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"Ce n’est pas seulement pour vivre ensemble, mais pour bien vivre ensemble qu’on forme un État." aristote |
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Pour saluer Georges Mathieu |
La même semaine disparaissaient Georges Mathieu et un commentateur sportif : vingt minutes d’hommage au JT pour le spécialiste du ballon rond ; toute la journée radios et journaux ont glosé sur « Thierry Roland, sa vie, son œuvre ». Et pour l’inventeur de l’Abstraction lyrique ? Trois lignes, trente seconde ; réduit au logo d’Antenne 2, à la pièce de 10 francs, les jeunes générations auront à peine pu entrevoir que Mathieu peignait. Au mieux, on l‘a présenté comme un performer, « un organisateur de happening, d’événements en public ». Au siècle du divertissement travesti en culture, la Peinture est donnée comme un club, avec des GO pour « amuser la galerie ».
Le représentant du ministère de la culture a brillé par son absence à ses obsèques. Logique : la rue de Valois organise l’invisibilité de Mathieu depuis trente ans. Beaubourg ne lui a même pas consacré une grande exposition, préférant souvent les réserves aux cimaises pour un morceau de bravoure tel que « Des capétiens partout ». Ce titre, qui fleure bon l’histoire de France, est-il politiquement correct ? Et Mathieu tel Saint Georges rompit des lances pour demander, horresco referens, le retour de l’éducation artistique à l’école… voire la suppression du ministère de l’inculture.
Nous étions donc 80 à lui rendre hommage à Notre Dame de Paris ; à côté de son cercueil blanc, une de ses toiles : un ciel bleu où des zébrures d’or ouvraient une plaie rouge. Deux académiciens arboraient leur bel habit vert. Mathieu, qui organisa des manifestations commémorant la « seconde condamnation de Siger de Brabant », aimait le faste, le panache ; il était de ceux qui pensent qu’il « faut étayer les supériorités morales par des symboles matériels, sinon elles retombent » ; de plus, la voie de l’Abstraction lyrique est une voie de l’enthousiasme qui suppose un sens de la fête, de la vitalité, une certaine théâtralité qu’on lui a parfois reproché. La cérémonie de ce 18 juin fut simple et digne ; elle s’ouvrit sur le témoignage de Pierre-Yves Trémois, un salut magistral autant qu’amical au « samouraï du geste » à celui qui, conjuguait « la révolte, la vitesse, le risque et la lucidité dans l’extase ».
Mathieu était inquiet de son temps, un homme aux aguets qui remarqua immédiatement le texte d’une jeune historienne de l’art qui contestait l’hégémonie de l’art officiel. Il décrocha son téléphone et m’invita à prendre le thé… au George V : toujours ce sens du symbole et de la classe. Nous eûmes une longue conversation où il me confia quelques souvenirs et ses désillusions : l’Académie n’était pas la chevalerie qu’il imaginait et sa voix étouffait un rugissement, les moustaches frémissaient. C‘est le souvenir que j‘ai gardé de lui : un homme-lion sanglé dans un costume impeccable ! Il me dédicaça l’ultime exemplaire d’un pamphlet qu’il avait fait imprimer. Le papier avait souffert quelques déchirures qu’il avait raccommodées exprès : le fauve avait une habileté de couturière. Ce petit opuscule, relié d’un cordon rouge, eut valeur pour la jeune historienne de passage de témoin. Il s’intitulait : « Cet art que l’on dit contemporain ».
Désormais c’était à ma génération de continuer le combat…
Dans le petit opuscule d’une trentaine de pages, intitulé « Cet art que l’on dit contemporain », Mathieu visait « les technocrates de l’art ». On sait que la formule fétiche du peintre était : « Le signe précède sa signification », autrement dit, il y a un langage visuel, perceptible avant la mise en concept et en mot. Tout discours amphigourique prenant la place d’un art de l’œil et de la main le hérissait. « Le signe précède sa signification » était l’équivalent du fameux E=MC2 et démontrait l’absurdité d’une conceptualisation outrancière de l’art.
Mathieu dénonçait aussi « la véritable mafia qui dirige l’orientation de l’art dans le monde », cet art dont la finalité « n’est plus que sa propre mort », une « gangrène culturelle » où sévit « l’influence des modes américaines ».
Là, une mise au point s‘impose : Mathieu fut rédacteur en chef pendant 10 ans d’une revue culturelle bilingue et ne peut être soupçonné d’antiaméricanisme primaire, au contraire, il fut « le premier en Europe à révéler l’importance de l’art américain dès 1948 sans savoir alors qu’il s’agissait, non d’une pure manifestation artistique spontanée, mais d’une volonté déterminée de voler l’idée d’art moderne à l’Europe et à Paris en particulier » (le livre de Serge Guillebaut l’avait passionné).
« Harold Rosenberg et Clément Greenberg créèrent le mythe d’un art spécifiquement américain alors qu’en Europe Hartung, Wols, Atlan, Soulages, et moi-même n’avions pas attendu leur exemple ». Puis le galièriste Castelli et l’historien Alfred Barr annexèrent « vers 1960 le Pop Art né en Angleterre entre 1952 et 56 », avec la complicité de Restany, le père du Nouveau Réalisme qui affirmait (ce que Mathieu contestait vigoureusement) que l’abstraction lyrique s’épuisant en redites, il fallait passer de la peinture à… la sociologie.
Mathieu, qui épinglait « ces renégats dont la légitimité ne s’est conquise qu’à l’aide d’un passé récusé », qualifiait l’œuvre de Duchamp de « transartistique », ce qui est bien vu, il rapporte une conversation avec Castelli :
-« savez-vous que je vous considère comme le plus grand fossoyeur de l’art contemporain ?
- Non, répondit l‘autre, ce n’est pas moi, c’est Duchamp.
- Oui, mais Duchamp avait de l’humour… »
Significative encore, l’anecdote où Clément Greenberg lui dédicace une photo « A G. Mathieu, le peintre d’outre atlantique que j’admire le plus », « tout en m’interdisant de rendre public ce jugement craignant d’attenter à la réputation d’hégémonie artistique des États-Unis ». « L’intelligentsia américaine de gauche, voulant se démarquer du stalinisme … prit partie pour la peinture abstraite… ».
« L’avant-garde américaine (devient) une arme culturelle contre la propagande soviétique », bref un effet « du nationalisme américain incarnant une véritable idéologie dont le sectarisme n’a cessé de croitre ». Avec la complicité des médias, de l’intelligentsia et de la bureaucratie française peut-on ajouter aujourd‘hui.
Christine Sourgins.
Article publié sur le site Culture.Mag le 29/06/2012
Christine Sourgins est une de nos meilleures critiques et historiennes de l’art. Pourfendeuse infatigable des fumisteries contemporaines et de « l’art par le fric », elle collabore à de nombreuses revues (Commentaire, Liberté politique, Catholica, La Nef). Elle a récemment publié Les mirages de l’art contemporain (La Table Ronde, 2005).
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Kitagawa Utamaro. - Beautés du jour en robes d'été (Natsu ishô tôsei bijin), « Dans le goût des motifs d'Izugura » (Izugura shi-ire no moyô muki). Vers 1804-1806 |
Jean du Fresnois .
Lorànt le magnifique
Il y a un phénomène Lorant Deutsch et sans doute plus qu’un phénomène. Ce garçon est impressionnant d’intelligence, de simplicité et d’honnêteté dans un monde où la bêtise, la cuistrerie et le cynisme sont devenus des valeurs cardinales. C’est pour cela qu’il plait et qu’il fait des adeptes. Nous reviendrons prochainement sur son Métronome, dont la version illustrée, parue il y a quelques mois est un vrai régal pour l’esprit et pour les yeux. Pour ceux de nos lecteurs qui commencent à faire leurs emplettes de Noël, voilà un cadeau parfait pour des amis de qualité. Qu’on se le dise !
Nous publions ci-dessous la dernière chronique télévisée de l’excellent Basile de Koch dans Valeurs actuelles qui rend compte du phénomène Deutsch.
Jean Casinelli.
C'est jeune, et ça ne suit pas !
A priori, je ne raffole pas des artistes qui se mêlent de politique et de religion : « Ne sutor ultra crepidam», comme dirait mon voisin Philippe Barthelet. Qui songerait sérieusement à questionner Valls ou Copé sur leurs goûts en matière de sculpture grecque ou de rap ?
Eh bien, il est plus absurde encore de demander à des Arditi, Huster et autres Balasko ce qu’ils pensent de l’injustice, du racisme et de la méchanceté en général : ils sont contre, figurez-vous !
Mettons à part quelques personnages comme Richard Bohringer ou Philippe Caubère, que je crois assez fêlés pour être sincères. Mais l’exception qui confirme vraiment la règle, on pouvait la voir l’autre samedi dans l’émission On n’est pas couché (sur France 2, 27 novembre, 23 heures) : elle s’appelle Lorànt Deutsch.
Un vrai phénomène, vous dis-je ! À 35 ans, cet acteur hors norme a déjà incarné entre autres, sur scène et sur les écrans, Sartre et La Fontaine, Mozart et Jérôme Kerviel… Entre-temps, après cinq ans de recherches, il publiait l’an dernier son premier livre : Métronome. Sous-titré l’Histoire de France au rythme du métro parisien, ce bouquin atypique a déjà été écoulé à plus de 500 000 exemplaires et reste en tête des ventes d’essai.
L’autre samedi, Lorànt était en promo pour la version illustrée de son livre. Joie ! Il ne s’est pas senti obligé pour autant de s’adapter au prêt-à-penser qui est de mise chez ses pairs.
Interrogé sur l’actualité de Benoît XVI, il se déclare « fier d’être catholique ». Aussitôt, Éric Zemmour, sceptique par nature et par fonction, l’interrompt : « Vous êtes comme tous les artistes : d’autant plus catholique que l’Église ne l’est pas spécialement… »
Mais Zemmour sera aussi le premier à se réjouir d’être démenti : au-delà des Roms et du latex, c’est « son pape » et « sa foi » que Lorànt Deutsch défend mordicus. Pour l’avenir, il appelle même de ses voeux un « concordat » entre l’Église catholique et l’État français – ce qui, à l’évidence, n’a plus le même sens que sous Napoléon Ier…
Bref, le genre de propos qu’on ne vous sert pas tous les soirs sur un plateau télé ! Encore la cerise, sur ce gâteau, n’arrivera-t-elle que plus tard. Sous prétexte de politique, le jeune gandin n’hésite pas à se proclamer « royaliste » : les rois n’ont-ils pas tracé la voie d’une «magnifique histoire de France à poursuivre » ? Bien sûr, si un autre artiste risquait sa carrière en s’affichant républicain et agnostique, je serais le premier à signer la pétition. Mais qu’on se rassure : ce n’est pas pour après-demain…
En attendant, j’ai décidé d’acquérir le Métronome de Lorànt Deutsch et de télécharger l’ensemble de ses films par tous les moyens, même légaux. Ça me fera au moins un truc à confesser avant Noël.
Basile de Koch. Valeurs actuelles du 9 décembre 2010.
Un prince du théâtre Si l'on chante un dieu, Ce dieu nous rend son silence Nul de nous ne s'avance Que vers un dieu silencieux. Rainer Maria Rilke. |
Laurent Terzieff est parti vendredi, presque en silence, mais sa voix résonne à nouveau ce soir, haute et ferme, dans nos mémoires. Terzieff, c'est d'abord ce personnage de cinéma si particulier, à qui tout sourit et qui ne sourit à rien, c'est le jeune bohème indifférent des Tricheurs de Carné, le révolutionnaire stendhalien de Vanina Vanini de Rossellini, l'officier désespéré du Désert des Tartares de Zurlini. C'est une pose de dandy superbe qui séduisit et fascina plusieurs générations de jeunes gens. Mais Terzieff, c'est aussi et c'est surtout un certain théâtre dont nous sommes ce soir orphelins. Ce théâtre des brumes slaves, germaniques, anglaises ou irlandaises dans lesquelles il aimait draper sa haute silhouette. Un théâtre de la vérité, où les hommes sont les hommes, jetés par hasard et malgré eux dans ce bas-monde mensonger et atroce, et où la dignité n'est bien souvent qu'au prix de la misère, de la folie ou de la mort. De Tête d'Or de Claudel à Henri IV de Pirandello, de Meurtre dans la Cathédrale d'Eliot à son dernier rôle dans Philoctète de Sophocle, c'est le même personnage que joue Terzieff, c'est l'être complet en proie au tourment et au doute, sous le soleil de son créateur. Terzieff, c'est enfin une voix et un visage. Une voix pure, juste et sûre d'elle-même, celle des grands comédiens, celle aussi des hommes d'église et des professeurs. Et un visage qui portait, dans un curieux mélange, le regard clair de la jeunesse et les stygmates de la mort. Nous n'oublierons ni l'un ni l'autre. Requiem in pace.
Jean du Fresnois .
Soulages, De l'esprit à la forme | |
Il y a deux bonnes raisons pour se rendre à la rétrospective que le Centre Pompidou consacre à Pierre Soulages. C'est d'abord une exposition magnifique - plus d'une centaine d'oeuvres, parfaitement commentées et documentées - qui permet d'avoir un accès complet au parcours du peintre et de saisir ce que sa création comprend d'énergie, de volonté et de continuité. Et c'est en même temps l'occasion de saisir les failles de cette oeuvre, ses rythmes, ses changements, ses ruptures et ses longs moments de respiration.
On le sait, toute l'oeuvre de Pierre Soulages est dominée par le noir, mais cette domination du noir n'est pas d'un seul tenant, elle a ses périodes, le noir comme "couleur d'origine", puis comme paysage et enfin comme matière offerte à la lumière. Soulages évolue progressivement de l'idéogramme chinois et des fresques rupestres à une peinture en trois dimensions où les couches noires, creusées, travaillées et soumises à la lumière finissent en une forme de sculpture. De l'écriture à la forme, de l'esprit incarné dans les signes à la matière livrée dans son apparence primitive, voilà le parcours d'un artiste qui revendique son abstraction et dont l'oeuvre renvoie pourtant à des dimensions parfaitement humaines et concrètes.
Pour qui sait voir, Soulages est transparent malgré son goût pour l'obscurité. Son arrivée à Sète, à la fin des années 50 et sa proximité avec les paysages-lumières de Valéry - une mer diffuse ("Midi le Juste y compose de feu"), un cimetière offert ("Fragment terrestre offert à la lumière") - explique sans doute sa soudaine conversion au noir intégral. C'est certainement l'époque la plus forte de l'oeuvre de Soulages, son Midi, l'heure de la grande originalité. Le noir est étalé à longs coups de brosse sur la toile, la lumière s'y insère et produit les paysages d'un monde inédit : nuits métalliques, mers grises comme vues d'avion, levers de soleil noir... Là encore, l'abstraction vue par Soulages n'est ni une forme d'écriture automatique, ni une réduction de la vie ou un retrait du monde, c'est l'expression d'un monde autre, tout en restant apparenté à celui-là.
Il y a aussi du grec chez Soulages. Sa création prend appui sur le travail de l'homme, même si, à un moment, les dieux brouillent les cartes. C'est le moment où l'artiste, artisan, acteur et pythie à la fois, doit faire la preuve de sa grande mobilité. "L'artisan sait très bien quel objet il va produire et il sait même comment y arriver alors que nous ne savons ni comment faire, ni ce qui va se faire. Au moment où les matériaux sont à l'oeuvre, certaines choses se passent, se développent, ouvrent des possibilités que nous n'avions pas soupçonnées... ". Et Pierre Soulages de conclure "C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche". Voilà les accents d'un vrai classique.
Les affaires sont les affaires
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La troupe du Français donne, au Vieux Colombier, les affaires sont les affaires d'Octave Mirbeau. Ce n'est pas franchement la meilleure pièce du répertoire et elle vit même très au-dessus de ses moyens. On sait que Mirbeau voulait faire une comédie de caractère sur les milieux financiers du début du siècle dernier. Il arriva tout juste à en tirer une farce, et une farce assez brouillonne. La pièce repose entièrement sur les épaules du personnage principal, Isidore Lechat, petit brasseur d'affaires louches, bourgeois arrivé et content de lui, insatiable lorsqu'il s'agit d'argent et d'un cynisme absolu, venimeux à l'endroit de la religion et de tout ce qui touche à l'esprit. Un curieux mélange de promoteur véreux et de bourgeois gentilhomme, tout enfiévré de ses passions de nouveau riche.
L'homme n'est d'ailleurs pas sans intérêt, et Mirbeau, en creusant un peu, aurait pu en faire mieux qu'une caricature. Lechat, dans un même mouvement, déclare son mépris des pauvres et du peuple, parce qu'il en vient ("les pauvres, ils n'ont qu'à travailler, ils seront moins pauvres"), son amour de la démocratie parce qu'elle le sert, son "socialisme" parce que l'Etat est à lui et sa conviction que le génie de quelques uns fera le bonheur de tous parce qu'il fait partie des happy few. Lechat n'est pas le financier d'envergure, le grand aigrefin, le prince du marché, plein de fiel et de morgue, avec lequel Mirbeau aurait voulu se mesurer. Il est l'ébauche d'un autre caractère, celui de l'agioteur radical-socialiste, moins brillant mais plus répandu qu'on ne le pense, surtout par les temps qui courent, y compris dans les allées du pouvoir et sur les bancs du Parlement. Dommage que Mirbeau n'ait pas su lui donner toute sa dimension.
C'est également dommage qu'il n'ait pas mieux soigné le reste de sa pièce. Les autres personnages - femme, fille, fils, voisins, associés ou domestiques - disparaissent derrière Lechat, qui les écrase de sa démesure et de sa véhémence. Ils sont d'ailleurs à peine esquissés. L'action elle-même est confuse et l'on passe d'une scène à l'autre sans lien évident entre les évènements. Tous ces défauts peuvent disparaître si la pièce est jouée sur le ton qu'il convient, celui de la farce un peu exubérante, du premier degré, en cherchant à faire rire, comme on peut rire d'une comédie de Feydeau lorsque les personnages semblent pris dans un vent de folie.
Mais ce n'est malheureusement pas le parti qu'a pris le Vieux colombier et le metteur en scène, Marc Paquien. Celui ci a fait le choix d'insister sur le sérieux de l'oeuvre et sur son actualité. "Cette pièce, dit-il, nous surprend peut être encore davantage aujourd'hui qu'hier, tant elle semble pointer du doigt les chocs et les abus qui ont récemment fait ployer notre monde. De nos jours, la figure d'Isidore Lechat se rencontre partout. Patrons de multinationales, hommes d'affaires, spéculateurs et financiers : le pouvoir est définitivement passé entre les mains de ces nouveaux maîtres du monde." Le décalage entre ces nobles ambitions et ce que l'on peut réellement tirer de l'oeuvre apparaît très vite : les caractères, mis à vif, sont plus schématiques encore, la trame plus approximative, l'atmosphère, très noire, jure avec les dialogues faits pour le rire. Mirbeau, auteur bourgeois malgré lui, n'est ni Brecht, ni Armand Gatti.
Ce qui sauve en définitive le spectacle - et qui nous conduit malgré tout à le recommander - c'est l'excellence de l'interprétation. Gérard Giroudon (Lechat) - prodigieux de force et, in fine, d'émotion - occupe tout l'espace. Michel Favory (le Marquis de Porcellet) joue avec beaucoup de justesse l'aristocrate ruiné, victime sans illusions des manigances de Lechat. Claude Mathieu (Mme Lechat) et Gilles David (l'associé) tiennent leurs textes à la perfection. Une mention particulière pour Françoise Gillard (Germaine Lechat), qui redonne à plusieurs reprises de la couleur aux dialogues, en jouant avec conviction et naturel son rôle de fille révoltée et insoumise.
Jacques du Fresnois.
Présence de Vincent d'Indy | |
Les amateurs de musique française ont été à nouveau comblés en 2009. Nous reviendrons sur les excellentes éditions de Poulenc, Roussel, Milhaud, Séverac, Debussy ou Canteloube mais aussi de Dutilleux ou de Dusapin qui ont jalonné toute cette année, et qui sont autant de cadeaux à offrir ou à se faire offrir dans cette période de fêtes. Rendons tout de suite hommage à Vincent d'Indy, que des affinités vivaroises nous conduisent à distinguer du lot. D'Indy, injustement tombé dans l'oubli, fait un retour signalé à la devanture de nos disquaires Pas moins de quatre rééditions en 2008 - parmi lesquels un superbe petit album de musique de chambre (suite en ré, chanson et danses, quintette, suite) commercialisé par Timpani[1] -, presque autant en 2009. Parmi les titres publiés cette année, on signalera tout particulièrement le deuxième volume des oeuvres pour orchestre publié par Chandos et interprété par l'orchestre symphonique d'Islande[2]. On y découvrira avec plaisir la symphonie n°2 en si bémol majeur, moins connue, plus ambitieuse et plus cérébrale que la symphonie cévenole, étonnant mélange de classicisme et d'innovation où l'on retrouve à plusieurs reprises l'empreinte du Debussy de Pélléas. L'album comprend également les fameux Tableaux de voyage, conçus pour l'orchestre en 1892 à partir de treize petites pièces pour piano seul datant de 1889, qui évoquent avec émotion les randonnées de d'Indy en Forêt Noire et dans le Tyrol. Signalons également la sortie chez Hypérion d'une somptueuse interprétation de deux poèmes symphoniques de d'Indy, Wallenstein et Saugefleurie, par l'orchestre national du Pays de Galles[3].
Andre Lalo.
[1]. Vincent d'Indy, Musique de chambre, François Kerdoncuff et les solistes de l'orchestre philarmonique du Luxembourg. Orchestre. (Timpani, 2008, 1 CD)
[2]. Vincent d'Indy, Orchestral works, volume 2, Orchestre symphonique d'Islande sous la direction de Rumon Gamba. (Chandos, avril 2009, 1 CD)
[3]. Vincent d'Indy, Wallenstein, Saugefleurie, Lied, Choral varié, Orchestre national du Pays de Galles sous la direction de Thierry Fischer(Hypérion, février 2009, 1CD)
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Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01 |
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