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13 mai 2012 7 13 /05 /mai /2012 09:41
Henriot
 
 
je vous dirai l'odeur
 
 
 
Je vous dirai l'odeur de la campagne après
Que la pluie a trempé l'herbe épaisse des prés,
Le doux balancement des roses sur leur tige,
La forme du nuage au vent qui le dirige,
L'hirondelle et son jeu de navette, et l'azur,
Et l'avoine qui tremble au faîte du vieux mur
Je vous dirai l'heure dorée, et l'ombre lente,
Et la source où bruit la Nymphe diligente,
Et la cloche qui sonne, égale, et chaque instant
Mesure nos plaisirs et notre part de temps...
 
 
 
émile henriot (1889-1961). Aquarelles (1922).
 
 
l'automne
 
 
 
Adieu ! Voici l'automne et son triste présage.
On a coupé les fleurs, on a cueilli les fruits,
Et dans le pâle ciel que l'hirondelle a fui
Déjà monte un néfaste et ténébreux nuage.

Adieu ! L'été n'est plus. Son doux sourire a lui.
Le regard éclatant s'éteint dans le visage,
Et le coeur qui se calme, hélas ! et devient sage
S'abandonne aux langueurs du monotone ennui.

Hélas ! Rien ici-bas ne dure. Tout s'efface.
Seule une éternité de rêve prend la place
Des chers biens qu'on croyait jamais ne voir finir !

Mais non ! l'amour n'eût-il bati que sur le sable,
De nos bonheurs passés le reste impérissable
Ta cendre nous le garde, ô brûlant souvenir !
 
 
 
émile henriot (1889-1961). Aquarelles (1922).
 
 
esquisses
 
 
 
J'aime les frais matins peuplés de tourterelles,
Les ciels purs et lavés comme des aquarelles,
L'azur, tout ce qui chante et tout ce qui sourit,
L'humble lilas qui s'ouvre et doucement fleurit,
L'oiseau, comme un désir, posé de branche en branche,
Et dans un jardin clair, avec sa robe blanche,
Une rose au corsage ainsi qu'un cœur de feu,
Légère et douce à voir, mon amie à l'œil bleu
Qui rêve, et longuement presse contre sa bouche
Une autre rose rouge et dont l'odeur la touche...
 
 
 
émile henriot (1889-1961). Les Temps innocents (1921).
 
 

 
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28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 16:39
 
 
le jardin sur le canal
 
 
 
Le jardin finit en terrasse
Au bord du Canal glorieux
D'où les gondoliers curieux
Regardent par la grille basse.

C'est un jardin rempli de fruits,
De fleurs, d'arbres et de statues.
On y voit des déesses nues
Sous les cyprès et sur les buis.

Un citron que lâche sa branche
Tombe parfois sur le sentier;
Il parfume l’air tout entier
De l’odeur que sa plaie épanche.

Le cortège secret du Temps
Sur ce jardin passe en silence,
Trahi par la double cadence
Des églises et des couvents.

Et, le soir, quand le ciel arrose
De rubis et de perles d’eau,
Un nuage de Tiepolo
Vient décorer le couchant rose.
 
 
 
jean-louis vaudoyer (1883-1963). Poésies. (1913).
 
 
mars en provence
 
 
 
Vois, l’amandier en fleurs au cyprès et au chêne
Annonce le printemps prochain, et, dans les cieux,
Phœbus répand un or jeune et délicieux
Qui fait de chaque source une riche Hippocrène.

Suivons la route blanche et brillante, elle mène
Au bois où Marsyas enfle son roseau creux;
Une Muse sourit sous l'arceau langoureux
De la colline rose où verdit le troène.

Ici, les Dieux, hier encor, vivaient cachés.
Tu ne découvrais pas, au milieu des maires,
Dans ces joueurs malins, les fils de Palamède;

Mais la Fable est venue avecque la Saison,
Et, si cet aigle plane au-dessus du sillon.
C'est que l’Olympe cherche un nouveau Ganymède.
 
 
 
jean-louis vaudoyer (1883-1963). Rayons croisés. (1921).
 
 
ombres stendhaliennes
 
 
 
I. — ROME

Je vous ai rencontrée à Rome,
Ombre en habit de drap marron :
Vous aviez le corps d'un gros homme,
Mais le regard malin et prompt ;

Non dramatique et grave comme
Chateaubriand et lord Byron,
Ayant moins l'air d'un gentilhomme
Que d'un voyageur lazzaron;

Aux peintres vous donniez des notes
Dans les salles du Vatican :
Guerchin, dix-huit ; neuf, Parmesan ;

Et, sauf dans les maisons dévotes,
La nuit, du fumoir au divan,
Vous recueilliez des anecdotes.

II. — MILAN

A Milan aussi je vous vis,
Dans la Scala poudreuse et vide.
Vous dépendiez d'un œil perfide
Qui régnait sur vos favoris.

Est-ce Angela ou bien Métilde,
Dans la loge, en face, qui rit ?
Vous songez : « Ayons de l'esprit ! »
Mais votre aplomb n'est pas solide.

Plus amoureux qu'heureux amant,
Cher Stendhal, curieux des femmes,
Vous trembliez comme un enfant

Près d'elles, combinant vos trames ;
Mais vos détours de sentiment
Dérangeaient les meilleurs programmes.

III. — PADOUE

Pedrotti, café de Padoue,
Je n'y puis entrer, Henri Beyle,
Sans y voir votre ombre fidèle,
La barbe teinte sur la joue.

Votre grosse breloque joue ;
Le sang d'un camée étincelle
Au doigt d'une main toujours belle
Qu'un geste, par instant, secoue.

Car vous causez, l'œil plein de feu,
Avec cet aimable « neveu »
Qui vous raconta la Chartreuse.

O soirée à jamais fameuse !...
Vous demandâtes au garçon
De vous servir un zambayon.

IV. — PARME

A Parme, j'ai vu vos enfants :
Gina, qui se cache qu'elle aime ;
Mosca, que le doute rend blême,
Mais qui rit pour les médisants.

Fabrice cherche un stratagème
Pour voir Clélia un instant ;
Marietta passe en chantant ;
Ranuce-Ernest, trompé, blasphème.

Moi, dans le grand jardin désert
Où ne vont plus les Parmesanes,
J'ai repris, pour flatter vos mânes,

Votre livre, au hasard ouvert.
Je longeais les bosquets humides :
« Les prisons de Parme étaient vides... »
 
 
 
jean-louis vaudoyer (1883-1963). Rayons croisés. (1921).
 
 

fontaine.jpg

 
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31 mars 2012 6 31 /03 /mars /2012 15:42
 
 
dimanche soir
 
 
 
Un crépuscule tiède, lumineux et rose
tombe sur cette fin de dimanche parisien;
c'est un des premiers jours de mars. A peine on ose
croire à tant de douceur sous un ciel si câlin.

Et cependant on va, soudain léger et souple,
roi d'un pays féerique qu'on ne soupçonnait pas.
Rien ne nous meurtrit plus, ni la laideur des couples
ni le piétinement des pieds bêtes et las.

La joie de ne rien dire et d'être solitaire,
l'art aisé de la vie, tout s'éclaircit à voir
que le vrai et le seul bonheur qui soit sur terre
est de respirer l'air de ce paisible soir.

— Des bonnes passent à deux, chapeaux verts, confidences,
et mon cœur dur incline aux pires indulgences. —

Les cafés sont remplis de gens à l'air heureux
qui se disent des choses qu'ils estiment profondes;
les manilleurs échangent des mots connus entre eux...

Et ce soir simple et doux des premiers temps du monde !
 
 
 
guy-charles cros (1879-1956). Les Fêtes quotidiennes. (1912).
 
 
chant de septembre
 
 
 
Quel oiseau prisonnier dans la nuit d'équinoxe
regrette en soupirant les souffles de l’été ?
Quelle tremblante voix monte du cœur des phlox
et des géraniums qui bordent les allées ?

Cette plainte qui parle et s'enfle et se déchaîne
est-ce le cri perdu d'un arbre à mort frappé;
est-ce l'appel, là-bas, d'un dieu chargé de chaînes
et qui rugit en vain son grand désir ruiné ?

Ah ! ce n'est que le vent qui s'étire et qui rôde,
l’âpre vent voyageur qui n'a pas de patrie;
il se souvient d'avoir passé sur les mers chaudes
et de s'être couché sur les villes d'Asie.

Il se souvient des soirs où sous la lune ronde
il s'endormait, bercé aux cimes des forêts,
jusqu'à l'heure où l'aurore épanouie et blonde
posait les doigts sur son front nu et l'éveillait.

Et le vent, vagabond de la nuit automnale,
va tout droit son chemin à travers les espaces;
mais rien n'apaisera son implacable mal,
sa nostalgie brutale et cruelle et rapace.

Il arrache, en passant, les feuilles à poignées,
il courbe les rameaux qu'il dénude et les tord,
et pousse, en poursuivant ses courses effrénées,
son cri rauque et plaintif, chant de guerre et de mort.
 
 
 
guy-charles cros (1879-1956). Les Fêtes quotidiennes. (1912).
 
 
août s'achève
 
 
 
Les vertes feuilles, jaunies un peu, sur le ciel pur
bougent frileusement comme au temps de l'automne.
Qu'il a pâli, déjà, ce large et bel azur !
A l'orée de l'été son lapis nous étonne.

Il nous dit aujourd'hui que la douce saison
est fragile et blessée, que son bonheur la quitte,
qu'il est temps pour l'hiver de parer la maison
où tout amour humain se réchauffe et s'abrite.

Il dit encor ce pâle azur taché d'argent
que puisque cet été, tel un jour clair, s'achève
il te faut, faisant trêve aux soucis moins urgents
rappeler sous ton toit tes désirs et tes rêves.
 
 
 
guy-charles cros (1879-1956). Mercure de France. (novembre 1926).
 
 

 
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12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 00:08
 
 
la dame de l'été
 
 
 
Je vis la dame de l'Été,
Magnétique et charnelle.
Des éclairs et des voluptés,
Des feux, des fleurs, des ailes,
La nimbaient, comme projetés
Par sa robe autour d'elle.
Je vis les amours s'exhaler
De sa splendeur vivace.
Et je n'osais pas lui parler,
Tant m'émouvait sa grâce.
Mais sur ses pas je suis allé,
Et j'ai baisé ses traces.
 
 
 
louis mandin (1872-1943). Les Saisons ferventes (1914).
 
 
la dame de l'hiver
 
 
 
Je vis la dame de l'Hiver,
Blanche en son manteau beige.
Son corsage tendait à l'air
Un gros bouquet de neige.
En ses yeux, sur la brume ouverts,
Vivait un sortilège.

Grave et stoïque, elle m'a dit :
« Je suis celle qui pense.
Tout est morne et comme maudit
Sous cette bise immense.
Mais je garde le paradis
Dans mon cœur en silence.

« Et toi, fais de même, et chantant
De ta voix frêle et pure,
Garde les germes du printemps,
Les fleurs de la nature !
Il reviendra, le jeune temps
Où tout se transfigure.

« Ils reviendront, les tendres jours,
Dorer ta destinée.
Alors, si ton front est plus lourd,
Plus pesant d'une année,
Plus douce encor sera l'amour
D'être en mai si fanée.

« Oh ! douce, douce infiniment,
D'être en mai si blessée !...
Mais l'hiver noir cingle ton sang
De ses flèches pressées.
Allons, ton courage en avant.
Et tes mâles pensées !

« L'hiver, pour qui ne veut périr.
C'est le travail, superbe
Comme un ciel froid où vont s'ouvrir
Les étoiles acerbes.
Tandis qu'avant de refleurir
Les morts gèlent sous l'herbe. »
 
 
 
louis mandin (1872-1943). Les Saisons ferventes (1914).
 
 
un soir d'été
 
 
 
Le soleil verse à longs flux d’or son fécondant génie
A la terre, et l’été brille dans le gazon.
Pour quelques derniers jours la nature et ma vie
Ont la même saison.

Oh ! je sais que demain déjà, là-bas, la jeune aurore
Ne ressemblera plus à sa sœur d’aujourd’hui,
Et qu’en bien regardant j’y pourrais voir éclore
La face vague de la nuit.

Et je pense à qui sut, joyeux, semer et qui moissonne.
Le signe des moissons flamboie aux cieux chantants.
Les hommes de mon âge ont des greniers contents.
Moi, pour m’être au berceau du rêve assoupi trop longtemps,
Seul j’aurais les deux mains vides des fruits d’automne.
Et seul le cœur, en vain, plein toujours des fleurs du printemps.
 
 
 
louis mandin (1872-1943). Revue Vers et Prose (février-mars 1910).
 
 

 
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31 janvier 2012 2 31 /01 /janvier /2012 16:58
 
 
la dispersion
 
 
 
C’est au fond du parc embrumé
Que l’Automne au grand manteau roux
A convié folles et fous
Autour de Pierrot consterné.

Ils étaient tous à ricaner
De l’amant pâle en souquenille,
Du pur toujours abandonné,
Quand la Mort parut, osseux drille.

D’effroi, s’élance en des venelles
L’essaim moqueur des Isabelles ;
Le soir qui flue entre les branches
Drapait leurs insolentes hanches.

Mais la Mort les a pourchassées...
Toutes gisent par des bosquets,
Fanées comme de vieux bouquets :
Elle les a toutes glacées...

Et Lui, plus maudit que la nuit,
Expira, soudain, sans un râle ;
Mais sa blanche âme qui s’enfuit
Troubla longtemps l’horizon pâle.
 
 
 
henri strentz (1875-1943). Complaintes pour les innocents (1932).
 
 
le glas breton
 
 
 
Goël, duc de Bretagne,
Ce grand seigneur si fort
Et tant chéri de sa compagne
Est mort.

Pleurez, graves voix d'or,
0 bourdons de l'Armor !

Les filles de Bourgogne.
Sont tombées à genoux
Sans savoir pour qui sonnent,
Très loin, ces clochers doux.

Les béguines en Flandre
Ont posé leurs crochets
Comme pour mieux entendre
Les voix d'or qui passaient...

Les époux d'Allemagne
N'ont rien surpris du tout :
C'est si loin la Bretagne
Quand la choucroute bout!.

Les filles de Norvège
Aussi ont entendu :
Elles ont par la neige
Processionné sans but...

Car Goël presqu'un roi
Et, de plus, grand chrétien,
S'est éteint de chagrin
Et sans savoir pourquoi.
 
 
 
henri strentz (1875-1943). Revue Les Facettes (novembre 1911).
 
 
le tambour funèbre
 
 
 
La plaine dépouillée et sa détresse immense,
Les villages prostrés sous le plomb du soir lourd ;
Et, seul écho perdu qu’on croirait de silence,
Le roulement moqueur d’un étrange tambour.

Que vient faire ce fol dans la si triste plaine ;
Ce rôdeur invisible en proie au sot humour
De battre du tambour de façon si sereine
Quand tout est aux abois dans les champs qu’il parcourt ?

Ô spectre de malheur à l’ivresse méchante,
Tu ne glaceras pas de ton roulement sourd
Mon vieux sang de chrétien que plus rien n’épouvante !

Mort, je t’ai reconnue, affre de tout amour,
Étrangleuse de joie, indiscrète passante,
Et qui bats le rappel sur ton narquois tambour !
 
 
 
henri strentz (1875-1943). Premières odes. (1938).
 
 

 
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22 janvier 2012 7 22 /01 /janvier /2012 21:32
Jean Royère
(1871-1956)
 
Jean Royère est né en 1871 à Aix en Provence. Il fait ses études successivement à Aix, Lyon et Paris et, après un rapide passage par la politique, il entre dans l'administration. En 1903, il prend la direction de la revue Écrits pour l'art, fondé par le poète René Ghil et où collaborent John-Antoine Nau et F. T. Marinetti. Il fonde en 1906 la revue La Phalange, qui devient l'organe officielle de la poésie et de l'art symboliste, et accueille dans ses pages Gide, Carco, Jules Romains, Jammes, Vielé-Griffin, Max Jacob, Appolinaire et le jeune André Breton. Après la Seconde Guerre mondiale, Royère continue à grouper autour de lui un certain nombre de jeunes auteurs, les "Poètes du Mercredi", à la brasserie Lipp. Pour Valéry Larbaud, La Phalange fut une expérience poétique irremplaçable, "une des premières revues de conciliation qui parurent dans cette période de fragmentation et de confusion des groupes et des écoles qui suivit immédiatement l'entrée définitive du symbolisme dans l'histoire littéraire de la France". Royère poète est l'expression même de la poésie pure. il n'aime ni les discours, ni les lieux communs ni la grandiloquence. "Ma poésie est obscure comme un lys", aimait-il à dire défendant l'Art pour l'Art contre l'invasion des préoccupations sociales en poésie.
Outre ses poèmes, on doit à Jean Royère une série d'études critiques qui suscitèrent beaucoup d'enthousiasme mais aussi de colère au sein de la jeune génération poétique. Sa plaquette, publiée en 1920, sur la Poésie de Mallarmé fait encore référence. Il meurt en 1956 dans cette Provence aixoise qu'il avait tant aimée.
 
Exil doré (Vanier, 1898); Eurythmies (Messein, 1904); Soeur de Narcisse nue (La Phalange, 1907); Par la lumière peints... (G. Crès, 1919); Quiétude (Emile Paul, 1923); Poésies complètes (Amiens, Edgar Malfère, 1924); O Quéteuse voici (Kra, 1928); Orchestrations (Messein, 1936) .
 
 
 
Enfance
 
La tiède nuit me tend un front pâli d'aurore
D'où tombe sur la mer l'onde d'un ciel léger
Où les vagues moutons qui bêlent au berger
Bombent d'un dos luisant le jour qui les colore.

Pendant qu'à l'horizon passent les tourterelles
De l'aube moi je panse un cœur martyrisé
Et je nimbe de la lumière d'un baiser
Tout un flot de clartés entrecroisant leurs ailes.

En toi chante la voix native qui me guide
Dans une immense nef vers les tableaux du Guide
Comme si l'humble azur devenait la cité
Où je m'endormirai quand tu m'auras quitté
Pour parfumer mon cœur de l'encens des ramures!

Plutôt que je m'en aille à travers les murmures
Musicaux respirer les astres et les fleurs
Et palpitant aussi du rythme des couleurs
M'étendre sur la mer comme une immense lyre

Sans confier aux cieux que je ne sais pas lire!...
 
     
 
Jean Royère. (1871-1956), Par la lumière peints... (1919)
 
 
Avec ces souvenirs
 
Avec ces souvenirs d'automne gris et las
Qui traînent dans le parc blême leurs falbalas
Indifférents au galbe effacé des statues
- Le soir pâme au toucher de ces chairs dévêtues
Et sur le marbre nu met l'appât du velours -
Je farderai du rose alangui des vieux jours
Où l'avenue à l'infini du crépuscule
Jaune et mourante ainsi que du passé recule
Pour vous - pour vos espoirs renaissent tous les mois,
Le visage vieilli de nos jeunes émois,
Méditant notre amour et cette destinée
De la feuille qui meurt aux cendres condamnée.
 
     
 
Jean Royère. (1871-1956), Soeur de Narcisse nue  (1907)
 
 
 
Une fontaine
 
Une fontaine au gré des heures pâlissantes
Où se mirent, candeur, mille clartés décentes,
Evanouissement du tremble dans l'azur,
Sera notre clepsydre à dater sur l'impur
Ecoulement du temps les jours où nous vécûmes
Comme au gouffre des flots surnage un peu d'écume.
 
     
 
Jean Royère. (1871-1956), Eurythmies. (1904)
   
 

fontaine-copie-1.jpg

 
 
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15 janvier 2012 7 15 /01 /janvier /2012 20:32
Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz
(1877-1939)
 
Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz est né à Czéréia (Russie impériale), le 28 mai 1877. Il est issu d'une famille de nobles lithuaniens qui possédait de vastes domaines où il passa une enfance de rêve et de solitude. Il arrive à paris à l'âge de douze ans et suit les cours du lycée Janson-de-Sailly puis, à partir de 1896 ceux de l'Ecole des langues orientales. Il effectue ensuite plusieurs voyages dans son pays natal, avant de s'installer définitivement en France en 1906. Il prend part à la Conférence de la paix en 1919, en tant que représentant de la Lithuanie. En 1920, il est nommé chargé d'affaires de la Lithuanie en France, puis, en 1925, il devient ministre résident. Il prend la nationalité française en 1931 et s'installe à Fontainebleau à partir de 1938. Il y meurt brutalement le 2 mars 1939.
La nostalgie de l'enfance, la Lithanie perdue, la solitude et l'appel de la mort sont à la source d'une poésie très personnelle, évoluant de l'alexandrin au vers libre, qui a fasciné Appolinaire et influencé de nombreux poètes du début du siècle dernier. Milosz se convertit au catholicisme en 1927 et son oeuvre évolue peu à peu vers le mysticisme et l'ésotérisme. Sur sa tombe, on peut lire : "Nous entrons dans la seconde innocence, dans la joie, méritée, reconquise, consciente."

Le Poème des Décadences (Girard et Villerelle, 1899); Les Sept Solitudes (Jouve, 1906); Les Eléments (Bibliothèque de l'Occident, 1911); Poèmes (Figuière, 1915); Adramandoni (Menalkas Duncan, 1918); La Confession de Lemuel (La Connaissance, 1922); Dix-sept poèmes (Tunis, Armand Guibert, 1937) .

 
 
 
Tous les morts sont ivres
 
Tous les morts sont ivres de pluie vieille et sale
Au cimetière étrange de Lofoten.
L'horloge du dégel tictaque lointaine
Au cœur des cercueils pauvres de Lofoten.

Et grâce aux trous creusés par le noir printemps
Les corbeaux sont gras de froide chair humaine;
Et grâce au maigre vent à la voix d'enfant
Le sommeil est doux aux morts de Lofoten,

Je ne verrai très probablement jamais
Ni la mer ni les tombes de Lofoten
Et pourtant c'est en moi comme si j'aimais
Ce lointain coin de terre et toute sa peine.

Vous disparus, vous suicidés, vous lointaines
Au cimetière étranger de Lofoten
— Le nom sonne à mon oreille étrange et doux,
Vraiment, dites-moi, dormez-vous, dormez-vous ?

— Tu pourrais me conter des choses plus drôles
Beau claret dont ma coupe d'argent est pleine,
Des histoires plus charmantes ou moins folles;
Laisse-moi tranquille avec ton Lofoten.

Il fait bon. Dans le foyer doucement traîne
La voix du plus mélancolique des mois.
— Ah ! les morts, y compris ceux de Lofoten —
Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi…
 
     
 
O.V. de Lubicz-Milosz. (1877-1939), Les Sept Solitudes. (1906)
 
 
Il nous faut
 
Il nous faut un aubergiste bien rond,
Sautillant, au bonnet saluant preste,
Aux boutons de métal doux sur sa veste.
Il nous faut, il nous faut, mon cœur profond.

Une vallée un peu de vieille estampe.
Des Peterborough aux habits de plaids,
Les amours de Newstead au gris des lampes,
Un grand vent qui déclame du Manfred.

Il nous faut l'oubli le plus implacable,
(C'est comme si nous n'avions pas été)
Des noms de jadis gravés dans les tables;
Voilà ce qu'il nous faut, en vérité.

— Comme plus haut : un aubergiste rond
Et des chambres discrètement baignées
De demi-jour de toiles d'araignée.
— Il nous faut, il nous faut, mon cœur profond.
 
     
 
O.V. de Lubicz-Milosz. (1877-1939), Les Sept Solitudes. (1906). 
 
 
Vieille gravure
 
L'ombre sévère et mal imprimée
De la Sierra Morena me cache
Mon mélancolique ami Gamache
En veste de singe et de fumée.

Plus loin je n'aperçois que le tiers
De la jambe gauche de Sancho
Sur ce fond d'Estrémadure amer
Dont mon âme esseulée est l'écho.

Non moins indécise est cette morne
Lune de jamais dont le doux clair
Géométrique fait danser l'air
Poudreux du grenier de Maritorne.

La Roche Pauvre aussi, ce me semble,
Intervient ici mal à propos
Qui dévore la moitié du dos
D'un Cardénio, rêveur sous le tremble.

Et ce ciel est trop bas pour la lance
De ce de la Manche exagéré,
Qui fait tendrement rire et pleurer
Les vallons de l'éternel silence.

— Dehors la neige et presque demain,
La Solitude toujours nouvelle.
Allons ! Un ou deux verres de vin
Et puis, et puis soufflons la chandelle.
 
     
 
O.V. de Lubicz-Milosz. (1877-1939), Les Sept Solitudes. (1906).
   
 

colombe-copie-1

 
 
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7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 23:16
Robert Valléry-Radot
(1885-1915)
 
Arrière-petit-neveu d'Eugène Sue, Robert Valléry-Radot, né le 31 juillet 1886 aux Alleux par Avallon (Yonne), propriété de sa famille, descend d'une famille de notaires et de juges du Morvan. Robert Vallery-Radot a vécu, par goût, une adolescence très solitaire. Passionné de lectures, il recherchait le silence. Les Alleux furent le parc somptueux où s'éveillèrent tous ses rêves. C'est parmi les rocs farouches du Morvan, les pins, les chênes gigantesques, qu'il a commencé de balbutier son amour de Dieu et de la nature. Armé de fortes études classiques il débute dans les lettres à dix-sept ans, à l'occasion d'un concours de poésie organisé par la revue La Plume, en 1903 et publie, en décembre 1906, un premier volume de vers. Grand ami de François Mauriac et de Georges Bernanos dès avant la guerre de 14, il anime la revue des Cahiers de l'amitié française. De 1914 à 1918, il est mobilisé comme chef de section et reçoit, à titre militaire, la Croix de guerre et la Légion d'Honneur. Tenté par le fascisme durant les années 1930, il rejoint le régime de Vichy en 1940. Ordonné prêtre en 1953, il finit ses jours en 1970 à l'abbaye cistercienne de Bricquebec (Manche).
 
Les Grains de myrrhe (E. Sansot, 1906), Les Chants de Chryseis. Les Dents du Sylvain. Au seuil de la demeure (E. Sansot, 1907), « In Memoriam », (Plon, 1908), L'Eau du puits,( Plon, 1909).  
 
 
Sur ses yeux
 
Que j'aime tes yeux où s'endort
Une chaude langueur voilée,
Tes yeux d'ombre où brûle de l'or,
Pareils à des nuits étoilées!

Embrasant d'eux tout l'univers,
Ils sont ma clarté coutumière;
Je ne vois le ciel qu'à travers
Leur ardente et douce lumière.

Tantôt graves, tantôt rieurs,
Et baignés de tendresse humaine,
Dans mon royaume intérieur
Ils forment mon plus cher domaine;

Ils me sont les miroirs sacrés
Où, m'allégeant de mes faiblesses,
Je m'apparais transfiguré,
Divin de force et de noblesse!

Je me plais à me perdre en eux
Comme en une forêt profonde
Au silence prodigieux,
Tout près de Dieu et loin du monde;

Forêt où l'infini s'étend,
Et qui me fait songer à celle
Où vinrent Ysolde et Tristan
S'unir d'une étreinte éternelle !

Forêt d'ivre félicité
Où je me confonds en toi-même,
Où je meurs d'entendre monter
Le chant de ton âme qui m'aime...
 
     
 
Robert Valléry-Radot. (1885-1970), Les Grains de Myrrhe (1906)
   
 

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18 décembre 2011 7 18 /12 /décembre /2011 18:54
François Mauriac
(1885-1970)
 
Chez Mauriac, le poète est moins connu que le romancier. Pourtant c'est en lisant son premier recueil de vers, les Mains jointes (1909) que Barrès, alerté par Bourget, le découvre et lui consacre un premier grand article dans L'Echo de Paris. "Parti du Racine poète lyrique, de la prose de Maurice de Guérin, peut-être des poèmes de Charles Guérin et d'une certaine nostalgie éperdue de Jammes, Mauriac a ménagé sa poésie en asile toujours menacé d'un bonheur chrétien qu'assiège la nature, et il a fait entendre un appel de la vie charnelle prise dans l'étreinte du surnaturel." (Henri Clouard).
 
Les Mains jointes (Editions du Temps Présent, 1909), L'Adieu à l'adolescence (Stock, 1911), Orages (Editions de la Sphère, 1926), Le Sang d'Atys (Grasset, 1940).
   
 
Pourquoi faut-il ...
 
Pourquoi faut-il que l'on revienne des voyages
Avec le coeur pesant d'une misère accrue ?
En route, j'ai cueilli des peines inconnues,
Et toute la langueur de tous les paysages...

J'ai souffert. J'étais seul comme toujours. Les heures
Sont lentes à mourir dans la ville étrangère.
L'écho n'y chantait pas des voix qui me sont chères,
Les yeux n'y vivaient pas des amis que je pleure.

Je n'avais avec moi que ma peine, ma peine
Si médiocre, si basse et toujours obstinée...
Et pourtant, quand venait la mort de ces journées,
Mon coeur n'eût pas osé lui dire : tu me gênes...

Car à l'heure où mon front touchait la vitre obscure,
Qu'en ces climats une éternelle pluie inonde,
Me voyant terrifié d'être si seul au monde,
La peine mit des pleurs sur ma pauvre figure.

Pourquoi, mon Dieu, est-on moins seul, alors qu'on pleure ?
Le passé vient vers notre coeur et le désarme;
On reconnaît le goût amer de chaque larme,
Et les jours anciens revivent dans une heure...
 
     
 
François Mauriac. (1885-1970), L'Adieu à l'adolescence (1911)
 
 
Les grands vents d'équinoxe
 
Les grands vents d'équinoxe ont pleuré dans les bois
- Vents amers parfumés aux lointaines contrées,
Qui disait la fin des vacances, autrefois.
O souvenir, ô brume douce des rentrées...

Je songeais en quittant le parc déjà humide,
A l'enfant que j'allais retrouver, à l'ami
Dont le regard pensif, caressant et soumis
Illuminait pour moi les vieilles classes vides.

Il est mort. Sa pensée est en moi... sa pensée...
Dans le rêve de cet automne pluvieux.
- Inconsolable deuil où la vie est blessée,
O mon adolescence à qui je dis adieu.
 
     
 
François Mauriac. (1885-1970), L'Adieu à l'adolescence (1911)
 
 
Le corps fait arbre
 
Le parfum de ta robe attire les abeilles
Plus que les fruits mangés que ta sandale broie.
Accueillons cet élan de végétale joie,
Ce silence de la campagne où Pan sommeille.

Rêve que désormais, immobile, sans âge,
Les pieds enracinés et les mains étendues,
Tu laisses s'agiter aux orageuses nues
Une chevelure odorante de feuillage.

Les guêpes voleront sur toi sans que s'émeuve
L'écorce de ta chair où la cigale chante
Et ton sang éternelle sera comme les fleuves,
La circulation de la terre vivante.
 
     
 
François Mauriac. (1885-1970), Orages (1925)
 
 

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18 décembre 2011 7 18 /12 /décembre /2011 11:05
 
 
art poétique
 
 
 
Un clair midi d'octobre ensoleillé, mon frère.
Prends la guêtre de cuir et le bâton ferré.
Descends, par le routin qui rampe dans les prés,
Jusqu'au village blanc qu'embrasse la rivière.

Suis le vieux mur. Contourne avec lui le verger ;
Et le long de la haie où sèche une lessive,
Souris, sans t'arrêter, aux yeux mouvants d'eau vive
De l'enfant qui dira : « Bonjour » à l'étranger.

Enfonce-toi sans crainte au cœur des oseraies.
Marche. Ne pense point. Va comme le sentier.
Bois une verre de vin nouveau chez le meunier.
Donne un peu de luzerne à sa pouliche baie.

Repars. Tu trouveras des genêts et des joncs,
Puis encore des prés violets de colchiques.
Enfin, dans son mystère orgueilleux et tragique,
Mon frère, tu verras s'élever le donjon.

Tu monteras parmi les pierres éboulées,
Mais sans t'asseoir avant le sommet de la tour.
Et tu regarderas jusqu'à la fin du jour,
Bleue et molle, silencieuse, la vallée.

Baisse la lampe un peu sur la chambre bien close.
Vas-tu pleurer ? Soudain tu sens te mordre au cœur
Une trop chère, et vague, et pressante douleur.
Et tu trembles devant les feuilles, et tu n'oses.

Laisse fondre en tes yeux tout le ciel qu'ils ont pris.
Ah ! pleure... Mais prolonge une veille acharnée.
Et tu sauras, après la tâche terminée.
Ce qui reste d'azur dans le poème écrit.
 
 
 
francis éon (1879-1949). Trois années (1907).
 
 
les pigeons-paons
 
 
 
Comme les pigeons-paons qui gonflent sur le toit
Au soleil de novembre doux leurs gorges blanches,
Comme ce couple ami de tourterelles franches,
O mon frêle bonheur d'aimer, réchauffe-toi.

Le ciel est sans nuage et l'heure tiède. Vois !
Le souffle du printemps futur émeut les branches.
Des enfants jouent sur la grand'route. C'est dimanche.
La cloche du vieux bourg conseille. Entends sa voix.

Nous allons faire un lourd bouquet de roses pâles
- Mais ces femmes en noir, frileuses sous leurs châles,
Pourquoi, mon Dieu, pourquoi se pressent-elles ?... Ah !

Le soir enveloppant surgit au couchant fauve !
Viens vite près du feu que ma peur attisa,
O mon dernier bonheur d'aimer, que je te sauve !
 
 
 
francis éon (1879-1949). La Promeneuse. (1905).
 
 
cette ville
 
 
Smarves
 
Si j'aime à l'horizon cette ville couchée,
C'est qu'à mon beau désir elle est pleine aujourd'hui.
Un grand chemin fleuri de ciel, une jonchée
D'avril harmonieux et tendre m'y conduit :

Là-bas vous respirez et m'attendez sans doute,
Sous une haute ardoise au vif éclat bleuté ;
Mais si dans la saison j'enfonce cette route,
Certain de ce printemps je redoute l'été.

Ah! laissez contre vous que je serre ma vie,
Et ces courages vains dès longtemps résolus !
A ce pays charmant si vous êtes ravie,
Cachez moi bien les jours où vous n'y serez plus.
 
 
 
francis éon (1879-1949). Revue "La Muse française". (janvier 1932).
 
 

 
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N°1 - 2009/01
 
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