par lui-même
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Les Vins, les Blés, les Brègues, les Mélives Je conte et chante, et le Ru jaunissant Qui vient d'Espagne en écartant ses rives Devant Bordeaux s'étendre en fier croissant, Et les amours je trace dans ma Geste Du plus chétif et de la plus modeste Que la Bénange ait réunis jamais Dans ses champs verts et sur ses noirs sommets. |
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andré berry (1902-1986). Lais de Gascogne (Firmin-Didot, 1933).
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lai du train de cadillac
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O toi petit train des Benauges, Bélant comme un chevreau perdu, A travers les thyms et les sauges, Au bord de ton sentier ardu, Grinçant aux courbes de ta ligne, Entouré d'un tourbillon noir Que fait tournoyer sur la vigne Ta cheminée en entonnoir, Doux petit train qui tourne et tourne, Brulant l'herbe et les liserons, De la Bastide jusqu'au Tourne Et jusqu'aux rives de Cérons, Juste effroi de la mère poule Qui souvent après tes convois Trouve ses chers poussins en foule Méchamment broyés sous ton poids, J'ai su courir à ta poursuite Ou, d'un signe de mon mouchoir, T'arrêter piaffant dans ta fuite Près du tourniquet du lavoir... C'est grâce à toi, Crache-fumée, Que j'ai pu si souvent revoir Bordeaux, ma ville bien-aimée, Et Quinsac, mon plaisant terroir. |
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andré berry (1902-1986). Lais de Gascogne (Firmin-Didot, 1933).
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à une petite semelle
d'ivoire |
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O toi qui sur un coussin rose Fais l'ornement de ce séjour Où la simple amitié repose Aux mêmes sofas que l'amour, - Sous ton mince globe de verre Posée avec un soin pieux Par l'habitant docte et sévère De ce salon mystérieux, Toi que célèbre dans sa cage L'oiseau chargé de verts regrets Que ce monastique ermitage N'a point consolé des forêts, Dis pour quelle ardente marquise Furent peints sur ton tissu blanc Ce blason et cette devise Par le pinceau d'un vieux galant. Quelle Cendrillon langoureuse T'a foulée au sortir du bal, Après la perte malheureuse De sa chaussure de cristal ? De quels jours gardes-tu mémoire, De quel talon frêle et menu ? Hélas ! à quelle peau d'ivoire Ton ivoire a-t-il survécu ? Mais tu ne saurais rien m'apprendre Sur la morte qu'un prince aima, Ni sur l'amour lascif ou tendre Dont le brandon la consuma. A quoi bon vanter son lignage Et ses vains honneurs enfouis ? Il ne reste aucun témoignage Des sourires évanouis. Le sentier qui porte les traces Des souliers de la Montespan Se tait à jamais sur les grâces Des folles duchesses d'antan ; Il n'est gravure ni beau livre Ni bronze dur, ni mol pastel Qui puisse encor les faire vivre Sous l'oeil d'un dieu ni d'un mortel. Ghislaine, Ghislaine, Ghislaine, - Ne restera-t-il donc de vous Que la pantoufle à la poulaine Dont s'étouffaient vos pas jaloux, Ou cette babouche dorée Que vous ôtiez, non sans débats Pour m'offrir la blancheur nacrée De vos pieds frais et délicats ? |
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andré berry (1902-1986). Les Facettes (Avril 1928).
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