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30 avril 2016 6 30 /04 /avril /2016 17:57
Charles Guérin
 
 
les yeux bleus
 
 
 
Dans une pourpre de bataille
Le soleil las de chevaucher,
Avait fini par se coucher
Derrière les cyprès d'Hendaye.

Et ce fut le plus bleu des soirs !
Et parmi tous les bleus agrestes,
Les bleus marins, les bleus célestes,
Bleus te semblèrent deux yeux noirs.

Beaucoup d'autres soirs sur le monde
Ont passé depuis ce soir-là :
Cent vingt fois l'ombre s'étoila ;
L'aube cent vingt fois naquit blonde.

Charme fou, trouble merveilleux,
Amour fondé sur un mensonge :
Ils éclairent toujours ton songe
Les yeux bleus qui ne sont pas bleus.
 
 
 
fernand mazade (1863-1939). La Muse française (1940).
 
 
berre
 
 
 
Au ciel dont les saphirs inclinés se marient
Avec l'azur profond de Berre, un vol montant
D'aquatiques oiseaux silencieux s'étend
Dans le flot des clartés par le soir attendries.

Des pensers merveilleux, d'augustes rêveries
Nous retiennent au bord amical de l'étang,
A cette place chaude où débarque en chantant
Le fantasque pêcheur d'oursins et d'astéries.

L'automnal crépuscule est comme un beau jardin
Dont les mille rosiers auraient tous le même âge
Et se défleuriraient sur un signal soudain.

L'odeur qui s'en exhale est enivrante et sage ;
Mais je sens, plus charmant et pur que cette odeur,
Se répandre parmi l'infini paysage,

Le parfum de ton songe et de notre bonheur.
 
 
 
fernand mazade (1863-1939). Poèmes inédits de "De Sable d'or" (La Muse française, 1923).
 
 
le marin
 
 
 
L'arbre qu'en ce moment le jardinier recèpe
Avait poussé deux fois des feuillages nouveaux,
Deux fois a fermenté dans le sein des cuveaux
Le raisin entamé par la grive et la guêpe,

Et l'automne deux fois a mordoré le cèpe
Aux pentes de la sylve ou juchent les corbeaux,
Depuis que je n'ai plus, le soir, sous vos flambeaux,
Mangé la venaison, la chataîgne et la crêpe.

Vivez heureux; vivez comme si votre fils
N'avait pas vers des caps lointains largué la toile;
Et ne songez à moi que le jour d'Adonis.

Mais lorsque par les nuits sans lune et sans étoile,
S'élanceront sur l'eau la foudre et son tambour,
A l'Amour demandez de protéger ma voile :

Et vous me reverrez aux fêtes de l'Amour.
 
 
 
fernand mazade (1863-1939). Intermède fantastique (1936).
 
 
 
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27 mars 2016 7 27 /03 /mars /2016 14:09
Duclos
 
 
printemps
 
 
 
Plus mol sur mes coteaux que duvet de palombes,
Cher aux petits enfants le matin des Rameaux,
Fleurissant les vergers, couvrant d'oubli les tombes,
Le Printemps a chassé l’Hiver et les corbeaux.

L'hirondelle revient, Dieu bénisse ma grange
Où j'ai depuis toujours vu s'accrocher son nid.
Qu'elle porte bonheur aux récoltes, voici
Les foins, puis les moissons, et bientôt les vendanges.

Les travaux et les mois se tiennent par la main.
Le visage des champs de semaine en semaine
Se modèle. Chaque fleur a son lendemain,
Chaque saison ses fruits et chaque jour sa peine.

Les roses au jardin et les voiles au port
Sont toutes blanches, mais la fraîcheur est tarie
Pour une âme, ô Printemps, que trop jeune a vieillie
L'angoisse de l'amour et celle de la mort.
 
 
 
henri duclos (1902-1984). La Muse française (1926).
 
 
languedoc
 
 
 
Celui qui n'a senti sur sa terre natale
Darder sur un gerbier le soleil méridien,
Ni dans le peuplier qu'on nomme carolin
        Entendu crisser la cigale,

Ignore ce qu'un champ de notre Languedoc
Peut avoir de grandeur et de mélancolie,
Quand le Cers, vent du Nord, rase le sol et plie
        Un fenouil épargné du soc,

Quand les foins sont coupés et les vignes heureuses,
Quand l'air est habité par des milliers d'essaims
Et que luttent aussi les ruches des jardins
        Avec le fredon des batteuses.
 
 
 
henri duclos (1902-1984). De l'hiver à l'automne. (1925).
 
 
inconstance
 
 
 
Ciel pommelé, femme fardée;
Bergère, rentre tes moutons.
Femme fardée, ciel pommelé;
Amoureux, cesse ta chanson.

Une rose s'est effeuillée,
Et tout le jardin s'en attriste;
Est triste la rainette artiste;
La rose est pleurée par l'œillet.

Le poète est rogue. Sa muse
Lui fait des infidélités.
Amour léger. Elle s'amuse
Et peut revenir cet été.

Vois : Ronsard froisse des pétales,
Et Malherbe, au fier encrier,
Est rêveur, quand il songe, pâle,
A la rose de du Perrier.

Quand les pigeons baignent leurs pattes,
Quand nous sentons qu'il va pleuvoir,
L'heure est si douce, délicate, —
Laisse ton livre et viens t'asseoir.

Goûtons ensemble l'inconstance,
Le charme du ciel pommelé.
J'aime la volonté qui danse,
La rose, et la femme fardée.
 
 
 
henri duclos (1902-1984). La Muse française (1922).
 
 
 
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28 février 2016 7 28 /02 /février /2016 09:13
Ruet
 
 
nostalgie
 
 
 
La jeunesse du jour est une pluie de fleurs.
Un essaim guerroyant sur les troènes glisse.
La lumière envahit le jardin. Mais Clarisse
Dédaigne le soleil et la blonde chaleur.

Jean de Tinan l'aurait aimée, ardente et triste,
Avec le double lac de ses yeux gris et verts
Et cette voix suave où semble que persiste
L'arabesque mélodieuse d'un beau vers.

Que lui font les pavots creux remplis de clarté,
Et les grappes filantes des abeilles vives
Et l'insondable azur de ce matin d'été ?
Rien ne touche son cœur qui fleurit sur nos rives.

Cette heure flamboyante et que le soleil mord
A suscité en elle un lancinant regret.
Les yeux fermés, elle sourit. Car en secret
Tandis que juin agite ses cymbales d'or,
Elle voit se lever sur un fleuve du Nord

Un matin brumeux et glacé
Pareil à ceux de son passé.
 
 
 
noël ruet (1898-1965). La Muse française (1929).
 
 
poème de septembre
 
 
 
Sur la masse du ciel, les étoiles scintillent.
La lune a la couleur des pailles de Manille.

- Ce n'est pas le printemps et ce n'est pas l'automne.
Avec les feux du soir les rêves tourbillonnent. -

Au bar, le disque tourne. Une douce rengaine
Se noue au chant plaintif d'une femme lointaine.

Ne partiras-tu pas au son de la guitare
Pour l'île que fleurit un nom baroque et rare ?

Embarque ton espoir et ton cœur, pauvre dupe,
Puisqu'à ce point t'émeut le doux bruit d'une jupe.

L'ai-je vue à l'osier des tables accoudée
Ou de tiède soleil caressée et fardée ?

Son pas, n'est-ce pas lui qui se cambre et qui glisse
Sur l'herbe du printemps suave des « Offices » ?

Et la lumière ensemble ingénue et perverse
Qui flotte dans ses yeux, et ce long corps que berce

Le mouvement léger des jambes, où sont-ils ?
Et quel pinceau divin traça l'arc de ses cils ?

Oiseau doré frôlant la vague de son aile,
Une écharpe de soie flotte à sa gorge frêle.

Sous la dent, la noisette est moins fraîche et moins blanche
Que son étroite nuque, et la robe, à sa hanche,

Pare d'un bleu profond le plus tendre contour.
L'ai-je vue ? Ou n'est-elle à la fin d'un beau jour,

Tandis que les plaisirs un à un m'abandonnent
- Ce n'est plus le printemps et ce n'est pas l'automne —

Qu'un mirage de plus et qu'un enchantement ?
Car il te faut nourrir, poète, ton tourment

Et donner aux mots durs et nus, farouche essaim,
Le battement d'un cœur et la chaleur d'un sein.
 
 
 
noël ruet (1898-1965). La Muse française (1930).
 
 
isabelle
 
 
 
Voici des vers pour vous, capricante Isabelle,
Dont les bras sont dorés comme une mirabelle,
Et dont le moindre geste au jardin est pareil
A quelque clair envol d'oiseau dans le soleil.
De Lucinde, j'ai dit la grâce convenue,
La pudeur de Jenny même quand elle est nue,
La plaintive douceur de Berthe, et de Simone
L'amour plus inconstant que les heures d'automne.
Quand il pleut, qu'aux trottoirs luisants, la nuit, scintillent
Les jeux roses des bars et que passent des filles,
Je songe à vous, impure Carmen, et j'évoque
Vos regards ambigus, votre charme équivoque.
Mais dans ce nu, dans ce froid décembre, Isabelle
De toutes tu parais la plus vivante et belle.
Des femmes, dans mes vers, ont noué leur guirlande.
Mais nulle plus que toi ne mérite une offrande.
Tendre corps, douces chairs de lait, de miel pétries,
Paupières que le fard n'a point encor flétries,
Oreilles que recouvrent des boucles nacrées,
Longues jambes brillant sous la soie ajourée,
Arc des pieds, que les Dieux, à mes vers, tour à tour
Donnent votre parfait et lumineux contour.
 
 
 
noël ruet (1898-1965). La Muse française (1926).
 
 
 
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24 janvier 2016 7 24 /01 /janvier /2016 14:54
Caillard
 
 
jour de semaine
 
 
 
La promenade est symétrique :
Là, le kiosque de la musique;
Une statue à l'air penché
Une église avec son clocher;
A l'autre bout une mairie
Dont la blancheur au soleil crie.

Des marronniers d'Inde s'en vont
En fidèle procession,
Et leur feuillage, dans les glaces
Des boutiques, se mire en face.
Suivant les trottoirs, des ruisseaux.
Au bord : les kiosques à journaux.

Huit heures. — Noires, trottinantes
Passent ces dames très ferventes
Allant au sacrifice saint
Sur semaine chaque matin.
En sortant, pour leurs médisances,
Vont au bureau... de bienfaisance.

Neuf heures. — Nobles étrangers
Qui descendent d'un train d'Angers.
Dix heures. — Messieurs gens d'affaires
Allant chez monsieur leur notaire.
Onze heures. — Messieurs professeurs
Du collège. Elèves flâneurs...

La place reste symétrique
Obstinément : kiosque à musique ;
Statue à l'air toujours penché
Même église sous son clocher ;
A l'autre bout même mairie,
Même pierre blanche qui crie.

Les marronniers toujours s'en vont
En fidèle procession,
Et leur feuillage, dans les glaces
Complaisamment, se mire en face ;
Plus d'eau dans les petits ruisseaux.
Toujours les kiosques à journaux.

Midi. — Messieurs fonctionnaires
Sortent lassés de ne rien faire.
Apéritif au « Radical ».
Complot : Le péril clérical.
Heure du déjeuner. La place
Déserte. Personne ne passe.

Les marronniers seuls toujours vont
En fidèle procession,
Leur forme reflétée en face
Par la complaisance des glaces.
La vendeuse au bord des ruisseaux
Déjeune en son kiosque à journaux,

Une heure. — Sans penser à mal
Ce sont messieurs du tribunal :
Petits potins à pas tranquille
Sans efforts ; digestion facile.
Trois trottins dressant le museau.
Commis. Clers d'avoués. Un vieux beau.

Deux heures. — Rentrée à l'audience
Repos. Chiens errants en vacances.
Cafés vides. Dames très bien
Sur leurs portes ne faisant rien.
Rentiers fatigués, mal ingambes,
Sur les bancs, canne entre les jambes.

Quatre heures. — Animation :
Sortent les punis de prison,
Et les greffiers, présidents, juges ;
De fonctionnaires déluge !
Apéritif au « Radical »
Complot : Le péril clérical !

Dames en visite en toilette.
Monsieur ganté : salut, courbette,
Chemin ensemble... Les rideaux
Des fenêtres ont des sursauts :
Sur la vertu des jeunes belles
Veillent les vieilles demoiselles.

Six heures. — Clercs d'avoués. Vieux beau.
Trois trottins baissant le museau.
Cafés pleins. On ferme l'église.
Et l'apéritif s'éternise...
Rentrée au foyer, à regret,
Pour ouïr les gosses pleurer.

Dernier repos : calme biblique
A l'entour du kiosque à musique.
Et la statue à l'air penché
Et l'église et son long clocher,
Montent blanches formes qui prient.
Dans le soir s'éteint la mairie.

Les marronniers d'Inde s'en vont,
Immuable procession,
Et leur feuillage lourd, en face,
Se meurt par degré dans les glaces.
Quelques feuilles dans les ruisseaux.
Fermés les kiosques à journaux.
 
 
 
charles-francis caillard (1886-1915). Les sagesses (1909).
 
 
villages de france
 
 
 
Cousance, Coligny, Dommartin et Cuiseaux,
Saint-Amour qu'on nomma Vincelle-la-Jolie,
Villages enchanteurs remplis de chants d'oiseaux,
J'évoque votre charme avec mélancolie.

Que de fois, en rêvant, un livre sous le bras,
Je fus, à l'aventure, au bord de vos fontaines,
Faisant à l'eau sauter, à chacun de mes pas,
Fuyantes, des grenouilles vertes, par dizaines.

Que de fois, étendu, les yeux levés au ciel,
Auprès d'un boqueteau d'où mille oiseaux s'envolent,
J'ai rêvé d'avenir, sans entendre l'appel
Des Muses qui chantaient sur la harpe d'Eole.

Arrête un peu, mon cœur, de battre et de frémir.
C'est là que j'ai connu ta splendeur, ô Nature,
Que j'ai trouvé le calme en regardant mourir,
Chaque soir, le soleil, maison, sur ta toiture.

Là, qu'éloigné du bruit menteur de la cité,
Je pus entendre enfin la voix de la sagesse,
Et voler, pour mes vers, cette fluidité
Qui coule aux ruisseaux clairs et chantants de la Bresse.
 
 
 
charles-francis caillard (1886-1915). La Muse française (1922).
 
 
dimanche
 
 
 
Le blanc Dimanche plat est sans bruit sur la ville,
Paresseusement, comme un lézard au soleil,
Dédaigneux de l’effort et des besognes viles,
Il s'attarde dans la langueur de son réveil.

Des femmes, au jardin calme, sont à rien faire,
Langoureuses en peignoirs blancs. Il fera chaud.
Il y a des oiseaux partout dans la lumière
Avec les premiers sons de cloches. – Il fait beau !

On se redit cela comme une découverte.
C'est le bonheur qu'on sent dans la beauté du jour.
Un homme avec un autre, à l'office, disserte
Sans hâte, en des mots clairs, avec du rire autour.

Des gens vont à la messe et referment leur porte.
- Comme il doit y avoir des amoureux aux bois!
Des amoureux comme des fleurs de toutes sortes !
Ils y sont gais sans doute et j'y fus, quelquefois.

Mais, ce matin, je n'aurais pas la force même
De m'attrister un peu d'amours que je n'ai plus ;
On est doux, sans savoir pourquoi, comme un poème,
Comme les arbres allégés quand il a plu…

Il n'y a plus de gens qui crient leurs marchandises,
Le clocher blond répand, tel un règne, sa voix
Qui baigne, comme un flot, tout autour de l'église,
Et réjouit le cœur des quartiers d'autrefois.

Il est plus fier que tous les jours : il est la Route.
Il importe et, dans toutes les maisons, on dit
« C'est donc l'heure déjà du déjeuner? Ecoute ?...
Voici sonner, là-haut, la messe de midi. »
 
 
 
charles-francis caillard (1886-1915). Mercure de France. (1911).
 
 
 
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23 décembre 2015 3 23 /12 /décembre /2015 17:17
Despax
 
 
carpe diem
 
 
 
Aime la vie. Et cueille au penchant de la treille,
Le matin clair, le midi fauve et le soir blond,
De l'heure transparente où sortent les abeilles,
A l'heure déjà trouble où rentrent les frelons.

Les Heures aux beaux pieds, dans leurs danses vermeilles,
Mènent au ciel nacré la ronde des saisons.
Suivant le mois, jouis en paix dans ta maison,
De l'âtre en feu, des fleurs, de l'ombre ou des corbeilles.

Le silence, coulant de la lande au verger,
Posera son poids bleu sur ton sommeil léger.
Vis sans douleur. Écoute et vois. Sache sourire.

Et bénis la beauté de la vie, en pensant
Que ton coeur est pareil au jardin, où l'on sent
Tant de roses s'ouvrir et tant d'ailes bruire.
 
 
 
emile despax (1881-1915). La Maison des glycines (1905).
 
 
la maison
 
 
 
La pente du jardin coule vers le ruisseau.
Sous un dernier rayon le sable craque et brille.
Entends, dans le chemin, ces voix de jeunes filles.
Le puits grince en un bruit de chaînes et de seaux.

Les bois mouillés avaient comme une odeur de cèpes.
Ils sentaient, à la fois, l'automne et le printemps.
Le tilleul tiède est plein d'une ombre bleue. Entends
Le cytise qu'emplit le murmure des guêpes.

Par les chemins des champs, nous sommes revenus
Vers le troène en fleurs, la vigne et les glycines.
Nous avons écouté, vers les berges voisines,
Le cri des gabarriers qui rament d'un bras nu.

Les bois ont étagé leurs masses violettes;
Mais la teinte des pins se trouble et se confond
Avec les mille bruits des aiguilles, qui font
Que le soir énervant, en s'endormant, halète.

Que je l'aime, la paix grave de ta maison
Mon coeur loin de la mort, ton cœur loin de la vie
A sa bonté profonde, en rêvant, se confient.
Est-ce le train, est-ce la mer, à l'horizon ?

Est-ce le train, est-ce la mer ? Silence. Écoute.
Vois monter, de l'Adour, le retour des troupeaux.
Prends cette lampe. Écarte, avec soin, ces rideaux.
Silence. On n'entend plus les chansons de la route.

Crois-moi, souris. Nous n'aurons pas perdu ce jour,
Et si quelque ombre, au fond de notre coeur, persiste,
C'est qu'aux cœurs les mieux faits il est doux d'être tristes,
Dans le désir ou dans le regret de l'amour.

Les rosés du jardin s'ouvrent à la rosée,
Un désir dé fraicheur me caresse et me mord.
Vois trembler cette étoile et vois cette autre encor.
Soyons sages, fermons à l'air froid la croisée.

Crains le parfum trop lourd de cet acacia,
Et regardons venir riant, brisant les branches,
Giflant les rosiers fous qui la mordent aux hanches,
Les bras chargés de fruits et de fleurs, Lucia.
 
 
 
emile despax (1881-1915). La Maison des glycines (1905).
 
 
ultima
 
 
 
Il pleut. Je rêve. Et je crois voir, entre les arbres
De la place vide qui luit,
Un buste en pierre et le socle de marbre.
Mon frère passe et dit : C’est lui.

Mon frère, vous aurez aimé les ports, les îles
Surtout le ciel, surtout la mer;
Moi les livres, les vers parfaits, les jours tranquilles.
Et nous aurons beaucoup souffert.
 
 
 
emile despax (1881-1915). La Maison des glycines (1905).
 
 
 
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29 novembre 2015 7 29 /11 /novembre /2015 09:30
Divoire
 
 
ronde des signes
 
 
 
Hé ! Hé ! Si Mars est dans la Lune,
Tu peux rire de ma colère
Hé ! si la Lune est dans Saturne,
Crains ce rêve qui persévère.

Hé ! Qu'arrive-t-il, compagnons ?
Hé ! par les cornes du Taureau,
C'est le soleil qui tombe à l'eau,
A l'eau qu'habitent les Poissons

Et je ne sais, Soleil et Lune
Qui me regardez à cette heure,
Si je me noie ou si je brûle
Et si je raille ou si je pleure.

Douze Maisons sont tout en rond
Et les danseurs y sont nombreux.
S'ils se bousculent ? Hé non, non !
Mais quel danseur chérir le mieux ?

Hé ? toi qui n'aimes point voir double
Et qui tranches tout avec morgue,
Me choisiras-tu dans la troupe
Une seule âme, ô psychologue ?
 
 
 
fernand divoire (1883-1951). Inédit (1913).
 
 
rondel de certains chats
 
 
 
Ces grands chasseurs câlins qui rêvent de conquêtes
Sommeillent, ongles fins crispés dans le velours,
Mais dans l'ombre où leurs corps s'étirent, chauds et lourds,
Ils ont l'orgueil malin des revanches secrètes.

Bourgeoisement, au pied des grands fauteils honnêtes,
Limités aux murs clos, goûtant le demi-jour,
Ces grands chasseurs câlins qui rêvent de conquêtes,
Sommeillent, ongles fins crispés dans le velours.

Ils gardent pour eux seuls leurs rites et leurs fêtes,
Souvenirs de galops éperdus et d'amours
Dont ils guettent, soumis et têtus, le retour,
Les muscles attentifs et les vingt griffes prêtes,
Ces grands chasseurs câlins qui rêvent de conquêtes.
 
 
 
fernand divoire (1883-1951). Le Divan (1910).
 
 
le voyage de l'âme
 
 
 
En deux troupes vont les âmes des morts.
L'une s'attache, obstinée, à la terre;
Autour de nous, lourde, affligée, elle erre.
Et l'autre, au sûr et prompt essor,
Forme des chœurs et des rondes splendides
Dans la lumière où vit pour le total accord
Chaque étoile et son nombre et son chantant essor.

Errant, errant, avoir un guide !
 
 
 
fernand divoire (1883-1951). Orphée, (La Renaissance du Livre, 1922).
 
 
 
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25 octobre 2015 7 25 /10 /octobre /2015 10:22
Gilbert Charles
 
 
odelette
 
 
 
Folle fille de la terre,
Que n'est-ce ton doux profil
Cette étoile sur un fil
Qui tremble dans les ténèbres !

De la profondeur des nues
Tu jaillis riante et nue
Comme une rose qui chante
Et qui danse
Sur la pointe d'un jet d'eau.

Une merveilleuse aurore
Illumine ton regard
Mais quand vient le crépuscule
C'est le flot de l'amertume
Qui ruisselle sur ton cœur.
 
 
 
gilbert charles (1907-1944). La Muse française (1937).
 
 
épigramme
 
 
 
Tes yeux ont la couleur du sable
Et tes cheveux l'odeur du vent;
Comme l'air ton âme est instable,
Comme l'eau ton cœur décevant.

La bise chasse la poussière
De nos anciennes amours
Qui danse sur le cimetière.

Quand reverrons-nous les beaux jours ?
 
 
 
gilbert charles (1907-1944). La Muse française (1937).
 
 
épigramme
 
 
 
Ni la princesse Coraline
Qui sait les secrets de l’amour
Et les rites de la divine
Sagesse qui se rit du jour,

Ni ce mandarin hors d’haleine
Sous un ciel immobile et dur
Ne pourront apaiser la peine
Qui naquit d’une robe d’azur.

Dans un bleu palais de faïence
Qu’on te parle de Kouong-Tseu
Et que la plus pure science
Te vienne consoler un peu,

O toi qui sais que dans cette ombre
Où le pavot s’épanouit
Rien n’existe plus, ni le sombre
Amour, ni la mort – ni l’ennui.
 
 
 
gilbert charles (1907-1944). Le Divan (1928).
 
 
 
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27 septembre 2015 7 27 /09 /septembre /2015 14:43
Claude Odilé
 
 
printemps anglais
 
 
 
I. - L'Orme.
 
Candide aux plaines cristallines
L'orme murmure des chansons.
Vois-tu les voiles des collines
Qui volent vers les horizons ?

Rouge et grise tachant la plaine
La ville rit vers le matin.
Les vents parfumés de verveine
Accourent des champs argentins...

Ils viennent de loin comme un désir
Qui dans les âmes balbutie.
Ils vont renaître; ils vont mourir.
Ils sont aquilons et zéphirs —

Insaisissables vents que je voudrais saisir!
 
II. - Bercement.
 
Le clapotis léger des barques et des branches
Se mêle à la douceur des parfums du tilleul.
Les mouvements du vent dans les frondaisons blanches
Sont si lents qu'on s'étonne et se plaint d'être seul.

Je ne sais plus les noms des fleurs, ni des villages.
Je ne sais plus les bruits des feuilles, ni des pas.
Je me souviens des nuits qui soupirent, volages,
Et je guéris d'un mal que je ne connais pas.
 
 
 
claude odilé (1881-1957). Le Divan (1913).
 
 
nuit
 
 
 
C’est la nuit qui revient de son aile plaintive
Se bercer dans le vent, sur l’eau, parmi les fleurs.
Elle vole vers l’île où l’onde mate arrive
Qui se grise de soir, de sons et de rumeurs.

Une étoile s’endort sur les célestes grèves ;
Un lent voilier se perd dans les brumes de lait…
Etends tes bras noueux, platane de mes rêves,
Noir, sur le fond du lac, dans les cieux violets !
 
 
 
claude odilé (1881-1957). Le Divan (1913).
 
 
mouettes
 
 
 
Sans les mouettes des mers qui viennent de Hollande
Remonter en criant l’argent et l’or du Rhin,
Je ne rêverai plus des genêts ou des landes,
Lorsque l’oubli revient dans les cœurs souverains.

Sur les plages d’Armor, la brise qui persiste
Efface un souvenir où s’effacent nos pas…
Goélands ! Goélands ! Mer d’Ys ! Rivages tristes !
Est-ce vous que je cherche et je ne trouve pas ?
 
 
 
 
claude odilé (1881-1957). Le Divan (1913).
 
 
oiseau
 
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30 août 2015 7 30 /08 /août /2015 08:52
Charles Forot
 
 
petite suite automnale
 
 
 
I. - Parce que tu donnas...
 
Parce que tu donnas trop de rêve à l'amour,
Les femmes ont trahi de belles destinées;
Mais quand malheurs et deuils marqueraient les années,
Pourquoi fermer les yeux à la beauté du jour ?

En ce vieux « Pigeonnier » aux coins hantés de songes,
Vois l'arrière-saison mourir avec douceur
Et, pour guérir ce mal d'amour que tu prolonges,
Sache à ta solitude accoutumer ton cœur.

Mêle tes souvenirs au feuillage qui tombe :
Sous ses ors plus subtils que les ors de l'été
Des puissances de vie ont encor palpité,
Car l’avenir fleurit toujours sur quelque tombe !

En tant d'appels viendront des sites que parfois,
Au désert de toi-même où l'orage au loin tonne,
Tu ne sauras plus bien distinguer en ces voix
Les soupirs de ton cœur et le chant de l'automne.
 
II. - Tandis que dans le froid...
 
Tandis que dans le froid se rouillent,
Comme des gorges de faisans,
Les châtaigniers, et se dépouillent
Les merisiers incandescents,

Et que sous les brumes malignes
Le soir paiement nuancé
Semble, dans sa douceur de lignes,
Enclore un site du passé,

Vous qui pouviez me faire vivre
Mes plus beaux rêves, revenez
Sentir l'odeur qui vous enivre :
Celle des feuillages fanés.
 
III. - Si la gloire...
 
Si la gloire fuit ton front,
Si ton coeur est solitaire,
D'autres douceurs te viendront
Des largesses de la terre.

Goûte à ces plaisirs subtils
Que dédaigne le vulgaire :
Les jeux d'amour, que sont-ils ?
Un peu de savante guerre!

Car la chair déçoit la chair,
Et souvent l'âme se leurre.
Mais surprends le frisson clair
Du coteau qu'un ciel effleure,

Et jouis des tons vineux
D'une allée où novembre ose
Glisser, plus fragile en eux,
Sa dernière et pâle rose.
 
 
 
charles forot (1890-1973). La Muse française (1922).
 
 
vers
 
 
 
Plus tard, en cette heure d'or
Où tu te recueilles
Quand les châtaigniers encor
Verront choir leurs feuilles,

Sous la coupe de cristal
D'un ciel gris et rose
Où cède au destin fatal
La dernière rose,

Où, coureur des champs, le vent
Hérisse la meule
Tu sentiras l'émouvant
Regret d'être seule.
 
 
 
charles forot(1890-1973). La Ronde des Ombres (1922).
 
 
instants vivarois
 
 
 
I. - Printanière.
 
L'une blonde, un sourire unique,
Des lèvres et des yeux,
Grands yeux couleur de véronique,
Fervents et lumineux.

L'autre châtaine aux nobles hanches
Candides, le teint haut,
Qui, pour piller des fleurs aux branches,
Cambre un corps sans défaut;

Et tandis que va la châtaine
Cueillir les fleurs du champ,
Toute au printemps, l'âme lointaine,
La blonde se couchant

A l'ombre d'un Pin bas sommeille,
Belle et le rire aux dents.
Mais la cueille use, au jeu vermeille,
Prend les rameaux pendants.

A pleines mains et les secoue
Sur celle qui dort, Et, pollens,
sur la tendre joue
Pose un nuage d'or.
 
II. - Ce matin.
 
Lointain déjà dans ma mémoire
Ce matin d'un cristal gris- bleu !
La Daronne était une moire
D'argent sous l’automne de feu.

Rosée, était-ce bien l'automne ?
Tout riait, si tendre et si frais,
De cette frange qui festonne
De gouttelettes un cyprès

A cette divine lumière
Qui chante dans le peuplier.
Ami Parnin, l'aube première
Sous nos yeux semblait s'éveiller !

Un printemps qui de reflets d'ambre
Et de rayons d'or se coiffait !
Etait-ce un matin de septembre ?
Grâce fragile, accord parfait,

L'heure pure comme une larme,
Eût souffert d'un éclat de voix,
Mais laissa dans mon cœur ce charme
Du soleil, des eaux et des bois.
 
III. - Dans le brouillard.
 
Dans le matin mouillé je vins tirer la grive,
Et je vous vis alors vous confier aux vents,
Brouillard errant par les ravins, à la dérive,
Puis gonfler vers les monts vos longs voiles mouvants.

Brouillard de toutes parts, odeur âcre humée
Si souvent quand l'automne habite la forêt,
Odeur de moisissure et d'humide fumée,
Brouillard houleux, blafard en qui tout disparaît,

Ah! créez devant moi de plus secrets royaumes,
Que l'âme de ma terre agite vos réseaux.
Vous avez fait des bois un peuple de fantômes
Où je semble guetter les ombres des oiseaux…
 
 
 
charles forot (1890-1973). La Muse française (1930).
 
 
corbeille de fruits
 
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26 juillet 2015 7 26 /07 /juillet /2015 13:41
Marcel Ormoy
 
 
poème
 
 
 
Amis, vous mettrez sur ma tombe,
Non pas le saule de Musset
Dont le trop clair symbole, c'est
Une source en pleurs et qui tombe,

Mais de moins tristes attributs;
Car si ma vie eut peu de charme,
J'ai versé quelques douces larmes
Dans la coupe amère où je bus.

La joie à la douleur s'allie.
Alternez donc sur ce coeur lourd
Le pois de senteur pour l'amour,
L'oeillet pour la mélancolie.
 
 
 
marcel ormoy (1891-1934). Le Coeur lourd (1926).
 
 
ile saint denis
 
 
 
La vieille Seine, un quai rouillé
Et le rêve au flanc des Péniches,
Ah! que nous sommes encor riches
D'un bonheur tendre et dépouillé !

Tant de jours perdus, tant d'années
A la dérive sur la mer,
Il suffit d'un lucide éclair
Pour qu'y sombrent nos destinées,

Mais, tristes vaisseaux enfouis,
Qu'en reste-t-il, arbres tranquilles
Qui sur la plus calme des îles
Versez des songes éblouis ?

Et quel autre avenir se creuse,
O ma sœur, devant tes genoux
Quand vient s'accouder près de nous
Une grande ombre douloureuse ?
 
 
 
marcel ormoy(1891-1934). La Muse française (1936).
 
 
marbre
 
 
 
A quelle fontaine vouée
Cette nymphe ? Nous en rêvions
Par un soir plein d'allusions.
Était-ce hier ou l'autre année ?

Ah! tout recommence, ô ma sœur !
Tout revient, hormis la jeunesse.
Mais quoi ! d'être encor jeune qu'est-ce
Sinon ce battement de cœur,

Sinon dans l'eau mélancolique
Ce marbre toujours reflété
Où nous confondions, l'autre été,
Notre amour avec sa musique ?
 
 
 
marcel ormoy (1891-1934). La Muse française (1936).
 
 
fontaine 2
 
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Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01
 
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