les buveurs | ||
Ah ! pourrai-je chanter d'une assez forte voix La gloire et les travaux que Bacchus vous procure, Héroïques buveurs qui n'avez nulle cure Des lendemains promis à la Gueule-de-bois ! Les pommes de nos champs, les raisins de nos treilles, Du meilleur de leur suc nourrissent vos discours ; Et, pour vous conquérir l'esprit et les oreilles, Les savants alambics vous prêtent leur concours. Chaque soir, lorsqu'ayant les bouteilles vidées, Le cœur rempli d'amour, et le cerveau d'idées, Vous allez, pèlerins, vers d'abstraits paradis. Vos chapeaux, flamme noire, ont vos cannes pour cierges, Et vos coups de souliers aux portes impartis Dans leurs lits inquiets font trembler les concierges. | ||
vincent muselli (1879-1956). Les Masques. (1919). |
le devoir | ||
Qu'on soit ignorant ou doctime, Haillons que l'on porte ou pourpoint, Devant quiconque, en quelque point, Il surgit, tyran légitime. Mais quand ses ordres il intime, Que de son dur foudre il nous point, Aucune voix ne nous dit point Sur quel autel être victime. Le saint périt et le soldat, Pour le ciel comme pour l'État, Et le poète pour un livre. Sait-on sacrifices plus beaux Que ceux par quoi l'on se délivre, O Nuit, pâture des flambeaux ! | ||
vincent muselli (1879-1956). Les Sonnets à Philis. (1930). |
exotisme | ||
Sur les fauteuils gonflés des plus rouges luxures, Et dont les triples rangs peuplent le corridor, Les dragons parfumés qu'énervent leurs morsures, Dans le sang des velours trempent leurs ongles d'or. Le grand singe aux pieds roux dansant devant la glace Agite dans l'air chaud la chaîne et le mouchoir, Et ses jambes qu'entrouvre une obscène grimace, Montrent son impudeur aux oiseaux du perchoir. L'enfant n'écoute plus aux porcelaines creuses Gémir l'écho lointain des fanfares heureuses, Mais sous leur ventre en fleurs il se cache en criant. Car le soleil, tombant des fenêtres ouvertes, Roule, et comme un poisson fébrile et flamboyant, Dans l'aquarium bleu mange des carpes vertes. | ||
vincent muselli (1879-1956). Les Masques. (1919). |