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26 février 2017 7 26 /02 /février /2017 21:39
Joachim Gasquet
 
 
le paquebot
 
 
 
Dans mes soutes le rêve abonde,
Ardente Europe, nous voici.
Nous avons fait le tour du monde,
Chante le paquebot noirci.

Le vieux poème que répète
La vague aux vagues du néant,
Dans les cheveux de la tempête
M'a traîné sous son poing géant.

Toute une ivresse prophétique
Vibrait le long du gouvernail
Et l'avenir mathématique
Ronflait au fond de mon poitrail,

Cependant que lourdes d'histoire
Les frustes races du passé
Venaient, le long des promontoires,
Dans leur brume, nous voir passer.

Les seins gonflés de ma fumée
Attiraient au soleil levant
Comme une garce parfumée
Les mains frémissantes du vent.

Chaque aurore, la nappe mise
Nous attablait au grand festin
Que l'univers donne à la brise
Sous les bannières du matin.

Pour nous, crispant leur frénésie
Au bord du Songe universel,
Les temples roses de l'Asie
Dansaient dans l'air chargé de sel,

Et les usines d'Amérique,
Les cités de suie et de fer,
Sur les rails d'or l'express lyrique,
Jetaient leur fumée à la mer.

Les voluptés orientales
Épousaient les neiges du Nord
Aux soirs rêveurs de nos escales,
Et maintenant voici le port.

Les bras ouverts, Marseille blonde
— Siffle, sirène — nous sourit.
Nous avons fait le tour du monde,
Chante le paquebot noirci.
 
 
 
joachim gasquet (1873-1921). Le Paradis retrouvé. (1911).
 
 
la maison des ancêtres
 
 
 
Mon père a relevé la maison des ancêtres.
Blanche, à travers les pins, par-dessus les lauriers,
Elle regarde, au loin, de toutes ses fenêtres,
Se lever le soleil sur les champs d'oliviers.
Deux ceps noueux font à la porte une couronne,
Et beaux comme des dieux, deux antiques mûriers
Dressent devant le ciel leur rugueuse colonne.

Je m'accoude souvent au marbre usé du puits
Et j'entends se répondre autour de moi les bruits
De la ferme et des champs qui varient avec l'heure,
Et le rouge coteau, tout parfumé de thym,
Comme une ruche en fleurs embaume la demeure.

Ayant rempli ma loi, s'il faut qu'un jour je meure,
O maison, j'ai bâti dans tes murs mon destin.
Quand ta porte au soleil s'ouvre chaque matin,
Je sens mon cœur aussi qui s'ouvre à la lumière
Et nous faisons au ciel une même prière :
« O Provence, à travers les changeantes saisons,
Dans le flot incessant des choses et des êtres,
Quand nos fils bâtiront de nouvelles maisons,
Qu'ils ne quittent jamais le pays des ancêtres. »
 
 
 
joachim gasquet (1873-1921). Les Chants séculaires. (1903).
 
 
élégie italienne
 
 
 
Sur son lit de corail, dans ses coussins d’écume,
Naples dort, un bras allongé,
Et dans ses bruns cheveux la Sibylle de Cume
Tresse des feuilles d’oranger.

Nous avons sur son lit laissé la belle fille,
Nous voguons sur la haute mer...
La pluie, en folâtrant, a défait sa résille
Et danse lourdement sur le pont du steamer.

La mer se rétrécit, les grands caps dans la brume
Se rapprochent, l’horizon bas
Erre inquiet autour des phares qu’on allume...
Qu’est-ce qui nous attend là-bas ?

Qu’importe ! Chaque jour l’univers recommence.
Perdus sur la mer, nous dormons,
Et le Plaisir partout dresse une table immense
Où demain nous boirons sous la tente des monts.

L’aube en court jupon vert danse au bord de la terre,
Et pour nous, contre son cœur fort,
Déjà, hors de la brume, au-dessus du mystère,
Gênes, là-bas, presse son port.
 
 
 
joachim gasquet (1873-1921). Le Bûcher secret. (1921).
 
 

 
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29 janvier 2017 7 29 /01 /janvier /2017 11:44
Henri Bouvelet
 
 
première sortie
 
 
 
Au long du toit rustique où décline la tuile
Le soleil qui s’étend et glisse en nappe d’huile
S’arrête sur le bord un instant, et soudain,
De son poids ruisselant tombe sur le jardin
Dont la pelouse fraîche est une île étalée
Qu’enserre étroitement le fleuve de l’allée.
Le jour coule à flots lents au fil du sable doux
Pour la première fois je n’ai plus mal du tout ;
J’ai pu comme une enfant qui met sa robe blanche
Reprendre pour sortir mon âme du dimanche,
Et pour habituer mes pas convalescents,
Ayant pris du chemin le côté qui descend,
Je marche sans effort sur la brise qui m’aide
En me poussant le dos du plat de ses mains tièdes.
 
 
 
henri bouvelet (1890-1912). Revue "Shéhérazade". (septembre 1910).
 
 
la volière
 
 
 
Dans les mille maillons d’un flexible roseau,
Le vent rude qui jette un filet sur la plaine
Capture nos bonheurs comme on prend les oiseaux,
Et sur son large dos les charge et les emmène ;

Nos orgueils et nos yeux, aigles ou passereaux,
L’averse les retient dans sa volière pleine
Que l’orage fabrique avec ses tringles d’eau
Où vient se mutiler l’effort des ailes vaines.

Aux regrets pérégrins des plumes et des becs.
Le songe offre un perchoir et l’art un biscuit sec
Où chacun à son gré s’irrite ou se balance,

Tandis qu’au bord d’une auge où croupit le silence
Un merle avec ardeur des cultes puérils
S’égosille à crier le retour de l’avril.
 
 
 
henri bouvelet (1890-1912). Revue "Schéhérazade". (mars 1910).
 
 
vocations
 
 
 
Les chambres de couvent ressemblent à mes nuits :
Leur veilleuse est la sœur de mon inquiétude,
Et de tous les côtés ma jeunesse qui fuit
Est blanchie à la chaux sévère de l’étude.

Je consacre à mon dieu que blesse une croix rude
Un rameau de laurier plus amer que le buis ;
Et c’est loin de mes yeux que le matin dénude
Avec mes doigts ardents la forme d’aujourd’hui ;

Je ne suis point captif puisque j’ai pour frontière
Le rectangle permis d’un petit cimetière
Où je creuse dans l’ombre un trou pour mon cercueil ;

Même je me complais à ce jeu qui me hausse
Depuis l’instant subtil où j’ai trouvé l’orgueil
D’être deux fois plus grand sur le bord de ma fosse.
 
 
 
henri bouvelet (1890-1912). Le Royaume de la terre. (1910).
 
 

 
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23 décembre 2016 5 23 /12 /décembre /2016 16:15
Georges Louis Garnier
 
 
verdures de paris
 
 
 
- De quels purs éléments naît ton charme, ô verdure ?
- Du bleu si frais de l’eau, de l'or si beau du jour.
- D'où ce baume qui plus que ta nuance dure ?
- Du dieu dont ce mortel feuillage est le séjour.

Frondaisons! Revoici le feuillage d'avril !
Source ailée au-dessus des amants gazouillante,
Onde et brise, aube et chant fondus en même plante,
Ce qu'il sait du bonheur, jamais le dira-t-il ?

Que j'aime dans ton parc étagé, tout au bout
De l'allée expirant sur la terrasse altière,
Ce vertige d'azur plus profond, ô Saint-Cloud
Que l'ombre de tes bois perdus dans la lumière !

Meudon, Fourqueux, Marly, noms gazouillants d'oiseaux,
Montmorency, Sannois, Fontainebleau, Recloses,
Coups d'ailes de Paris au sommet des coteaux
Qui la ceignent de bois, de vergers et de roses !

Verte nacelle au bleu du songe suspendue,
La petite clairière où je m'étais assis
Emporte doucement à travers l'étendue
Ma peine qui devient ange du paradis.

Beau voile frissonnant, brodé de mille oiseaux,
Pudeur de la Maison, son aise et sa parure,
Qu'il est doux d'entrevoir, si blanche en tes réseaux,
Sa chaste épaule où dort le bonheur, ô verdure !

Souvent aux calmes nuits de l'été je m'assois
Dans ces jardins déserts, ces parcs, ces avenues,
Où l'âme de Paris, amoureuse des bois,
Rêve jusqu'au matin d'idylles ingénues.

Si je ne connais plus des jardins que leurs grilles,
C'est rosée à mon cœur d'entrevoir un sentier
Où quelque oiseau des bois descend, entre deux trilles,
Boire à la cascatelle en fleur d'un églantier.

- Grands arbres, dites-moi si le chant qui s'envole
Au gré des vents, Zéphyr, Tramontane, Aquilon,
Mieux vous plaît que la stance à mesure moins folle ?
Dionysos est ivre et trop sage Apollon.

- Laisse les dieux, poète, et prends des hirondelles
Un exemple à la fois savant et naturel,
Car les beaux vers, toujours, comme les justes ailes
Sont en naissant compas et balances du ciel.
 
 
 
georges-louis garnier (1880-1943). Verdures de Paris (1938).
 
 
en perdition
 
 
 
A Guy Lavaud.
 
Profondeurs de la vie, abîmes insondés
Où n'atteignent que les naufrages,
Nef en péril, je songe aux trésors inondés
Qui dorment dans vos noirs parages.

A quels scaphandriers, dans leur nuit descendus,
Vos épaves livreraient-elles
Les mystiques joyaux des dévouements perdus,
L'or des fidélités mortelles ?

Des riches cargaisons qui font les destins lourds
Le malheur volontiers nous prive,
Tandis que, sillonnant la surface des jours,
La maigre voile atteint la rive.

Mais que me sont auprès des diamants noyés
Dont les astres ont la mémoire
Les parures de verre et les pâles colliers
De la fortune ou de la gloire !
 
 
 
georges-louis garnier (1880-1943). Le Songe dépouillé (1931).
 
 
poème d'automne
 
 
 
Nourrice au sein meurtri, douce et tendre saison
Qui portes les fruits de la terre,
De quel amour, Automne, aimes-tu la maison
Que ton sang doré désaltère !

Hutte du bûcheron, petits hameaux perdus,
Gai village à flanc de colline,
Toutes sont tes enfants que tu tiens suspendus
Après ta mamelle divine.

Baisse le jour. Leur faim apaisée en tes bras,
Le cellier plein, la grange lourde,
Tu baignes de rosée et puis clos leurs yeux las
Que fait rêver ta chanson sourde.

Qu'elle est tranquille alors la dormeuse au front blanc,
Posé sur un calme nuage,
Tandis qu'à ses pieds frais tu laisses en tremblant
Glisser ton voile de feuillage !
 
 
 
georges-louis garnier (1880-1943). Le Songe dépouillé (1931).
 
 

 
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30 novembre 2016 3 30 /11 /novembre /2016 10:33
Fagus
 
 
confection d'un sonnet
 
 
 
I
 
Pour résoudre l'obscur sonnet
Qui fermente en ton mésentère
De toi suffira-t-il de traire
Deux quatrains, deux fois un tercet

Selon le dessin qu'en traçait
Boileau monté sur Despautère
(Six, et sept il est salutaire
De compter huit) voyez, ce n'est

Rien de plus, et tel le souhaite
(Neuf, et dix) le maître poète
Avec le maître menuisier ;

On assemble, et cheville et rogne,
Et Minerve au fond du panier
En pénitence grogne, grogne.

 
 
II
 
Sertir en quatorze vers
Selon des règles concises
Aux prescriptions précises
Le discobole univers,

Revers trouble, absurde avers,
Esthétiques indécises,
Éthiques sur rien assises,
Érotiques à l'envers,

Toutes aurores qu'on lève,
Et toutes bulles qui crèvent,
Démons qu'on ne sait bannir,

Tout ce qui nous fait maudire
La vie et la vient bénir,
Tout ce qu'un sonnet doit dire.

 
 
III
 
Gloire humaine offerte aux vers,
Calme extase des églises,
Chant des gouffres, chœur des brises,
Tout ce que l'orbe univers

Roule, angélique ou pervers,
Neige au cul des Cydalises,
Aubes en fleur, ailes grises,
L'empreindre en ce rien de vers,

Cœurs déclos, âmes fermées,
Cieux qui s'ouvrent, joies, fumées,
Ce qui meurt, ce qui renaît,

Tout espoir et toute envie,
C'est beaucoup pour une vie,
C'est assez pour un sonnet.
 
 
 
fagus (1873-1933). Clavecin (1926).
 
 
carolle fleurie
 
 
 
— Voici pour joindre la Guirlande
Des fiançailles fleur sur fleur :
Voici la Sauge et la Lavande ;
Voici la Bruyère des brandes;
C'est pour nos haltes sur la lande
Où la mer grande boit ses pleurs ;

Au fond des neiges nuptiales
Voici la Violette frileuse
Et ses fourrures, mousses vertes,
Blottie en timide amoureuse
Que son seul parfum déconcerte :
Ainsi vos puretés s'exhalent ;

Voici, filleule des hivers
Et du printemps la fiancée,
La glaciale Primevère;
Voici la céleste Pervenche :
Et c'est l' amante qui se penche,
Vers l'amant tremblant et glacé ;

Voici l'alerte Coucou jaune,
Chapeau-chinois du messager
Avril, qui lustre sa couronne
Qu'effeuille mai, dès que fleuronne
L'Aubépine, où vient voltiger
Ton amour au souffle léger ;

Voici la reine Renoncule,
Auréole à l'étang qui dort :
Pour le crépuscule et l'essor
De nos rêves où s'accumule,
Tandis que sombre un passé mort,
Un avenir d'immense aurore ;

Voici l'étoile Marguerite,
D'or toute, aux vibrements d'argent
Qu'un halo de rubis agite,
Qu'iront nos voeux interrogeant :
C'est pour les transes que suscitent
Les bourrasques d'un sort changeant ;

Milliers de prunelles pensives
Où s'égouttent des coeurs blessés,
Voici, des légendes plaintives,
Les Myosotis des délaissés :
C'est pour nos coeurs qu'ont traversé
Si cuisants deuils pour joies si vives

Voici, Veilleuses de Marie,
Les fleurs des vierges sans mari,
Lampes des veuves palpitant
Au catafalque des prairies
Quand tinte l'automne expirant :
Et c'est pour nos mélancolies ;

Et voici le Lys pour l'histoire
Du lys qui s'entrouvre vers moi ;
Voici la Pensée en mémoire
Du soir qui l'a promis à moi;
Et voici la Rose en sa gloire,
Pour l'autre soir que j'entrevois !

Et voici des Pensées encore :
C'est pour que vous pensiez à moi.
 
 
 
fagus (1873-1933). Guirlande à l'épousée (1921).
 
 
ballade de la grande pitié
 
 
 
A Maurice Allem.
 
- Où est Rutebœuf, où Verlaine,
Où Touroulde, où François Villon,
Tristan l'Hermite, La Fontaine,
Jean de Meung et son compagnon,
Clément Marot, Pierre Dupont,
Alain Chartier, Marie de France,
Jean Lorrain, René Ghil, Degron ?
Mais, où est la chanson de France ?

Où est Laforgue, où est Verlaine,
Où sont Stéphane Mallarmé,
Rimbaud à l'âme plus qu'humaine,
Hello, Cros du Yanki pillé,
Signoret, le divin Villiers,
Et Jarry, et Tristan Corbière,
Georges Périn et Cuvilliez ?
Mais on est Charles Baudelaire ?

Et, où sont Glatigny, Verlaine
Et Maurice de Faramond ?
Deubel que but ou Marne ou Seine,
Humilis mort sous son haillon,
André Gill mort au cabanon,
André Chénier, tronche sa tête,
Le grand Bruant, et Châtillon,
Et ceux dont on ne sait le nom :
Où sont-ils, les divins poètes ?

 
envoi
 
- 0 Vierge Marie, espérance
De tous les trouveurs de chanson,
Les poètes sont en souffrance
Et les lys sont à l’abandon :
Prends en pitié le beau parler de France !
 
 
 
fagus (1873-1933). La Muse française (octobre 1930).
 
 

 
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29 octobre 2016 6 29 /10 /octobre /2016 08:12
Klingsor
 
 
monsieur de la gandara
 
 
 
La lune se lève sur le marronnier,
Monsieur de La Gandara rêve au Luxembourg ;
La lune se lève sur le marronnier
Et monsieur de La Gandara la regarde ;
On entend au loin battre le tambour
De garde.

Dans la douceur de ce soir printanier
Le vent léger transporte une odeur de lilas ;
Le sergent de ronde fait sonner ses clefs ;
Les couples s'isolent dans les allées
Et monsieur de La Gandara qui s'attarde
A contempler la couleur rose-thé
Des balustrades,
A son tour s'en va.

De sorte qu'au fond du vieux parc déserté
Où le fantassin de la République
Veille et s'engourdit,
Les belles reines de marbre,
Droites et mélancoliques,
Restent seules à rêver du temps jadis,
Au clair de lune sous les arbres.
 
 
 
tristan klingsor (1874-1966). Humoresques (1921).
 
 
bougival
 
 
 
Beau canotier de Bougival
Tout est chansons :
Le poisson bleu fait un ovale
Autour de ton bouchon.

Par l’accroc de son manteau gris
Le ciel montre un lambeau d’azur :
Le goujon de cette friture
N’est pas encore pris.

Et cependant déjà la barque nage
Vers le port.
Et ton rêve s’enfuit avec ce fin nuage
Ourlé de rose et d’or.
 
 
 
tristan klingsor (1874-1966). Revue "Le Divan" (1929).
 
 
schéhérazade
 
 
 
Douce Schéhérazade encor un conte !

Où l’on cueille des bouquets d’Engaddi
ou des roses noires d’Endor
où se rencontre
le magicien d’amour maudit
avec Miryamie au jardin, qui dort.

Douce Schéhérazade encor un conte !

Où viennent pépier les bengalis
en leurs robes adorables d’oiseaux,
où l’on rencontre
avec leurs cinnors aux airs jolis
les couples ennoués des damoiseaux.

Douce Schéhérazade encor un conte !

Ou bien où songe en sa forêt d’Orient,
comme un mort qui serait paré d’oranger,
quelque vieux comte
d’Assur ou de Tripoli, souriant
dans sa blanche barbe de chanvre léger...
 
 
 
tristan klingsor (1874-1966). Revue "Schéhérazade" (1903).
 
 

 
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30 septembre 2016 5 30 /09 /septembre /2016 17:53
Dumas
 
 
l'escale
 
 
 
Gars d'Audierne et de Cancale,
Ils ont aujourd'hui débarqué.
Le navire dort à la cale.
Eux ils traînent le long du quai.

La nuit est lentement venue.
Ils restent graves, à songer.
Dans la grande ville inconnue
Que tout leur paraît étranger !

Un mot, un regard de tendresse
Leur manquent depuis si longtemps
Que le besoin d'aimer oppresse
Leurs coeurs de marins de vingt ans.

Alors ils s'en vont vers les filles
Qui rôdent dans le soir brumeux,
Comme eux seules et sans familles,
Dolentes et mornes comme eux.

Et demain dans des lits trop vastes,
Pèlerins d'un monde trop grand,
Les pauvres Bretons aux coeurs chastes
Se réveilleront en pleurant.
 
 
 
andré dumas (1874-1943). Roseaux (1927).
 
 
regret d'avril
 
 
 
Voici qu'avril vient de renaître.
D'autres songent à leurs amours.
Mais quelle est au fond de mon être
Cette voix qui pleure toujours ?

D'où vient qu'en tous lieux, à toute heure,
Malgré le printemps et l'été,
Cette voix dolente qui pleure
Et qui s'obstine ait persisté ?

Quel est ce regret monotone,
Si vague, si triste, si doux ?
Pourquoi cette plainte ? L'automne,
L'automne serait-il en nous ?
 
 
 
andré dumas (1874-1943). La Revue de Paris (novembre 1900).
 
 
le vieux parc
 
 
 
Dans le parc délaissé dont j'ai poussé la porte,
L'automne se prolonge indécis et charmant.
Un peu de vie encor frissonne sur l'eau morte,
Les arbres , dans le soir s'effeuillent lentement.

C'est ici qu'elle et moi, couple heureux, nous rêvâmes,
Et depuis, bien des jours, bien des mois ont passé.
Mais ce que deux enfants ont laissé de leurs âmes,
La suite des saisons ne l'a point dispersé.

Au fond de chaque allée un peu d'elle subsiste,
Comme un charme subtil qui ne s'efface pas.
Et le soir qui descend, le doux soir mauve et triste,
Reflète encore un peu sa robe de lilas.

C'est en vain que l'absence et l'oubli me l'ont prise.
Partout je la retrouve et partout je la vois.
Un peu de son parfum s'attarde dans la brise,
Et l'eau morte tressaille encore de sa voix.
 
 
 
andré dumas (1874-1943). La Revue hebdomadaire (mai 1901).
 
 

 
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28 août 2016 7 28 /08 /août /2016 09:15
Deubel
 
 
soirs de province
 
 
 
Les soirs de la province avec leurs mêmes bruits
De famille et d'intimité sans confidence,
Le long bourdonnement de guêpe du silence
Sont le précieux remède à tes fièvres, Paris !

La vie est bonne et loin des tenaces instances
De la faim et du froid, du sommeil et des nuits ;
L'heure comme une flaque où du bon soleil luit
Luit, et la messe est dite aux fins de pénitence,

Nous qu'on n'a pas aimé les soirs des grandes fêtes
Et qui marchâmes seuls, pleins de l'amour des choses,
Sous les yeux bigarrés des lampions aux faites,

Mes frères ! revenons au vieil ennui natal
Et sous l'ombrage frais du mail municipal
Aimons les contresens de nos métamorphoses.
 
 
 
léon deubel (1879-1913). Sonnets intérieurs (1903).
 
 
azur
 
 
 
Silencieux acteur du drame de la Nuit,
Mon rêve pèlerin vers l'azur appareille.
Les vents m'ont emporté, léger comme l'abeille,
Sous le regard furtif des lointains paradis.

Dans l'ombre où les cités pendent comme des fruits,
La terre sous mes pieds arrondit sa corbeille.
Et le silence, épris de l'heure qui sommeille,
S'accoude à la margelle antique de son puits.

O charme indéfini des nuits surnaturelles !
Mélodieusement rêvent les chanterelles
Des rayons de la lune amante des bergers.

Le ciel, entre mes doigts, a des fraîcheurs d'eau vive,
Et là-bas, dans l'azur divin de ses vergers,
Bombille l'essaim d'or des étoiles pensives.
 
 
 
léon deubel (1879-1913). La Lumière natale (1922).
 
 
ballade d'extrême automne
 
 
 
Au fond des forêts consacrées
Par la présence du printemps,
Le long des sentes mordorées,
Près des sources et des étangs,
Mon cœur s'écrie et je l'entends
Et c'est comme un appel d'alarme :
Ah ! les matins n'ont plus vingt ans.
Le jour est long comme une larme.

L'automne a repris ses soirées,
La neige a donné ses bals blancs.
Au sein des foules affairées
On vend à cris intermittents
Chrysanthèmes couleur d'antans
Et la violette de Parme ;
Mais les matins n'ont plus vingt ans.
Le jour est long comme une larme.

En vain les œuvres préparées
Et les chefs-d'œuvre miroitants
Tendent leurs voiles bigarrées
Au grand souffle venu des temps,
Ma pensée est lasse et s'étend
Comme un guerrier mort sous son arme ;
Car les matins n'ont plus vingt ans.
Le jour est long comme une larme.

 
envoi

O mort grelottante va-t'en
Moissonner cette aube sans charme
Et semer celle qu'on attend.
Le jour est long comme une larme.
 
 
 
léon deubel (1879-1913). Régner (1913).
 
 

 
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30 juillet 2016 6 30 /07 /juillet /2016 23:23
Toulet
 
 
nocturne
 
 
 
O mer, toi que je sens frémir
A travers la nuit creuse,
Comme le sein d'une amoureuse
Qui ne peut pas dormir;

Le vent lourd frappe la falaise...
Quoi ! si le chant moqueur
D'une sirène est dans mon cœur -
O cœur, divin malaise.

Quoi, plus de larmes, ni d'avoir
Personne qui vous plaigne...
Tout bas, comme d'un flanc qui saigne,
Il s'est mis à pleuvoir.
 
 
 
paul-jean toulet (1867-1920). Les contrerimes (1922).
 
 
le coucou
 
 
 
Le coucou chante au bois qui dort,
L'aurore est rouge encore,
Et le vieux paon qu'Iris décore
Jette au loin son cri d'or.

Les colombes de ma cousine
Pleurent comme une enfant,
Le dindon roue en s'esclaffant :
Il court à la cuisine.
 
 
 
paul-jean toulet (1867-1920). Les contrerimes (1922).
 
 
le sonneur
 
 
 
Le sonneur se suspend, s'élance,
Perd pied contre le mur
Et monte : on dirait un fruit mûr
Que la branche balance.

Une fille passe.
Elle rit de tout son frais visage :
L'hiver de ce noir paysage
A-t-il soudain fleuri ?

Je vois briller encor sa face,
Quand elle prend le coin.
L'Angélus et sa jupe, au loin,
L'un et l'autre, s'efface.
 
 
 
paul-jean toulet (1867-1920). Les contrerimes (1922).
 
 

 
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26 juin 2016 7 26 /06 /juin /2016 17:32
Derème
 
 
euterpe
 
 
 
Douce musique sous les branches
Que chauffe un bel après-midi;
La semaine des trois dimanches
N'en est encore qu'au mardi.
Où sont nos vieux soucis ? Où sont nos vieilles peines
Et les tristes espoirs où s'égaraient nos jours ?
Où sont ces époques lointaines
Où nos coeurs soupiraient à tous les carrefours ?
Un air suave et bleu caresse les fontaines,
Balance doucement les grappes des troènes
Et murmure au feuillage où rêvent nos amours.
 
 
 
tristan derème (1889-1941). Le Ballet des muses (1929).
 
 
chanson
 
 
 
- Marchande des quatre saisons,
Ne voulez-vous pas m'en vendre une :
Un printemps heureux sous la lune
Qui rirais au toit des maisons ?

- Je n'ai plus de printemps, dit-elle;
Du printemps comme de l'été
Mes clients ont tout emporté,
Et vainement je les rappelle.

- Pour charmer un coeur trop amer,
Donnez-moi quelque bel automne
Où je chante jusqu'à l'hiver
Ma jeunesse qui m'abandonne.
 
 
 
tristan derème (1889-1941). La Verdure dorée (1922).
 
 
sonnet
 
 
 
A J. Aurélien Coulan.
 
Ni les roses, ni l'air morose que tu siffles
Sous les ifs en gardant ces chèvres et ces buffles
Au crépuscule, vieux berger, joueur de flûte,
Sous la lune que frôle un ibis insolite,

Ni le soir calme, ni ces palmes immobiles,
Ni les astres montant comme de lentes bulles,
Rien ne me distraira de la source où se mire
Son blanc visage au vert de la fraîche ramure.

Et dussé-je mener par les aubes allègres
Le troupeau jaune et noir des tigres et des zèbres
Ou cueillir sur les monts la branche souveraine,

Que j'entendrais sa voix douce sur les fanfares
Et que son souvenir embaumerait mon rêve
Comme une rose à mes couronnes triomphales.
 
 
 
tristan derème (1889-1941). La Verdure dorée (1922).
 
 

 
 
 
tristan derème (1889-1941). Une des principales figures du groupe des poètes fantaisistes avec Francis Carco, Paul-Jean Toulet, Jean-Marc Bernard, Jean Pellerin et Léon Vérane. De son oeuvre prolixe et déroutante se détachent La Verdure dorée (1922), Le Zodiaque ou les étoiles sur Paris (1927), Poèmes des Colombes (1929), Le Poème des Griffons (1938).
 
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29 mai 2016 7 29 /05 /mai /2016 21:29
Gaubert
 
 
offrande à l'automne
 
 
 
Femme au front couronné de lierre et de grenades,
Je te salue, Automne, amante des exils !
Saison du souvenir, de l'oubli, des malades,
Des retours hasardeux et des coeurs en péril !

Comme le coeur mouvant de Chérubin, tu changes
Chaque jour tes décors moroses ou joyeux,
Et tu sembles mêler une langueur étrange
Aux horizons du soir comme au miroir des yeux.

Tu troubles à la fois l'Océan et les âmes.
Déjà d'un doigt léger tu jonches les jardins
De pétales meurtris et, dans le coeur des femmes,
Tu ravives les feux des amoureux chagrins.

Tu réveilles ici la rumeur des vendanges,
L'odeur des raisins bleus et des sureaux pesants,
Et tu te plais, le soir, parmi le foin des granges,
Aux rires de l'amour, maître d'un jeune sang.

Tu guides le départ des tendres hirondelles,
Automne qui te plais aux larmes des adieux,
Et tu sais ajouter une beauté nouvelle
Aux objets bien-aimés, quand nous sommes loin d'eux.

Je t'ai toujours aimé, soutien des exilées,
Bel automne doré des pays occitans,
Automne rouge et bleu des ciels de Galilée,
Heures douces au coeur des penseurs hésitants !

Et je vous offre à vous, déesses de l'Automne,
Qui vous plaisez aux bras robustes des chasseurs,
L'amour inavoué qui fleurit et rayonne,
Dans mon sein rajeuni par la force des pleurs.
 
 
 
ernest gaubert (1880-1945). Les Roses latines (1908).
 
 
terre d'oc
 
 
 
En ce temps, le Midi, riche et libre, au soleil
Dressait, au long des fleuves bleus, ses cités blanches
Et, comme un flot mouvant hors d'une âme s'épanche,
Ses vins rouges faisaient le couchant plus vermeil !

Le fer de la charrue est frère de l’épée !
Seigneurs et paysans cousinaient dans nos bourgs,
Et tous avaient au cœur, alors, un même amour
Pour cette Terre d'Oc que l'on n'a pas domptée.

Pour qu'une terre soit meilleure, il faut du sang !
Un soir de cour d'amour, nos aïeux écoutèrent,
Dominant l'écho des violes et les chants,
Soudain venu du Nord, un sourd fracas de guerre!...

Et, se profilant sur l'azur sombre des monts,
Le pâtre de Gascogne aperçut à l'aurore,
Sur leurs genets d'Anjou, sur leurs cavales mores,
Les chevaliers du Christ, pareils à des démons !

Comme des loups errants, et comme des voleurs.
Et dès l'abord vainqueurs par des trahisons viles,
Ils pillaient les châteaux, incendiaient les villes,
Et nos soirs étaient pleins de flammes et de pleurs.

Comme s'ouvrent parfois les grenades trop mûres,
Les remparts des cités croulaient devant Montfort,
Et sur les murs détruits et les combattants morts
Les Barbares dressaient les croix de leurs armures !

Les Albigeois debout firent face aux Croisés :
Nous luttâmes en vain, de Béziers à Toulouse,
L'Ame des grands tueurs d'hommes était jalouse
Des cadavres couchés sous les cieux embrasés.

Et Pierre d'Aragon parmi leur tourbe immonde
Opposait sa poitrine aux soudards d'Amalric,
Et comme au Golgotha, sur le funèbre pic
De Montségur brûla le bûcher d'Esclarmonde !

O toi, notre Hypathie et notre Jeanne d'Arc,
Vierge platonicienne et guerrière, ô Prêtresse
Qui captivais un peuple en dénouant tes tresses,
Esclarmonde, tu fus une race et son Art !

Que ton ombre sublime et chastement voilée
Se penche sur la tombe où dorment les faidits,
Pour leur apprendre à tous ce que la Voix a dit,
Qui monte de nos cœurs vers la nuit étoilée !

« O toi qui, bien que mort, voulus être debout,
Ecarte ton linceul et soulève ta pierre,
Entends au vent d'avril une chanson de guerre.
La Revanche, ce soir, nous rassemblera tous.

« Lève l'épée, ami, voici nue et divine
La jeune liberté offrant au vent marin
Ses cheveux dénoués et portant dans sa main
L'avenir glorieux des Provinces latines. »
 
 
 
ernest gaubert (1880-1945). Les Roses latines (1908).
 
 
inscription
 
 
 
A Léopold Dauphin.
 
Comme une eau transparente où le ciel se reflète,
Tour à tour, gris ou bleu, joyeux ou menaçant,
Ainsi palpite au gré des amours différents
               Mon âme de poète.

Et suivant le hasard qui fait pencher vers lui
Le sourire d’Eros ou le rictus du faune,
L’orage ou le soleil, mon poème frissonne
               Vers l’aube ou vers la nuit.

Et mon cœur, où j’unis la lumière des larmes
A la clarté des yeux qu’anime le plaisir,
Dans l’orgueil du dédain, dans l’ardeur du désir,
               Trouve les mêmes charmes.

Et la chaste Artémis, Aphrodite au sein nu,
Précipitent mes pas ou calment mes colères
Afin que ne me soit nulle peine étrangère,
               Nul amour inconnu.

L’alcool donneur d’oubli, l’eau des fontaines pures,
L’ivresse du matin parmi les prés mouillés,
Et les soirs de débauche et de rire peuplés,
               Les savantes luxures.

La fraîche volupté de partir sur la mer,
Dans un couchant vermeil plein d’adieux et de roses,
La douleur d’assister à la métamorphose
               De ce qui nous est cher.

Le pas d’un cavalier qui sonne sur la route.
Le pâtre solitaire et le soldat blessé,
Et disant les espoirs en allés du passé,
               Ces voix que l’on redoute.

Le cortège amoureux, ses flûtes, ses flambeaux,
Le myrte nuptial, l’acanthe funéraire,
La coupe du festin, la couronne éphémère,
               La lampe du Tombeau.

Ces choses, ces parfums, ces extases, ces voix,
Ces symboles changeants, ces douleurs éternelles
Frémirent, tour à tour, dans ma strophe où je mêle
               Demain à l’autrefois,

Afin qu’on dise un jour : « Il a vécu sa vie
« Comme un rêve agréable et comme un cauchemar,
« Et vers l’aube il portait à l’heure du départ
               « L’âme claire, assouvie...

« Il fut sage, il fui fou, il pleurait, il a ri,
« Et maintenant il dort et sa tombe est prochaine,
« Sur ce tertre où se mêle, aux roses d’or d’Athènes,
               « Le sang des roses de Paris. »
 
 
 
ernest gaubert(1880-1945). Les Roses latines (1908).
 
 

 
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