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27 novembre 2011 7 27 /11 /novembre /2011 14:43
 
 
la sologne aux étangs
 
 
 
De ces châteaux au front sévère, au grave accueil,
Le Chêne-Rond, la Loge aux Cerfs, la Fauconnière,
Le gentilhomme-loup, terré dans sa tanière,
Ne sort que pour courir le lièvre ou le chevreuil.

Là, vit un monde un peu lointain, presque fossile.
Là, tenant son esprit raide comme le corps,
Dans des abois de chiens, des fanfares de cors,
Une race hautaine avec morgue s'exile.

Des hobereaux distants, nourris de préjugés,
Sont les chefs désuets de très vieilles familles
Où s'ossifie un lent convoi de saintes filles
Qui ne quittent jamais des parents très âgés.

Et dans leur vie atone, immuablement blanche,
Où l'amour n'a passé qu'à travers des romans,
Les visites seraient les seuls événements,
Si Monsieur le Curé ne dînait le dimanche.
 
 
 
andré foulon de vaulx (1873-1951). Le Vent dans la nuit (1920).
 
 
paysages de normandie
 
 
 
Des chemins creux bordés de hêtres et d'ormeaux,
Entre deux hauts talus où quelque chèvre broute,
S'engagent sur le blanc poussiéreux de la route
Et cernent de fraîcheur la grâce des hameaux.

Ce ne sont que sentiers que le feuillage encombre,
Petits prés habités par des pommiers en fleurs,
Murailles de fourrés pleines d'oiseaux siffleurs,
Corridors de verdure où règne la pénombre.

C'est Manneville ; c'est Ectot ; c'est Saint-Léger ;
Et, proprette, disant une vie humble et vraie,
La moindre des maisons, qu'environne une haie,
Mêle à l'air embaumé l'odeur de son verger.

Et, le long d'un couloir que la broussaille emmure,
Dans les taillis, surgit parfois, inopiné,
Le museau gauche et vif d'un poulain étonné
Qui s'exerce les dents à ronger la ramure.
 
 
 
andré foulon de vaulx (1873-1951). L'Allée du silence. (1904).
 
 
matin d'automne
 
 
 
Septembre aux pieds cornus et coiffé de raisins
Secoue au grand soleil sa chevelure jaune ;
Et glorieux, vêtu de pampres, tel qu'un faune,
Il danse un pas furtif à l'entour des bassins.

Dans l'eau de plomb qui dort d'un lourd sommeil, il mire
Son visage pensif et sa fauve toison ;
Son rêve a la langueur de l'arrière-saison,
Et sa tristesse est d'or autant que son sourire.

Les feuillages sont roux, du manteau qu'il revêt.
Il étend son ampleur sur l'herbe calcinée.
Dans le calme engourdi de cette matinée
Son souffle imperceptible est doux comme un duvet.

Sa sérénité molle avec faste allongée
D'un geste solennel s'étire noblement ;
Et l'Heure, sous le bleu voilé du firmament,
Dispose en réseaux lents sa tiédeur orangée.

Sous les bois, des rayons d'ambre et de nacre ont lui,
Où le vol d'un insecte ivre d'air se balance.
Tout le parc est grisé d'un inerte silence :
Versailles se complaît dans un auguste ennui.

Et dans le cœur aussi que l'amour abandonne
La sève se dessèche et s'en va peu à peu.
Les baisers qu'on échange ont comme un goût d'adieu :
Et ce n'est pas l'hiver, mais c'est déjà l'automne !
 
 
 
andré foulon de vaulx (1873-1951). L'Allée du silence. (1904).
 
 

 
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19 novembre 2011 6 19 /11 /novembre /2011 23:12
Olivier Calemard de La Fayette
(1877-1906)
 
Petit-fils de Charles Calemard de la Fayette, député et auteur de divers ouvrages, entre autres le Poème des champs, Olivier naquit au Chassagnon, par Langeac (plateau voisin de la vallée de l'Allier), le 27 août 1877. Il appartenait à une vieille famille du Velay. Ses études brillamment achevées dans un collège provincial, il vint à Paris, suivit les cours de la Faculté des lettres et, en 1901, obtint sa licence. Sa carrière fut brève. Apres un voyage en Allemagne (Strasbourg, Heidelberg, Erfurt), il débuta dans les jeunes revues et fit paraître un unique volume de vers : Le Rêve des Jours, simple bouquet semé sur le chemin de la tombe. D'une santé précaire, au retour d'une saison passée à Baden, il ressentit les premières atteintes du mal qui devait l'emporter. Il mourut d'une fièvre typhoïde, le 13 octobre 1906, dans la maison qui l'avait vu naître et grandir. Il n'avait point atteint sa trentième année. Ses derniers poèmes, pour la plupart recueillis dans des revues, font la matière d'un ouvrage posthume qui, sous ce titre La Montée, est parut en 1909.
Olivier de la Fayette est un disciple des poètes symbolistes ; mais il a ajouté à « l'hermétisme » de ses modèles une tendresse où s'allient l'amour des choses de la nature et un souvenir souvent poignant des paysages de son pays. On l'a dit : « C'est aux confins de l'Auvergne et du Velay, de ce Velay qu'il devait si souvent et si amoureusement chanter, que se déroula l'enfance d'Olivier Calemard de la Fayette, à l'ombre du château familial du Chassagnon, près de Saint-Georges-d'Aurac et de la ville morne du Puy... L'héritage ancestral lui a transmis l'amour du ciel natal et le goût du terroir... Le « vieux sol de lave », les « labours d'argile rouge ou brune », les « orgues de pierres » et la « senteur d'ozone et de terre mouillée, de végétaux froissés, d'orage et de blé noir » qui monte, sous le vent de Limagne, des vallons des Estreïs aux pics de Mézenc, lui sont, comme à son aïeul, des choses familières. »(L. Bauzun, Olivier de la Fayette.)
Olivier de la Fayette a collaboré diverses revues, dont Vers et Prose, La Plume, L'Ermitage et Le Mercure de France.
 
Le Rêve des Jours (Paris, Sansot, 1904), La Montée (Paris, Hachette, 1909).

 

   
 
Hiems nova
 
Pour fêter le retour normal de l’âpre hiver.
J'ai gravi, dès le jour, ma montagne rouillée.
Le vent du nord-ouest a soufflé tout hier.

J'en voulais savourer la rafale mouillée,
Jeux de pluie aux clartés du ravin partiel,
Sur le treillis brumeux des branches dépouillées.

La lumière est instable aux décors irréels
Des vallons d'ombre ensoleillés de claire brume
Où se joignent, pour fuir, des lambeaux d’arc-en-ciel.

Le roc ruisselle et luit et les pics d'argent fument.
Sous le vent brusque obstinément ailé de nuit,
Et l'aile sombre éteint le rayon qui s'allume;

Et tout le paysage pâle tourne et luit,
Cependant qu'au taillis fauve des petits chênes
Chaque feuille légère et plaintive bruit.

Et le mont tout entier pleure des larmes vaincs.

                               *

Ah! fuyez, derniers étourneaux, par bandes souples!
Virez, dans le brouillard, d'un miroitement d'ailes.
Pour qu'en votre étain mat vibre quelque étincelle!

Déjà les corbeaux tournoyants voltent par couples,
A contre-vent, là-bas, presque légers et grêles
Sur l'abîme, perdus aux remous des nuages.

Et boivent le désir de leurs amours sauvages.

                              *

L'hiver! l'hiver! la chambre tiède où l’on va suivre,
A travers le poème obscur et doux du livre,
Aux songes des carreaux que le frimas fait vivre,
La fougère ou le lys qui s'inscrivent en givre !
 
     
 
Olivier Calemard de La Fayette. (1877-1906), Le Rêve des Jours (1904)
 
 
Vent de Limagne

                                               Pour Henri Cellerier.

J'aime la brise incertaine et frivole
Dont le frôlis n'émeut que les corolles
Légères, les frisselis doux des folioles
Au faîte gris des trembles grêles,
Et la ronde ténue et frêle qui s'envole,
Des éphémères sur les prêles...

— J'aime avec toi, surtout, le vent large et puissant.
Je n'ai pas tes sapins dans les sables, tes landes,
Tes horizons barrés de vols éblouissants,
Ni l'or de tes sous-bois alourdis de lavande;

Mais la sève frémit en mon vieux sol de feu,
Mes prés touffus et verts s'étoilent de narcisses,
Mes terreaux mordorés font des pétales bleus,
Et de hauts boutons d'or penchent leurs lourds calices.

Pour garder mes labours d'argile rouge ou brune,
J'ai des orgues de pierre en prière, où s'unit
L'extase de la vague à l'orgueil du granit,
La grâce de la houle aux splendeurs de la dune.

Et tu croirais qu'aux jours des fusions premières,
Le vent de mes sommets a durci brusquement
Les laves qui roulaient leur clair bouillonnement
Hors du rose cratère aux vapeurs de lumière.

J'ai de jaunes iris qui flambent dans les joncs.
J'ai des roseaux géants jaillis de l'eau rouillée;
Mes printemps font gonfler de monstrueux bourgeons.
Mes automnes des fruits pesants par corbeillées.

Oui, j'aime le grand vent sur tout cela, le soir,
Le vent du nord-ouest chargé de pluie et d'ombre
Qui pousse sur nos monts, d'un bref coup d'aile noir.
Avec des vols obscurs, la Fécondité sombre !
 
     
 
Olivier Calemard de La Fayette. (1877-1906), Le Rêve des Jours (1904).
 
 
Poème
 
                                           ... tu, lentus in umbra..

Que de poudroiements blonds tamisent la feuillée
Sur l'ombre claire où se bercent les tiges chaudes,
Près du rayon vivant qui glisse, danse et rôde
De la ronce fleurie à la rose mouillée !

Toi, couché sur la berge entre les roseaux jaunes,
Vois à travers tes cils qu'irise la lumière
Trembler des reflets d'eau sous les feuilles des aulnes,
Et, comme en un palais d'irréelles verrières,
Par-dessus les blocs d'ombre et les lourdes fougères,
Vibrer les libellules d'or de la clairière !

                                 *

Ah! laisse pour un jour ta chimère et sommeille !...
Sous la verte clarté qui croule des ramures
Et brûle au front du saule en lumières vermeilles
Que la brise balance au rythme d'un murmure,
Les doux moucherons bleus ont du ciel sur les ailes...
Et tes yeux large ouverts où le soleil ruisselle
Voient passer dans son or leur prisme en gouttes pures!

Ah! qu'importe à ton cœur fatigué le problème
Dont la douleur se mêle au souffle des lilas ?
Il ne veut plus savoir s'il le porte en lui-même,
Le compagnon divin qu'il ne rencontre pas !

Les cloches des troupeaux tintent dans la hêtraie...
On entend le bétail brouter près du taillis...
— Eloigne ce désir céleste qui t'effraie,
Dors, sous les peupliers puissants et recueillis.

Et que tu sois le dieu- qui se retrouve à peine
Ou la bête qui monte en créant l'idéal,
Dis a ton âme, en f endormant, que la fontaine
Ignore sans souffrir la cascade du val!

Vois, deux martins-pêcheurs éclatants se poursuivent
Jusque dans l'ombre où luit le feu bleu de leur col:
Laisse, laisse comme eux, sur les fraîches eaux vives,
Ton rêve fuir sans but, pour le plaisir du vol!
 
     
 
Olivier Calemard de La Fayette. (1877-1906), Vers et Prose (décembre 1906).
 
 

fleur-3.jpg

 
 
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6 novembre 2011 7 06 /11 /novembre /2011 20:25
Henri Martineau
(1882-1958)
 

Henri Martineau est né le 26 avril 1882 à Coulonges–sur-l’Autize (Deux-Sèvres). Il est le second fils du médecin Ferdinand Martineau, descendant d'une famille établie dans la région au XVIIIe siècle. Passionné très jeune par les lettres, il écrit ses premiers vers à l’âge de 15 ans. La fréquentation des muses ne lui interdit pas de mener à bien des études scientifiques d'abord à l'Ecole de Médecine de Poitiers puis à la Faculté de Médecine de Paris dont il suit les cours de 1903 à 1907. Il rentre alors à Coulonges–sur-l’Autize pour prendre la succession de son père. Esprit précis et rigoureux et caractère énergique lui valent très vite une réputation d’excellent praticien.

Il publie son premier poème en 1903 dans la revue Royan, qu’Henri Clouzot édite à Niort, et il fait paraître entre 1905 et 1907 trois beaux recueils de vers, Les Vignes mortes, Mémoires et Acceptation. Henri Martineau s'est expliqué sur sa conception de la poésie dans une mince brochure, La Poésie et la Musique : « Si la poésie est particulièrement une connaissance, une connaissance intuitive du monde, il ne faut pas surtout confondre cette effusion de l'âme avec la versification qui n'est qu'un moyen de l'atteindre. La versification, c'est un gaufrier et tout dépend de la pâte que l'on y coule; il importe qu'elle soit faite toujours de la plus fine fleur du froment. Un Boileau se sert du vers pour frapper fortement une sentence, et cependant il est plus rarement poète que le Jean-Jacques Rousseau des Rêveries d'un promeneur solitaire ou que le Loti de tant de merveilleuses descriptions et qui, tous deux, n'ont écrit qu'en prose. »

Henri Martineau est avant tout un grand critique littéraire et un découvreur de talents. Il crée la revue littéraire Le Divan, dont le premier numéro parait à Coulonges–sur-l’Autize en janvier 1909, et qu'il dirige jusqu'à sa mort, le 21 avril 1958. A partir de 1921, il s'établit libraire et éditeur à Paris. Il est le promoteur infatigable de Stendhal au XXe siècle, son éditeur et l'un de ses meilleurs spécialistes. Il assure également la promotion d’un grand nombre de poètes et d’écrivains de sa génération, comme Paul-Jean Toulet, Jean-Marc Bernard ou Tristan Derème. Avec son ami Eugène Marsan, il figure parmi les fondateurs de la Revue critique des idées et des livres.

 
Les Vignes mortes (Niort, Léon Clouzot, 1905), Mémoires (Niort, Léon Clouzot, 1906), Acceptation (Niort, Léon Clouzot, 1907).
 
 
 
Prélude
 
Dans l'ordre continu des effets et des causes,
Sans rompre le silence unanime des jours,
La tendresse et la joie à vos côtés éclosent.
Comme au coeur du printemps la première des roses
Parmi de lourds lilas met un frisson d'amour.

La vie adamantine ouverte à vos pensées
Prend soudain la fraîcheur de ces jardins du soir
Où l'on goûte, rêveur, les paumes appuyées
Aux balustres verdies des terrasses mouillées,
Le charme languissant des sonnets de Ronsard.

Au vaste paysage enfin l'oeil s'accoutume
Et l'étang endormi conduit vers l'horizon
Un miroir que le ciel à son couchant allume
De feux si nuancés par les discrètes brumes
Que ce calme décor enchante la raison.

Car tout ressentiment, la haine et la colère,
Le désespoir d'un front douloureux et voilé
Se sont évanouis dans la pure lumière;
Et la sérénité qui monte de la terre
Enivre un songe encor sans audace et troublé.

Se peut-il que d'un coup aveugle la fortune
Ait pour jamais changé ce stérile destin?
Tristesse ! Souviens-toi de nos fièvres communes
Quand des larmes perlaient au bord des cils et qu'une
Angoisse sans parole abritait notre sein!

Dans la nuit lamentable, ironique et glacée,
Où scintillaient en vain les constellations,
Ni le grand chariot, ni la pâle Céphée
Ni les pleurs d'Andromède et de Cassiopée
Ne pouvaient étouffer le cri des passions.

Aussi quelle douleur prend ce beau sortilège
Où quand rien d'autrefois ne se peut oublier,
L'âme, craintive et seule, en hésitant s'allège
Du poids de ses terreurs dont le flottant cortège
Là-bas dans le brouillard gagne les peupliers.

Cette heure frêle, qui sur moi s'appuie et tremble
Jamais je n'eus osé l'attendre ou la choisir,
Et celle la plus blanche et la plus tiède ensemble
Qui berça mon enfance et de loin lui ressemble
N'eût point même tenté d'éclairer mon désir.

Et si le souvenir de sa fidèle image
Vient de se réveiller en mes yeux éblouis,
C'est comme dans les eaux le reflet d'un nuage
Ou dans la glace clair un mobile visage :
Le dessin passager en est vite aboli.

Mais lorsque le rappel d'une plainte infinie
Vient nimber à propos d'une ombre de pastel
Ce soir tout de mesure et d'ordre et d'harmonie
Où le moindre détail à l'ensemble se plie
Selon la loi vivante et le rythme éternel,

Je ne puis oublier cette souffrance humaine
Ni l'invincible attrait qui me lie à mon sort; -
Et que royalement une extase m'entraîne,
Je ne tâcherai plus d'échapper à ma chaîne
Et je consens enfin aux rigueurs de la mort.
 
     
 
Henri Martineau. (1882-1958), Revue Le Divan (1910)
 
 
Soir d'été
 
C'est au soir de l'été qu'elle poussa ma porte
Et dit, en se laissant tomber sur le divan :
"Cette course en auto fut folle, je suis morte,
Et mes cheveux défaits se souviennent du vent."

Puis elle rattacha qui toujours se dénoue
Sa jarretelle jaune, épingla son chignon,
Et poudra son menton volontaire et ses joues
Que le soleil avait hâlés comme un brugnon.

Mais le plaisir fardait d'aurore son visage
Quand elle reposa son front sur les coussins
Et que, par l'échancrure offerte du corsage,
On voyait palpiter dans l'ombre un de ses seins.
 
     
 
Henri Martineau. (1882-1958), Revue Le Divan (1923).
 
 

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29 octobre 2011 6 29 /10 /octobre /2011 17:03
 
 
l'île lointaine
 
 
 
Je suis né dans une île amoureuse du vent
Où l'air a des senteurs de sucre et de vanille
Et que berce au soleil du tropique mouvant
Le flot tiède et bleu de la mer des Antilles.

Sous les brises, au chant des arbres familiers,
J'ai vu les horizons où planent les frégates
Et respiré l'encens sauvage des halliers
Dans ses forêts pleines de fleurs et d'aromates.

Cent fois je suis monté sur ses mornes en feu
Pour voir à l'infini la mer splendide et nue
Ainsi qu'un grand désert mouvant de sable bleu
Border la perspective immense de la nue.

Contre ces souvenirs en vain je me défends.
Je me souviens des airs que les femmes créoles
Disent au crépuscule à leurs petits enfants,
Car ma mère autrefois m'en apprit les paroles.

Et c'est pourquoi toujours mes rêves reviendront
Vers ses plages en feu ceintes de coquillages,
Vers les arbres heureux qui parfument ses monts
Dans le balancement des fleurs et des feuillages.

Et c'est pourquoi du temps des hivers lamentables
Où des orgues jouaient au fond des vieilles cours,
Dans les jardins de France où meurent les érables
J'ai chanté ses forêts qui verdissent toujours.

O charme d'évoquer sous le ciel de Paris
Le souvenir pieux d'une enfance sereine
Et dans un Luxembourg aux parterres flétris
De respirer l'odeur d'une Antille lointaine !

O charme d'aborder en rêve au sol natal
Où pleure la chanson des longs filaos tristes
Et de revoir au fond du soir occidental
Flotter la lune rose au faîte des palmistes !
 
 
 
daniel thaly (1879-1950). Le Jardin des tropiques (1911).
 
 
l'asile du rêve
 
 
 
Cette maison bâtie au bord de la presqu'île,
Où de blancs paille-en-queue ont suspendu leur nid,
S'élève en la clarté de l'éther immobile.
Sur le spectacle éblouissant de l'infini.

La falaise est aride au seuil de la terrasse
Et, seuls, quelques cactus hérissent ce désert,
Mais par une croisée ouverte sur l'espace
On voit tout l'horizon, les îles et la mer.

On y vit dans l'odeur salubre du rivage.
Quelquefois un navire et l'ombre d'un nuage
Troublent au loin le miroir pur des grandes eaux.

Le silence de l'air repose la pensée ;
La rêverie, au chant de la vague bercée,
Suit en l'azur le vol décroissant des oiseaux.
 
 
 
daniel thaly (1879-1950). Le Jardin des tropiques (1911).
 
 
au jardin du luxembourg
 
 
 
Ile pleine d'oiseaux, de branches, de corolles,
Dans l'océan noir de Paris,
Luxembourg où le soir, au sortir des écoles,
Nous menions nos rêves fleuris.

Quand sous tes marronniers s'étendent les ombrages
Et les profondeurs d'un sous-bois,
Que les reines de France au bord de tes feuillages
Semblent sourire à l'Autrefois,

Des garçonnets jolis comme des oiseaux frêles
Sur ton bassin lancent le soir
Des bateaux ingénus où frissonnent les ailes
Merveilleuses d'un jeune espoir.

Quand l'automne sanglant traîne ses fauves moires
Sur les roses de tes bosquets,
De beaux ramiers rêveurs dans tes ramures noires
Imitent de sombres bouquets.

Puis, au mois où du songe éternel des statues
La neige épouse la blancheur,
Ton allée où les voix des feuilles se sont tues
Se fait plus douce au promeneur

Dont le cœur tourmenté par l'angoisse des villes
Éprouve en ton grave décor
Le solennel regret des campagnes tranquilles
Où flotte l'odeur du bois mort...

Luxembourg ! tu fus cher à mes beaux jours d'Europe ;
J'ai médité de tendres vers
Au bord de ta fontaine où l'œil du noir Cyclope
Voit les platanes à l'envers.

Sous la chanson d'un arbre aux branches vigoureuses
Qu'aux printemps derniers tu berçais,
J'ai retrouvé l'odeur des provinces heureuses
Qui parfument le ciel français.

Et parfois, le cœur plein d'une indicible peine
Dans l'or de tes soleils de Mai,
J'ai cru, parmi tes fleurs, respirer une haleine
De mon île au souffle embaumé !
 
 
 
daniel thaly (1879-1950). Nostalgies françaises (1913).
 
 

 
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30 septembre 2011 5 30 /09 /septembre /2011 10:25
 
 
palma de mallorca
 
 
 
J'habite dans Palma la fonda de Majorque
Où je m'endors dans un grand lit à baldaquin,
D'héraldiques dessins ornent les hautes portes,
L'air bleu fait palpiter les palmiers du jardin.

La demeure est immense où chaque pas éveille
L'écho des longs couloirs dallés, puis brusquement
C'est la terrasse avec des pigeons et des treilles
Et l'enfilade encor de clairs appartements.

La vie est alentour large et patriarcale,
Avec les mœurs, avec les meubles de jadis,
Et chaque jour ramène à la table frugale
Les faïences à fleurs et les fruits du pays.

Je voudrais vivre là, par les chaudes journées
Où brûle le soleil comme un morne brasier,
Ou la mer est en feu, où de rares bouffées
Viennent avec le soir; j'y ferais disposer,

Au fond des corridors sonores et pleins d'ombre
Où la fenêtre ouverte éblouit de soleil,
Quelque fauteuil léger qui me berce et m'endorme
Par les après-midi de flamme et de sommeil.
 
 
 
henry muchart (1873-1954). Les Balcons sur la mer (1901).
 
 
en l'honneur de la vigne
 
 
 
La Muse doit chanter dans les temps où nous sommes
Les lourds muscats gonflés de soleil et d'arômes,
Le Banyuls parfumé comme un rayon de miel,
Les vignobles puissants de la plaine et des côtes
Et les grenaches noirs de nos collines hautes
Que le vent de la mer givre d'un peu de sel.

Tant que l'âme de notre race n'est pas morte,
La treille hospitalière, au-devant de la porte,
Doit balancer son ombre heureuse et ses fruits mûrs,
Enguirlander les puits où l'eau s'égoutte et chante
Et festonner les toits dont la tuile éclatante
Fait de roses lueurs sur le revers des murs.

De la riche Salanque aux plateaux de Cerdagne,
Les grands mulets, le long des routes de montagne,
Sous les pompons de laine et les grelots tintants,
Doivent porter, comme autrefois, aux flancs des outres,
Vers les mas aux plafonds blanchis barrés de poutres,
Les vins rouges et les rancios étincelants.

Et les fils de nos fils doivent goûter encore,
Quand l'automne rougit les pampres ou les dore,
L'Ivresse de septembre et ces immenses soirs
Qui teignent de reflets les montagnes neigeuses,
Ces soirs hâtifs, emplis de voix de vendangeuses,
De parfums de raisins et de bruits, de pressoirs.

Chaude liqueur, sang de la terre catalane,
Gloire du vigneron que le soleil basane,
Réconfort des blessés, Banyuls, présent des dieux,
Dore-toi lentement dans les caves profondes,
Allume tes rubis et tes topazes blondes
Et rends-nous l'âme forte et grave des aïeux !
 
 
 
henry muchart (1873-1954). Les Fleurs de l'arbre de science (1913).
 
 
l'âme catalane
 
 
 
A mon cousin Pierre Camo.
 
Nous sommes, tous les deux, fils d'une race ancienne
Et les mêmes aïeux lointains nous ont transmis
Ce goût de la lumière et cette âme païenne
Que l'ombre des faux dieux n'aura pas obscurcis.

Avec l'hérédité des ancêtres nomades
Qui se guidaient, la nuit, aux étoiles du ciel,
Il te faut — balancés dans la courbe des rades
Des vaisseaux étrangers partant pour l’Archipel.

Tu mêles au souci de la pureté grecque,
Cet éclat sarrasin qui te demeure cher
Et, dans les chauds vergers, tu cueilles la pastèque
Dont l'écorce est brûlante et si fraîche la chair.

Tu te promènes « Au jardin de la sagesse »
Avec le cœur voluptueux et sans ennuis,
Avec l'esprit ingénieux et la mollesse
Des califes persans des mille et une nuits.

Puis, dans le magnifique exil de l’île australe,
Pareil à du Bellay sur le Tibre latin,
Tu regrettes le toit de la maison natale,
Et son accent n'est pas plus touchant que le tien.

— Je sens qu'en moi l'âme autochtone prédomine,
Romarin des coteaux au parfum sensuel
Qui pousse, entre les rocs, sa vivace racine
Et donne un goût sauvage à la douceur du miel.

Il me faut le détail exact et réaliste,
Les horizons étroits que la mer élargit
Et que, flore d'Afrique entre des caps de schiste,
Décorent des cactus ouvrant leur fruit rougi.

Mon art, que je ne veux ni trop pur ni trop rare,
Se satisfait des bigarrures de couleurs,
De la verroterie et du clinquant des fleurs,
Et des autels dorés, lourds d'un faste barbare.

- Ainsi nous chanterons le pays catalan,
Sa volupté candide et sa rudesse ardente,
Ses maigres tamaris que l'ouragan tourmente,
Le beau repli qu'y fait la vague en s'en allant,

Son double aspect de force et de grâce sereine ;
Et nous boirons de vieux « Cosprons » étincelant
En écoutant —- au pied d'un ermitage blanc —
Chanter - sous le platane — une fraîche fontaine.
 
 
 
henry muchart (1873-1954). Les Balcons sur la mer (1901).
 
 

 
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18 septembre 2011 7 18 /09 /septembre /2011 10:26
Touny-Lérys
(1880-1976)
 
De son vrai nom Marcel Marchandeau, Touny-Lérys est né à Gaillac en février 1881 et y est mort en avril 1976. Issu d'une famille dont les origines languedociennes et alsaciennes se confondent, il s’inspire du terroir natal et célébre avec un bel accent lyrique le vieux toit familial de Touny-les-Roses, au bord du Tarn, où s'est écoulée son enfance. Touny-Lérys contribue à de nombreuses publications littéraires, comme poète et comme critique. Il fonde au début du XXe siècle avec Marc Dhano et Georges Gaudion la revue Poésie, qui fait connaître de nombreux auteurs du Midi. C’est dans cette revue, qu’en 1909, il publie en réaction au Futurisme de Marinetti un manifeste du « Primitivisme ». Il poursuit parallèlement une carrière de magistrat.
L'art de Touny-Lérys est simple et harmonieux; il exprime la douceur de vivre, la paix des choses rustiques, la beauté des sites. Personne mieux que lui n'a évoqué la langueur, le silence, la sérénité de la nature méridionale. Son recueil, La Pâque des Roses, a été salué par la critique en 1909 comme «un livre de sagesse et de beauté». Proche dans son inspiration initiale de Francis Jammes, sa poésie s’apparente aussi à celle de Francis Carco, de Tristan Derême et du Groupe fantaisiste. Ses écrits et son action en faveur de la poésie lui valent l’amitié de Henry Bataille, Charles Guérin, Henri de Regnier, Marc Lafargue, Joseph Rozès de Brousse et Armand Praviel. Il est élu mainteneur de l’Académie des Jeux Floraux en 1941.
 
Les Filles d'Eros, poèmes (Toulouse, « Gallia », 1900). - Dans L’idéal et dans la vie, poèmes (ibid.) - Chansons dolentes et indolentes (Gamber, 1902) - Mimi et Mina, roman (Toulouse, « Gallia », 1902) - La Pâque des Roses, 1900-1909, poèmes (Mercure de France, 1909) - Amoureusement (Toulouse, « Poésie », 1910) – Poèmes de l’été et de l’automne en fleurs (La Pensée française, 1926) - Choix de poèmes (Figuière, 1933) - Au pays de Maurice de Guérin (Editions de l'Archer, 1937) – Instants (Subervie,1965).
 
 
La chanson
des roses
 
On nous place au mois de Marie
sur les autels des Saintes vierges
et près de nous les femmes prient
en regardant brûler les cierges ;
les femmes prient ?
les femmes rêvent
que nos mères furent cueillies
il y a vingt ans peut-être
tout là-bas dans la prairie...

Et leur front longtemps se penche
sur les grains du chapelet,
car c'était un beau dimanche
d'amour, de fleurs, de clarté...

Jeunes gens et jeunes filles
vers nous s'inclinent au printemps,
heureux amants
qui vont chantant
par les chemins et les prairies,
et qui cueillent nos fleurs surprises
pour les oublier dans un champ...

Car nous sommes les fleurs d'amour,
les fleurs de rêve,
et nous mourons aux carrefours,
ainsi qu'à la fin d'un beau jour
s'éteint la chanson sur les lèvres.
 
 
 
Touny-Lérys. (1881-1976), Choix de poèmes. (1933)
 
 
La terrasse du Tarn
 
.... De la terrasse, où je m'accoude, mon œil plonge
Et suit contre la rive, où paresseux s'allonge
Son grand corps de serpent qui glisse vers la nuit,
Le Tarn mystérieux qui dans les branches luit
Et transporte du bleu de ciel sur ses écailles...
Je suis tout seul, je sais que je suis une paille
Pour celui qui, de loin, regarde l'horizon
Et voit mon corps étroit dressé sur ce balcon ;
Je sais que je suis peu de chose entre ces choses,
Mais je rêve et me trouve heureux, mes yeux se closent,
Car la paix infinie, qui sur les champs s'étend,
Ainsi qu'au cœur des fleurs en mon âme descend.
Et je me sens alors, accoudé sur ce marbre,
Eternel comme lui, vibrant comme les arbres,
Fluide ainsi que l'eau qui, là-bas, va porter,
A travers les galets arrêtés dans le sable.
De ce soir calme et doux, mais, hélas! périssable,
Un peu de ciel crépusculaire en un reflet....
 
 
 
Touny-Lérys. (1881-1976), La Pâque des Roses. (1909)
 
 
 
Le soir dans le jardin
 
... C'est un soir de printemps, chaud comme un soir d'été
Le nom de la saison distingue l'un de l'autre
Deux soirs également vaporeux, parfumés
Des lourds géraniums éclos devant la porte
Et de ces mille odeurs que le zéphir supporte
Et qui tissent son voile adorable et léger...
Mon chien s'est étendu sur la terre, il respire
Lentement, son museau reposant sur mon pied;
Il est blanc, il est doux, il est tranquille; il sait
Qu'auprès de moi il peut dormir, il peut rêver ;
Et quand je dirai « Kim », son œil roux, qui chavire
Dans sa paupière, ira vers mon regard chercher
Le geste indicateur du chemin où marcher.
Et qu'il suivra, le nez au vent, quêtant un lièvre...
En attendant, il rêve en dormant ; moi je rêve
Eveillé, le cœur ému par la douce chose
Qu'est le soleil mourant parmi les briques roses
Tandis qu'en le lointain, que va couvrir la nuit,
Le soc d'une charrue, par intervalles, luit,
Et qu'un chant, voix de flot invisible, déferle,
Et pur, mystérieux comme un reflet de perle,
M'apporte en cet instant de calme volupté
La joie du laboureur qui, là-bas, a chanté
Et qui met, comme moi, son orgueil et sa gloire
A garder la Beauté, au fond de sa mémoire,
De cette heure reçue et qu'il peut conserver...
 
 
 
Touny-Lérys. (1881-1976), La Pâque des Roses. (1909)
 
 

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11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 10:25
Le jardin français
 
En 1912, la petite revue Les Guêpes, fondée par Jean-Marc Bernard, Raoul Monier, René Dumaine et Louis du Charmeil, consacrait une de ses livraisons à "la renaissance du jardin français", c'est à dire au retour de l'esprit classique dans les lettres et dans la pensée. Pas moins d'une trentaine d'écrivains et de poètes, parmi lesquels Barrès, Bainville, Boulenger, Boylesve, Carco, Willy, Mme de Noailles, Henri de Régnier répondirent à l'appel, confirmant la vivacité de cette nouvelle école classique française, dont Moréas fut un des précurseurs, et qui entraînait déjà dans son sillage Valéry, Péguy, Gide, Claudel, Alain-Fournier et bien d'autres. 
Un siècle plus tard, et par un curieux retour de l'histoire, le besoin d'une littérature plus claire, d'une pensée plus nette, de formes artistiques plus épurées s'exprime à nouveau. On croyait en avoir fini avec le style, la beauté, la légèreté et la douceur de vivre et une jeune phalange d'écrivains, derrière Sollers, Matzneff, Rouart, Besson, Duteurtre et d'Ormesson, remettent ces vertus à la mode. Pour ce qui est de l'esprit, voilà que Manent, Gauchet, Nora, Julliard, Debray et quelques autres nous servent, dans une langue claire et limpide, des idées qui ne s'encombrent plus des cuistreries anglo-saxonnes ni des difficiles digestions allemandes. La peinture française reprend des couleurs. La musique elle-même, sous l'impulsion de créateurs comme Dusapin ou Beffa, retrouve le chemin du rythme et de l'harmonie. La poésie, seule, semble rester à l'écart de cette révolte calme et tranquille contre la pseudo-modernité.
Et pourtant nos lecteurs aiment la poésie. Nous en voulons pour preuve leur attachement à la rubrique du "poète du dimanche" qui réalise chaque semaine des records de connexion. Il nous a semblé que la Revue critique pouvait faire plus et mieux au service de Calliope. Que nous pouvons mieux faire connaître encore nos "grands Renaissants", selon l'expression chère à Thierry Maulnier, ceux du XVIe et du XVIIe siècle français. Que nous pouvons aussi faire découvrir ou redécouvrir ceux, qui à l'orée du siècle dernier, débarrassés des brumes du romantisme et du symbolisme, ont renoué avec la tradition d'une poésie pure, simple et sans apprêts. Que nous pouvons enfin donner la parole à des poètes d'aujourd'hui, jeunes ou moins jeunes, qui forment l'avant-garde encore discrète de ce retour aux formes classiques.
Nous placerons désormais ce billet poétique sous le signe du Jardin français. Mais que nos lecteurs se rassurent ! Il n'est pas question de bouleverser leur rendez-vous du dimanche soir. Notre chronique sera plus riche. Nous donnerons des éléments biographiques et bibliographiques sur chacun des auteurs. Nous présenterons plusieurs de leurs oeuvres afin d'illustrer la richesse de leur palette et la diversité des thèmes qu'ils ont traités.Nous envisageons également de publier, chaque année, sous forme de recueil les plus beaux poèmes, ceux que vous aurez aimé.
Roger Frêne est le premier de notre liste. Ce ruthenois, injustement oublié, fut pourtant un des artisans de la renaissance du Midi. Chez lui, les étés sont énormes, les fruits juteux et sucrés, l'air de la montagne donne aux hommes le goût de la liberté et les villages respirent la fraternité. On pense à Francis Jammes, à Ernest Gaubert et ses Vendanges de Vénus, à Maurice Magre et sa Chanson des hommes. Roger Frêne fut aussi un militant infatigable de la cause régionale.  Il aimait sa petite patrie, le Rouergue, comme il aimait la grande.
Nous lançons pour finir un appel aux jeunes poètes. Certains nous ont déjà donné les preuves de leur lyrisme et de leur talent et nous les publierons prochainement. D'autres, beaucoup d'autres sont à venir. Ces pages sont aussi pour eux et nous leur donnons carte blanche, pour peu qu'ils acceptent de sacrifier à l'harmonie des vers et aux belles sonorités, seules disciplines que nous leur imposeront. Alors, à vos rondeaux, à vos sonnets, à vos discours, à vos lais et à vos ballades et songez que chez nous le sévère Boileau vous regarde d'un air indulgent et fraternel.
La Revue Critique. 
 
Roger Frêne
(1878-1940)
 
Issu d'une famille de fonctionnaires, Roger Frêne (de son vrai nom Roger Fraysse), est né à Rodez et a vécu presque exclusivement dans son pays natal, collaborant à de nombreuses revues locales et régionalistes. D’inspiration symboliste, Roger Frêne est un bucolique doublé d'un visionnaire. Les airs qu'il tire de ses pipeaux n'évoquent pas seulement l'horizon étroit de sa petite patrie, mais célèbrent le domaine illimité du rêve. Son plus beau recueil, Les Sèves originaires (1908), évoque en quelques pages la puissance voluptueuse et lourde d'un bel automne.  Roger Frêne a collaboré à La Revue Provinciale - dont il fut le secrétaire de rédaction à partir de 1900 - au Beffroi, au Mercure de France, à La Phalange de Jean Royère, aux Guêpes de Jean-Marc Bernard, à Pan, à l'Ile sonnante, à La Nouvelle Athènes, au Journal de l'Aveyron, à Clavellina... 
 
Œuvres principales. - Paysages de l'âme et de la terre (Toulouse, Société provinciale d'édition, 1904). – (avec Henri Bourjade) La Cathédrale, pièce en deux actes. (Rodez, Carrère, 1907). - Les Sèves originaires, suivies de Nocturnes (Paris, Perrin, 1908). – Les Nymphes, suivies de Rubens et Gorgone, poème illustré par Modigliani (Ronald Davis, 1921). - Guy Lavaud. (Les Marges, 1928).
Bibliographie. - Michel Puy, « Roger Frêne », La Revue Provinciale (Toulouse), oct. 1908. — Francis Carco, « Roger Frêne », Le Feu (Marseille), août 1908. – Adolphe Van Bever, Les poètes du terroir. (Delagrave, 4 vol., 1909-1918). - Florian-Parmentier, Toutes les lyres. (Gastein-Serge Ed., 1911). - Jean Digot, Trois du Rouergue : Clary, Frêne, d’Orfer. (Jacques Brémond, 1995).
  
 
Le Causse
 
Tu étouffes dans la vallée,
Il faut à tes libres poumons
L'infinité des horizons
Et de la campagne étalée ;

Tu aimes la neige, le vent,
Et les chaumières accroupies
Sous les orageuses furies,
Près du front lourd des bois mouvants;

Il te faut des midis énormes
Qui font les épis crépiter
Au souffle infime de l'été
Et les landes aux larges formes...

Comme là-haut hurlent les vents
Sur les villages de tristesse,
L'âpre goût des départs t'oppresse
Au calme du val étouffant ;

Tu regrettes les noirs orages
Sous quoi les pays sont courbés,
Les cris des rouliers embourbés
Et la tempête des feuillages.
 
Ton cœur roule un flot de désirs
Tumultueux, vagues et vastes,
Et les monts que l'autan dévaste
Les pourraient peut-être assouvir !
 
 
     
 
Roger Frêne,   Revue Le Cahier des poètes. (1912)
 
 
Le fruitier
 
L'odeur des fruits coupés sature l'ombre fraîche
Et le vol d'une guêpe, autour de leur charnier
Où l'automne passé lentement se dessèche,
Frémit dans les étais de l'antique grenier.

La clarté des raisins, rayonnant dans leurs grappes,
Va remplir d'un lointain et d'un chaud souvenir
Les repas hivernaux dont ils chargent les nappes ;
La main qui les soupèse ennoblit son désir.

Tel abricot fiévreux exhale une odeur rêche ;
Une poire paisible évoque un vieux jardin ;
Par espaces vermeils, la duveteuse pêche
Verse à la prune bleue un jour incarnadin.

Vous répandez, fruits mûrs, le composite arôme
De votre groupe où songe un soleil d'autrefois.
Pompant le jus doré qui suinte de vos gommes
Des abeilles tournoient sur les crèches de bois.

Votre peau comme un sein de femme est lumineuse
Et parfois votre chair, sous son poids mollissant,
Se tend jusqu'à crever cette enveloppe heureuse,
Tel un beau buste plein, solide et fléchissant.

Nés du travail de l'homme adjoint à la nature,
Vous enchaînez, ô fruits, le rythme des saisons ;
Vous êtes le seul but des existences pures.
— Vos chères voluptés renferment la raison.

Du vaste effort humain prix splendide et palpable :
Fruits de la terre !
                            Et vous, âpres fruits de l'esprit,
Pendant que l'heure passe au fil des grains de sable,
L'Apollon désiré rarement vous sourit. 
 
     
 
Roger Frêne ,  Les Sèves originaires. (1908).
 
  
 

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30 août 2011 2 30 /08 /août /2011 10:53
 
 
mare caeruleum
 
 
 
Ramenez-moi, disais-je, aux bords où Terracine,
Descendue à demi sur son golfe argenté,
Regarde, avec un air d'indolence divine,
La grève déclinante et la vague marine
Faire à sa rêverie un rivage enchanté,

Et, ces jardins peuplés d'une ombre rougissante
Où, chargeant de langueurs la mer qui lui sourit
L'orange à ses rameaux pressée et mûrissante,
Près d'éclore toujours et toujours florissante,
Rend au ciel les senteurs dont le ciel la nourrit,

Que je voudrais encore, à l'heure où le jour baisse
Et cherche pas à pas le silence et le frais,
L'âme pleine d'amour et de tendre paresse,
Goûter secrètement l'odorante jeunesse
Et la sombre verdeur de leur feuillage épais,

Et dans l'herbe où partout nageait en abondance,
Il flotte à chaque branche un songe printanier,
Sentir, sur la lenteur d’une molle cadence,
A ma bouche exprimant leur plus suave essence,
Toutes seules venir des fleurs de citronnier.

Maintenant c’est la fin d’une heureuse journée,
Lorsque, au rythme accouplé de leurs souples rameurs,
Laissant pendre sur l’eau leur voile retournée,
Comme une aile qui traîne au soir abandonnée,
Commencent de rentrer les barques des pécheurs.

C'est l’heure complaisante aux rumeurs coutumières,
Déjà l’air qui fraichit prend la couleur du lin,
Et, de la rue obscure et tintant sur ses pierres,
Entends-tu ces enfants dont les voix familières
S’en vont frapper l’azur sonore et cristallin ?

Puis, dans l’ombre bientôt phosphorescente et pâle,
La luciole au vol innombrable et léger,
Ivre de flamme errante et d'ardeur nuptiale,
Danse sans se lasser sa danse triomphale
Sous la nuit qui se meurt d'un parfum d'oranger,

Jusqu’à ce qu’au matin, sur la mer blanchissante
Dont l’écume invisible expire faiblement
La lune vers Circé confuse et décroissante
S’efface devant l’aube à peine bleuissante,
Et semble avec le ciel se fondre en s'endormant.

Si tu passes jamais par la roche sublime
Où ce temple, élevant son front chauve et fendu,
Couronne au pied des dieux la pointe de l'abîme,
Arrête au moins un jour et monte vers la cime
Qui tient à sa hauteur le monde suspendu.

Là, tout en gravissant la pente élyséenne,
Tu verras, à travers des branches d'olivier,
Se jouer dans sa fleur l'onde céruléenne
Qui, sur son étendue ineffable et sereine,
Passe et vient au soleil transparaître et briller,

Ici tu connaîtras la douceur de la terre,
L'air qu'ici l'on respire a le goût du lotus,
Et l'on y sent toujours couler dans la lumière,
Comme au printemps doré de sa splendeur première,
Le souffle ambroisien de l'antique Vénus.

Alors, au plus profond de la vie éternelle,
Tu pourras absorber, sans l'épuiser jamais,
La coupe de saphir inextinguible et belle
Où la force et l'esprit de la mer éternelle
Te verseront sans fin l'universelle paix.
 
 
 
françois-paul alibert (1873-1953). La Revue hebdomadaire (mai 1925).
 
 
ainsi tombent les feuilles
 
 
 
Nulle feuille, au même rameau,
Ne subsiste, une fois fanée,
Et, soit de saule, ou bien d’ormeau
Chacune, un peu moins d’une année
Ne connait qu’un seul temps nouveau.

Mais, à la branche verdissante
D'une printanière foison,
Après l'autre une autre naissante
Montre sa tendre feuillaison
Au même point recommençante.

Ainsi tout arbre aux justes lois
Du déclin ne se subordonne
Que pour renaître, et, chaque fois,
D'une intime et neuve couronne.
Ceindre le front des jeunes mois.

Et nous, aussitôt terminée
Notre florissante saison.
Jamais de l'humaine journée
Ne revient la germinaison
Nous faire une autre matinée.

Ni jamais le même berceau
Nous faire goûter d’âge en âge
Le retour d’un printemps plus beau,
Et, comme un annuel feuillage,
Remonter du même tombeau.

Or, avant la chute prochaine,
Toute feuille, à I’ arbre natal,
Desséchée ou naissante à peine,
Ne subit qu’un sort inégal
Et qu’une durée incertaine.

L'une, dans sa faible primeur.
Au gel attardé s'abandonne ;
L’autre, ayant fini sa verdeur,
Jusqu’au bout, de l’extrême automne
Eprouve l’exact longueur.

Mais le vent non plus, ni l'orage,
N'épargne, au plus fort de l'été,
A celle qu'un superbe ombrage
Préservait du ciel irrité,
La rigueur du commun naufrage.

Et, froissée au rude élément
Où sa maturité succombe,
Sous le coup d'un souffle inclément
Elle meurt, se détache et tombe.
Et s'abîme en un seul moment.
 
 
 
françois-paul alibert (1873-1953). Odes (1922).
 
 
l’heure virgilienne
 
 
 
Le crépuscule traîne au bas de l'horizon
Un règne finissant de lumière déclive,
Et délaisse la grève où cette molle rive
Nous offre plus d'un siège incliné de gazon.

Les collines glissant du ciel tout d'une chute
Dépouillent la ferveur accablante du jour,
Et vers l'azur candide expriment leur contour
Sur un mode alangui comme un souffle de flûte.

Par les chaumes encore assoupis de chaleur,
Vois les meules tourner longuement par la plaine,
Et leur ombre, toujours plus étroite et lointaine,
Poursuivre une fuyante et suprême lueur.

Le soir avec amour à nos têtes s'abaisse,
Et ta première étoile hésite à s' allumer :
Voici l'heure indistincte et lente où va fumer
La verte humidité de ta prairie épaisse.

L'air passe et, d'un frisson faiblement agité,
Parmi la chevelure ineffable du saule,
Dévoile une fluide et frémissante épaule
Que trahit le soupir d'un sommeil argenté.

Un reste décroissant d'obscures transparences
Lutte contre la brume à la cime des bois,
Et la terre qui tremble évapore à la fois
Un bruit mystérieux fait de mille silences.

Une rougeur dorée afflue au firmament
Où la nuit, par degrés confuse et blanchissante,
Annonce que déjà la lune, même absente,
Sur la campagne verse un tendre enchantement.

Ne parle pas plus haut que l'air et le feuillage.
Ecoute dans nos cœurs marcher un pas divin.
Puis tais-toi, voici l'heure où je puis voir enfin
Ton âme affleurer toute à ton calme visage.
 
 
 
françois-paul alibert (1873-1953). Le Buisson ardent (1912).
 
 

 
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22 juillet 2011 5 22 /07 /juillet /2011 10:19
 
 
épinal basque
 
 
 
Dans ce paradis basque,
Deux douaniers bleus
Ont l'air de deux bons masques
Égarés aux cieux.

Sur la route d'automne,
Or, azur, encens,
Couleur des Trois Couronnes
Et couleur du Temps,

Ils vont, plus poétiques
Qu'il n'est de raison :
Et le ciel, sympathique,
Est bleu-horizon.
 
 
 
alphonse métérié (1887-1967). La Revue hebdomadaire (juillet 1924).
 
 
matin de mardi-gras
 
 
 
Matin de Mardi-Gras. Le printemps sur la ville
Epanouit le sourire des dieux.
Il fait un temps de départ et d'adieux,
Le jour léger est plus gai que Banville.

Devant les magasins et le long des jardins,
Des femmes vont, comme des étrangères ;
Une sœur passe, ombre noire et légère,
Dont le deuil rit à ce matin mondain.

Décapités, les masques sont aux devantures,
Et le soleil caresse leur laideur.
Mais à côté voici la pure odeur
Du mimosa des petites voitures.

Voici les mimosas et des roses qu'on vend
A cette dame en robe neuve et verte,
Et puis voici dans leurs caisses ouvertes
Des bouquets blancs que je touche en rêvant…

O narcisses de la montagne, qu’on m'emmène !
— Oui, des oiseaux volent au haut des tours,
Et sur la rue et les toits d'alentour
Un couvent sonne et bénit la semaine ;

L'azur immaculé brille sur les faubourgs...
Mais, tout courants, qu'ils sont beaux, les nuages,
Et ce matin printanier de voyage,
Qu'il serait clair sur Prague ou sur Hambourg !

Dans la gare au repos froide comme une église,
Le ciel d'un bleu transparent et nouveau
Paraît plus tendre à travers les carreaux :
Qu'ils sont heureux, les porteurs de valises !

Hélas, car c'est un temps de départ et d'adieux,
Le jour léger est plus gai que Banville...
Et cependant le printemps sur la ville
Epanouit le sourire de Dieu.
 
 
 
alphonse métérié (1887-1967). Le Livre des soeurs. (1922).
 
 
l'adieu au voyage
 
 
 
Nous n'irons plus jamais dans les Villes heureuses,
Mon âme... Tu sais bien que tout serait changé.
Il ne faut pas revoir les rades amoureuses,
Quand on n'est plus pareil au grand vaisseau léger.

Quand on n'a plus le cœur de la belle mouette,
Du libre vent amer et du romanichel,
Il faut sous son manteau magique de poète
importer dans l'exil le ciel passé — le ciel...

O Solitude sainte et qu'on disait fidèle,
Nous n'irons plus ensemble aux auberges, les soirs,
Et nous ne serons plus dans l'aube où l'on attelle
Ce passant bienheureux sous les peupliers noirs.

Nous ne connaîtrons plus la maison dans la lande
D'où l'on voyait, si loin, rose avec son clocher,
Cette petite ville étrange de Hollande
Où des femmes en deuil passaient sans se toucher.

Et je n entendrai plus au bord de la Tamise,
Sous un pont d'ombre et d'or par la brume grandi,
Solitude ! ô compagne adorable et soumise,
Notre pas fraternel que la joie alourdit.

Nous ne pousserons plus la barrière rustique
D’un chimérique enclos dans le pays de Vaud,
Comme au seuil d'une vieille estampe romantique
Où tout redevenait si tendre et si nouveau.

— Ni la petite ville endormie et française
Où l'on entre au matin sur les pavés du roi,
Ni le torrent avec sa route de mélèzes
Et le poteau-frontière auprès du pont de bois,

Ni les villages purs ni les cités barbares,
Les verts canaux flamands, les bleus chemins toscans,
Ni les ports orageux ni les fumeuses gares,
Ni les tombeaux herbeux où jouaient des enfants,

Ni la place gothique et sa chère fontaine,
Ni les feux et les tours des capitales d'or,
Tout ce qui fait enfin sa musique lointaine
Au fond d'un temps de conte où ma jeunesse dort.

Nous n'irons rien revoir, Solitude chérie :
II ne faut pas vouloir, tout serait trop changé,
Etre — fantôme amer au bord de la prairie —
Ce jeune voyageur des grands ciels étrangers.

... Mais je songe souvent, honteux de ces chimères,
Evoquant à mourir ces lumineux instants,
Que le vrai paradis, s'il est pareil — ô Mère,
Au plus pur de nos jours retrouvés hors du temps,
Que le vrai paradis, s'il nous rend l'éphémère
Et nous donne à jamais nos gloires de vingt ans,
Ce doit être, là-haut, une ville où l'on erre.

Une Ville inconnue où l'on erre, au printemps...
 
 
 
alphonse métérié (1887-1967). Le Cahier noir. (1923).
 
 

 
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16 juillet 2011 6 16 /07 /juillet /2011 22:53
Bucolique  
 
O toi qui me berças sous la vigne et les ormes
Et qui gonflas mon cœur de ce sang radieux,
Je t'inscrirai vivant en d'immortelles formes,
Mes vers auront la force et l'éclat de tes yeux

O mon père, le pré blanchi de fleurs brillantes,
Les épis parfumés du blé substantiel
Viennent, sous le soleil, baiser tes mains vaillantes,
— Tes calmes gerbes d'or ombrageront le ciel !

Sais-tu que ton regard auguste a la jeunesse
Des soleils printaniers, quand soudain tu souris ?
— Pour qu'un cœur de héros dans ma poitrine naisse,
Enfant, tu me guidais vers les lilas fleuris.

Quand les bouviers brunis sous leurs chemises blanches
M'apportaient un beau lys tombé sur les sillons
Une cigale chaude et vibrant sur les branches,
Des roses, des oiseaux, des fruits ou des grillons,

Tu souriais d'orgueil ! Ah! souris plus encore
Et longtemps vois jaunir et refleurir les bois ;
Sois fier ! sur le luth d'or et la flûte sonore
Toute ta race chante avec de belles voix !

 

Emmanuel Signoret. (1872-1900), Vers dorés. (1896)

 
CEZANNE Paul L'été 2

 

 

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N°1 - 2009/01
 
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