pour marcher au pas | ||
Gauche, droite, gauche, on est vignerons, on taille, on sulfate, on sarcle, on rebiolle, on a des tonneaux, on a des canons, on est des tout beaux, on est des tout bons, on est des tout bons quand l’année est bonne, on est vignerons. Gauche, droite, gauche, on est paysans, on a des tridents, des râteaux, des herses, tout le long du jour, on est dans les champs ; l’homme va derrière, les bêtes devant, mais à l’occasion l’ordre se renverse ; On est paysans. Gauche, droite, gauche, c’est nous les vachers, ceux d’en haut les monts, d’entre les nuages, de parmi la neige, de près des rochers ; on est descendus, ayant tout lâché, on a dit aux femmes : « Faites le fromage », c’est nous les vachers. Gauche, droite, gauche, on est maréchaux, tout gronde chez nous et ronfle et ressaute ; tant mieux, qu’on se dit, on sait ce qu’on vaut, on battra le fer pendant qu’il est chaud, on est faits au feu d’avance, nous autres, on est maréchaux. Et, les menuisiers, on est là parmi, on est tous venus, nous qu’on fait les chaises ; on fait les berceaux, les cercueils aussi ; on en refera, mais pour l’ennemi, on les fera grands qu’il y soit à l’aise, on a nos outils. | ||
charles-ferdinand ramuz (1878-1947). Chansons. (1914). |
chanson des vaudois | ||
Il nous fallait des fusils : vite, on a été les prendre ; l’ouvrier sans son outil Ferait mieux d’aller se pendre. On nous a dit : « La frontière, ça n’est pas assez marqué, faites-y un mur de pierre, cimenté, recimenté. « Faites-y une muraille, où il n’y ait pas de trou... » Dites-m’en une qui vaille celle de ceux de chez nous. Cent mille hommes, deux cent mille, trois cent mille, s’il le faut, un joli mur de poitrines : des poitrines, pas de dos. Blanc ? présent, Belet ? de même, et Belet qui touche Blanc, ça vous a fermé la plaine, du levant jusqu’au couchant. Et, derrière, la montagne, mais y en a-t-il besoin ? Après Belet vient Chavannes et plus loin vient Parmelin. Et tous se sentent les coudes, et, quand le cœur bat à un, chez très tous le cœur leur bouge, ayant mille cœurs chacun. Alouette, monte vite voir si l’ennemi viendrait ; nous, on a bourré nos pipes, c’est vous dire qu’on est prêts. Et on écrira à celles qui restent à la maison ; Faites-vous seulement belles pour le retour des garçons. Pleurer, ça fait les yeux rouges, les garçons seraient déçus ; gardez-nous des joues bien douces, qu’on mette un baiser dessus. Qu’on vous trouve toutes prêtes et sentant bon le savon ; et on fera une fête qui tiendra tout le canton. | ||
charles-ferdinand ramuz (1878-1947). Chansons. (1914). |
le jour de nos noces | ||
Le jour de notre noce, j'y pense tout le temps, il fera un soleil comme on n'a jamais vu; il fera bon aller en char à cause du vent frais qui vous souffle au visage, quand la bonne jument va trottant sur la route et qu'on claque du fouet pour qu'elle aille plus fort. On lui donnera de l'avoine, en veux-tu, en voilà ; on l'étrillera bien qu'elle ait l'air d'un cheval comme ceux de la ville ; et trotte ! et tu auras ton voile qui s'envole, Et tu souriras au travers parce qu'il aura l'air de faire signe aux arbres, comme quand on agite un mouchoir au départ On se regardera, on dira: « On s'en va, on commence le grand voyage; heureusement qu'il n'y a pas des océans à traverser. » Et quand nous serons arrivés, la cloche sonnera, la porte s'ouvrira, l'orgue se mettra à jouer ; tu diras oui, je dirai oui ; et nos voix trembleront un peu et hésiteront à cause du monde et parce qu'on n'aime à se dire ces choses que tout doucement à l'oreille. | ||
charles-ferdinand ramuz (1878-1947). Le Petit Village. (1903). |