sur les môles | ||
Sur les môles aux vieux platanes, Et dans les ports au bord des mers, Où le troupeau des courtisanes S'enivrait de parfums amers, Vous débarquiez, gloires épiques : Un profil droit, entre les piques Se découpait en dominant Sous un portique aux blanches pierres, Mais passez, gloires militaires, Vos lauriers sont tachés de sang ! Caesar n'est rien... La nuit tranquille Descend ; ne sonnez plus, buccins, Et laissez méditer Virgile Sous la douceur des cieux latins. Une étoile tremble et se lève, Le poète poursuit son rêve ; Vénus qui marchait dans le bois S'appuie au bras d'un beau satyre, Et cesse en frémissant de rire Pour écouter la grande voix. Du vieux renom des capitaines, Dans les temps il ne reste rien : Hors les blessés, les sombres plaines, Les corbeaux, nul ne se souvient, Mais lisez ce beau livre antique, Surprenez ce soir idyllique Dans les mots divins de ces vers, Admirez ces têtes fleuries ; Écoutez... les Dyonisies Chantent sous les ombrages verts Tournez les pages... Des colombes Battent de l'aile dans l'azur ; Des rosiers embaument les tombes, Le monde est clair, le jour est pur ; Contre une colonne dorique, Une vierge mélancolique Effeuille sans même les voir Des pétales de marguerite, Tandis que passe Théocrite Dans un vers bleu comme le soir ! Car tout vit dans le livre immense, Il est pareil à la maison Que parfume dans le silence, La muse à la blonde toison ; Et ses fenêtres sont ouvertes Sur les plaines de blés couvertes Où l'on ne voit que des bouviers ; Les dieux y viennent à l'aurore, Laissant à sa porte sonore Des grappes d'or et des ramiers ! | ||
léo larguier (1878-1950). La Maison du poète. (1903). |
crépuscule | ||
Un point d'or, l'azur des coteaux, Le soir d'été baignant la terre, Un vieux chemin plein de mystère, Sous les fronts penchés des bouleaux. Et s'effaçant sous la ramée, Un couple qui s'en va disant, Au bleu clair de lune d'argent : « Mon bien-aimé, ma bien-aimée ! » Ce n'est rien, mais c'est l'infini D'une vie aimable et rapide. Le vent tiédit, l'étang se ride, On entend des voix dans un nid... O planètes, terres lointaines, Avez-vous aussi de beaux soirs, Des chemins creux et des bois noirs Pleins de frissons et de fontaines, Et des lilas et des rosiers, Avec de belles formes blanches, Sous les tremblants arceaux des branches Aux fins de jour, dans les sentiers ? | ||
léo larguier (1878-1950). Les Isolements. (1906). |
de lointaintes choses | ||
J'aime parfois songer à de lointaines choses : A des jardins persans dont les hauts cèdres bleus Bénissent l'air léger tout vanillé de roses, A des maisons d'Asie étouffantes et closes, Aux chalets isolés qui rient d'un seuil neigeux. Aux femmes de Golconde ; à Marie-Antoinette Accoudée en été dans le blanc de midi Sous un rose chapeau d'où naît la pâquerette, Fermant un peu les yeux, penchant un peu la tête Vers les linons mousseux d'un corsage arrondi. Aux brisants hérissés de bêtes aquatiques, A des poissons nageant dans l'eau de Magellan, Aux tempêtes de nuit sur les glaces antiques, Aux lointains amoureux des régions arctiques Que baigne un crépuscule infini, triste et lent. Aux mystères des bois embrumés, à des sentes Que l'automne remplit de feuilles, de bois mort, Aux choses qui la nuit tressaillent dans les plantes, Au-dessous des cailloux, aux rochers pleins de fentes Sur qui jusqu'au matin la tiède lune dort. | ||
léo larguier (1878-1950). Orchestres. (1914). |