les yeux bleus | ||
Dans une pourpre de bataille Le soleil las de chevaucher, Avait fini par se coucher Derrière les cyprès d'Hendaye. Et ce fut le plus bleu des soirs ! Et parmi tous les bleus agrestes, Les bleus marins, les bleus célestes, Bleus te semblèrent deux yeux noirs. Beaucoup d'autres soirs sur le monde Ont passé depuis ce soir-là : Cent vingt fois l'ombre s'étoila ; L'aube cent vingt fois naquit blonde. Charme fou, trouble merveilleux, Amour fondé sur un mensonge : Ils éclairent toujours ton songe Les yeux bleus qui ne sont pas bleus. | ||
fernand mazade (1863-1939). La Muse française (1940). |
berre | ||
Au ciel dont les saphirs inclinés se marient Avec l'azur profond de Berre, un vol montant D'aquatiques oiseaux silencieux s'étend Dans le flot des clartés par le soir attendries. Des pensers merveilleux, d'augustes rêveries Nous retiennent au bord amical de l'étang, A cette place chaude où débarque en chantant Le fantasque pêcheur d'oursins et d'astéries. L'automnal crépuscule est comme un beau jardin Dont les mille rosiers auraient tous le même âge Et se défleuriraient sur un signal soudain. L'odeur qui s'en exhale est enivrante et sage ; Mais je sens, plus charmant et pur que cette odeur, Se répandre parmi l'infini paysage, Le parfum de ton songe et de notre bonheur. | ||
fernand mazade (1863-1939). Poèmes inédits de "De Sable d'or" (La Muse française, 1923). |
le marin | ||
L'arbre qu'en ce moment le jardinier recèpe Avait poussé deux fois des feuillages nouveaux, Deux fois a fermenté dans le sein des cuveaux Le raisin entamé par la grive et la guêpe, Et l'automne deux fois a mordoré le cèpe Aux pentes de la sylve ou juchent les corbeaux, Depuis que je n'ai plus, le soir, sous vos flambeaux, Mangé la venaison, la chataîgne et la crêpe. Vivez heureux; vivez comme si votre fils N'avait pas vers des caps lointains largué la toile; Et ne songez à moi que le jour d'Adonis. Mais lorsque par les nuits sans lune et sans étoile, S'élanceront sur l'eau la foudre et son tambour, A l'Amour demandez de protéger ma voile : Et vous me reverrez aux fêtes de l'Amour. | ||
fernand mazade (1863-1939). Intermède fantastique (1936). |