ton cœur est fatigué des voyages | ||
Ton cœur est fatigué des voyages ? Tu cherches Pour asile un toit bas et de chaume couvert, Un verger frais baigné d’un crépuscule vert Où du linge gonflé de vent pende à des perches ? Alors ne va pas plus avant : Voici l’enclos. Cette porte d’osier qui repousse des feuilles, Ouvre-la, s’il est vrai, poète, que tu veuilles Connaître après l’amer chemin, le doux repos. Arrête-toi devant l’étable obscure. Ecoute. L’agneau bêle, le bœuf mugit et l’âne brait. Approche du cellier humide où, bruit secret, Le laitage à travers les éclisses s’égoutte. C’est le soir. La maison rêve ; regarde-la, Vois le feu qu’on y fait à l’heure accoutumée Se trahir dans l’azur par une humble fumée. Mais tu cherchais la paix de l’âme ? Entre : Elle est là. | ||
charles guérin (1873-1907). Le Semeur de cendres. (1901). |
soir de juin | ||
Il a plu. Soir de juin. Ecoute, Par la fenêtre large ouverte, Tomber le reste de l’averse De feuille en feuille, goutte à goutte. C’est l’heure choisie entre toutes Où flotte à travers la campagne L’odeur de vanille qu’exhale La poussière humide des routes. L’hirondelle joyeuse jase. Le soleil déclinant se croise Avec la nuit sur les collines ; Et son mourant sourire essuie Sur la chair pâle des glycines Les cheveux d’argent de la pluie. | ||
charles guérin (1873-1907). Le Coeur solitaire. (1898). |
la nuit | ||
La nuit répand sur le village Son ombre et sa tranquillité ; L'Ame inquiète du feuillage Soupire aux souffles de l'été. En face du jour qui s'achève Des groupes sombres sont assis, Pleins d'un impénétrable rêve, Au fond des porches obscurcis. Un chariot crie. Une fille Retire sous l'arche d'un pont Son seau clair où l'eau noire oscille. Des bœufs chargés d'herbe s'en vont. Il sort une tiède buée De l'étable où les bêtes font Leur bruit de paille remuée. Une fumée au ciel se fond. C'est l'heure grise des veillées ; Le vent limpide emporte au loin, Hors des granges entrebâillées, L'enivrant arome du foin, Et ramène des hameaux proches Le grand bourdonnement d'amour Que lui jette l'essaim des cloches Par ses ruches de pierre à jour. | ||
charles guérin (1873-1907). Le Semeur de cendres. (1901). |