octobre
- Le gouvernement britannique décide de faire jouer sa clause d'exemption lui permettant de sortir de la politique européenne de coopération policière et judiciaire. Le Royaume uni précise qu'il pourrait rejoindre cette coopération, dans un deuxième temps, mais sur les seuls domaines qui relèvent de "l'intérêt national" britannique.   
Jeudi 18 octobre
- A la veille du Sommet de Bruxelles, François Hollande déclare : "Sur la sortie de la zone euro, nous en sommes près, tout près. Parce que nous avons pris les bonnes décisions au sommet des 28 et 29 juin et que nous avons le devoir de les appliquer rapidement. D'abord en réglant définitivement la situation de la Grèce, qui a fait tant d'efforts et qui doit être assurée de rester dans la zone euro". 
Vendredi  19 octobre
- Le Conseil européen de Bruxelles s'achève sur un échec. La supervision bancaire souhaitée par la France, ne sera effective au mieux qu'en 2014. L'Allemagne remet officiellement sur la table la désignation d'un super-commissaire européen chargé des questions économiques et budgétaires. M. Hollande met officiellement les divergences franco-allemandes sur le compte du "calendrier électoral en Allemagne". 
Jeudi 25 octobre
- Le ministre des finances grec, M. Yannis Stournaras, annonce que son pays a impérativement besoin de 16 à 20 milliards d'argent frais et de deux ans de délai de remboursement supplémentaire s'il veut éviter la faillite. La troïka impose, au préalable, au gouvernement grec de faire voter un nouveau paquet de 89 réformes structurelles.
- Les syndicats grecs, espagnols, portugais et italiens annoncent une journée de grève générale le 14 novembre. La Conférence européenne des syndicats, qui rassemble 85 organisations dans 36 pays européens, propose de faire  du 14 novembre une journée d'action européenne contre l'austérité.  
Vendredi 2 novembre 
- De premières rumeurs concernant l'inquiétude de Berlin sur la situation économique de la France commencent à courir dans la presse populaire allemande. Le quotidien "Bild-Zeitung" titre : "La France est-elle la nouvelle Grèce ?"
Lundi 5 novembre
- Le Premier ministre grec, M. Antonis Samaras et son allié socialiste, M. Evangélos Venizelos, brandissent à nouveau la menace d'une sortie de l'euro, si le parlement n'approuve pas en urgence le nouveau plan de rigueur réclamé par la troïka. Selon de récentes projections d'Athènes, la dette du pays pourrait atteindre 207,7 % de son PIB, alors que l'accord avec les créanciers prévoyait de ramener ce ratio à 120 % en 2023.
Mardi 6 novembre 
- La plupart des journaux français pronostiquent une faillite à court terme de la Grèce. Selon Les Echos : "Cette fois, si la Grèce fait faillite, ce ne sont pas les banques qui seront en première ligne, mais les créanciers publics qui détiennent désormais près de 200 milliards de dette grecque." . 
Vendredi 9 novembre
- Selon un sondage Yougov réalisé au Royaume uni, en Allemagne et en France, en cas de référendum, 49% de Britanniques voteraient pour une sortie de l'Union, contre 28% seulement pour un maintien. Les Allemands seraient 25% à demander une sortie (contre 57% pour le maintien) et les Français 32% (contre 43%).
- Alors que plus de 100.000 manifestants défilent dans les rues d'Athènes, le parlement grec adopte le plan de rigueur exigé par la troïka d'une très courte tête (153 voix alors que la majorité est de 151 voix). Six députés du Pasok et un député de droite ont été exclus de leurs partis pour avoir voté contre le plan.   
Lundi 12 novembre
- Selon le quotidien "Die Zeit" et l'agence Reuters, le ministre des finances allemand aurait commandé aux cinq experts économiques chargés de conseiller le gouvernement un plan de réformes pour la France. L'opinion publique française réagit très négativement. Le président de la République annonce, sans réagir à cette information,que le Premier ministre se rendra à Berlin jeudi 15 novembre.
Mercredi 14 novembre
- Alors que de nombreux économistes dénoncent l'échec tragique des plans de sauvetage de la Grèce, l'Eurogroupe confirme que les 31 milliards d'euros dont Athènes a un besoin urgent ne pourront pas être versée avant fin novembre. La récession annéantit tous les efforts de la Grèce pour retrouver l'équilibre de ses finances publiques et la dette atteindra 190% du PIB en 2014. 
- des millions de salariés sont descendus dans la rue à Athènes, Madrid, Libonne et en Italie pour dénoncer la politique d'austérité imposée par l'Allemagne et la Commission de Bruxelles. Les manifestations ont été émaillées de nombreux incidents avec les forces de l'ordre. A Rome, à Naples, à Milan, à Pise et à Turin, de violentes échauffourées ont eu lieu entre la police et des groupes de manifestants très organisés et décidés à en découdre.
Jeudi 15 novembre
- Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, en visite à Berlin estime qu'entre la France et l'Allemagne, "la compréhension n'est pas suffisante en ce moment et que les deux pays doivent encore plus parler ensemble". Bien que les articles se soient multipliés ces derniers jours dans la presse allemande pour décrire la France comme l'"homme malade de l'Europe", M. Ayrault n'a que peu réagi à ces critiques. La chancelière allemande a profité de cette visite pour encourager son hôte français dans ses efforts en matière de compétitivité. Elle a à nouveau évoqué la question d'un contrôle renforcé des budgets nationaux par Bruxelles. 

 

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12 octobre 2012 5 12 /10 /octobre /2012 01:17
Une première victoire
 

Le retour au pouvoir des nationalistes au Québec est une très bonne nouvelle. Elle comble de joie tout ce que la France et le monde comptent d’amis de la Belle province. Nous ne rentrerons pas dans le jeu des commentateurs grincheux qui ont parlé de victoire étroite ou de demi-victoire. Que cette victoire dérange, qu’elle agace les milieux d’affaires anglo-saxons, qu’elle perturbe les médias occidentaux [1] qui considérent la question québécoise comme une affaire classée, c’est certain. Mais, peu importe. La victoire est là, elle est belle et bien là, et, pour Mme Marois et ses amis indépendantistes, c’est le début d’une nouvelle et d’une grande aventure politique.

Le succès des souverainistes marque un échec cuisant pour le camp libéral, et l’on s’en réjouira. M. Charest était persuadé qu’il resterait au pouvoir. Il reçoit la claque que toute la jeunesse québécoise rêvait de lui donner depuis des mois. Les foules étudiantes du « Printemps érable », matraquées, humiliées, tiennent enfin leur revanche. L’ancien Premier ministre, battu dans sa propre circonscription, a démissionné de la présidence de sa formation, dès les résultats proclamés. Il laisse un parti exsangue, sans direction, sans cap, et dont l’image dans l’opinion publique est durablement ternie. Même ses amis fédéraux d’Ottawa ont vu sans déplaisir partir ce mauvais cheval. Ils mettront du temps à en trouver un autre, aussi servile.

Quant aux centristes de la Coalition Avenir Québec (CAQ), ils n’obtiennent pas – loin s’en faut – les résultats qu’on leur prédisait. Avec moins de 20 sièges sur 125, ils pèseront d’un poids très relatif dans la nouvelle Assemblée nationale. On sait que leur chef, l’ancien ministre François Legault, et qu’une partie de leurs dirigeants sont des transfuges du Parti québécois, qu’ils ont abandonné au nom d’un certain « réalisme ». Leur stratégie opportuniste et l’attitude très agressive qu’ils ont adoptées vis-à-vis de leurs anciens amis n’ont pas été payées en retour et il est vraisemblable qu’une partie de leur électorat sera tenté, tôt ou tard, de retourner dans le giron souverainiste.

L’affaiblissement des libéraux et les bisbilles internes qui commencent à se faire jour au sein de la CAQ donnent à Mme Marois les moyens d’agir vite. C’est ce qu’elle vient de faire, en s’appuyant scrupuleusement sur ses promesses de campagne. Suppression de la hausse des droits de scolarité, abolition d’une taxe impopulaire sur la santé, abrogation des restrictions au droit de manifester, annulation des aides versées à certaines multinationales…, c’est tout l’héritage de l’équipe Charest qui vient de disparaitre en fumée. « Pauline Marois démarre en lion », titrait le 21 septembre le Devoir de Montréal. Pas question pour autant de laisser filer l’économie. Les budgets seront tenus, les politiques d’encouragement à la recherche-développement relancées. Et Mme Marois de rappeler, à l’attention notamment des milieux d’affaire, que « les meilleurs résultats au niveau économique dans les 25 dernières années l’ont été sous un gouvernement du Parti québécois ». Rien de plus exact.

Reste la question de l’indépendance. Fidèle à ses convictions, Mme Marois a déclaré dès son élection : « En tant que nation, nous voulons prendre nous-mêmes les décisions qui nous concernent. Nous voulons un pays et nous l’aurons ». Pour autant, la nouvelle équipe souverainiste entend bien tirer les leçons des deux référendums perdus en 1980 et en 1995. Pas question de brûler les étapes. Dans l’immédiat, Mme Marois veut commencer par obtenir d’Ottawa la plus large autonomie possible dans des domaines stratégiques comme l’économie, l’éducation ou la politique d’immigration. Elle a répété, à la plus grande satisfaction de ses électeurs, qu’elle ne s’engagerait dans la voie d’un référendum sur l’indépendance que si elle avait la certitude de le remporter.

Sages paroles, qui démontrent une parfaite lucidité sur l'état de l'opinion publique et le rapport de forces politique. Il est clair en effet que le succès du PQ résulte avant tout d’une volonté des Québécois de tourner la page de neuf années de gouvernement Charest. C’est le désaveu d’une politique libérale, et c’est, dans une certaine mesure aussi, le souhait de voir les intérêts du Québec mieux défendus face aux prétentions du gouvernement canadien. Mais ce n’est pas un blanc-seing pour l’indépendance. L’opinion publique est tout aussi partagée qu’il y a vingt ans sur la question nationale. Pour réussir son pari, Mme Marois devra convaincre, argumenter, montrer le cap et dessiner un chemin. Elle devra aussi faire bouger son camp car les conditions du succès  ne seront réunies que si le Parti québécois change profondément de stratégie, de positionnement et de pratique politique.

La première de ces conditions, c’est l’union des patriotes. Rien ne sera possible sans un rassemblement des forces indépendantistes sur la base politique la plus large possible. Or, ce choix est loin d’être fait. Lors du dernier scrutin, les voix souverainistes se sont à nouveau éparpillées entre plusieurs formations politiques [2], ce qui a failli coûter cher au PQ. Alors qu’une stratégie de front unique aurait permis aux indépendantistes de disposer d’une majorité absolue de 70 à 75 sièges et d’avoir les mains plus libres pour réaliser leur programme. Rien ne sera possible tant que le PQ n’acceptera pas de tendre la main au centre, à la droite patriotique ainsi qu’aux électeurs du CAQ, même si les relations sont mauvaises avec ses dirigeants. Mme Marois s’y est jusqu’à présent refusé. Elle a préféré jouer l’alternance gauche/droite plutôt que le front patriotique. Cette stratégie lui a permis de surfer sur l’impopularité de M. Charest et peut lui assurer le pouvoir pour quelques années. Mais elle ne sera pas suffisante pour créer dans l’opinion publique le choc émotionnel favorable à l’indépendance.

La deuxième condition, c’est la reconquête de l’opinion. Si l’idée nationale est encore vivace chez bon nombre de Québécois, elle est moins enracinée que par le passé dans une opposition de tous les instants à la culture américaine, dans une volonté de conserver, contre vents et marées, l’Etat social, dans le refus d’une mise en coupe réglée du pays par les multinationales. S’appuyer sur les jeunes, les intellectuels, les syndicats, l’aile marchante de l’économie, jouer d’une façon déterminée la carte de l’écologie, de la différenciation culturelle, des droits sociaux, de la protection du travail et de l’économie, voilà les choix qui permettront aux souverainistes de gagner à leur cause le pays tout entier. On a vu, lors des deux référendums perdus de 1980 et de 1995, la puissance du lobby fédéraliste et la capacité des médias libéraux à intimider l’électeur. C’est en appuyant l’idée d’indépendance sur un vaste mouvement populaire que les souverainistes pourront faire évoluer le rapport des forces en leur faveur, et non pas en jouant la carte d’une social-démocratie à la française.

Troisième et dernière condition, la reconstitution d’un puissant réseau d’alliés à l’international. Le Québec continue à jouir d’une excellente image de marque dans le monde. C’est, entre autres, le résultat de la diplomatie intelligente menée par les gouvernements souverainistes lorsqu’ils ont été au pouvoir. Alors que le Canada, traditionnellement libéral ou conservateur, est à la traine de la diplomatie américaine, les Québécois ont pris parti pour la liberté des peuples, au Proche Orient, en Afrique, en Amérique du sud, au risque d’indisposer Washington. Il a fallu attendre l’arrivée au pouvoir de M. Charest pour que la Belle province donne le sentiment de rentrer dans le rang. Mme Marois est consciente de la nécessité de reprendre l’initiative. Ce n’est pas un hasard si elle a choisi de faire son premier grand discours au sommet de la francophonie qui s’ouvrira samedi prochain à Kinshasa. Elle sait que c’est en Europe, et dans cette Europe latine en pleine ébullition qu’elle peut trouver ses alliés les plus sûrs. Le lien avec la France reste un élément essentiel et elle sera prochainement à Paris pour rencontrer François Hollande. Les deux dirigeants se connaissent bien et s’apprécient. La Québécoise sait ce qu’elle peut tirer, y compris dans ses relations avec Ottawa, de relations renforcées avec Paris. Le Français sait le puissant levier qu’est le Québec dans le jeu des forces en Amérique du Nord.

Le chemin vers l’indépendance sera long et semé d’embûches. Celle que les médias canadiens appellent « la dame de béton » ne l’ignore pas. Il est clair que la perspective d’un Etat français d’Amérique du Nord a de quoi inquiéter, voire effrayer, les tenants du vieil ordre anglo-saxon. Si cette perspective devait prendre de la consistance, ce serait, à coup sûr, une menace pour la fédération canadienne et un nouveau signal d'affaiblissement et de déclin des Etats Unis sur leur propre continent. Une telle perspective marquerait également, en ce début du XXIe siècle, un retour en force de l’influence française dans le monde. Mme Marois et ses amis peuvent être les initiateurs, les déclencheurs de ce mouvement historique. Ils le souhaitent visiblement. S'en donneront-ils les moyens ? Il faudra pour cela qu’ils adoptent un autre profil, celui des authentiques révolutionnaires.

René la Prairie.

 


[1]. En France, Le Monde et Libération se sont livrés à une surenchère de dénigrement et de mauvaise foi contre Mme Marois et le Parti québécois. Il est vrai que M. Charest, libéral bon teint, familier de MM. Bush et Sarkozy et ami de tout ce qui pense et parle anglais au Canada, était le candidat idéal des milieux d’affaires mondialisés qui influencent désormais ces deux journaux. Leur exécration pour tout ce qui touche de près ou de loin le nationalisme, surtout lorsqu’il s’exprime en langue française, est tel qu’ils vont finir par nous forcer à nous remettre à la lecture du Figaro !  

[2]. PQ (souverainiste, centre gauche), Québec solidaire (ex gauche marxiste) et Option nationale (indépendantistes radicaux).


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9 septembre 2012 7 09 /09 /septembre /2012 23:49
La nouvelle
Russie
MATHIEU Georges
 
La Russie continue de faire la une de l'actualité internationale. Mais ce n'est plus pour les mêmes motifs qu'il y a deux ans. Nils Sinkiewicz s'interrogeait dans ces colonnes en octobre 2010 sur les raisons du phénomène Poutine [1] . "La nouvelle Russie" et son chef fascinaient alors une partie de l'intelligentsia occidentale, en mal de nouveautés. On parlait de l'axe Paris-Berlin-Moscou et l'idée d'une "grande Europe", de l'Atlantique à l'Oural, retrouvait des partisans, à gauche comme à droite. Nous avions dit ici même que cette idée n'avait pas de sens, que la Russie avait trop d'intérêts propres à défendre dans le monde pour lier son destin à celui de l'Europe et qu'on verrait d'ici peu ce mirage se dissiper.
Nous y sommes. Moscou, après avoir séduit et fasciné, dérange et inquiète. Son retour sur la scène mondiale, ses manoeuvres au proche et au moyen-Orient, son alliance avec la Chine n'y sont évidemment pas pour rien. Voilà que les mêmes intellectuels, qui  portaient hier Poutine au pinacle, le montre maintenant du doigt. C'est aussi l'image de l'éternelle Russie, vouée jusqu'à la fin des temps à la corruption, au népotisme et à l'autocratie, qui refait surface dans nos médias, sous la plume des hagiographes habituels de la démocratie libérale et américaine. Comme si le peuple russe  et ses dirigeants ne méritaient pas mieux que ces pauvres caricatures.
L'affaire des Pussy-Riot est le dernier épisode de cette vague médiatique.  Elle donne à nouveau à réfléchir à notre ami Sinkiewicz. Pourquoi nos médias et nos intellectuels ont-ils accueilli avec autant de complaisance "l'exploit" ridicule de ces trois chanteuses punks alors qu'ils ignorent la plupart du temps les motivations des véritables opposants russes ? Serait-ce par ce que les premières symbolisent, à leurs yeux, la Russie telle qu'ils la voudraient, alors que les seconds représentent la Russie qu'ils ne comprennent plus ? Et sommes-nous à ce point aveuglés par nos certitudes occidentales pour que ne plus comprendre aujourd'hui le peuple russe, comme nous n'avons pas compris hier le sens des révoltes arabes ? Toutes ces questions méritent d'être posées.  
La Revue Critique.
 
 
Pourquoi serions-nous tous des Pussy Riot ?
 
Il y a deux ans, La Revue critique publiait un article intitulé « Le fantasme de la Grande Europe » [1], où j'analysais le discours des Européens favorables à MM. Poutine et Medvedev. J'étais parti du constat que les journalistes même les plus hostiles au « système Poutine », n'avaient jamais vraiment pris le temps de déchiffrer le discours de ses défenseurs européens. Je voulais donc comprendre et montrer ce qui, en Europe de l'Ouest et particulièrement en France, rendait certains de nous si réceptifs à la propagande du Kremlin et si méfiants, par ailleurs, envers celle de la Maison Blanche.
Le procès des Pussy Riot et l'indignation Occidentale me donnent aujourd'hui l'occasion de mener une réflexion comparable sur le discours anti-Poutine, largement dominant dans l'opinion et les médias. On dit que quand le sage montre la Lune, l'imbécile regarde le doigt. Reste à savoir si le sage l'est vraiment. Alors que tout le monde montre la Russie du doigt, la sagesse se trouve peut-être du côté des imbéciles. Plus que sur les faits reprochés aux trois jeunes Russes, c'est sur les réactions occidentales que nous nous pencherons ici. La question n'est pas de savoir si les accusées ont eu raison ou tort de faire ce qu'elles ont fait. La question est de savoir pourquoi nous sommes si nombreux à les défendre.
 
L'opportunisme engagé
Les premières réactions occidentales à la condamnation des Pussy Riot ne se sont pas fait attendre. Les chancelleries occidentales sont immédiatement montées au créneau pour dénoncer une sentence disproportionnée [2], qui remet en cause l'engagement du Kremlin à respecter les droits et libertés fondamentaux. De fait, les deux ans de camp requis contre Maria Alekhina, Nadejda Tolokonnikova et Ekaterina Samutsevitch ne pouvait qu'interpeller les observateurs occidentaux : pourquoi punir aussi sévèrement des agissements qui, chez nous, ne vaudraient à ses auteurs guère plus qu'une amende et quelques services d'intérêt général ?
Dénoncer une peine excessive eut été suffisant. Mais les belles âmes n'aiment guère la demi-mesure : elles ont faim de drames et de symboles. Comme le souligne la rédaction de The Economist, les notions de proportionnalité, d'équilibre et de modération ne sont pas ce qui se fait de plus « punk » [3]. ONG, journalistes et chanteurs à succès (du moins pour la plupart) se sont donc indignés non seulement de la sentence prononcée, mais de l'arrestation des trois jeunes femmes. Le chanteur Sting [4] y est ainsi allé d'une réflexion profonde sur le droit à la dissidence et le sens de la modération – deux belles qualités en effet, dont on peut regretter que les défenseurs des Pussy Riot ne fassent pas plus la démonstration.
Car dans cette « affaire », les partisans de la liberté sont aussi peu modérés que tolérants. Il s'est créé autour des trois accusées un véritable fan club international, qui s'applique à faire des Pussy Riot l'incarnation de la liberté contre l'arbitraire. Un amalgame peu propice au dialogue, la moindre réserve étant assimilée à une forme d'extrémisme réactionnaire. Rien d'étonnant à cela : la vérité n'aime pas les tièdes.
D'autant plus qu'avec le « printemps arabe », l'opinion occidentale a pris goût aux turbulences. Suite à la victoire du parti de Vladimir Poutine aux élections législatives en décembre 2011, d'aucuns annonçaient une « Twitter Revolution » [5]. On n'attend plus l'histoire, on la convoque à son chevet pour une petite gâterie.
 
La liberté selon les Occidentaux
Les Occidentaux ont les yeux rivés sur Moscou. La Liberté s'insurge contre la Dictature, ils en sont persuadés. Reste à savoir de quelle liberté il s'agit, car sur ce point, les réactions manquent de cohérence.
D'un côté, la fameuse prière punk [6] des Pussy Riot dans la Cathédrale du Christ Sauveur (Moscou) est tenue pour une manifestation politique. C'est ce qui en fait des prisonniers politiques aux yeux de l'opinion. C'est ce qui fait de Marina Tolokonnikova une digne héritière de la dissidente soviétique Irina Ratouchinskaïa [7]. C'est ce qui fera de toute l'affaire un beau souvenir pour les révolutionnaires dans l'âme.
D'un autre côté, c'est la liberté de l'artiste qu'on invoque pour défendre les trois jeunes femmes – comme si les convictions politiques ne pouvaient, seules, justifier la performance des Pussy Riot. Une ambiguïté très utile pour défendre non seulement les « dissidentes », mais leurs défenseurs. Quand à Marseille des manifestants pro-Pussy Riot encagoulés se sont fait interpeller, certains journalistes [8] se sont hâtés de rappeler que la loi de 2010 sur le voile intégral ne s'appliquant pas aux manifestations artistiques, les manifestants ne pouvaient se faire interpeller. Objection ridicule, puisque les manifestations de soutien aux trois Russes sont clairement destinées à faire pression sur le Kremlin – ce qui est éminemment politique. Prétendre le contraire serait sous-entendre qu'il suffit d'une rime pour faire d'un slogan politique une œuvre artistique. Une bonne nouvelle pour tous ces hommes politiques qui, comme dans la chanson, auraient aimé « être un artiste ».
Quand on aime la liberté, on l'aime absolument, quelles qu'en soient les conséquences. En Occident, la liberté d'expression, c'est plus qu'un principe, c'est une religion : il faut défendre le droit d'autrui à dire ce qu'il pense, même si ce qu'il pense nous fait horreur. Crédo d'intellectuel pétitionnaire difficile à prendre au sérieux, quand on sait les restrictions qui s'y sont greffées [9], notamment en France, où, comme le remarquait Raymond Aron, « la liberté commence fâcheusement par la censure »[10]. En l'occurrence, dans le monde libre, les idées du négationniste, de l'eugéniste, du xénophobe, ou du raciste peuvent leur valoir de sérieux ennuis avec la Justice. Et la LDH soutient aujourd'hui en Russie ce qu'elle dénonçait hier en France [11]. Manifestement, la liberté d'expression exclut celle d'être un demeuré – ce qui expliquerait pourquoi nous sommes si brillants.
De toute évidence, le soutien aux Pussy Riot ne doit rien à nos mœurs libérales. Preuve en est qu'en bons « progressistes », nous faisons taire les « réactionnaires », anciens et nouveaux. Comment donc expliquer cet engouement pour de jeunes gens encagoulés qui s'enfoncent des poulets dans les orifices [12] et jouent de la musique dans une cathédrale ?
Depuis quelques mois, les cagoules n'évoquent plus le terrorisme, mais l'espoir. Pour de nombreux Occidentaux, Maria, Nadejda et Ekaterina incarnent l'avenir de la Russie post-soviétique. Un avenir sous le signe de la liberté ? Pas si sûr. Aveuglés par l'engouement, les médias n'ont pas remarqué que les Pussy Riot militaient non pour une liberté de principe, mais pour des idées social-démocrates de type scandinave fortement teintées de féminisme [13]. Il n'y a là rien de scandaleux, mais cela en dit long sur l'impartialité des observateurs. La propagande partisane reposant sur l'amalgame entre les convictions d'une minorité et l'intérêt de la totalité, on ne peut que s'interroger sur l'empressement des pro-Pussy Riot à lier le salut de 140 millions de Russes au sort de trois d'entre eux.
Pour les féministes et les sociaux-démocrates, la décision du juge Syrova est sans nul doute une véritable tragédie. Pour les partisans d'une plus grande liberté au pays de Poutine, la condamnation des Pussy Riot est un fait divers. D'aucuns rétorqueront que « l'ennemi de mon ennemi est mon ami ». Faudra-t-il que, pour justifier la solidarité avec les trois « dissidentes », les médias invoquent ce même principe qu'ils reprochent à Washington d'avoir appliqué en Afghanistan contre l'Union soviétique ?
En outre, la société libre que prophétisent les Occidentaux a des exigences que les Pussy Riot et leur fan club ne satisfont pas, loin s'en faut. La liberté de l'individu implique la discrétion de l'État, laquelle requiert, en contrepartie, le respect des règles, valeurs et conventions implicites qui fondent la vie en société. Or nos trois dissidentes, toutes « intellectuelles » qu'elles soient, n'ont que faire de ces subtilités.
En effet les performances des Pussy Riot et du groupe Voina, dont faisaient partie Ekaterina et Nadejda, consistent à choquer, provoquer, déranger le public. Partouzer dans un musée [14] et se masturber dans un supermarché [15], ce n'est pas défendre la société civile contre les oukazes du Kremlin : c'est satisfaire un caprice de snob. Et le message est bien passé, à en juger par l'exploit réalisé par des militantes pro-Pussy Riot à Kiev, où une croix érigée en mémoire des victimes du stalinisme a été littéralement tronçonnée [16]. La Révolution ne craint personne, pas même les morts, même quand ils se comptent par millions. No pasaran, n'est-ce pas.
 
Une lucidité à deux vitesses
Ces faits ont été relatés dans la presse. Mais pour de nombreux Occidentaux, les Pussy Riot restent cette promesse de liberté censée sauver la Russie de ses dirigeants. On a trop pris position pour faire marche arrière Pour que l'opinion occidentale revoie son jugement, il faudrait que nos dissidentes encagoulées fassent quelque chose de vraiment grave, comme une orgie pédophile devant le mausolée de Lénine. Du reste, cela suffirait-il ? Il se trouverait toujours en France des intellectuels pour exiger du Kremlin la dépénalisation de la pédophilie [17].
Toute cette affaire jette une lumière crue sur la lucidité sélective du public occidental. Rompu aux raisonnements les plus subtils – et parfois brillants – quand il s'agit de « décrypter » le discours des puissants (hommes d'État, patronat, maman et papa), l'Occidental fait montre d'une naïveté désarmante face aux « petits », pourvu bien sûr qu'ils lui inspirent de la sympathie.
Les Pussy Riot en ont grandement profité : leurs prises de position ne font l'objet d'aucune analyse critique. On soupçonne habituellement les hommes politiques de ne chercher que le pouvoir et de mépriser les citoyens. Derrière chaque belle parole, on cherche la sombre intention. Les Pussy Riot n'ont rien à craindre de ce côté, puisque leurs déclarations sont prises pour argent comptant. La presse promet des portraits : elle offre des vignettes Panini. Ce n'est pas du journalisme, c'est du rewriting.
On ne se contente pas de répéter ce qu'elles disent. On enrichit leur discours, on lui donne de l'épaisseur, on se plie en quatre pour bâtir l'affaire autour du procès et le mouvement historique autour de l'affaire. L'allusion aux goulags, à Soljenitsyne et aux révolutions de couleur participe de ce story-telling. On fait même de la théologie : critiquant le rôle joué par l'Église orthodoxe russe dans l'inculpation des trois dissidentes, Audrey Pulvar [18] rappelle que le Christ, c'est l'amour. Amen.
L'interview de Patti Smith [19] parue dans Aficha trois jours après le verdict est à cet égard sidérante. L'artiste new-yorkaise y rappelle, comme tout le monde, que le chrétien se doit de tendre l'autre joue. Mais elle va plus loin, en gratifiant les lecteurs d'une réflexion très personnelle sur le caractère foncièrement insurrectionnel et révolutionnaire de l'art russe – une manière de blanchir les Pussy Riot et de ridiculiser les béotiens qui n'auraient pas connaissance de cette filiation spirituelle.
Ce comportement rappelle celui des Européens russophiles que je décrivais il y a deux ans. Les pro-Poutine ont, en l'espèce des pro-Pussy Riot, les adversaires qu'ils méritent. Chacun défend son « client », relayant ses déclarations et justifiant ses positions – nourrissant la croyance qu'en Russie s'affrontent non pas des individus, des groupes, des factions, mais des principes : l'ordre et la souveraineté contre le chaos et la désintégration pour les uns, la liberté et le droit contre la servitude et l'arbitraire pour les autres. On aime les Poldèves, et les feuilletons encore plus.
 
Qui influence qui ?
Pour les plus ardents défenseurs du Kremlin, il ne fait aucun doute que les Pussy Riot sont sous l'influence de l'Occident, qui cherche à fragiliser le pays. La suite logique, croît-on, des tentatives de révolutions colorées ayant eu lieu aux portes de la Russie.
Mais les choses sont loin d'être aussi simples. Si les membres de Pussy Riot, de Voina et autres groupes d'agit-prop sont influencés par l'Occident, ils ne le sont pas davantage que le reste de la jeunesse russe. Et compte tenu des moyens déployés par les Pussy Riot pour faire parler d'elles, il est légitime de penser qu'elles ont agi seules.
Les jeux d'influence ne sont pourtant pas absents. Il y a bien des manipulateurs et des manipulés. Mais, n'en déplaise à Alain Benajam [20], les manipulés ne sont pas ceux que l'on croit. Ce sont les Pussy Riot qui exercent leur influence sur les Occidentaux, et non l'inverse. Impopulaire en Russie, le discours des Pussy Riot est calibré pour un public occidental, friands de dissidences et autres ambitions révolutionnaires. La tâche était plus délicate pour les dissidents de l'ère soviétique, qui n'avaient pas mesuré la fascination du monde libre pour les promesses du socialisme réel, et s'étaient souvent heurtés à l'incrédulité de l'intelligentsia occidentale, pas tout à fait insensible aux charmes des « libertés réelles ». La nouvelle dissidence est mieux préparée. Il est vrai que M. Poutine ne se réclame pas de Marx, ce qui facilite la distribution des rôles. Les trois inculpées peuvent ainsi compter sur le soutien aveugle de l'Occident. « Nous sommes innocentes, jure-t-on dans le box des accusés, le monde entier le dit » [21]. Nous aurions pu rester témoins, nous voilà complices.
Du reste, le progressiste occidental ne pouvait rester sourd aux appels des jeunes « dissidentes » russes. Le procès des Pussy Riot est, pour des millions de gens, l'occasion de réaffirmer leur appartenance au camp du Bien en même temps que leur lucidité sur la Russie post-soviétique. En France, où l'on est Résistant de père en fils depuis 1944, il est particulièrement important de prendre position sur le goulag russe. Indignez-vous, comme disait l'autre.
D'aucuns diront qu'une poignée de jeunes gens ne peut en influencer des millions d'autres. C'est mal nous connaître : un discours anti-autoritaire [22] faisant l'apologie des libertés individuelles contre le pouvoir politique et légitimant par ailleurs l'implication de l'État dans les questions sociales a tout pour nous séduire [23]. Ne pas en soutenir les auteurs serait admettre implicitement que nous faisons fausse route depuis plus d'un demi-siècle, à plus forte raison quand les dissidents font eux-mêmes la comparaison entre la rigidité de la Justice russe et la tolérance occidentale [24].
Il ne s'agit donc pas d'insurrection, mais d'auto-satisfaction. Et si certains espèrent une révolution, c'est avant tout par goût du spectacle. « Nous sommes tous des Pussy Riot » [25], répètent les indignés. Ils pourraient aussi bien dire « nous crevons tous d'ennui, divertissez-nous ».
 
*
*   *
 
Maria Alekhina, Nadejda Tolokonnikova et Ekaterina Samutsevitch purgeront leur peine, et la situation de la Russie ne s'en trouvera ni pire ni meilleure. Il n'en serait pas autrement si la sentence était plus sévère, ou si au contraire le juge Syrova avait abandonné les charges. Il faudra bien plus qu'une émeute de vulves pour « changer les choses ». Car les problèmes de la Russie – corruption, déclin démographique, compétitivité – ne sont pas de ceux que l'on règle par des happenings ou des coups d'éclat. Ces espiègleries, loin d'amorcer le changement, ébranlent les fondements de la société civile en heurtant les sensibilités. Sans doute, par sa fermeté, la Justice russe ligue le reste du monde contre le Kremlin. Mais la libéralisation d'un régime est un processus complexe que le reste du monde n'est pas en mesure d'amorcer. C'est à la société russe elle-même de porter le changement. Or c'est à cette société que Pussy Riot et consorts, à travers leurs actions, témoignent leur mépris.
Faudra-t-il, sous ce prétexte, soutenir Vladimir Poutine « contre vents et marrées » [26]? Certains le suggèrent, voyant là le seul moyen de tenir tête aux forces antipatriotiques et à l'empire américain qui les soutient. Je ne puis m'y résoudre. Les intérêts de la Russie sont les intérêts de la Russie, tout comme le sort des Pussy Riot est le sort des Pussy Riot, non celui d'un peuple entier. Le « reste du monde » ne peut être le théâtre de nos fantasmes. Il s'agirait de s'estimer assez pour ne pas répondre présent à la moindre convocation étrangère, qu'elle soit le fait d'un dirigeant ou de quelques trublions. C'est aussi ça, la liberté.
Nils Sinkiewicz.
 

 
[1] Nils Sinkiewicz, Le fantasme de la Grande Europe, in La Revue critique, 8 octobre 2010, <http://www.larevuecritique.fr/article-russie-et-europe-2-58601978.html>
[2] Pussy Riot : la France dénonce un verdict disproportionné, in Libération, 17 août 2010, <www.liberation.fr/monde/2012/08/17/le-verdict-contre-les-pussy-riot-severement-juge-en-europe_840322>
[3] Pussy Riot and New York Graffiti Art, in The Economist, 26 juillet 2012, <http://www.economist.com/blogs/democracyinamerica/2012/07/freedom-speech>

 

[4] Cf. déclaration de Sting sur son blog officiel le 25 juillet 2012 <http://www.sting.com/news/title/amnesty-international-and-sting-call-for-release-of-pussy-riot-bandmembers-in-moscow>

[5] Alexis Prokopiev, Après le Printemps arabe, une "Twitter #Revolution" en Russie ?, in Youphil, 9 décembre2011,<www.youphil.com/fr/article/04655-apres-le-printemps-arabe-une-twitter-revolution-en-russie? ypcli=ano>

[6] Vera Gaufman, « Nouveau coup d'éclat de Pussy Riot », Le Courrier de Russie, 22 février 2012, <http://www.lecourrierderussie.com/2012/02/22/nouveau-coup-eclat-pussy-riot>

[7] Madeleine Leroyer, Russie : des camps pour femmes hérités du Goulag, in Le Figaro, 17 août 2012,<http://www.lefigaro.fr/international/2012/08/16/01003-20120816ARTFIG00458-russie-des-camps-pour-femmes-herites-du-goulag.php>

[8] Camille Polloni, À Marseille, l'interpellation absurde de manifestants pro-Pussy Riot, in Rue 89, 20 août 2012,<http://www.rue89.com/2012/08/20/marseille-linterpellation-absurde-des-manifestants-pro-pussy-riot-234729>

[9] « Leurs défenseurs occidentaux devraient se demander si c'est vraiment en la liberte d'expression qu'ils croient, où seulement en une version déformée de celle-ci que l'on pourrait résumer ainsi : je défends votre droit à vous exprimer pourvu que je sois d'accord avec vous ». Car c'est aussi ce que Vladimir Poutine entend par liberté d'expression. » Rory Fitzgerald, Pussy Riot are Magnets for West's Hypocrisy, in Irish Times, 23 août 2012, <http://www.irishtimes.com/newspaper/opinion/2012/0823/1224322753285.html >

[10] Raymond Aron, La révolution introuvable : réflexions sur les événements de mai, Fayard, 1968.

[11] Edgar Pansu, « Jean-Louis Costes et le droit à l'outrance », Transfert, 23 novembre 2000, <http://www.transfert.net/Jean-Louis-Costes-et-le-droit-a-l>

[12] Le 20 juillet 2010, le groupe d'art underground Voina (« guerre » en russe) a réalisé un happening dans un supermarché de Saint-Pétersbourg. Source : <http://www.livejournal.ru/themes/id/21014>

[13] Daria Fedotova, Alla Jidkova, « Feministok zaderjali na Krasnoï plochtchadi », MK, 20 janvier 2012 <http://www.mk.ru/politics/article/2012/01/20/662683-feministok-zaderzhali-na-krasnoy-ploschadi.html>

[14] Cf. <http://ostropoller.livejournal.com/662819.html>

[15] Un compte rendu illustré est disponible en russe à l'adresse suivante : <http://teh-nomad.livejournal.com/426045.html>

[16]« Pussy Riot Solidarity : Topless Ukrainian Activist Chainsaws Crucifix », RT, 17 août 2012

[17] Voir la page Wikipedia consacrée au sujet :<http://fr.wikipedia.org/wiki/Pétitions_françaises_contre_la_majorité_sexuelle#1978_Conversation_.C3.A0_la_radio_entre_Foucault.2C_Hocquenghem_et_Danet>

[18] Audrey Pulvar, Édito du 21 août 2012, Les Inrocks, <http://www.lesinrocks.com/2012/08/21/actualite/ledito-daudrey-pulvar-inalienables-11287960/#.UDSqeRkd_PI.wordpress>

[19] Aleksandr Gorbatchev, « Patti Smith o Pussy Riot : ''Eti devouchki vypolnili svoiou rabotou. Teper vacha otchered'' », Aficha, 20 août 2012, <http://www.afisha.ru/article/patti-smith-o-pussy-riot/>

[20] Alain Benajam, « Pourquoi il est important de soutenir Vladimir Poutine », 20 août 2012 <http://www.alain-benajam.com/article-pourquoi-il-est-important-de-soutenir-vladimir-poutine-109250767.html>

[21] Maria Alekhina, « Pussy Riot : ''Je n'ai pas peur de vous'' », Les Inrocks, 22 août 2012 < http://www.lesinrocks.com/2012/08/22/actualite/maria-alekhina-pussy-riot-je-nai-pas-peur-de-vous-11288149/>

[22] Daniil Turovski, « Chto je vy delaete, devtchonki? Pussy Riot o borbe s rejimom i lioubvi k kotikam », Aficha, 24 janvier 2012 <http://www.afisha.ru/article/pussy-riot-against-putin/>

[23] Vladislav Moissev, « Bunt feminizma : zatchem obrazovanie devoutchki provodiat pank-moleben v Khram Khrista Spasitelia », Russkiï Reporter, 24 février 2012, <http://rusrep.ru/article/2012/02/24/pussy_riot>

[24] C'est le point de vue défendu par Piotr Versylov, membre du groupe Voina et époux de Nadiejda Tolokonnikova : « Tout le monde était étonné que Poutine décide de rendre une sentence aussi sévère à l'endroit des filles pour avoir chanter une chanson contestataire dans une église – personne ne s'y attendait. Cela ne se produirait jamais en Occident, c'est juste impossible.« ''Disproportionate'' Pussy Riot Sentence Receives International Condemnation », BBC World News, 18 août 2012 <http://bbc-worldnews.net/2012/08/disproportionate-pussy-riot-sentence-receives-international-condemnation/#.UDKeqGWyUow>

[25] Audrey Salor, « Nous sommes tous des Pussy Riot », Nouvel Obs, 17 août 2012 <http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20120817.OBS9843/reportage-nous-sommes-tous-des-pussy-riot.html>

[26] Alain Benajam, « Pourquoi il est important de soutenir Vladimir Poutine », 20 août 2012 <http://www.alain-benajam.com/article-pourquoi-il-est-important-de-soutenir-vladimir-poutine-109250767.html

   

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20 avril 2012 5 20 /04 /avril /2012 18:36
Une campagne diplomatique
 
Alors que la France est paralysée pour de longues semaines encore par ses rites démocratiques, l’Allemagne engage une vaste offensive diplomatique en Europe pour  placer ses pions et reconstruire son jeu d’alliances.
La présidence de l’Eurogroupe – la réunion des ministres des finances de la zone euro – fait partie des objectifs de cette campagne. C’est dans ce cénacle en effet que s’élabore la doctrine économique et financière de l’Euroland et il n’est pas question pour Mme Merkel que sa direction passe entre des mains hostiles. L’actuel titulaire du poste, l’insubmersible M. Juncker, est un vieil ami de l’Allemagne. Elu d’un petit pays, chrétien-social à la mode du Benelux, il a été placé là pour servir d’homme de paille aux banques, à la Commission et aux gouvernements d’Europe du nord. Mais M. Juncker a pris son rôle un peu trop au sérieux dans la dernière période. En se portant en première ligne dans la négociation des plans d’austérité grecs et italiens, il s’est fait beaucoup d’ennemis parmi les dirigeants des pays du sud. Fatigué, décrié, il vient d’annoncer son intention de passer la main à l’été 2012. Il faut donc songer à le remplacer.
Mme Merkel s’y emploie activement. Elle a décidé de soutenir la candidature de son propre ministre des finances, M. Schäuble, qui fait déjà figure de favori. Il est vrai que le profil de M. Schäuble a tout pour séduire les tenants d’une Europe à poigne. Autoritaire, fanatiquement libéral, considéré comme un des représentants de la ligne dure de la CDU, il est connu pour ses furieuses diatribes contre les Grecs, les Italiens et, tout récemment, contre le gouvernement espagnol, coupable à ses yeux de laxisme budgétaire.  Partisan intransigeant de l’indépendance de la BCE, M. Schäuble mène également campagne depuis des mois pour qu’on mette les budgets des Etats membres sous le contrôle de la Commission. Son arrivée à la tête de l’Eurogroupe est donc dans l’ordre des choses. Elle ne ferait que traduire la domination qu’exerce aujourd’hui l’Allemagne sur l’ensemble du système financier européen. Certains s’étonnent même que le passage de témoin avec M. Juncker n’ait pas encore eu lieu et ils souhaitent que le processus s’accélère.
Cet empressement ne fait pas les affaires du gouvernement français. Non pas que la candidature de M. Schäuble déplaise d’une quelconque façon au clan sarkozyste. Bien au contraire. Lui et M. Baroin sont devenus les meilleurs amis du monde et les désidératas de Mme Merkel sont généralement des ordres. Seulement voilà, la France est en pleine fièvre électorale et les Français ont retrouvé dans cette campagne quelques vieux reflexes antiallemands. D’où le souci de l’Elysée de renvoyer le sujet à plus tard, afin  que cette nomination n’apparaisse pas comme une nouvelle reculade de la France devant Berlin. « Sur l’Eurogroupe, rien n’est fait et les décisions ne seront prises qu’après le 6 mai » a confirmé M. Baroin, en marge de la dernière réunion de l’Eurogroupe à Copenhague. M. Schäuble ne semblait pas particulièrement  inquiet de ce contretemps. Les Allemands ont-ils reçu des assurances côté Sarkozy que le dossier se débouclerait très vite après la présidentielle ? On le dit. Et côté Hollande ? Certains le murmurent.
Mais l’offensive de Mme Merkel vise également à redorer le blason de l’Allemagne vis-à-vis des pays de l’Europe du Sud. La Chancelière a perçu très négativement le mémorandum rédigé par M. Monti et plusieurs autres chefs de gouvernement en faveur d’une initiative de croissance européenne. Ce texte prend en effet clairement le contrepied de la « culture de stabilité » chère à la Bundesbank. Berlin craint que la France ne finisse par se joindre au mouvement, au cas, désormais probable, où M. Hollande l’emporterait. Tout cela est de nature à compliquer, à retarder, voire à remettre en cause l’approbation du nouveau pacte budgétaire européen, ce que l’Allemagne ne veut à aucun prix. On comprend mieux, dans ces conditions, les récents « messages d’amitié » envoyés par la Chancelière allemande au gouvernement grec et l’engagement qu’elle a pris de le soutenir coûte que coûte en cas de nouvelles attaques des marchés. Cet éclairage permet également de mieux comprendre pourquoi Berlin a accepté fin mars d’assouplir fortement sa position sur le renforcement des moyens du Fonds Européen de Stabilité Financière, ce qui a comblé d’aise les pays du sud en difficultés, et pourquoi Mme Merkel joue à fond la carte d’une coopération très médiatisée avec M. Monti. L’Allemagne craint un isolement préjudiciable à ses plans. Elle est disposée à consentir de nouveaux moyens et à accepter un certain partage des pouvoirs au sein de la zone euro, pour peu qu’on reste dans sa ligne générale de rigueur et d’austérité. On va voir, dans les mois qui viennent, jusqu’où elle est prête à lâcher du lest dans cette direction.
M. Cameron est également courtisé. On veut minimiser son refus de rejoindre le nouveau pacte budgétaire européen. Le Royaume-Uni a décidé de faire cavalier seul sur les questions budgétaires ? Libre à lui ! « La Grande Bretagne doit savoir qu’en Allemagne nous voulons une Grande-Bretagne forte dans l’UE, c’est ce que nous avons toujours souhaité et ce que nous souhaiterons toujours », déclarait fin mars la Chancelière allemande dans un entretien télévisé à la BBC. Manœuvre là encore, et manœuvre habile. On sait que M. Cameron est dans une passe assez difficile. Son plan d’austérité est vivement contesté et l’aile libérale de sa majorité ne le soutient plus que d’un doigt. En outre, il doit se débattre avec l’empoisonnante question écossaise. Le Premier ministre anglais a besoin de retrouver des appuis en Europe, et tout particulièrement auprès des grands Etats. Ce que l’Allemagne veut éviter par-dessus tout, c’est un rapprochement entre la France et le Royaume Uni après la présidentielle française. Le risque existe. M. Sarkozy avait fait quelques pas dans cette direction l’été dernier. Et ce n’est sans doute pas un hasard si M. Hollande a choisi Londres pour son premier déplacement de candidat. Quel axe privilégiera M. Cameron ? Voilà une des questions-clés de ces prochains mois.
Reste la France. Mme Merkel était persuadée, jusqu’à ses dernières semaines, que M. Sarkozy serait réélu haut la main. Elle n’avait sans doute pas mesuré jusqu’à cette campagne l’ampleur du sentiment antiallemand dans l’opinion française. Mais elle pense que ce sentiment n’aura pas d’influence sur l’attitude de nos futurs dirigeants. Elle est persuadée qu’ils seront, comme les précédents, velléitaires et chimériques.  Elle s’attend à ce qu’ils lui demandent des gages sans importance, des inflexions de pure forme qu’elle s’empressera de leur concéder en échange de leur signature au bas de ses mauvais traités. Mme Merkel n’est pour autant pas dupe de la situation actuelle. Elle perçoit bien les points de faiblesse de l’Allemagne en Europe. Et les risques que ferait courir à l’Allemagne une France forte, manœuvrière, sûre d’elle-même, fédérant autour d’elle les puissances de changement qui agitent l’ensemble du continent. Mais elle repousse pour le moment cette perspective, comme on chasse un mauvais rêve. Rien, pense-t-elle, ni personne ne pourra changer le poids des habitudes. Quels hommes, quelles forces nouvelles se chargeront-ils de contredire son jugement ?
François Renié.
 
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4 février 2012 6 04 /02 /février /2012 16:09
Les masques tombent
 
L'histoire est à peine crédible et pourtant elle est vraie : lors des réunions préparatoires au sommet européen du 30 janvier, l'Allemagne, soutenue semble-t-il par plusieurs autres pays européens, a exigé la mise sous tutelle de la Grèce et la nomination d'un "commissaire européen au budget" doté d'un pouvoir de veto sur les finances de chaque Etat-membre. La proposition a évidemment provoqué un véritable tollé à Athènes et même le Premier ministre grec, qui est pourtant l’homme lige de Berlin et de Bruxelles, s'est senti obligé de crier au scandale. Le Royaume Uni a trouvé là de nouveaux arguments pour justifier sa prise de distance vis-à-vis d'une Union européenne qui ressemble de plus en plus à une prison. Dans les autres grandes capitales européennes, on a accueilli la demande allemande avec une certaine consternation. A l'heure où les opinions publiques manifestent de plus en plus de réticences vis à vis de l'Europe, il est clair que ces déclarations tombent particulièrement mal. Décidemment, cette Mme Merkel n'est pas sortable et les Allemands toujours aussi imprévisible, murmurait-on à Paris, à Rome ou à Bruxelles. Même M. Barroso n'en demandait pas tant ! 
Il aura donc fallu moins de deux mois pour que l'Allemagne montre enfin son vrai visage. Le 9 décembre dernier, lors du sommet qui entérinait sa stratégie de discipline et d'austérité, elle avait tout fait pour dissimuler ses sentiments. Il ne fallait pas froisser le Royaume Uni, lui laisser quitter dignement le navire, pour se retrouver sans opposant sérieux à la tête de l'Union. Il ne fallait surtout pas brusquer la France et lui donner au contraire le sentiment que tout était conçu, concocté avec sa complicité. Il fallait endormir les Scandinaves, rassurer les dirigeants, toujours inquiets, d'Europe de l'est et veiller avec fermeté mais sans brutalité à ce que les pays du sud, ceux que les Allemands appellent obligeamment les pays du Club Med, ne bronchent pas. Le 30 janvier, à l'exception courageuse de la Grande Bretagne et de la République Tchèque, tous les dirigeants européens se sont rangés sous la loi de Berlin. Les jeux sont donc faits, en tous cas pour un temps. L'Europe étant désormais dans la seringue allemande, rien ne s’opposait plus à ce que le masque tombe, qu'un sourire de victoire éclaire enfin le visage de la Velléda germanique, sourire qui précède généralement les injonctions, puis les ordres, puis les aboiements.
Nous n'en sommes encore qu'aux injonctions. Mme Merkel s’est rendu compte que son droit de veto sur le budget grec ne passerait pas, qu’elle avait été un peu vite en besogne et elle accepté de retirer son exigence. Il sera toujours temps de remettre le sujet sur la table si, comme on le pense très fort à Berlin, Athènes est incapable de sortir de son débat inextricable avec ses créanciers ou si le Portugal, l'Espagne ou l'Italie, embourbés dans la récession, devaient solliciter de nouveaux secours.
Il n'empêche, le mal est fait. La Grèce sait maintenant à quel sort l’Allemagne la destine et l’option d’une sortie de l’euro gagne à nouveau du terrain dans l’opinion publique hellénique. Il est vrai que les représentants du FMI, de la BCE et de l'Union européenne s'y comportent actuellement comme de véritables affameurs, allant jusqu'à exiger une nouvelle baisse de 15% des salaires du privé, alors que le pouvoir d'achat des salariés grecs a déjà diminué de 14% en moins d'un an. Les discussions sont devenues extrêmement vives entre le gouvernement grec et la « troïka » des financeurs. Au sein même de l’équipe Papadémos les querelles entre les ténors politiques sont reparties de plus belle et les places se remplissent à nouveau de manifestants. Dans ce climat très tendu, le cycle de renégociation de la dette grecque n'a quasiment plus de chance d'aboutir. Et les élections générales, prévues en avril, devraient logiquement porter au pouvoir un gouvernement nationaliste qui saura traiter les ukases de Bruxelles et Berlin comme il convient.
Le sage Portugal est sur la même voie : l'austérité imposée par Bruxelles ruine, chaque jour davantage, ses efforts de redressement. Malgré les purges sociales acceptées par les Portugais, la production s'effondre, le chômage explose et les taux d'emprunt atteignent des sommets. La perspective d'un défaut de paiement portugais devient crédible si une aide financière de 30 milliards d'euros n'est pas rapidement débloquée. Mais, là encore, l'Allemagne renâcle. Elle estime qu’elle a déjà trop payé. Elle s'oppose toujours à ce que la BCE puisse intervenir directement au secours des Etats en péril, alors même que la BCE croule sous la trésorerie des banques et qu'elle ne sait plus à qui prêter. Quand au "fond monétaire européen", dont M. Sarkozy attendait des merveilles, il est toujours dans les limbes, tout comme la fameuse taxe sur les transactions. L'Allemagne s'est engagée à les mettre en place ? La belle affaire ! Les promesses allemandes n'engagent que ceux qui les ont reçues.
Pourquoi d'ailleurs l'Allemagne se préoccuperait-elle de la Grèce, du Portugal, ou, demain, du sort de l'Espagne et de l'Italie ? Elle a feint d'être solidaire lorsqu'il fallait ruser, convaincre, appâter, attirer dans son système tous ceux, pétochards, peureux ou apeurés, que la crise de l'euro effrayait. Elle a su alors, selon l'expression du poète, faire la chattemite et dans ce registre, les talents de Mme Merkel n'ont rien à envier à ceux de Raminagrobis. Mais maintenant que l'accord est fait, qu'importe ces pauvres, ces éclopés ! qu'ils sortent ! qu'ils disparaissent ! Son plan étant désormais adopté, gageons que Berlin ne portera plus beaucoup d’attention aux difficultés de l’Europe du sud.
Car il ne faut pas se méprendre sur la stratégie de l’Allemagne. Nous l'avons dit ici même à longueur de colonnes : son dessein n'est en aucune façon de sauver l'euro, ni même l'Union européenne à 27. Foin de toutes ces chimères françaises qui ont échoué ! Berlin travaille depuis des mois à un autre projet beaucoup plus conforme à ses intérêts : celui d’une nouvelle zone euro-mark constituée de pays qui partagent le même modèle économique, la même culture financière et une vision identique des relations internationales. Voilà l’espace dont Berlin a besoin pour conforter ses ambitions de grande puissance mondiale. Le Benelux, l'Autriche, la Pologne, la République tchèque et la Hongrie ont vocation à faire partie de cette nouvelle union, les pays scandinaves y seront plus ou moins associés. Quant à la France, aucun doute, elle s'y ralliera, contrainte et forcée !
On peut toutefois se demander si, pour une fois, l’Allemagne n’est pas sortie du bois un peu trop vite. Ses manœuvres ont déjà découragé le Royaume uni, dont elle a malgré tout besoin, et la République tchèque qu’elle espérait bien mettre dans son jeu. Elles inquiètent non seulement Athènes mais l’ensemble des pays du sud qui commencent à comprendre que leur présence à de la table européenne n’est plus désirée. La Hongrie de Viktor Orban est prête à jouer le jeu de la discipline allemande pour peu qu’elle retrouve les instruments de sa souveraineté, et en particulier de sa banque centrale, ce qui ne rentre pas du tout dans les vues de Berlin. On sait que le Danemark, la Suède ont émis des objections sur le texte même du nouveau traité, laissant entendre qu’ils auraient beaucoup de mal à le faire accepter par leurs Parlements. Que fera l’Irlande où la ratification des traités par référendum est la règle constitutionnelle ? Que feront les Finlandais et les Hollandais, chez qui de puissantes minorités eurosceptiques mèneront un combat sans merci contre la nouvelle hégémonie allemande ? Que fera la France, si, par bonheur, elle se libère au printemps prochain du sarkozysme ? Autant de questions, autant d’obstacles sur le chemin du grand dessein de Mme Merkel. Sans parler du défaut de paiement grec et de celui du Portugal qui peuvent intervenir maintenant à tout moment et provoquer en quelques jours l’effondrement du château de cartes européen.
Une certaine anxiété commence à apparaître chez les dirigeants allemands. Elle était perceptible dans les réunions préparatoires au sommet du 30 janvier et elle l’était encore plus pendant le sommet lui-même, où Berlin a du, à plusieurs reprises reculer sur des points essentiels. Dans la partie de poker qui s’ouvre, l’Allemagne occupe la position la plus difficile, celle du gagnant désigné. Elle commence à comprendre qu’elle a joué gros, que le jeu est semé d’embûches et que si, à un moment où une autre, les peuples s’en mêlent le résultat est loin d’être écrit d’avance. C’est pourquoi nous risquons de passer dans les semaines qui viennent des injonctions à des propos plus musclés. Mme Merkel, qui n’avait visiblement pas prévu un échec de M. Sarkozy à la présidentielle de mai, s’agace de voir M. Hollande et ses alliés demander ouvertement une renégociation du traité européen. Elle mettra toute la pression qu’il faut pour avoir gain de cause et l’on sait, par expérience, que les socialistes français ne sont pas indifférents aux sirènes germaniques. M. Jean-Pierre Bel, le nouveau président socialiste du Sénat, n’a-t-il pas cherché il y a quelques semaines à rassurer ses interlocuteurs allemands du Bundestag et d’une Bundesrat en leur confirmant l’attachement des socialistes français à la rigueur budgétaire ? M. Hollande saura-t-il sur ce point essentiel s’en tenir à la ligne qu’il s’est fixé ? Les prochaines semaines nous le diront.
François Renié.
 
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22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 14:53
Perspectives pour l’Europe
 
La crise de l’euro est entrée dans une nouvelle phase. On le sent aux commentaires désabusés des médias ainsi qu’à la fébrilité des dirigeants européens, qui voient s’approcher le moment de vérité. On parle de plus en plus ouvertement de la disparition de la monnaie unique, voire même de l’explosion de l’Union européenne. Aucune de ces perspectives n’est désormais taboue. L’heure n’est plus aux grandes déclarations, ni aux grands sommets destinés à sauver l’unité de l’Europe face à l’adversité. Elle n’est pas encore complètement au « sauve qui peut » mais chacun prend conscience du tournant qui vient de s’amorcer et les plus sages songent d’abord à défendre leurs intérêts dans la tourmente qui s’annonce.
C’est le cas du Royaume Uni. L’attitude de M. Cameron lors du dernier sommet européen était parfaitement prévisible. Les Anglais, en gens pragmatiques, n’ont jamais cru à la chimère de l’euro. Ces libre-échangistes sentent souvent mieux que nous ce qu'est la souveraineté et ils savent en particulier que la monnaie ne se partage pas. Le spectacle d’une Europe au bord de la faillite, remettant son sort entre les mains de l’Allemagne, n’a pu que les conforter dans leurs vues. Lors des précédents sommets, M. Cameron avait tenté de mettre en garde ses partenaires sur les dangers d’une union monétaire mal conçue, qui pouvait s’achever dans le chaos. Il n’a pas été écouté. A Bruxelles, le 9 décembre, il s’est contenté de s’assurer que les mesures prises entre les 17 n’auraient aucune incidence sur l’économie britannique. Il est reparti, à peu près rassuré.
Les Allemands n’ont sans doute pas plus d’illusions que les Anglais sur la survie de l’euro. Mais ils jouent depuis l’origine un autre jeu qu’ils espèrent plus payant à long terme.  Première puissance économique du continent, longtemps relégué au rôle de banquier et d’atelier de l’Europe, l’Allemagne a senti dès le début des années 2000 l’avantage qu’elle pourrait tirer de l’euro pour remettre de l’ordre au sein de l’Union et y imposer ses vues La suspicion qu’elle suscite encore, notamment à Londres et dans les capitales du sud de l’Europe,  l’avait contrainte jusqu’à présent à finasser et à jouer une sorte de double jeu. Elle se devait d’apparaitre comme le bon élève de l’union monétaire à 17 et comme le meilleur garant de l’avenir de l’euro. Ce qui ne l’empêchait pas de travailler en sous main à un Plan B, plus réaliste et plus conforme à ses intérêts, celui d’une zone euro-mark réduite aux quelques pays – Autriche, Benelux – qui partagent avec elle une même culture de la stabilité économique.
La pression des marchés étant ce qu’elle est, Mme Merkel n’a plus besoin aujourd’hui de cacher son jeu. Le scénario d’éclatement de l’euro étant sur la table, autant en profiter. Lors du dernier sommet européen, elle a attendu l’annonce du retrait britannique, puis elle a parlé en maître à des pays qu’elle considère désormais comme ses vassaux ou ses obligés. Berlin l’a dit haut et fort : plus question de nouvelle débauche d’argent public pour soutenir les pays de l’Europe du sud. Qu’ils fassent avec ce qui existe, qu’ils se disciplinent ou qu’ils sortent de l’euro ! Quant aux autres Etats, on les a sommés de ratifier sous quelques semaines un nouveau traité marquant leur soumission aux règles d’or allemandes : rigueur, stabilité et discipline. Là encore, on n’attendra pas les retardataires. S’ils ont des états d’âme ou des échéances politiques à gérer, tant pis pour eux. Au mieux, ils monteront en marche, sinon ils resteront sur le quai !
La France apparait comme la grande perdante de ce jeu des puissances. Avec le retrait de Londres, l’ascendant grandissant de Berlin, la mise sous tutelle de l’Europe du sud et la volonté de prise de distance qu’expriment ouvertement la Suède, la Hongrie ou la Tchéquie, c’est le vieux rêve européiste caressé par Giscard, par Mitterrand, crédibilisé à un moment par Delors, celui d’une organisation collégiale, démocratique du continent, qui est à terre. C’est la fin de la chimère des Etats-Unis d’Europe chère à nos élites. Et, dans le même temps, c’est un retour brutal à la réalité. Celle des rapports de force, des jeux d’influence, des stratégies de domination et des intérêts nationaux. Dans ce jeu là, l’Allemagne est incontestablement la plus forte, parce qu’elle n’a pas de modèle à défendre, qu’elle pousse à fond ses avantages et qu’elle à su anticiper.
La France, elle, ne s’y est pas préparée. Sa diplomatie européenne est en ruine. Elle se résume à une présence, essentiellement politique, auprès de la Commission. Or la Commission s’est volatilisée – c’est là l’autre grand changement de cette dernière période. MM. Barroso et Van Rompuy ne sont plus que les fidèles exécutants de la puissance tutélaire germanique. Leur rôle, subalterne, se réduit à la rédaction du nouveau traité, à la mise sous contrôle des budgets nationaux et à l’organisation, sous l’égide de Berlin et selon un ordre du jour dicté par Berlin, des prochains sommets européens. Le grand jeu de la France en Europe, ses initiatives politiques intempestives, ses relations parfois orageuse, souvent complice avec une Commission, dont elle avait codifié tous les principes et qui partageait les mêmes visions que l’élite française, tout cela aussi est fini, bien fini. En jouant à fond la complicité avec l’Allemagne, en laissant les pleins pouvoirs à Bruxelles à une équipe de seconds rôles ou de sous traitants sous influence allemande, le gouvernement français a ruiné en quelques mois les moyens d’action et le pouvoir d’influence que nous avions au sein de l’Union.
M. Sarkozy est le principal, sinon l’unique responsable, de cette situation. Il paye à la fois son activisme brouillon et son manque de vision et de doctrine. Le premier a clairement fait le jeu de l’Allemagne, qui a désormais les mains libres en Europe, le second a laissé la France en situation d’impréparation et d’impuissance, au moment même où les vents des marchés vont souffler en rafale. L'image de la France a également beaucoup souffert de l'inconstance et de la légèreté du Chef de l'Etat. Avec l’intervention libyenne et la négociation, pour une fois plutôt habile, d’accords de défense avec Londres, on a pu croire à un moment qu’il se rapprochait de la Grande Bretagne et qu’il cherchait à prendre ses distance avec l’envahissante marâtre allemande. Il n’en est rien sorti sinon une fâcherie inutile avec nos amis anglais qui avait pris ce début de flirt très au sérieux. Inconsistance, ignorance, légèreté vis-à-vis de tout ce qui touche à la grande politique et à la vie des nations : ces jugements pèseront lourd dans le bilan du sarkozysme que les Français vont faire d'ici peu. Jamais président n’aura été aussi indigne de l’héritage du Général de Gaulle, sans parler de celui des rois de France. 
L’opposition socialiste est-elle capable de faire mieux ? Saura-t-elle profiter de cette accumulation d’erreurs ? Rien n’est encore acquis de ce côté. Certes M. Hollande a annoncé, qu’en cas de victoire, il renégocierait le nouveau traité européen. Mais que vaut une telle promesse, si le traité en question a déjà été ratifié par la moitié de l’Europe ? On a vu ce qu’il en a été en 2008 avec le traité de Lisbonne, censé corriger les errements chiraquiens de 2005. Pourquoi d’ailleurs attendre l’élection présidentielle ? On attend le candidat Hollande à une échéance beaucoup plus rapprochée. A défaut de référendum, la ratification du traité par la France suppose en effet une approbation par le Congrès. On se souvient qu’en 2008, la gauche socialiste, qui disposait d’une courte minorité de blocage au Congrès, ne s’est pas opposée au traité de Lisbonne, malgré les promesses faites par la candidate Ségolène Royal quelques mois plus tôt. Il est vrai que c’était M. Hollande et non plus Mme Royal qui était alors à la manœuvre ! Que fera en 2012 le candidat Hollande, lui qui dispose aujourd’hui, avec le Sénat passé à gauche, d’une minorité de blocage beaucoup plus nette ? Donnera-t-il la consigne de « laisser faire », au nom des chimères européistes qu’il partage avec une partie de la droite ? Avec le risque de voir une partie sensible de son électorat – celui de la France du Non – s’éloigner de lui ? Saisira-t-il sa chance en imposant un vote négatif au Congrès et en renvoyant le sujet à un référendum, comme le suggère M. Chevènement ? En prenant, dans ce cas de figure, le risque, assez probable, d’un rejet français ? On comprend que le choix ne soit pas facile pour M. Hollande, pour le candidat Hollande, pour l’européiste Hollande qui pèse sans doute encore le pour et le contre.
Avec une ratification rapide de la France, c’est le schéma voulu par l’Allemagne qui se mettra en place. Inexorablement. D’ici la fin du mois de mars, la pression des marchés s’intensifiera sur la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, conduisant tout ou partie de ces Etats-membres à quitter l’Eurozone. C’est en tous cas la première partie du scénario imaginé par Berlin. L’Irlande, promise aux mêmes difficultés et en proie à une montée de l’euroscepticisme, anticipera sans doute le mouvement en sortant volontairement de l’union monétaire et en se rapprochant de la Grande Bretagne. On peut penser que les pays scandinaves et ceux d’Europe orientale – qui n’ont pas encore choisi l’euro – adopteront une attitude prudente voire attentiste. Leur calendrier de ratification est traditionnellement long et ils en profiteront pour rester à distance de l’Eurozone, tout en adoptant formellement ses principes. A l’inverse, l’Autriche, les Pays Bas, le Luxembourg et sans doute la Belgique se mettront dans la roue de l’Allemagne. Ils n’ont pas d’échéances électorales lourdes à court terme et leurs populations adhèrent volontiers au modèle d’union proposé par Berlin. Reste la France, qui n’aura sans doute pas d’autres choix que de rallier la nouvelle zone euro-mark et d’y dissoudre ses derniers restes de souveraineté.
On voit a contrario les conséquences d’un rejet français. En barrant la route au plan allemand, il ouvrirait une autre perspective, plus durable, plus respectueuse de la liberté des peuples : celle d’une renégociation de l’ensemble des traités, celle d’une nouvelle organisation de l’Europe. La sortie probable des pays du sud de la zone euro pourrait conduire d’autres Etats-membres, comme l’Irlande, la France et la Belgique, à suivre le mouvement, à retrouver des marges de manœuvre et à s’extraire de la pression des marchés. Cette clarification conduirait sans doute à revenir à la conception d’une Europe des nations, d’une confédération d’Etats libres, œuvrant de conserve dans un monde à nouveau dominé par le fait national. La France y serait parfaitement à l’aise, l’Allemagne y perdrait tous ses rêves de domination. On voit la responsabilité qui pèse sur les épaules de nos grands élus dans les semaines et mois qui viennent. S’en saisiront-ils ?
François Renié.
 
La série d’articles que nous avons ouverte en novembre 2010, sous le titre générique « sur le front de l’euro », se termine avec cette dernière chronique. Le sommet du 9 décembre dernier marque en effet  – comme nous l’annonçons plus haut – une nouvelle phase dans l’évolution des rapports au sein du continent. L’Europe est à la croisée des chemins. Chacun sent bien que le vieux rêve fédéraliste est mort dans les faits, sinon encore dans tous les esprits. Des deux voies qui s’ouvrent, celle que propose l’Allemagne, et qui sera au cœur du traité en préparation, a pour elle le poids des habitudes : elle mène tout droit à l’éclatement de l’Europe, à sa marginalisation, au profit d’un ensemble plus réduit, fortement structuré autour de la puissance allemande, qui trouvera là les moyens d’action et d’influence que sa démographie ne lui permet plus. La France, sans perspective, s’y ralliera par défaut. L’autre voie peut être une voie française, surtout si elle s’ouvre sur un refus français du nouveau traité. Cette voie, aux contours moins nets, est évidemment moins confortable mais c’est la seule qui offre à notre pays et à l’Europe les chances d’un renouveau. Dans tous les cas de figure, l’euro est condamné dans sa forme actuelle et il ne sera plus qu’incidemment concerné par le débat qui s’ouvre et qui sera éminemment politique. C’est ce grand débat européen que nous commenterons à partir de la semaine prochaine dans une nouvelle série d’articles  intitulée « Face à l’Allemagne ».<
La Revue Critique.
 
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18 novembre 2011 5 18 /11 /novembre /2011 10:18
L’Europe des imbéciles
 
Rien ne sera donc épargné à la Grèce, au peuple grec, à nos amis grecs ! Pas même les aboiements des imbéciles ! Après les campagnes venimeuses, aux limites du racisme, des tabloïds allemands, après les petites phrases désobligeantes des gnomes de Bruxelles, de Francfort ou du FMI, voilà que la presse française se met de la partie. Scrutez l’Express, le Point, les Echos, le Nouvel Observateur ou le Figaro de ces dernières semaines, vous y trouverez des propos bien peu amènes sur le pays des Hellènes. Pensez donc : un ramassis de méditerranéens mal lavés, de feignants, de voleurs et de tricheurs ! Des levantins, plus habitués à trafiquer qu’à payer leurs impôts ! Des rastaquouères qui se sont gobergés pendant des décennies avec notre argent et les subsides de Bruxelles ! Ruinés par les banques, les Grecs ? Abusés par les aigrefins de la finance internationale ? Humiliés, dégradés, pillés ? Peu importe, ils n’ont que ce qu’ils méritent. Quant à la soi-disant solidarité européenne, qu’ils aillent là chercher ailleurs, … chez les Turcs, par exemple !
La palme du pire revient sans conteste au journal Le Monde. Notre quotidien suisse de langue française a déployé pour l’occasion tous ses talents de jocrisse, de tartufe, de cafard et de faux derche. Un vrai festival ! Vous n’y trouverez naturellement aucun mot blessant, aucune formule à l’emporte-pièce, ligue des droits de l’Homme oblige. On laisse à d’autres l’image du petit grec noiraud, bronzé, voleur de poules. A la presse de droite et aux journaux boursiers. Mais on frappe plus fort encore. « Les Grecs sont-ils européens ? » s’interrogeait le plus sérieusement du monde, jeudi dernier, notre torchon du soir [1]. Sur une double page, les deux polygraphes commis d’office, MM. Gautheret et Vitkine, examinaient sous toutes ses coutures le peuple qui a donné à l’Europe, Platon, Aristote, Eschyle, Sophocle et quelques autres. Et nos enquêteurs helvétiques de conclure que ces Grecs sont décidément trop pauvres, trop farfelus, trop rebelles pour faire d’honnêtes européens. La Grèce : « un petit pays faible et désorganisé. Et moins européen qu’il n’y parait ». L’argent de Bruxelles : « il a contribué au renforcement des clientélismes », ce qui ne fut évidemment pas le cas ailleurs, ni en Italie, ni en Espagne, ni en Allemagne de l’est !!! Sans parler des plaisanteries fines, du type « Ce serait bien si une junte militaire prenait le pouvoir à Athènes, car on aurait une bonne raison de sortir la Grèce de l’UE» ! Comme on le voit, une enquête soignée, argumentée, équilibrée, sans parti pris, comme le Monde nous en sert régulièrement depuis qu’il est passé sous la férule des amis des banques, MM. Pigasse, Bergé et Niel.
Pour caricaturales et irritantes qu’elles soient, les canailleries du Monde ont au moins un mérite : celui de révéler dans quel état de fébrilité, d’inquiétude et de panique sont les milieux européistes, alors que la crise de l’euro repart de plus belle. Rien ne semble plus pouvoir arrêter les marchés, ni les moulinets de Mme Merkel, ni les simagrées de M. Sarkozy, ni l’arrivée du satrape Papadémos à Athènes, ni celle de M. Monti à Rome ou celle de M. Draghi à la BCE. Malgré la prise de contrôle de l’Union européenne par le gouvernement Goldmann-Sachs, les affaires de l’euro ne s’arrangent pas, bien au contraire. Les bourses mondiales poursuivent leur plongeon, les taux d’intérêt sur les dettes souveraines s’amplifient et la monnaie unique commence, lentement mais surement, à piquer du nez. La prochaine étape a toute les chances de toucher la France et de la priver de son emblématique « triple A ». La Grèce sortira-t-elle de l’euro avant ou après Noël ? A quelle vitesse emportera-t-elle derrière elle tout l’échafaudage de la monnaie unique ? Voilà les scénarios sur lesquels travaillent aujourd’hui les Etats avisés, comme l’Allemagne. L’heure de vérité approche et ce qui nous en sépare  se compte en mois, peut-être en semaines.
Mais, chez nous, l’oligarchie, trop confiante n’a élaboré aucun Plan B. Elle assiste, impuissante, à l’effondrement de ses rêves, à la fin de ses chimères, à l’incendie de son Europe de carton-pâte. Aveuglée hier par la démesure, elle l’est aujourd’hui par la rage, par la haine. Haine des Grecs, demain des Italiens, des Espagnols, de la jeunesse laissée pour compte, des chômeurs révoltés, des retraités ruinés, de tous ceux qui vont briser l’euro de leurs propres mains, parce qu’il les empêche de vivre. Au fond, le rêve de nos oligarques, c’était une Europe sans peuples, sans gêneurs, une Europe d’individus sans attaches aucune, sans appartenance, sans passé. Une Europe de robots. Le séisme qui va nous débarrasser de ce cauchemar sera violent. Le fait que son épicentre se trouve en Grèce n’est pas indifférent et l’on peut même y voir un signe des Dieux, une manifestation de la Némésis ou une ruse de l’Histoire, comme on voudra. Que nos amis grecs se rassurent, l’aventure commune qui nous rassemblera à nouveau demain fera le lit de toutes les injures qu’on leur adresse aujourd’hui. Et d’abord de celles des imbéciles.
Paul Gilbert.


[1] . « Grèce-Europe, le grand malentendu », Le Monde du 17 novembre 2011.

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11 novembre 2011 5 11 /11 /novembre /2011 16:46
Rome, après Athènes

M. Papandréou a promptement disparu. Les Eurocrates, qu’il avait provoqués sans vraiment s’en rendre compte, lui ont imposé une punition et une humiliation à la hauteur de son crime : avoir voulu donner au peuple grec le droit d’exprimer son désarroi et sa douleur. Car dans l’Union européenne de fer dans laquelle nous sommes rentrés, les peuples n’ont plus droit à la parole. Ils ont juste droit à verser du sang et des larmes, sans savoir d’ailleurs toujours très bien pour qui ils vont les répandre.
L’ex Premier ministre grec n’a pas été beaucoup mieux traité pas ses amis : convoqué, dès son retour du G 20, par la petite bande de conspirateurs que la triplette Sarkozy/Merkel/Juncker avait commis pour son exécution, il n’eut guère le choix qu’entre le départ et le suicide politique. Il aurait pu choisir la voie de l’honneur et en appeler au peuple. Mais c’était trop demander à M. Papandréou. S’il a des idées assez claires, étant grec et socialiste, sur ce qu’est la démocratie, il ne sait plus très bien en revanche ce qu’est le peuple. Il a donc assez logiquement choisi le départ.
Sa seule revanche, il l’aura trouvé dans le choix de son successeur. M. Venizélos, son ami et camarade, le chef de la camarilla qui l’a mis à mort, était candidat. C’était en quelque sorte le salaire de sa trahison. Mais le directorat européiste ne l’a pas entendu de cette oreille : plus question de confier un sujet aussi grave que la crise grecque aux politiques. On a donc imposé à Athènes un homme sûr, un technicien sans scrupule, d’une parfaite servilité: Lucas Papadémos, banquier, ancien président de la banque centrale grecque, ancien vice-président de la BCE. Un de ceux qui ont  un peu truqué les comptes au moment du passage de la drachme à l’euro, avec la complicité de Lehman Brothers. Ce qui, pour Bruxelles et Francfort, est une sorte de certificat de vertu !
A Rome, le même scénario est à l’œuvre. On a demandé à M. Berlusconi de quitter le pouvoir dès ce week-end. Il aura juste eu le temps de faire voter au Parlement les nouvelles mesures d’austérité imposées par Bruxelles et d’échanger quelques paroles avec le Président de la République italienne, M. Napolitano. A la sortie de son entrevue avec le chef de l’Etat, il était déjà destitué par un communiqué officiel du Quirinal. Le nom de son successeur commençait à circuler lundi dans les rues de Rome. La encore il s’agit d’un banquier connu, M. Mario Monti, ancien commissaire européen à la concurrence, un homme sûr, lui aussi, bien dans la ligne, à l’échine souple. La classe politique italienne, dans un de ces accès de lâcheté dont elle est familière, l’a même nommé sénateur à vie, mercredi soir. Il devrait dormir lundi prochain Palazzo Chigi.
Papadémos, Monti, … Une nouvelle ère, celle des satrapes, pour ne pas dire celle des gauleiters, vient de s’ouvrir en Europe. Preuve, s’il en était besoin, de l’état de panique et de déliquescence dans lequel se trouve aujourd’hui le directorat européiste. On ne fait plus confiance qu’à des hommes de paille qui sont aussi des hommes de main. Heureuse Espagne, heureuse Irlande, heureux Portugal, qui ont échappé par le miracle des urnes – mais pour combien de temps ? – à l’humiliation de se voir imposer leurs dirigeants. A qui le tour ? Pourquoi pas à la France, après tout, pour peu que la crise de l’euro se poursuive de plus belle et que les marchés cherchent de nouvelles victimes à sacrifier. Attendront-ils les échéances de mi 2012, sachant que « leur » candidat est déjà en place ? Voudront-ils montrer leur puissance et imposer des changements avant l’échéance ? On murmure que M. Trichet, maintenant libéré de la BCE, pourrait être tenté par la politique. Gageons qu’il n’attend qu’un signe…
François Renié.

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4 novembre 2011 5 04 /11 /novembre /2011 23:00

Le Putsch d’Athènes

On ne se méfie jamais assez de ses amis, surtout lorsque ce ne sont pas des amis. M. Papandréou, le futur ex Premier ministre grec vient de l’apprendre à ses dépens. En annonçant lundi soir son intention de soumettre à référendum le soi-disant « plan de sauvetage » de la Grèce – plan qui ne sauve, comme tout le monde le sait, que les banques et en dernier lieu les banques grecques – il prenait un triple risque : celui de se mettre à dos la finance internationale, celui, par ricochets, d’être lapidé par les chiens de garde de l’euro, politiques et médias confondus, celui, enfin, de voir son parti et ses amis le lâcher et faire appel à une personnalité plus servile. Il n’aura évité aucun de ces trois écueils.

Si l’on regarde précisément la chronologie des évènements, ce sont bien les institutions financières qui ont orchestré les premières la mise à mort de M. Papandréou. Sa déclaration sur le référendum grec précédait de quelques heures l’annonce, lundi à New York, de la banqueroute de MF Global, une des plus grosses faillites de l’histoire des Etats Unis depuis le naufrage de Lehman Brothers. MF Global disparaissait victime de ses spéculations sur les dettes européennes et d'autres risquaient de suivre, très vite, en cas de nouvelle tempête en Europe. M. Papandréou apparut alors comme le diable en personne. Son référendum et la défaillance du courtier américain provoquaient dans l’après midi de lundi un véritable vent de panique sur l’ensemble des marchés de la planète. On imagine le contenu des échanges téléphoniques entre les places et les gouvernements lundi soir. C’est là que les oreilles de M. Papandréou ont du sérieusement commencer à siffler.

Paris et Berlin étaient sur le pied de guerre dès mardi. L'échange entre M. Sarkozy et Mme Merkel date, semble-t-il, des premières heures de la matinée. On imagine la consternation et la fureur du chef de l’Etat, tombant de son piédestal de sauveur de l'euro. L'attitude de la chancellière allemande fut sans doute empreinte de plus de réalisme. On sait, outre Rhin, que la Grèce est dans une situation intenable et qu’elle finira, tôt ou tard, par sortir de l’euro, entrainant derrière elle tous les pays fragiles du sud de l’Europe. Il sera alors temps de mettre sur la table la vraie solution à la crise, celle d’une zone euro-mark, réduite à l’Europe du Nord et dominée par l’Allemagne. Si l’on veut que la France rentre, le moment venu, dans ce schéma, il faut lui donner, pour l’heure, quelques satisfactions et sacrifier à ses dernières illusions. Français et Allemands devaient donc convenir de chatier ensemble l'impertinent dirigeant grec. 

Après la colère des dieux, la foudre médiatique frappa aussi le malheureux Papandréou. Les journaux européistes s’en donnèrent à cœur joie mardi et mercredi. La palme de la tartufferie revint naturellement à la presse française. De Libération au Figaro, des Echos au Point ou à l’Express, les perroquets stipendiés ont donné le meilleur d'eux-mêmes. Ils se sont mis en tête de faire la leçon aux Grecs et à leurs dirigeants sur la démocratie. On sait qu’à  Bruxelles, le mot démocratie n’a pas le même contenu qu’à d’Athènes. Elle n’est légitime que lorsqu’elle s’exprime dans le sens voulu par les oligarchies. Les malheureux Irlandais, qui avaient eu le mauvais gout de refuser le traité de Lisbonne et que l’on a forcés à revoter une seconde fois, l’ont appris à leur dépens. C’est aujourd’hui au tour des Grecs de courber l'échine. Dans ce jésuitisme démocratique, l’éditorialiste du Monde devait se montrer le plus habile : comment imaginer une issue favorable au référendum, alors qu’on cherche à imposer une purge aussi violente au peuple grec ? En effet, la conclusion s’impose : pas de référendum, laissons les peuples souffrir en silence !

On connait la fin de l'histoire. M. Papandréou, convoqué sans ménagement par le couple Sarkozy-Merkel, humilié, menacé de faillite, de ruine et de famine, trainé dans la boue par les médias, devait finir par mettre un genou à terre : il abjura son idée de référendum et promit que le peuple grec avalerait la purge de l'austérité jusqu'à la dernière goutte. La correction n'était pas suffisante. On exigeait aussi qu'il mette sa tête sur le billot. De bons amis, parmi lesquels son vice-premier ministre, le mirobolant M. Vénizelos, se chargèrent de lui faire passer le message. Même le chef de l’opposition, M. Samaras, changeait d'attitude : après des mois de conflits ouverts avec les socialistes, il acceptait brusquement l'idée d'un gouvernement d'union nationale pour peu que M. Papandréou disparaisse. Il ne restait plus qu'à orchestrer ce départ. Ce fut rondement mené  hier soir : M. Papandréou obtenait la confiance du Parlement en échange d'une promesse de retrait. Dès le scrutin acquis, M. Vénizelos s’empressait de téléphoner les résultats à M. Juncker et aux autres dirigeants européens. Il en profitait pour leur annoncer sa candidature à la présidence du futur gouvernement de transition. Nul doute qu’on lui renverra l’ascenseur.

Ce samedi matin, les dirigeants européens se félicitent de l’issue favorable de ce qu’on appelle maintenant avec commisération « l’épisode grecque ». La presse aux ordres pavoise. Les bourses reprennent des couleurs. Les partis sociaux-démocrates versent quelques larmes de crocodile sur M. Papandréou. L’ordre règne à nouveau à Athènes. Mais pour combien de temps ?

François Renié.


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