Un aristocrate populaire
La voix de Jean Piat, son œil rieur, sa courtoisie et son élégance resteront longtemps dans la mémoire des Français. Les royalistes se souviennent que cet homme de cœur et de fidélité était aussi l’un des nôtres.
Sur les planches, Jean Piat était toute passion pour son rôle. Dans le privé, c’était un homme courtois et réservé, qui fuyait l’esbroufe et les honneurs. Tout en étant pleinement conscient de son art. Un soir, lors d’une conférence qu’il donnait à Charleroi, le président de séance le présenta comme un « aristocrate populaire ». Le mot lui plut. Rien ne pouvait mieux le définir.
Populaire, Jean Piat l’était d’abord par ses origines. Né en 1924 à Lannoy, dans la banlieue de Lille, il grandit au sein d’une famille modeste et catholique. Il mène une jeunesse buissonnière et indisciplinée dans un monde dur, celui de la guerre et de l’occupation, où les adultes ont la tête ailleurs. Son père voulait qu’il se range et qu’il soit fonctionnaire. Il choisit la lumière et le théâtre, l’aventure d’une vie.
Le succès fut vite au rendez-vous. Pensionnaire du Français à 20 ans, sociétaire à 29 ans, il fait ses gammes dans tous les rôles classiques. Son moment de gloire arrive lorsqu’on lui propose le rôle de Cyrano. Huit ans à l’affiche, 400 représentations, 50 rappels lors de la générale. Du jamais vu, un triomphe qui fit le tour de la France, un tour de force que viendront saluer Malraux et le général de Gaulle.
La télévision décupla sa popularité. Dans Le Bossu de Paul Féval, il compose un Lagardère de légende, bondissant et tendre. Mais c’est dans la saga des Rois Maudits de Claude Barma qu’il trouve le rôle de sa vie, celui de Robert d’Artois, le baron écarlate, un homme libre dans un siècle de fer, un grand seigneur un peu tordu mais diablement sympathique ! Ces soirs-là, toute la France était devant son poste.
L’aristocrate Jean Piat avait, lui aussi, un goût aigu de la liberté. Parvenu à la maîtrise de son art, il eut le privilège de pouvoir choisir ses auteurs, de sélectionner soigneusement ses personnages et de mener une carrière selon son goût. Après un quart de siècle passé au Français, il opta pour le théâtre populaire qui l’enchantait. Il y enchaina les succès pendant plus 40 ans.
Mais il ne concevait pas la liberté sans devoir. En premier lieu vis-à-vis de son public. Piat a donné au peuple du théâtre et du petit écran ce qu’il réclamait : de la tenue, un respect absolu du texte et de l’auteur, une diction parfaite, ce qu’il faut enfin de légèreté, d’insouciance et d’insolence pour conquérir un public à qui l’on n’en compte pas. C’est en cela que l’aristocrate rejoignait l’homme du peuple.
Ce grand professionnel était aussi un homme de cœur et de fidélité. Il ne faisait pas mystère de sa foi catholique, un vieil héritage de famille auquel il était attaché plus que tout. Pour ce « croyant instinctif », le seul credo qui comptait, c’était l’honnêteté et le respect, des autres et de soi-même.
Il fut aussi l’ami des princes. Très lié avec la famille royale belge, ce « royaliste poétique » avait une affection particulière pour la Maison de France. En 2009, le prince Jean lui demanda d’être à ses côtés pour la présentation de son livre « Un prince français ». Il tint une fois de plus le public sous le charme, en plaidant pour une monarchie qui donnerait « un supplément d’âme à la France ».
« Je suis prêt pour ma grande scène, celle de la mort, disait Jean Piat, elle arrive et je sais que, de toutes, elle sera la plus facile à jouer ». Arriva-t-il humblement chez Dieu, en balayant de son panache le ciel bleu, comme l’ambitionnait Cyrano ? Y fit-il une entrée triomphante entouré d’une haie de cadets et de mousquetaires, l’épée au poing, sous l’œil ému de Musset, de Rostand, de Guitry ou de Molière ? Qu’importe. Le Ciel sait accueillir comme il faut les grandes âmes françaises.
Jean du Fresnois.