28 juin 2015
7
28
/06
/juin
/2015
15:40
|
à la flandre
|
|
|
J'aime tes grands prés verts, tes plaines de houblon,
Tes vastes champs d'épis où courent les calandres,
Et, par les beaux matins de brume, tes filandres
Prenant dans leurs lacis l'herbe et le colza blond.
Surtout, j'aime tes soirs qui défaillent, ma Flandre,
Et tes bois sanglotants comme des violons
Aux appels répétés, si mornes et si longs,
Des cloches vers ton ciel de grisaille et de cendre.
Et ton pâle soleil qui meurt sur tes canaux,
Et ce vent qui, sans fin, pleure entre les roseaux
Son hymne de tristesse et de lente agonie.
Tes horizons d'automne éternel, doucement
En mon âme ont versé leur langueur infinie,
Un charme de souffrance et de recueillement.
|
|
|
léon bocquet (1876-1954). Flandre (1901).
|
|
les jardins
|
|
|
Les beaux jardins de Flandre aux treillis bigarrés
De capucines d'or, de gesse, de troènes,
Du bout de l'horizon ourlent les lisérés
De leurs enclos touffus de plantes et de graines.
En contours sinueux, ils glissent vers les prés
Entre les pavots blancs, les seigles, les aveines,
Et dévalent sans fin et, degré par degré,
Aux berges des ruisseaux où coassent les raines.
L'ombre y chante, et l'amour des soirs vient abriter,
Sous la fraîcheur des vertes sèves de l'été,
Le trouble des baisers aux yeux qui s'extasient.
Et l'Heure, à l'éventail argenté du bouleau.
Disperse le parfum mourant des tanaisies
Vers le vent tiède et doux qui passe au fil de l'eau.
|
|
|
léon bocquet (1876-1954). Flandre (1901).
|
|
les bateaux
|
|
|
Ils sont venus de tout là-bas, des mers du Nord,
Traînés par les chevaux à la forte encolure,
Et des filles, l'air frais grisant leur chevelure,
Poussaient le gouvernail de bâbord à tribord.
Les hommes sur la gaule appuyés au plat bord,
Les petites maisons et les vertes toitures.
Les volets blancs, les pots de fleurs et les boutures.
Lentement ont passé d'un fort à l'autre fort.
Ils sont venus au long des chemins de halage
D'un bourg à l'autre bourg, de village en village.
Et d'écluse en écluse, aux canaux réguliers.
Ils dorment maintenant amarrés près des berges
Sous l'ombre des ormeaux et des grands peupliers
Où fume le repos tranquille des auberges.
|
|
|
léon bocquet (1876-1954). Flandre (1901).
|
la Revue critique des idées et des livres
-
dans
Le jardin français
25 mai 2015
1
25
/05
/mai
/2015
15:46
|
chateaux dans la montagne
|
|
|
Tandis qu'à l’horizon dansent les croupes vertes
De la montagne offerte au soleil de juillet,
Les portes des châteaux demeurent grand ouvertes
Sur les gazons fleuris de pivoine et d'œillet.
Mais quand nous franchirons les enceintes d'ombrages
Captives des fossés où dort un pont-levis,
Saurons-nous découvrir les voix et les visages
Aux bonheurs d'autrefois par le destin ravis ?
Dans les après-midi l'accueil des châtelaines
Dont le rire enchantait le parc plein de soleil
Ne réjouira plus nos cœurs près des fontaines,
Sous les pins où le vent propage un lourd sommeil.
Rondes, colin-maillard courant sur les prairies,
Lents croquets poursuivis jusqu'à la fin du jour,
Promenades sous bois, galantes rêveries :
Un aimable enjouement préludait à l'amour.
Rentrez vos blancs moutons! Il pleut sur la montagne.
L'herbe des près frissonne et le ciel devient froid.
La bourrasque du nord, que l'averse accompagne,
Remplit tous les ravins de souffrance et d'effroi.
Sous les murs des châteaux les roses sont fanées
Avant l'automne — et dans nos souvenirs amers,
Comme un brouillard sans fin défilent les années
Qui vont nous engloutir au gouffre des hivers.
Ce soir où le vent noir, frappant les roches nues,
De l'océan des bois fait jaillir des sanglots,
Dans vos manoirs de songe, ô belles inconnues,
Reines d'anciens étés, m'obsèdent vos yeux clos.
|
|
|
louis pize (1892-1976). La Muse française (janvier 1939).
|
|
jours de clarté
|
|
|
Les beaux jardins sur la colline
L’eau dans un golfe ensevelie…
Tout Gardone chante en sourdine
La fièvre et la mélancolie.
De mainte fleur déjà fanée
S’attristent les sommets arides.
Oublions notre destinée
Sous la treuille des Hespérides
La figue ouvre sa chair dorée
La pêche aux lèvres s’abandonne
En mordant la grappe sucrée
Buvons aux sources de l’automne.
Les oliviers sont immobiles
Sous leur fardeau léger de cendre.
Vois les cyprès, en longues files,
Vers l’onde et vers l’ombre descendre.
|
|
|
louis pize (1892-1976). Le Divan. (mars 1941).
|
|
chanson de montagne
|
|
|
Pas de maisons, pas de feuillages.
Le soleil cache le ciel bleu.
La route est longue où tu voyages.
Dans le désert des prés en feu
Approche ta jument légère
Où vas-tu, cavalière ?
Le vent qui tord les herbes grêles
Monte la garde autour du col.
Son souffle agite tes dentelles.
il veut t'étendre sur le sol.
Mais tu bondis, joyeuse et fière,
Où vas-tu, cavalière ?
La ferme est loin, le vent s'irrite,
Casse les pierres en courant.
Ta jument saute bien plus vite,
Et, sur l'horizon transparent,
Monte un nuage de poussière.
Où vas-tu, cavalière ?
|
|
|
louis pize (1892-1976). Chansons de montagne. (1929).
|
la Revue critique des idées et des livres
-
dans
Le jardin français
26 avril 2015
7
26
/04
/avril
/2015
09:20
|
le plus beau pays du monde
|
|
|
Le plus beau pays du monde,
C’est la terre où je naquis ;
Au printemps, la rose abonde
Aux abords de ses courtils,
D’elle émane dans la brise
Un arôme sans pareil,
Au clocher de ses églises
Le coq guette le soleil.
On y parle un doux langage,
Le plus beau qu’on ait formé ;
L’étranger devient plus sage,
Quand il se met à l’aimer.
Heureux qui reçut la chance
De l’ouïr dès son berceau,
Car la langue de la France
Est un chant toujours nouveau.
Parfums de fleurs, chants de cloches,
Bruits d’eaux vives, gais frissons
Des tiges qui se rapprochent,
Quand mûrissent les moissons,
Etoiles dans un ciel tendre,
Sourires d’aubes en éveil :
Ah ! mon pays j’aime entendre
Ta chanson dans le soleil !
|
|
|
philéas lebesque (1869-1958). Les Servitudes ( 1913).
|
|
l'odeur du sol mouillé
|
|
|
L’odeur du sol mouillé saisit, voluptueuse,
Mon rêve de passant parmi ce coin désert
Quelque chose comme d’un fruit ou d’une chair,
Dont on a trop goûté la saveur orageuse.
C’est un moment d’amour unique qui renaît
Crispant comme un sanglot mon cœur que l’heure morte
Enfièvre encor. Le vent mystérieux m’apporte
Avec le cher parfum les larmes du regret.
Ah ! ce qui joint si fort la patrie à nos fibres
Peut-être est-ce ce charme étrange, la vapeur
Qui s’exhale du sol, l’atavisme du cœur :
Seuls ont droit à leurs souvenirs les peuples libres.
|
|
|
philéas lebesgue (1869-1958). Le Divan. (1909).
|
|
chanson de charrue
|
|
|
Comme se suivent les années,
Se rangent au fil des labours
Les rudes glèbes retournées ;
O mon pain bis, ô mes amours !
Chaque sillon succède à l'autre
Au même pas des chevaux lourds :
Je fais mon pain, faites le vôtre ;
Laissez-moi croire à mes amours !
Aux longues plaintes de la terre
Les puissants de l'heure sont sourds,
S'ils n'ont profit pour s'y complaire :
O ma charrue, ô mes amours !
Comme les vers d'un vieux poème,
S'en vont les sillons du labour.
Puis-je savoir pour qui je sème ?
O mes chevaux, encore un tour...
|
|
|
philéas lebesgue (1869-1958). Poésie. (1928).
|
la Revue critique des idées et des livres
-
dans
Le jardin français
29 mars 2015
7
29
/03
/mars
/2015
09:58
| porquerolles | |
| La brise est fraîche encore et légère : la place Livre son sable fauve au sommeil immobile, Et les eucalyptus agitent leurs feuillages Où des milliers d'oiseaux joyeusement pépient.
O jour ami, sous ma fenêtre, le cheval Aveugle tourne à pas résignés son manège ; Et, déchirant le cieil de satin virginal, Filent, ciseaux crissants, d'affolées hirondelles.
D’effroi, s’élance en des venelles L’essaim moqueur des Isabelles ; Le soir qui flue entre les branches Drapait leurs insolentes hanches.
En mer, lac émaillé de turquoise, se jouent Des barques inclinées, vols blancs, jaunes et roux, Sur la frise azurée du continent lointain.
Et, conspuant les citadines puanteurs, Seul dans ma joie j'aspire, insulaire matin, Le parfum printanier des acacias en fleur. | |
| theo varlet (1878-1938). Aux iles bienheureuses. (1924). |
| iles du levant | |
| O royaume secret d'antique solitude ! Sous le boix merveilleux et l'asile balancé, Le hamac, au remous de la brise nocturne, Emporte mon sommeil en songes d'Odyssées.
La mer, au long de l'Ile, fraternelle, murmure; Seuls les rauques goelands tournent, aux promontoires; Et mes yeux mi dormants guettent, dans les ramures Sacrées, l'ascension sereine des étoiles.
- Mais, cri joyeux des hirondelles en amour, Voici l'aurore... Et, à la proue fraîche du jour, Monte encore un soleil de l'Eden enchanté.
Terre ! Debout ! Et ma pirogue amarrée plane Sur les bruyères, entre les pins; Et les cigales Pour mon réveil secouent tes grelots d'or, Eté ! | |
| theo varlet (1878-1938). Aux iles bienheureuses. (1924). |
| sieste nocturne | |
| Mon hamac de minuit bercé dans la nuit chaude Où vibre un tintement cristallin de grillon, Je veille !.. A moi, magique insomnie ! Oublions Le zéphyr en amour du bel été qui rôde.
Au ciel sacré, trouant les feuillages d'églogue, Je cueille, vers-luisants, les constellations ; Et, me gonflant de surhumaine passion, Le vent de l'Infini soulève ma pirogue.
Avec tout ce qui vit, je dérive, emporté, Animalcule, atome, au versant de la Terre Que roule, extasiée, la ronde planétaire ;
Et la nuit sidérale, avec la Voie Lactée Aux milliards de soleils — l'universelle Sphère — Vire, sur l'idéal essieu de la Polaire. | |
| theo varlet (1878-1938). Ad astra. (1929). |
la Revue critique des idées et des livres
-
dans
Le jardin français
28 février 2015
6
28
/02
/février
/2015
15:53
|
palma de majorque
|
|
|
Pour A. - P. Garnier.
L'odeur m'est douce encore des jardins de Grenade
En leur charme lointain,
Mais rien n'est aussi beau, Palma, que sur ta rade
Une voile au matin;
Et rien ne me séduit, ville des tubéreuses,
Des jasmins et des fruits,
Autant que la langueur des femmes amoureuses
Sous le ciel de tes nuits !
|
|
|
philippe chabaneix (1898-1982). Aux sources de la nuit. (1955).
|
|
une ile sous un ciel...
|
|
|
Une île sous un ciel plein d'oiseaux d'or, une île
M'apparaît par instants au delà des brouillards
Comme le seul endroit qui serve encore d'asile
A tous les songes nés du feu de tes regards,
Une île calme et longue, une île verte et belle,
Une île d'ombre douce aux lumières des soirs,
Une île où par les nuits de silence étincelle
Ainsi qu'un diamant l'éclat de tes yeux noirs.
|
|
|
philippe chabaneix (1898-1982). Le désir et les ombres. (1938).
|
|
les saintes-maries
|
|
|
L'unique espoir semble être aux Saintes,
Là-bas, là bas, près de la mer;
Pour nos coeurs las de trop de feintes
L'unique espoir semble être aux Saintes.
Parmi les marais d'où les plaintes
Des trépassés montent l'hiver
L'unique espoir semble être aux Saintes,
Là-bas, là bas, près de la mer.
|
|
|
philippe chabaneix (1898-1982). Musiques du temps perdu. (1960).
|
la Revue critique des idées et des livres
-
dans
Le jardin français
25 janvier 2015
7
25
/01
/janvier
/2015
22:23
|
anciens bricks
|
|
|
Ils vont hauts, balancés sur l'eau comme des palmes,
Superbes éventails dont le souffle est le vent,
Ils vont blancs, une hanche inclinée à la lame,
Toute la mer tonnante au bord de l'autre flanc...
Au loin sourient La Dominique et le Vent d'île.
Saint Pierre d'autrefois, ah ! comme tu reluis.
Par tant de souvenirs : quarteronnes, métisses,
Indolences, parfums d'un sein comme la nuit !
Tout ce passé ! notre présent comme il le touche,
Qu'ils émeuvent vos noms, Alzires, Eoas,
Verroteries changées en baisers, madras rouges,
Iles de l'amour noir donné pour un grenat !
|
|
|
Guy Lavaud. (1883-1958), Imagerie des mers. (1919).
|
|
sillages
|
|
|
Sur le monde si dur dorment les douces mers,
Comme sur les comptoir les soies pâles et molles.
Parfois un grand steamer ainsi qu'un couteau clair,
Rapide, coupe en deux la lueur de l'étoffe,
Et l'on voit s'évaser d'un bord à l'autre bord,
- L'une pour l'Amérique et l'autre pour l'Europe -
Deux lames bleues, avec déjà des plis de robe,
Des dentelles de nacre et des broderies d'or. |
|
|
Guy Lavaud. (1883-1958), Sous le signe de l'eau. (1927).
|
|
ports
|
|
|
Quand, un soir, nous serons en vue de notre mort,
Vaisseaux noirs alourdis du poids de mille rêves
Quand nous verrons, sur les vagues, entre deux crêtes,
Les lumières du golfe ou dort l'ombre du port,
Un soir quand nous seons en face de la mort,
Peut-être, matelot qui toujours guette et rêve,
Toute l'âme, envolée vers une grève d'or,
Revivra quelque vie à nouveau découverte
Un soir, quand nous seons au bord de notre mort,
Et nous, nous resterons comme des vaisseaux tristes,
Glissés, sans même un cri, dans leur néant tranquille,
Les mâts nus, la voilure amenée tout du long,
Oiseaux las à qui manque, un soir, un aileron
Quand enfin nous serons au quai de notre mort. |
|
|
Guy Lavaud. (1883-1958), Sous le signe de l'eau. (1927).
|
la Revue critique des idées et des livres
-
dans
Le jardin français
23 décembre 2014
2
23
/12
/décembre
/2014
09:53
| châteaux de loire | |
| Le long du coteau courbe et des nobles vallées Les châteaux sont semés comme des reposoirs, Et dans la majesté des matins et des soirs La Loire et ses vassaux s'en vont par ces allées.
Cent vingt châteaux lui font une suite courtoise, Plus nombreux, plus nerveux, plus fins que des palais. Ils ont nom Valençay, Saint-Aignan et Langeais, Chenonceau et Chambord, Azay, le Lude, Amboise.
Et moi j'en connais un dans les châteaux de Loire Qui s'élève plus haut que le château de Blois, Plus haut que la terrasse où les derniers Valois Regardaient le soleil se coucher dans sa gloire.
La moulure est plus fine et l'arceau plus léger. La dentelle de pierre est plus dure et plus grave. La décence et l'honneur et la mort qui s'y grave Ont inscrit leur histoire au coeur de ce verger.
Et c'est le souvenir qu'a laissé sur ces bords Une enfant qui menait son cheval vers le fleuve. Son âme était récente et sa cotte était neuve. Innocente elle allait vers le plus grand des sorts.
Car celle qui venait du pays tourangeau, C'était la même enfant qui quelques jours plus tard, Gouvernant d'un seul mot le rustre et le soudard, Descendait devers Meung ou montait vers Jargeau. | |
| charles péguy (1873-1914). Oeuvres poétiques (Gallimard, La Pléiade, 1941). |
| les sept contre paris | |
| Sept villes se vantaient d'avoir cerné la Ville : Auteuil voulait en faire un jardin potager ; Grenelle en voulait faire un énorme verger ; Bercy des entrepôts, Montmartre, un vaudeville.
Passy faillit en faire un immeuble servile, Un caravansérail pour le noble étranger ; Vaugirard, la Villette à ce peuple léger Faisaient des abattoirs pour sa guerre civile.
Mais la dame a mangé les sept petites sœurs, Elle a mis pour toujours la liberté de l'âme, Et tous ces fourniments et tous ces fournisseurs,
Le négoce, l'amour, et la cendre, et la flamme, Et tous ces boniments, et tous ces bonisseurs, Et les gouvernements gendres et successeurs,
Sous le commandement des tours de Notre-Dame. | |
| charles péguy (1873-1914). Oeuvres poétiques (Gallimard, La Pléiade, 1941). |
| geneviève et jeanne | |
| [...] Il fallut qu'elle vît par le faux témoignage Démentir le propos pour qui nous témoignons, Il fallut qu'elle vît l'urne où nous nous baignons S'effondrer par souillure et par dévergondage;
Il fallut qu'elle vît par tout ce maraudage Cueillir les fruits moisis et que nous dédaignons, Il fallut qu'elle vît la ville où nous régnons Démantelée aux mains de tout ce chapardage;
Il fallut qu'elle vît par tant d'enfantillage Avilir cette foi dont nous nous imprégnons, Il fallut qu'elle vît le sang dont nous saignons Saigner du même coeur et du même courage;
Il fallut qu'elle vît par un sot bavardage Flétrir le dogme auguste et que nous enseignons, Et qu'elle vît tarir la grâce où nous baignons, Lustrale et baptismale, en un lourd badinage;
Il fallut qu'elle vît par tout ce brigandage Commettre les forfaits dont nous nous indignons, Et les écus sonnants et que nous alignons Fondre au creuset d'orgueil et de faux monnayage;
Il fallut qu'elle vît par tout ce forlignage Dégénérer la race où nous nous alignons, Et les mots éternels et que nous soulignons Tomber dans le silence et dans le persiflage;
[...] Il fallut qu'elle vît dans ce commun naufrage Sombrer l'arche rompue et que nous empoignons, Et qu'elle vît la grande armée où nous grognons, (Mais nous marchons toujours), subir cet hivernage;
Il fallut qu'elle vît par un tel sabotage Dénaturaliser l'oeuvre où nous besognons, Et qu'elle vît l'injure à qui nous répugnons Régner et gouverner sous figure d'outrage;
Il fallut qu'elle vît le long du bastingage Précipiter à l'eau l'or que nous épargnons, Et qu'elle vît la vergue où nous nous éborgnons Chanceler et tomber par l'effet du tangage;
Il fallut qu'elle vît dans ce même hivernage S'évanouir de froid l'ardeur que nous feignons, Et qu'elle vît la peine où nous nous renfrognons S'évanouir de mort dans un beau sarcophage;
Il fallut qu'elle vît dans cet appareillage S'avancer la galère où captifs nous geignons, Et qu'elle vît la nef lourde où nous nous plaignons Gémir dans ses haubans et ses bois d'assemblage;
Il fallut qu'elle vît par un commun partage Arriver justement le sort que nous craignons, Et la loi qui nous sauve et que nous enfreignons Exposée à périr dans ce même naufrage;
Il fallut qu'elle vît dans le même mouillage Sombrer le désespoir que seul nous étreignons, Et qu'elle vît cet ordre où nous nous astreignons Perdre ses bancs de rame et son amarinage;
[...] Pour qu'elle vît venir du fond de la campagne, Au milieu de ses clercs, au milieu de ses pages, Vers l'arène romaine et la roide montagne,
Traînant les trois vertus au train des équipages, Sa plus fine et plus ferme et plus douce compagne Et la plus belle enfant de ses longs patronages. | |
| charles péguy (1873-1914). Oeuvres poétiques (Gallimard, La Pléiade, 1941). |
la revue critique des idées et des livres
-
dans
Le jardin français
21 décembre 2014
7
21
/12
/décembre
/2014
22:53
| l'enfant lit l'almanach... | |
| L'enfant lit l'almanach près de son panier d'œufs. Et, en dehors des Saints et du temps qu'il fera, elle peut contempler les beaux signes des cieux : Chèvre, Taureau, Bélier, Poissons, et cætera.
Ainsi peut-elle croire, petite paysanne, qu'au-dessus d'elle, dans les constellations, il y a des marchés pareils avec des ânes, des taureaux, des béliers, des chèvres, des poissons.
C'est le marché du Ciel sans doute qu'elle lit. Et, quand la page tourne au signe des Balances, elle se dit qu'au Ciel comme à l'épicerie on pèse le café, le sel, et les consciences. | |
| Francis Jammes (1868-1938). Clairières dans le Ciel (1921). |
| les pieds au coin du feu | |
| Les pieds au coin du feu, je pense à ces oiseaux qui disaient à Colomb que la terre était là. C'était toujours les eaux, et les eaux, et les eaux, toujours les eaux. Enfin Rodrigue Triana
cria : "Terre !" Et le vent chanta dans les cordages. L'équipage tomba à genoux. Les forêts du Nouveau-Monde, avec leurs singes bleus, s'ouvraient, et les lourdes tortues pondaient sur le rivage.
Quand donc, pareil à un matelot fortuné, pourrai-je découvrir la plage de soleil de ses cheveux épars sur son corps allongé comme une île nouvelle au milieu du sommeil ! | |
| Francis Jammes (1868-1938). Clairières dans le Ciel (1921). |
| quand verrai-je les îles... | |
| Quand verrai-je les îles où furent des parents ? Le soir, devant la porte et devant l’océan on fumait des cigares en habit bleu barbeau. Une guitare de nègre ronflait, et l’eau de pluie dormait dans les cuves de la cour. L’océan était comme des bouquets en tulle et le soir triste comme l’Eté et une flûte. On fumait des cigares noirs et leurs points rouges s’allumaient comme ces oiseaux aux nids de mousse dont parlent certains poètes de grand talent. Ô Père de mon Père, tu étais là, devant mon âme qui n’était pas née, et sous le vent les avisos glissaient dans la nuit coloniale. Quand tu pensais en fumant ton cigare, et qu’un nègre jouait d’une triste guitare, mon âme qui n’était pas née existait-elle ? Était-elle la guitare ou l’aile de l’aviso ? Était-elle le mouvement d’une tête d’oiseau caché lors au fond des plantations, ou le vol d’un insecte lourd dans la maison ? | |
| Francis Jammes (1868-1938). De l'Angelus de l'aube à l'Angelus du soir (1898). |
la revue critique des idées et des livres
-
dans
Le jardin français
30 novembre 2014
7
30
/11
/novembre
/2014
16:59
| british india | |
| A Rudyard Kipling. Les bureaux ferment à quatre heures à Calcutta; Dans le park du jardin s'émeut le tennis ground; Dans Eden Park grince la musique épicée des cipayes; Les équipages brillants se saluent sur le Red Road...
Sur son trône d'or, étincelant de rubis et d'émeraudes, S. A. le Maharadjah de Kapurthala Regrette Liane de Pougy et Cléo de Mérode Dont les photographies dédicacées sont là...
- Bénarès, accroupie, rêve le long du fleuve; Le Brahmane, candide, lassé des épreuves, Repose vivant dans l'abstraction parfumée...
- A Lahore, par 120 degrés Fahrenheit, Les docteurs Grant et Perry font un match de cricket, - Les railways rampent dans la jungle ensoleillée... | |
| Henry J.-M. Levet (1874-1906). Poèmes (1921). |
| république argentine. - la plata | |
| A Ruben Dario. Ni les attraits des plus aimables Argentines, Ni les courses à cheval dans la pampa, N'ont le pouvoir de distraire de son spleen Le Consul général de France à La Plata !
On raconte tout bas l'histoire du pauvre homme : Sa vie fut traversée d'un fatal amour, Et il prit la funeste manie de l'opium ; Il occupait alors le poste à Singapoore...
- Il aime à galoper par nos plaines amères, Il jalouse la vie sauvage du gaucho, Puis il retourne vers son palais consulaire, Et sa tristesse le drape comme un poncho...
Il ne s'aperçoit pas, je n'en suis que trop sûre, Que Lolita Valdez le regarde en souriant, Malgré sa tempe qui grisonne, et sa figure Ravagée par les fièvres d'Extrême-Orient... | |
| Henry J.-M. Levet (1874-1906). Poèmes (1921). |
| algérie. - biskra | |
| A Henry de Bruchard. Sous les terrasses du Royal défilent les goums Qui doivent prendre part à la fantasia : Sur son fier cheval qu'agace le bruit des zornas, On admire la prestance du Caïd de Touggourth...
Au petit café maure où chantonne le goumbre Monsieur Cahen d'Anvers demande un cahouha : R.S. Hitchens cause à la belle Messaouda, Dont les lèvres ont la saveur du rhât-loukoum...
Le soleil, des palmiers, coule d'un flot nombreux Sur les épaules des phtisiques radieux ; La baronne Traurig achète un collier d'ambre ;
La comtesse de Pienne, née de Mac-Mahon Se promène sur le boulevard Mac-Mahon... - " Hein ! Quel beau temps ! Se croirait-on à fin Décembre ? "... | |
| Henry J.-M. Levet (1874-1906). Poèmes (1921). |
la revue critique des idées et des livres
-
dans
Le jardin français
26 octobre 2014
7
26
/10
/octobre
/2014
21:16
|
automne
|
|
|
La vigne-vierge au vieux cyprès des Carmélites,
La rivière paisible au pied de l’Hôtel-Dieu,
C'est la ville d'octobre et ses toitures cuites.
Quelques pins couronnant un coteau jaune et bleu,
Le vol blanc des pigeons, l'incertaine fumée
Et son amère odeur, des roseaux, un labour,
C'est la campagne autour de la ville embrumée
A peine quand fraîchit, mauve, la fin du jour;
Mais je pense aux printemps gris et verts, à leur sève,
En suivant le chemin qui tourne et reparaît,
Et ma jeunesse et ses amours sont comme un rêve
Où la vieille Cité doucement m'apparaît. |
|
|
jean lebrau (1891-1983). Poèmes (La Muse française, janvier 1922).
|
|
évasions
|
|
|
De l'heureuse matinée
Où s'éveillait Avignon,
De la brune carminée
Qui refaisait son chignon
Au miroir de la fenêtre,
J'accueille le souvenir.
Ce doux temps ne peut renaître
Ni jeunesse revenir.
Comme revient l'hirondelle
Avec la belle saison,
A son nid toujours fidèle
Sous le toit de la maison.
Las ! aux peupliers du Rhône
Chaque printemps clair me vieillit;
J'aime mieux la rose jaune
Qu'un ami pour moi cueillit
Loin du fleuve et de vos belles,
Villes aux pâleurs d'amour,
Tandis que les hirondelles
Désertent nos fins de jour. |
|
|
jean lebrau (1891-1983). Le Divan (1937).
|
|
béarn
|
|
|
Je ne saurais oublier,
Province que j'abandonne,
Ni la première anémone
Aux tiédeurs de février
Parmi les vignes éclose
Sur le penchant du verger
Ni la chanson du berger
Pour une fille plus rose
Que la belle fleur du soir
Dans les rameaux nus encore.
Et d'une fraîcheur d'aurore,
Ce chant de timide espoir
Modulé sur la prairie,
Province aux hivers si doux
Luisant aux feuilles du houx
Alors que le pivert crie ! |
|
|
jean lebrau (1891-1983). Béarn (1931).
|
la Revue critique des idées et des livres
-
dans
Le jardin français