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26 décembre 2010 7 26 /12 /décembre /2010 09:00
Images provençales
                                                                                    
Le vent danse avec la lumière     
Et la poursuit dans les sous-bois,
Le vent danse sur la clairière
Et dans les pins siffle à mi-voix
 
Pour rythmer le ballet fragile
Des feuillages vite éveillés
Et soulever les pieds agiles
D'un invisible chevrier.  
 
Flûte, flûteau, cor, clarinette,
Et tout à coup c'est le hautbois;
Le vent s'enfle: fête ou tempête ?
Le vent se tait... Calme sournois... 
 
Car bientôt dans l'ombre il se berce
Et puis recommence à danser
Avec la lumière et disperse
Les parfums par elle amassés.

Odeur des prés ! L'air sent l'amande...
Odeur des bois ! L'air sent le thym,
L'écorce fraîche et la lavande...
Odeur des roses du jardin !

Et les parfums eux-mêmes dansent,
Ivres, légers et confondus
Dans la frénétique cadence
Du vent qui ne s'arrête plus.

 

DERAIN--Andre--Paysage-sous-bois.jpg

 

Cécile Périn  (1877-1959). Inédit. (Le Divan, 1929).


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24 décembre 2010 5 24 /12 /décembre /2010 22:19
Effel Noël
 

La rédaction de la Revue critique des idées et des livres souhaite à Monseigneur le Comte de Paris, à la Famille de France et à tous ses lecteurs un joyeux Noël.

 
Un réveillon dans le Marais
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Un conte de Noël
 
 
M
 onsieur majesté, fabricant d'eau de Seltz dans le Marais, vient de faire un petit réveillon chez des amis de la place Royale, et regagne son logis en fredonnant… Deux heures sonnent à Saint-Paul. « Comme il est tard ! » se dit le brave homme, et il se dépêche; mais le pavé glisse, les rues sont noires, et puis, dans ce diable de vieux quartier, qui date du temps où les voitures étaient rares, il y a un tas de tournants, d'encoignures, de bornes devant les portes à l'usage des cavaliers. Tout cela empêche d'aller vite surtout quand on a déjà les jambes un peu lourdes, et les yeux embrouillés par les toasts du réveillon. Enfin M. Majesté arrive chez lui. Il s'arrête devant un grand portail orné, où brille au clair de lune un écusson, doré de neuf, d'anciennes armoiries repeintes dont il a fait sa marque de fabrique :
 
hotel ci-devant de nesmond
majesté jeune
fabricant d'eau de seltz
 
Sur tous les siphons de la fabrique, sur les bordereaux, les têtes de lettres, s'étalent ainsi et resplendissent les vieilles armes des Nesmond.
Après le portail, c'est la cour, une large cour aérée et claire, qui, dans le jour, en s'ouvrant, fait de la lumière à toute la rue. Au. fond de la cour, une grande bâtisse très ancienne, des murailles noires, brodées, ouvragées, des balcons de fer arrondis, des balcons de pierre à pilastres, d'immenses fenêtres très hautes, surmontées de frontons, de chapiteaux qui s'élèvent aux derniers étages comme autant de petits toits dans le toit, et enfin, sur le faîte, au milieu des ardoises, les lucarnes des mansardes, rondes, coquettes, encadrées de guirlandes comme des miroirs. Avec cela un grand perron de pierre, rongé et verdi par la pluie, une vigne maigre qui s'accroche aux murs, aussi noire, aussi tordue que la corde qui se balance là-haut à la poulie du grenier, je ne sais quel grand air de vétusté et de tristesse. C'est l'ancien hôtel de Nesmond.
En plein jour, l'aspect de l'hôtel n'est pas le même. Les mots Caisse, Magasin, Entrée des ateliers, éclatent partout en or sur les vieilles murailles, les font vivre, les rajeunissent. Les camions des chemins de fer ébranlent le portail, les commis s'avancent au perron la plume à l'oreille pour recevoir les marchandises. La cour est encombrée de caisses, de paniers, de toile d'emballage. On se sent bien dans une fabrique. Mais avec la nuit, le grand silence, cette lune d'hiver qui, dans le fouillis des toits compliqués, jette et entremêle des ombres, l'antique maison des Nesmond reprend ses allures seigneuriales. Les balcons sont en dentelle la cour d'honneur s'agrandit, et le vieil escalier, qu'éclairent des jours inégaux, vous a des recoins de cathédrale, avec des niches vides et des marches perdues qui ressemblent à des autels.
Cette nuit là surtout, M. Majesté trouve à sa maison un aspect singulièrement grandiose. En traversant la cour déserte le bruit de ses pas l'impressionne. L'escalier lui paraît immense, surtout très lourd à monter. C'est le réveillon sans doute. Arrivé au premier étage, il s'arrête pour respirer et s'approche d'une fenêtre. Ce que c'est que d'habiter une maison historique! M. Majesté n'est pas poète, oh! non et pourtant, en regardant cette belle cour aristocratique, où la lune étend une nappe de lumière bleue, ce vieux logis de grand seigneur qui a si bien l'air de dormir, avec ses toits engourdis sous leur capuchon de neige, il lui vient des idées de l'autre monde.
« Hein? …tout de même, si les Nesmond revenaient… »
A ce moment, un grand coup de sonnette retentit. Le portail s'ouvre à deux battants, si vite, si brusquement, que le réverbère s'éteint et, pendant quelques minutes, il se fait là-bas, dans l'ombre de la porte, un bruit confus de frôlements, de chuchotements. On se dispute, on se presse pour entrer. Voici des valets, beaucoup de valets, des carrosses tout en glaces miroitant au clair de lune, des chaises à porteurs balancées entre deux torches qui s'avivent au courant d'air du portail. En rien de temps, la cour est encombrée. Mais au pied du perron, la confusion cesse. Des gens descendent des voitures, se saluent, entrent en causant, comme s'ils connaissaient la maison. Il ya là, sur ce perron, un froissement de soie, un cliquetis d'épées. Rien que des chevelures blanches, alourdies et mates de poudre; rien que des petites voix claires, un peu tremblantes, des petits rires sans timbre, des pas légers. Tous ces gens ont l'air d'être vieux, vieux. Ce sont des yeux effacés, des bijoux endormis, d'anciennes soies brochées, adoucies de nuances changeantes, que la lumière des torches fait briller d'un éclat doux et sur tout cela flotte un petit nuage de poudre, qui monte des cheveux échafaudés, roulés en boucles, à chacune de ces révérences, un peu guindées par les épées et les grands paniers. Bientôt toute la maison a l'air d'être hantée. Les torches brillent de fenêtre en fenêtre, montent et descendent dans le tournoiement des escaliers, jusqu'aux lucarnes des mansardes qui ont leur étincelle de fête et de vie. Tout l'hôtel de Nesmond s'illumine, comme si un grand coup de soleil couchant avait allumé ses vitres.
« Ah! Mon Dieu! ils vont mettre le feu : » se dit M. Majesté. Et, revenu de sa stupeur, il tâche de secouer l'engourdissement de ses jambes et descend vite dans la cour, où les laquais viennent d'allumer un grand feu clair. M. Majesté s'approche; il leur parle. Les laquais ne lui répondent pas, et continuent de causer tout bas entre eux, sans que la moindre vapeur s'échappe de leurs lèvres dans l'ombre glaciale de la nuit. M. Majesté n'est pas content cependant une chose le rassure, c'est que ce grand feu qui flambe si haut et si droit est un feu singulier, une flamme sans chaleur, qui brille et ne brûle pas. Tranquillisé de ce côté, le bonhomme franchit le perron et entre dans ses magasins.
Ces magasins du rez-de-chaussée devaient faire autrefois de beaux salons de réception. Des parcelles d'or terni brillent encore à tous les angles. Des peintures mythologiques tournent au plafond, entourent les glaces, flottent au-dessus des portes dans des teintes vagues, un peu ternes, comme le souvenir des années écoulées. Malheureusement, il n'y a plus de rideaux, plus de meubles. Rien que des paniers, de grandes caisses pleines de siphons à tête d'étain, et les branches desséchées d'un vieux lilas qui montent toutes noires derrière les vitres. M. Majesté, en entrant, trouve son magasin plein de lumière et de monde. Il salue, mais personne ne fait attention à lui. Les femmes aux bras de leurs cavaliers continuent à minauder cérémonieusement sous leurs pelisses de satin. On se promène, on cause, on se disperse. Vraiment tous ces vieux marquis ont l'air d'être chez eux. Devant un trumeau peint, une petite ombre s'arrête, toute tremblante « Dire que c'est moi, et que me voilà ! » et elle regarde en souriant une Diane qui se dresse dans la boiserie, - mince et rose, avec un croissant au front. « Nesmond, viens donc voir tes armes ! » et tout le monde rit en regardant le blason des Nesmond qui s'étale sur une toile d'emballage, avec le nom de Majesté au-dessous.
« Ah! ah! ah! Majesté! Il y en a donc encore des Majestés en France ? »
Et ce sont des gaietés sans fin, de petits rires à son de flûte, des doigts en l'air, des bouches qui minaudent.
Tout à coup quelqu'un crie :
« Du champagne, du champagne !
Mais non !
Mais si, c'est du champagne. Allons, comtesse, vite un petit réveillon. »
C’est de l'eau de Seltz de M. Majesté qu'ils ont prise pour du Champagne. On le trouve bien un peu éventé mais, bah on le boit tout de même, et comme ces pauvres petites ombres n'ont pas la tête bien solide, peu à peu cette mousse d'eau de Seltz les anime, les excite, leur donne envie de danser. Des menuets s'organisent. Quatre fins violons que Nesmond a fait venir commencent un air de Rameau, tout en triolets, menu et mélancolique dans sa vivacité. Il faut voir toutes ces jolies vieilles tourner lentement, saluer en mesure d'un air grave. Leurs atours en sont rajeunis, et aussi les gilets d'or, les habits brochés, les souliers à boucles de diamants. Les panneaux eux-mêmes semblent revivre en entendant ces anciens airs. La vieille glace, enfermée dans le mur depuis deux cents ans, les reconnaît aussi, et, toute éraflée, noircie aux angles, elle s'allume doucement et renvoie aux danseurs leur image un peu effacée, comme attendrie d'un regret. Au milieu de toutes ces élégances, M. Majesté se sent gêné. Il s'est blotti derrière une caisse et regarde…
Petit à petit cependant le jour arrive. Par les portes vitrées du magasin, on voit la cour blanchir, puis le haut des fenêtres, puis tout un côté du salon. A mesure que la lumière vient, les figures s'effacent, se confondent. Bientôt M. Majesté ne voit plus que deux petits violons attardés dans un coin et que le jour évapore en les touchant. Dans la cour, il aperçoit encore, mais si vague, la forme d'une chaise à porteurs, une tête poudrée semée d'émeraudes, les dernières étincelles d'une torche que les laquais ont jetée sur le pavé, et qui se mêlent avec le feu des roues d'une voiture de roulage entrant à grand bruit par le portail ouvert.
alphonse daudet. [1].
 

[1]. Alphonse Daudet, Un réveillon dans le Marais, in Contes du Lundi, 1873.
 
Effel Noël 2
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22 décembre 2010 3 22 /12 /décembre /2010 02:18
Canonnières en mer de Chine
 
Le gouvernement japonais a annoncé vendredi dernier son intention de renforcer d'ici à 2020 ses capacités de défense dans les îles du sud de l'archipel, afin de contrecarrer la puissance militaire grandissante de la Chine qui représente, selon lui, « une source d'inquiétude » pour l'Asie et le monde. Ces mesures visent également la Corée du Nord, que Tokyo désigne comme un « facteur pressant et grave d'instabilité ». En termes non diplomatiques : un ennemi en puissance.
Selon le programme présenté par Tokyo, les forces d'autodéfense japonaises - nom officiel de l'armée selon la Constitution pacifiste nippone - vont désormais se concentrer sur la surveillance des îles méridionales, dont plusieurs sont revendiquées à la fois par Pékin et Tokyo. Le document prévoit d'augmenter le nombre de sous-marins de 16 à 22 et de moderniser l'aviation de chasse. Il préconise également de renforcer les capacités de défense contre les missiles pouvant venir de Corée du Nord, en doublant de trois à six le nombre de bases de missiles antimissiles sol-air et en faisant passer de quatre à six le nombre de destroyers équipés de missiles intercepteurs.
"Pékin modernise rapidement son armée et intensifie ses activités dans les eaux voisines de son territoire", souligne ce document stratégique. "Avec le manque de transparence de la Chine sur les questions militaires et de sécurité, cette tendance est une source d'inquiétude pour la région et la communauté internationale", ajoute-t-il.
Le plan japonais renvoie donc au passé la politique de défense mise en place depuis la Guerre froide, qui visait pour l’essentiel à prévenir une menace venue du nord, d'URSS, puis de Russie. Certains ne manqueront pas d’y voir un changement stratégique plus profond encore : pour la première fois depuis la fin de la guerre, Tokyo s’exprime de façon autonome sur les questions militaires et planifie ses efforts de défense en fonction de sa vision propre et de ses intérêts dans la zone. Le gouvernement nippon répond ainsi à une préoccupation forte de son opinion publique qui souhaite des relations « plus matures » avec les Etats Unis. Précisons que, bien qu’officiellement pacifiste, le Japon entretient une armée très efficace et supérieurement équipée, dont les effectifs sont supérieurs à ceux de la France ou du Royaume uni.
Pékin a réagi à ces annonces dans des termes aussi mielleux qu’hypocrites. Précisant « qu’elle ne menace personne", la Chine qualifie « dirresponsables » les déclarations du Japon sur sa puissance militaire. Aucun pays "n'a le droit de se désigner comme représentant de la communauté internationale ni de faire de commentaires irresponsables sur le développement de la Chine", a ajouté le porte-parole de la diplomatie chinoise, Mme Jiang Yu, dans le plus pur style des communiqués soviétiques d’autrefois.
Le Japon a pourtant toutes les raisons de s’alarmer de l’attitude de la Chine. Depuis le printemps dernier, celle-ci n’hésite plus à pousser ses pions et à afficher ses ambitions en mer de Chine et dans toute l’Asie du nord-est. Elle cherche visiblement toutes les occasions, en ravivant notamment ses différents territoriaux avec Tokyo, pour faire monter la pression et tester l’exaspération de son voisin. En avril dernier, le passage d’une flotte chinoise dans le détroit de Miyako, à proximité d’Okinawa, a provoqué un premier incident diplomatique sérieux entre les deux pays. En juillet, lors du sommet des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN) à Hanoï, la Chine s’est opposé avec la plus grande vigueur à ce que ses conflits frontaliers avec le Japon fassent l’objet d’une médiation internationale. En septembre, la tension est encore montée d’un cran après la collision d'un chalutier chinois avec deux navires des garde-côtes nippons près d'îlots contrôlés par Tokyo mais revendiqués par Pékin. Il a fallu toute la souplesse et le sang froid du nouveau ministre japonais des affaires étrangères, M. Maehara, pour que l’affaire, montée en épingle par les Chinois, ne dégénère pas.
Force est de reconnaitre que Pékin dispose désormais des moyens de ses ambitions. Sur les dix dernières années, le budget militaire chinois a progressé bien plus rapidement encore que sa croissance économique. Dotée d’un arsenal nucléaire complet, d’une armée de 1,2 millions d’hommes, la Chine pèse de tout son poids dans l’équilibre du continent asiatique. Le plus surprenant, c’est la rapidité d’évolution de sa marine. Selon le Pentagone, les forces navales chinoises, quasi inexistantes il y a encore une décennie, regroupent aujourd’hui 75 grands bâtiments de combat, plus de 60 sous marins, plus de 80 patrouilleurs. La marine chinoise a désormais la capacité d’être présente dans toutes les mers du sud. Depuis 2008, elle patrouille dans le golfe d’Aden avec trois frégates et un navire ravitailleur, dans un secteur où elle peut surveiller les grandes routes maritimes. C’est évidemment ce nouveau rapport de force qui inquiète au premier chef Tokyo.
Le gouvernement japonais a d’ailleurs une petite idée sur les desseins à long terme de la Chine. Il a raison de mettre en relation les tensions qui existent entre les deux puissances asiatiques et la stratégie plus globale poursuivie par Pékin dans cette partie du monde. La Chine, désormais à l’aise dans ses habits de grande puissance, considère la mer de Chine orientale et la mer Jaune comme une sorte de grande mer intérieure, sur laquelle elle a vocation à exercer son contrôle. Dans ce schéma, on comprend mieux l’insistance de la Chine à maintenir ses revendications territoriales et maritimes sur tous les espaces qui bordent cette « Méditerranée asiatique », depuis les îles Senkaku, contrôlées par le Japon, et Taïwan, jusqu’aux Philippines, à la Malaisie et au Vietnam. On comprend mieux aussi l’importance de l’arme navale pour assurer ce contrôle. Lorsqu’on sait que l’essentiel de l’approvisionnement en hydrocarbures du Japon et de la Corée du Sud transite par cette zone, on s’explique également beaucoup mieux les enjeux de domination politique et stratégique qui sont attachés à la maîtrise de cet espace. Et les craintes du Japon.
C’est aussi pour ces raisons les dirigeants nippons regardent avec beaucoup d'attention ce qui se passe actuellement en Corée du Nord. Ils ont tout lieu de penser que la réunification des deux Corées au profit d’une nouvelle entité démocratique et libérale, sous influence occidentale, n’est plus à l’ordre du jour. Pas plus que le « lâchage » de la Corée du Nord par la Chine. Ils constatent au contraire que depuis le naufrage en mars dernier de la corvette sud-coréenne Choenan – sans doute torpillée par un sous-marin nord coréen – les relations entre Pékin et Pyongyang se sont considérablement renforcées. Ce n’est pas un hasard si la Chine a fermement condamné les manœuvres américano-sud-coréennes qui se sont déroulées début décembre en mer Jaune et qu’elle considère comme des provocations les exercices militaires sud coréens qui se déroulent actuellement à la frontière des deux Corées. Toutes considérations qui pourraient conduire Tokyo à garder ses distances vis-à-vis de Séoul et à modérer les ardeurs de ses alliés américains.
François Renié.

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21 décembre 2010 2 21 /12 /décembre /2010 11:35
Le grand retour de la littérature édifiante
 
Notre ami Bruno Lafourcade n'a rien lu - ou presque rien lu  - d'Olivier Adam et pourtant il en parle à merveille. En mal comme il se doit.  Essayez, comme nous l'avons tenté, de lire quoi que ce soit de cet adamite. Le livre vous tombera des mains, comme il est tombé des nôtres. Olivier Adam ressemble en tous points à ces pages littéraires de Libération ou du Monde où son nom est abondamment cité. On peut en faire de multiples usages, à l'exception de la lecture...
P. G.
 
Je n’ai jamais rien lu d’Olivier Adam, mais ce détail ne m’empêchera pas d’en dire du mal. J’exagère d’ailleurs : je n’ai jamais ouvert un livre d’Olivier Adam, mais j’ai eu sous les yeux un échantillon représentatif de son art poétique. Ces lignes, qui prenaient la forme du journal intime, sont déjà anciennes ; elles furent publiées par Libération, certain samedi, à la rubrique « Mon journal », « l’actualité vue par un intellectuel, un écrivain, un artiste ». [1].
Le premier jour, Adam se leva, prépara du café et alla se baigner ; le lendemain, il remarqua que « les dimanches ressemblaient aux samedis », et le surlendemain qu’il aimerait écrire « comme [la mer] bat » (cette chose, dans la langue du lyrisme néo-durassien, se barbouille : « Écrire comme elle bat, j’ai pensé ») ; mardi le vit « [fermer] les yeux en écoutant Mendelssohn » ; mercredi, il détesta un film sur l’avortement (où il faut entendre qu’Olivier Adam est « favorable à l’avortement », – une prise de position, la seule dans ce néant hebdomadaire, très courageuse et pas du tout attendue, qui n’a pas été écrite seulement pour être idéologiquement impeccable, mais parce que ce garçon (il ne faut jamais négliger la part de la naïveté dans la lâcheté) pense sincèrement qu’il est de son devoir moral d’affirmer qu’il est « favorable à l’avortement » ; jeudi, il eut les « nerfs en pelote », et pensa que Paris « [n’était] fait que pour la lumière » ; il termina en disant qu’il aimait le rugby.
J’en étais là, dans ce vide enlaidi de vent, de vagues et d’averses, au milieu de ce désert moite et poétisé, cherchant vainement une idée paradoxale, une réplique drôle, une phrase harmonieuse, – quand surgit du clavier adamique une page qui me fit partir la tête en arrière, retrousser les babines, découvrir les crocs, et à peu près littéralement hurler de rire : « Sur la plage, un type engueule son gamin, quatre ans pas plus, parce qu’il a du sable dans les chaussures. » Or « du sable sur une plage ça me semble normal », observe non sans à-propos notre homme qui révèle aussitôt les tortures infligées par le pervers : « Le type secoue son fils, lui tord le bras, lui tire un peu les cheveux ». Et évidemment : « Le gamin se met à pleurer ». Cet acte de barbarie, Olivier Adam le commente ainsi : « Ils s’en vont, je regarde Karine [sa compagne, suppose-t-on], ses yeux noyés. Ce genre de scène, c’est tellement tous les jours. Effrayant. Je pense à la une de Libé cet été, le projet de loi, interdire la fessée, et puis l’édito de Barbier dans L’Express cette semaine : une taloche n’a jamais fait de mal à personne il écrit. Cette vieille rengaine de l’autorité, l’éducation à la dure, punitive. Le dressage. Le nombre de gens qu’on peut croiser et qui ne s’en sont jamais vraiment remis de tout ça, pourtant. Les casseroles à traîner que c’est alors, la violence sourde, le défaut de tendresse. À l’inverse, jamais entendu personne me dire : tu sais au fond, mes parents étaient trop doux, trop aimants, trop ouverts, trop compréhensifs, ça m’a détruit, ce qu’il m’aurait fallu, c’est des tartes, du silence et de la peur. »
Faut-il voir dans ces peterpaneries, où des Gamins et des Mamans sont livrés aux crocs des Pères, ces types louches, un échantillon de ce que l’éditeur d’Olivier Adam, dans une quatrième de couverture, appelle la « puissance romanesque » de son poulain ? Sans doute ; mais, à mon avis, au lieu de lui faire croire qu’il est un descendant de Bernanos, il ferait mieux de lui envoyer une grammaire de classe de quatrième, car son barbouilleur n’est pas seulement un grand poète, il est aussi très ignorant. Quelle syntaxe atroce ! Et bête ! Ces averbales ! Ces inversions de sujet ! Si Adam savait comme elles le montrent incapable de faire tenir trois subordonnées au bout de leur principale (sans se tromper sur leurs temps, leurs modes et leurs pronoms) ! Comme elles le montrent loin de l’histoire et de l’esthétique littéraires ! Pire ! Inconscient de cette histoire et de cette esthétique ! Comme on sent qu’aucune de ces phrases n’a connu Flaubert ! Et tous ces « types », ces « gamins », ces « tartes » et ces « taloches » ! Cet argot toujours au bord de vomir son substantif ! Et s’il a l’argot au bord des lèvres, comme nous le cœur, Adam a aussi le cœur au bord de l’argot : avec quelle obscénité il exhibe son âme pure ! Dieu comme cet étalage est sordide ! Et comme la haine a raison d’être laide et pudique !
Cependant, un peu par masochisme rentré, mais par acquis de conscience aussi bien (qu’il ne fût pas dit que je n’eusse pas laissé à cette prose sa chance, et donc que je ne me fusse pas trompé), j’ai ouvert Des vents contraires, un roman de notre poète à la mode de Bretagne. – J’ai tenu deux chapitres, bien que les dix premières lignes, spectaculairement niaises, d’une gentillesse triste et spécialement obscène (le fond de cet auteur, dans sa fade réputation de grand modeste, est la tristesse gentille), qui en vérité donne envie de hurler, de devenir pyromane, pornographe, pédophile, de se trancher les veines, de s’injecter de l’héroïne, d’attaquer une banque, m’eussent déjà convaincu que j’avais raison.
Il s’agit d’un père qui, cette fois-ci, apparemment, n’a pas le rôle de l’ogre (une révolution dans l’œuvre adamique) ; il a deux enfants ; sa femme l’a quitté ; il déménage. Bien. Les dix premières lignes disent : « Les enfants quittaient la classe un à un, abandonnaient leurs coloriages et se levaient de leurs chaises miniatures pour se précipiter dans les bras de leurs parents sous le regard bienveillant de l’institutrice, une fille timide et fluette à qui je n’avais rien eu à reprocher en presque trois mois. En guise d’adieu, Manon l’avait embrassée sur les lèvres et l’instit n’avait pas bronché, les yeux brillants elle nous avait souhaité bonne chance : aller vivre au bord de l’eau elle nous enviait. J’ai rejoint Manon dans le fond de la pièce, au beau milieu des étals de légumes en plastique elle serrait Hannah contre son cœur, elles s’accrochaient l’une à l’autre, inquiètes de se perdre. » – Ça pleurniche comme ça pendant trente pages ; trente pages de modestie triste, timide et courageuse ; trente pages où les personnages, les enfants surtout, sont tristement modestes et timidement courageux.
On a envie de convertir Adam à la violence ; au mépris ; à la haine ; à l’injure ; à l’humour noir ; à la vanité (bien que, on aurait tort de s’y tromper, derrière toute cette triste humilité, notre auteur est très content de lui). On a envie de lui demander de gifler ses enfants ; ou de les pendre par les pieds ; ou au moins de les secouer assez fort. On a envie de le forcer à écrire des horreurs sur les femmes ; les Juifs ; les Nègres ; les Arabes ; les pédérastes. On a envie d’en faire un vertébré à nouveau, à défaut d’en faire jamais un romancier. (En réalité, tout le mal, probablement, vient de la poésie. Notre homme avoue d’ailleurs, dans un entretien publié sur Internet, qu’il a « commencé par ça », avant de préciser qu’il a « plutôt commencé par écrire des chansons », et que ses « premières lectures ont été poétiques ». – Il est certain qu’il existe une race particulièrement nulle d’écrivains édifiants : celle qui a « commencé par ça ».)
On s’en doute, quand on a été capable de produire de si vastes quantités d’océan coléreux, de vent mouetteux, de ciels plats et lourds comme une poêle à crêpes, sur fond d’humble pudeur morose, dans le caoutchouc post-durassien néo-angotiste où syntaxe et ponctuation sont livrées au hasard du clavier d’ordinateur, quand on a été capable d’écrire une seule fois dans sa vie ces nouilleries pleurnicheuses, il y a fort à parier que ce n’est pas un hasard, que cela fait partie d’une certaine structure mentale, pleinement en accord avec l’époque ; et donc que l’on ne s’en tiendra pas là, hélas, que l’on continuera, en toute impunité, d’en faire des livres, – que nous continuerons de ne pas lire sans hésiter, évidemment, à en dire le plus de mal possible.
 
Bruno Lafourcade.
(Cet article est également publié sur le site hodie)
 
[1]. Olivier Adam, Libération et sa rubrique « Mon journal » : en réalité, cet article pourrait s’arrêter à ses premiers mots, tant ils sont une condensation du néant. Quand je lis la page « Mon journal » de ce quotidien, je pense à ces lignes de Moderne contre Moderne, de notre Karl Kraus, le regretté Philippe Muray : « Cela fait quatre ans maintenant que Libération, semaine après semaine, demande à des “écrivains” de commenter la “rumeur du monde”. (...) C’est ce qu’ils appellent, à Libération, Le Roman de l’an 2003, sous-titré fallacieusement Journal de cinquante-deux écrivains. (...) À regarder dans son ensemble ce seul Roman de l’an 2003, on dispose d’un assez bon portrait de famille de l’homme de gauche, que l’on voit se déployer à cinquante-deux exemplaires sans pour autant augmenter si peu que ce soit sa clairvoyance ni son talent. Il y a bien sûr deux ou trois exceptions, mais nous n’en parlerons pas (...). Il n’est d’ailleurs pas question non plus de parler des autres, du moins pas individuellement ou nommément, car leurs propos mornes, prévisibles et corrects, s’unifient sans peine au moyen de tout ce qui leur manque (l’humour et le sens du paradoxe pour commencer, la conscience de la désaliénation générale et du chaos spécifique qu’elle provoque ensuite), de sorte que le véritable auteur de ce texte collectif n’est autre que le quotidien Libération lui-même : ils pourraient tous n’être qu’un, tant ils errent comme un seul homme. (...) Ils ne récapitulent de l’année 2003 que ce qu’il convient de ne pas en avoir pensé. Ils lisent les journaux, où la non-connaissance de ce qui arrive est organisée avec méthode quotidiennement, et ils les commentent. Ou ils ne les commentent pas et cela donne le même résultat. »
 
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20 décembre 2010 1 20 /12 /décembre /2010 23:00
La Révolte des masses             
 
de José Ortega y Gasset
Mis en ligne : [20-12-2010]
Domaine :  Idées  
Ortega-y-Gasset.gif

 

José Ortega y Gasset (1883-1955) fut professeur de métaphysique à l'université de Madrid. Fondateur et directeur de la célèbre et influente « Revista de Occidente » de 1923 à 1936, il est contraint à l’exil de 1936 à 1946 par le déchaînement de violence des deux camps lors de guerre civile espagnole, il a été l’une des figures majeures de l’humanisme libéral européen du XXe siècle. Publications récentes : Etudes sur l'amour (Rivages Poche, 2004), La déshumanisation de l'art (Cabris, 2008).


José Ortega y Gasset, La Révolte des masses. Paris, Les Belles Lettres, octobre 2010, 314 pages.


Présentation de l'éditeur.
Paru en 1937 dans sa traduction française, soit sept ans après sa publication en Espagne (1930) sous le titre La rebellion de las masas, La révolte des masses demeure un opus majeur de la littérature intellectuelle mondiale. Et son auteur, le philosophe José Ortega y Gasset (1883-1955), professeur de métaphysique à l'université de Madrid de 1910 à 1936 et fondateur de l'influente Revista de Occidente, est considéré comme l'un des plus éminents représentants de l'humanisme libéral européen du XXe siècle. Bien qu'il ait publié beaucoup d'autres ouvrages notables (dont L'Espagne invertébrée et Le thème de notre temps), c'est dans cette Révolte des masses à l'immense retentissement que la pensée d'Ortega s'expose avec le plus de saillance. Son rude diagnostic sur la nature de la maladie qui ronge l'Europe n'a rien perdu de sa pertinence : l'irruption de l'« homme-masse », un « enfant gâté » conformiste et égalitariste qui rejette le passé, la raison et l'exigence morale — corrélée à une inquiétante « étatisation de la vie » et à l'« idolâtrie du social ». Mais il y esquisse aussi ce qui peut l'en guérir : l'avènement d'« un libéralisme de style radicalement nouveau, moins naïf et de plus adroite belligérance », et l'édification culturelle d'une Europe réellement unie. En 1938, Ortega publie un Épilogue pour les Anglais prolongeant et actualisant la réflexion de La révolte des masses : la présente réédition inclut ce texte capital à la diffusion jusqu'alors demeurée confidentielle.


Article de Marcela Iacub. Le Monde - 19 novembre 2010.
Le dégoût de la démocratie. Voici un classique de la pensée conservatrice que l'on avait presque oublié, et dont l'humour époustouflant, poétique, justifierait à lui seul cette réédition. La Révolte des masses, de José Ortega y Gasset (1883- 1955), parut en Espagne en 1930. La traduction ici reproduite fut publiée chez Stock en 1937. A la différence de l'accueil enthousiaste que connut ce livre en Espagne, en Allemagne et aux Etats-Unis, il fut confiné au silence, en France, pendant quarante ans. C'est Raymond Aron qui le sortit de son inexistence, avec respect mais sans grandiloquence. Certes, avant Aron, Albert Camus avait été ému par Ortega y Gasset, mais il ne réussit pas à convaincre Gallimard de publier les oeuvres complètes du philosophe espagnol.
La Révolte des masses est un livre contre la démocratie. Plus précisément, l'auteur critique l'irruption des masses dans l'espace public. Le fait que, désormais, chaque voix vaille autant qu'une autre dans la représentation politique, que le débat public soit ouvert à tous, que la liberté de parler soit protégée, tout cela est pour lui la cause d'une dégénérescence culturelle et morale. Ce processus, qui se double d'une croissance économique, démographique et technique inédite dans l'histoire de l'Occident, aurait engendré, selon lui, une nouvelle forme d'humanité : l'"homme-masse", ce "barbare de l'intérieur" qui a désormais "le plein pouvoir social". Cet homme est "sûr de lui", "ingrat envers le passé", incapable de se soumettre "à aucun principe supérieur", en un mot fermé à la vérité.
Selon Ortega y Gasset, la démocratie est un régime incompatible avec la haute culture, les bonnes manières et la moralité. Car "il n'y a pas de culture là où il n'existe pas le respect de certaines bases intellectuelles auxquelles on se réfère dans la dispute". Or la démocratie ne se fonde sur aucune vérité transcendante mais sur la souveraineté du peuple. Le vrai et le faux, le beau et le laid, le bien et le mal ne dépendent pas de règles surplombantes auxquelles on puisse se référer, car tout doit être soumis au consensus démocratique. Dès lors, la haute culture ne peut plus faire de l'espace public son terrain d'accueil principal. Elle doit se contenter de cercles plus restreints, plus spécialisés.
Telle est donc l'oppression que l'homme-masse fait subir aux minorités cultivées, intelligentes et "méritantes". Le scandale que dénonce Ortega y Gasset, ce n'est donc pas la violence de l'Etat contre les idées dissidentes. C'est l'irruption des masses comme productrices légitimes d'idées, d'oeuvres, de spectacles. Ce qu'il souhaite, ce n'est pas qu'on permette aux élites de s'exprimer, mais que personne d'autre ne puisse le faire, et que l'espace public leur soit réservé.
Certes, nous, lecteurs de l'an 2010, ne disons plus les choses de cette façon. Nous disons que certaines chansons sont des appels à la violence et non pas des chansons. Nous disons : "Ceci n'est pas une opinion mais un outrage à la police." Nous disons que la télé-réalité n'est pas un spectacle mais une atteinte à la dignité humaine. Nous pensons que, sur Internet, les communications ne sont pas des messages mais des déchets.
Mais, au fond, nous avons la même crainte de l'expression publique des masses, et donc de la démocratie, qu'éprouvait Ortega y Gasset en 1930. Ce livre nous permet donc de percevoir le lien qui existe entre, d'un côté, notre façon d'approuver certaines censures, notre mépris de la culture populaire et, de l'autre, les idées que nous nous faisons, sans nous l'avouer, de la démocratie.
Derrière la dénonciation des supposées "dérives" de celle-ci, si caractéristique de nombreux intellectuels français d'aujourd'hui, il y a la nostalgie d'un espace public contrôlé par le Bien, le Vrai et le Beau. Ce livre apparaît ainsi comme un miroir passionnant. Nous pouvons y contempler les impensés de nos débats contemporains. C'est pourquoi il mérite d'être lu.


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20 décembre 2010 1 20 /12 /décembre /2010 11:00
Islande qui rit, Irlande qui pleure
 
Vous en avez assez des gros mensonges de la Commission et de la BCE, repris en choeur par tous les médias du continent ? Alors, un conseil : mettez vous à la presse anglaise. Vous trouverez sa lecture rafraîchissante en ces temps de crise de l'euro. Les poncifs de M. Trichet, les niaiseries de M. Juncker et  les confondantes inepties de M. Van Rompuy y sont moquées à longueur de colonne. On y pose également quelques bonnes questions. Pourquoi  les performances économiques des pays de la zone euro sont-elles sensiblement moins bonnes que celles des autres pays européens ?  Pourquoi les  couteux plans de sauvetage lancés par l'Union ne profitent-ils qu'aux banques ? Pourquoi l'euro est-il structurellement non viable ? Selon le Centre for Economics and Business Research : "La zone euro a une chance sur cinq de survivre". Et cet institut britannique de conjoncture de préciser : "Le maintien de l'euro imposerait aux pays les plus faibles de la zone une baisse du niveau de vie d'une ampleur jamais vue en période de paix dans l'histoire moderne". C'est la triste réalité que découvrent aujourd'hui nos amis irlandais. Dans l'article qui suit, le Daily Telegraph de Londres compare la situation de l'Irlande et celle de l'Islande, qui étaient, il y a peu, dans le même bateau. Mais l'une des îles est dans la zone euro, l'autre pas. Et cela fait toute la différence !
F.R.
 
L'économie islandaise a progressé de 1,2% au troisième trimestre et la reprise devrait se confirmer en 2011. Le pays sort ainsi d'une profonde récession imputable aux "nouveaux vikings", les dirigeants des banques Landsbanki, Glitnir et Kaupthing, qui ont provoqué l'effondrement du système financier islandais en septembre 2008.
A l'instar de l'Irlande, dont les banques se sont également livrées aux pires excès, l'Islande a vu son PIB reculer d'environ 11% [en deux ans], mais dans un contexte d'inflation qui entraîne une dévaluation de ses emprunts. L'Irlande, elle, est soumise au régime déflationniste de l'Union monétaire européenne qui alourdit le poids de sa dette.
Le déficit budgétaire islandais atteindra 6,3% en 2010, avant de laisser place à un excédent. Celui de l'Irlande s'établira à 13% (32% avec le renflouement des banques) et ne devrait guère s'améliorer en 2011. La crise n'a pas non plus frappé partout avec une égale brutalité. En Irlande, le taux de chômage atteint 14,1%, tandis que dans le pays nordique, après un pic à 9,7%, il est retombé à 7,3%.
Les Islandais sont sortis de l'ornière, estime le Fonds monétaire international (FMI), en saluant la capacité de leur gouvernement à préserver "le précieux modèle nordique de protection sociale". "La récession s'est révélée moins profonde que prévu", constate Mark Flaningan, chef de mission du FMI. L'endettement culminera à 115% du PIB avant de descendre à 80% en 2015, tandis que celui de l'Irlande s'aggravera durant les trois prochaines années, jusqu'à 120%.
  Olafur Grimsson, le président islandais, a fait grincer des dents à Bruxelles en mettant le redressement plus rapide de son pays sur le compte de son refus de rembourser ses créanciers, pour la plupart étrangers. "La différence est qu'en Islande nous avons laissé les banques faire faillite", a-t-il expliqué. "C'étaient des institutions privées; nous n'y avons pas injecté de l'argent pour les maintenir à flot. L'Etat n'a pas à assumer cette responsabilité". Un peu plus tôt, l'Union européenne avait exclu qu'une décote soit imposée aux investisseurs en Irlande - c'était l'une des conditions posées au prêt de 85 milliards d'euros octroyé à Dublin.
Il faut néanmoins faire attention lorsque l'on compare les banques irlandaises et islandaises.  L'Islande est un pays minuscule, qui pourrait fort bien refuser d'honorer des dettes équivalant à 900% de son PIB sans provoquer une crise mondiale. L'économie irlandaise est douze fois plus importante. Ses banques entretiennent avec leurs homologues allemandes, néerlandaises, belges et britanniques des liens étroits, ce qui rend ce réseau très vulnérable.
Mais les banques ne sont pas tout. Selon le Prix Nobel d'économie Paul Krugman, l'Islande s'est relevée plus vite parce qu'elle n'a jamais adopté l'euro. "Elle a fortement dévalué sa monnaie et imposé un contrôle des capitaux. Il s'est alors passé quelque chose d'étrange : bien qu'elle ait traversé la pire crise financière de l'Histoire, elle a été bien moins lourdement sanctionnée que d'autres nations." Deux ans plus tard, la couronne islandaise a perdu 30%, les fonderies d'aluminium tournent à plein régime pour satisfaire la demande étrangère, tandis que les produits locaux ont remplacé les légumes exotiques et autres tomates de serre importés. 
Morale de l'histoire : si le choc d'une dévaluation peut déclencher une crise violente - et sur le coup très douloureuse -, une politique de rigueur et de déflation par la dette finit par causer plus de dégâts.
  Ambrose Evans-Pritchard.
The Daily Telegraph (Extraits).

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19 décembre 2010 7 19 /12 /décembre /2010 09:00
L'éloge de Paris
                                                                                        
Je te salue, expressément      
De voir, du bleu de tes terrasses,
Comme une écharpe dans le vent
Dont chaque geste est une grâce,
La molle Seine aux fils d'argent.
 
Je te salue, ô frénétique,
- Athénienne, cependant -
A cause du miracle unique
De tous ces désirs discordants
Dont tu sus faire une musique.
 
Surtout, Paris, je te salue
Pour ce sourire impertinent
Où Voltaire se continue
Et qu'ouata le gros Renan,
D'une tendresse retenue.
 
Pour, quand s'éteint à l'Orient
L'étoile qui veille et surveille
Les péchés de tes suppliants,
Quand la pâle mort, à l'oreille,
Vous dit ses mots balbutiants,

Pour cette fleur du bon courage,
- Celui de sourire toujours
 Et que tu mis à ton corsage
- O la ville-de-trop-d'amour,
De pas d'assez - et de notre âge...

 

Quai-du-Sqre-du-vert-galant

 

Jacques Dyssord, (1880-1952). Inédit. (Le Divan, 1923).


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15 décembre 2010 3 15 /12 /décembre /2010 09:47

La France qui se bat

 

Les gouvernements passent et l'industrie française reste sans défense. Le départ de Christian Estrosi ne laissera aucun regret. Les salariés de Molex, ceux de Continental, de STX, d'Arcelor ou d'Heulliez, d'autres encore, ont largement fait les frais de sa duplicité. Mais l'arrivée d'Eric Besson peut-elle apporter quelque chose de nouveau? A l'évidence non. Le portefeuille de l'industrie n'est plus qu'un lot de consolation pour politiciens à la dérive. C'est une coquille vide, un ministère sans moyens financiers, sans ambitions, sans stratégie, sauf lorsqu'il s'agit des multinationales qu'on s'emploie à bien traiter. L'actualité sociale de novembre illustre à nouveau ce que nous coute l'absence de politique industrielle. La filière bois-ameublement, déjà très sinistrée, voit la liquidation de Vogica et d'ECB. C'est une catastrophe pour le massif vosgien qui perd plus d'un millier d'emplois directs, sans compter les conséquences sur le secteur sylvicole. Dans les deux cas rien n'a été anticipé, aucune solution de reprise n'a été organisée par les pouvoirs publics. Vogica disparaît parce que son actionnaire - un fonds de Bahrein ! - s'est brusquement désinteressé de son sort. Pas rentable, se contente-t-on de répéter à Bercy. En Dordogne, l'usine France-Tabac de Sarlat qui regroupe et transforme toute notre production de tabac est mise en risque parce que Bruxelles décide brutalement d'arrêter ses aides à la filière. Là encore, les décisions  irresponsables de quelques eurocrates, l'absence d'anticipation de nos gouvernants peuvent ruiner le travail de redressement engagé depuis des années par toute une profession. C'est l'inverse dans l'électronique où les aides semblent couler à flots, sans  contrôle et sans véritable contrepartie sociale: bénéficier des largesses du contribuable n'empêche pas le groupe britannique E2V de supprimer 150 postes dans l'Isère et Altis Semiconductor de supprimer d'un trait de plume 300 emplois de son usine de Corbeil. C'est donc par leurs propres moyens que les salariés doivent se défendre, une fois de plus. C'est le cas à Toulouse où la riposte s'organise face à Molex, le yankee voyou. C'est également le cas chez Goss International à Montataire, chez Plysorol à Lisieux, chez Unilever à Gemenos ou chez Ingersoll Rand dans le Nord. Un peu partout, des équipes syndicales soudées, bien organisées, fortement soutenues par les salariés, les élus et les populations, gagnent des actions en justice, s'opposent efficacement au démantèlement des activités, font parfois rendre gorge à des directions ou à des actionnaires étrangers dépourvus de tous scrupules. Là où l'Etat n'existe plus, les Français s'organisent. Ils le font et plutôt bien. C'est à travers toutes ces actions, petites ou grandes, spectaculaires ou souterraines, réussies ou avortées, que chemine aujourd'hui l'espérance française.

H. V.

 

Mardi 2 novembre
- Avec le soutien de leurs collègues non-licenciés, les 150 salariés licenciés du site Plysorol de Lisieux (Calvados) occupent  leur usine depuis une semaine. Le plan de licenciement en cours, suite à la reprise de l’entreprise de contreplaqués par le groupe libanais John Bitar & Co, est inacceptable pour les grévistes. « Le plan prévoit le strict minimum, c’est-à-dire 2 mois de salaires pour 10 ans d’ancienneté et c’est tout », martèle une déléguée syndicale, « nous demandons donc une prime de 20 000 euros supplémentaires par personne. Ici, une grande partie des salariés sont des femmes et la moyenne d’âge est de 50 ans. 
Mercredi 3 novembre
- Après avoir bénéficié des aides de l'Etat en faveur de la filière microélectronique, le groupe britannique de composants électroniques E2V a décidé de revoir à la baisse son plan social. Il supprimera 144 postes (au lieu de 221 initialement prévu) au sein de son usine de Saint-Egrève près de Grenoble (Isère) qui emploie 460 salariés.
Jeudi 4 novembre
- L'arrêt des aides européennes à la production de tabac menace l'usine France-Tabac de Sarlat (Dordogne), qui assure  la 1ère transformation du tabac pour le compte des principales coopératives françaises. Le site emploie 110 emplois. L'Etat examine des mesures compensatoires. 
Samedi 6 novembre
- Le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de l'usine Molex de Villemur sur Tarn (Haute Garonne). Cette décision intervient alors que le propriétaire de l'entreprise, l'américain Molex, a annoncé à la mi-octobre qu'il cessait de financer le plan social lié à la fermeture de sa filiale française et qui concerne 200 salariés licenciés.
Lundi 8 novembre

- Le fabricant de pièces en plastique pour les secteurs de l’automobile et de l’électroménager MGM France engage un plan social sur ses sites de Rouvray (Côte-d’Or), de Villers-la-Montagne (Meurthe-et-Moselle) et l’antenne administrative de Villefranche-sur-Saône (Rhône), qui accueille notamment le bureau d’études. 96 postes sont menacés. Les salariés des trois sites ont engagés une grève illimitée. 

Mardi 9 novembre
- Le tribunal de commerce d'Evry prononce la liquidation judiciaire de Vogica, concepteur et fabricant de cuisines et de salles de bains. L'entreprise, contrôlée par le fonds Arcapita de Bahrein, employait plus de 1000 salariés. Elle avait déposé son bilan en septembre dernier mais la procédure de redressement judiciaire ne lui a pas permis de retrouver un repreneur.
Mardi 18 novembre
- Après Vogica, c'est au tour d'un autre fabricant de cuisines et de salles de bains, ECB à Poussay (Vosges) de connaître le même sort. L'entreprise, qui comptait 92 salariés, était sous administration judiciaire depuis février 2010.
Mercredi 19 novembre
 Le conseil des Prud’hommes d’Evry reporte au 9 décembre sa décision suite au référé introduite par un groupe de salariés d’Altis Semiconductor contre le plan social en cours dans leur entreprise. Après le rachat du fabricant de semi-conducteurs par Yazid Zabeg, l’été dernier, la nouvelle direction a engagé un plan social qui prévoit encore la suppression de 354 postes sur les quelque 1 400 que compte l’usine de Corbeil (Essone). La Direction n’a pas prévu de reclassements et toutes les personnes ciblées par le PSE n’ont, pour l’instant, d’autre choix que le départ volontaire ou le licenciement. Environ 300 salariés ont opté pour un départ volontaire a-t-on appris de sources syndicales.
Mercredi 24 novembre
- Renault annonce un dispositif de départs à la retraite anticipée, qui sera proposé à 3000 de ses salariés, soit 7% de ses effectifs en France. Le plan concernera les salariés de plus de 58 ans effectuant les tâches les plus pénibles et sera étalé sur trois ans (2011-2013). De source syndicale, 95% des personnes éligibles devraient y souscrire.
Vendredi 26 novembre
- Certains salariés de l'usine Goss international, spécialisée dans la fabrication de rotatives et basée à Montataire (Oise) ont accepté par référendum le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) conçu par la direction et l'actionnaire américain. Celui-ci prévoit la suppression de 300 postes sur les 623 que compte l'usine, les salariés licenciés bénéficiant en contrepartie d'une indemnité supralégale de 35000 euros. Les syndicats ont demandé l'annulation de ce plan et le tribunal de grande instance de Senlis vient de nommer deux médiateurs qui disposent de deux semaines pour désamorcer la crise. 
Lundi 29 novembre
- L'Etat a demandé au groupe multinational Unilever de revoir son projet de fermeture de l'usine Fralib, qui produit les thés Lipton et Eléphant à Gémenos, près de Marseille.  Un groupe de travail devrait remettre ses conclusions pour la mi décembre. Le site emploie actuellement 182 salariés.
- Depuis le début de la semaine dernière, les 70 salariés de l’usine Ingersoll Rand de Sin-le-Noble (Nord), près de Douai,  occupent  leur usine. Après la décision prise l’été dernier par l'actionnaire américain de transférer l'usine aux Etats-Unis, le personnel réclame 30 000 euros de prime fixe par personne et 2 500 euros de prime par année d’ancienneté. La direction, aujourd’hui injoignable, propose six fois moins pour la première prime et deux fois moins pour la deuxième. Les salariés ont employé les grands moyens en retenant mardi soir dans les bureaux de l’entreprise, trois des dirigeants, dont le PDG Olivier Dentu. Selon les représentants syndicaux, Ingersoll Rand pourrait projeter de rapatrier outre-Atlantique l’ensemble de ses sites européens . Un projet qui inquiète les 86 salariés fabriquant des compresseurs du site proche de Wasquehal (Nord).
Henri Valois.
   
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13 décembre 2010 1 13 /12 /décembre /2010 11:30
Essais  
 
de Philippe Muray
Mis en ligne : [13-12-2010]
Domaine : Lettres 
Muray.gif

 

Philippe Muray (1945-2006). Publications récentes  : Moderne contre moderne (Les Belles Lettres, 2005), Festivus, festivus (Fayard, 2005), Roues carrées (Fayard, 2006), Le Portatif (1001 Nuits, 2006), Le Sourire à visage humain (Manitoba/Les Belles Lettres, 2007).

  


Philippe Muray, Essais, Paris,Les Belles Lettres, septembre 2010, 1816 pages.


Présentation de l'éditeur.
L'œuvre de Philippe Muray (1945-2006) est de celles dont on ne se remet pas. Méchante pour certains, quasi prophétique pour d'autres, elle jette sur le monde une lumière si vive que la rétine s’en trouve brûlée, et superpose aux choses une indélébile petite tache d’ironie. Car ce qui caractérise notre époque est pour Philippe Muray son sérieux terrible, sa certitude agressive et béate d’être meilleure qu’un avant dont elle ne veut rien savoir et de se diriger vers un avenir aussi paradisiaque et inéluctable que désincarné. Cette dévotion à un Bien qu’on ne peut remettre en question est la source d’innombrables sottises, comme le chemin le plus court vers des formes nouvelles de barbarie. Pour la première fois, Les Belles Lettres publient donc, en un seul volume, sept des plus grands textes de Philippe Muray (L’Empire du bien, les deux tomes d’Après l’histoire et les quatre Exorcismes spirituels), afin de permettre au lecteur de saisir toute la puissance de sa vision, mais aussi de goûter à tout le brio de son style. Car si Philippe Muray porte un regard désespéré sur le monde, son désespoir n’est ni triste ni ennuyeux. On s’amuse beaucoup en compagnie d’une vaste galerie de personnages digne des Caractères de La Bruyère, dans laquelle un index permettra de se promener à loisir. Une annotation soignée éclaire également les diverses allusions factuelles. Parce que les cibles véritables de cette plume acérée sont toutes les formes de bien-pensances, son extraordinaire liberté de ton, outre l’hilarité qu’elle provoque, procurera à certains un véritable enthousiasme en ces temps souvent sombres. «Enfant de Bloy par la colère, de Céline par la fièvre, de Rabelais par l’imagination, il se fait un devoir de pulvériser les vanités de son temps, de les transformer façon puzzle.» Sébastien Lapaque, « La charge joyeuse de Philippe Muray contre l’Empire du Bien » Le Figaro littéraire.
 

Article de Tristan Savin, L’Express.fr du 19/10/2010

Muray, mi-philosophe, mi-sociologue. Grâces soient rendues à Fabrice Luchini ! Ses lectures publiques ont fait connaître aux non-initiés, quatre ans après sa disparition, un chroniqueur audacieux, un visionnaire de talent, un authentique pamphlétaire dans la tradition célinienne, pourfendeur des travers de notre société. Philippe Muray fut notre Léon Bloy, notre La Bruyère. Certains avaient tenté de nous prévenir en lui rendant hommage, parmi lesquels Alain Finkielkraut, Jean Baudrillard et... Michel Houellebecq: "S'il faut absolument parler de la modernité (ce dont il m'arrive de douter), autant partir des livres de Philippe Muray, ce sera plus agréable et plus instructif..."

Muray a dispensé sa parole libre, discrètement, dans les colonnes d'Art Press, de L'Idiot international, de L'Esprit libre, de Marianne, du Figaro,de L'Atelier du roman ou de La Montagne. Il illustrait la distinction entre un journaliste et un chroniqueur, mi-philosophe, mi-sociologue, et ne se cantonnait ni à la politique ni à la critique littéraire : on lui doit un éloge de l'artiste comblé, par opposition au culte moderne de l'artiste maudit (La gloire de Rubens), et son texte sur Louis Jouvet est un modèle du genre. Outre quelques romans ignorés par la critique, il publia une vingtaine d'essais cinglants, transformant ses rares lecteurs en happy few, marqués par le style d'un écrivain original, inventeur de néologismes ("artistocrates", "voyageocrates") et de bons mots ("mutins de Panurge").

En rééditant, pour la première fois en un seul volume, ses plus grands textes (L'empire du Bien, Après l'Histoire, Exorcismes spirituels), Les Belles Lettres offrent l'occasion de plonger dans l'univers d'un créateur de concepts de critique sociale, à la façon de Guy Debord - le marxisme en moins, l'humour en plus. Devenu le porte-parole de l'anti-bien-pensance, Muray n'a cessé de dénoncer, dans ses écrits, le "consensus de la communauté", à savoir : le politiquement correct et son "discours de vertu", le défilé des images et l'infantilisation des consommateurs, réduits à une "passivité euphorique" dans un "Asile hégémonique". Il oppose la déesse Raison à la déesse Réseau, "infiniment plus efficace". Pour lui, la population est constituée de "promeneurs approbatifs". Les "rebellocrates" et les "rentiers de l'indignation" ont tué la rébellion. Notre époque est une "tête à claque". Il en donne un exemple dans "Le sourire de Ségolène". A force de moquer les idées de la gauche bourgeoise au pouvoir (véhiculées par Le Monde, Télérama, Libération), de se gausser de la féminisation du langage et d'encourager à la relecture de Céline, il fut traité de "nouveau réactionnaire". Muray fut même considéré - à tort - comme un auteur d'extrême droite. Fallait-il se sentir visé pour dénaturer à ce point sa pensée ! Car il ne défend aucun dogme. Même s'il cite souvent le philosophe Jean-Claude Michéa, héritier du socialisme orwellien.

Le credo de Muray : "Les étiquettes, je les arrache." Il faut donc éviter d'extrapoler à partir de ses écrits : il analyse les contradictions de la société actuelle sans proposer un retour en arrière, ni appeler à la révolution. Pour lui, nous sommes entrés dans la fin de l'Histoire. Et de la géographie. "Nous voilà prisonniers d'un Trifouilly-les-Ondes global." La machine technocratique tente d'éliminer les différences, l'uniformisation est un rêve commercial. D'où son concept d'Homo festivus. Tout est une fête : "Entrons ensemble dans la danse ! Tous les jeux nous sont offerts ! C'est l'évasion ! La vie de pacha ! Floride ! Wonderland ! Californie !" Muray est le dernier rejeton de l'Internationale situationniste, l'héritier du Baudrillard de La société de consommation... L'annonciateur du cauchemar climatisé, Henry Miller, ne l'aurait pas renié. L'auteur de Chers djihadistes répondait au grotesque par des poèmes comiques. Son rire libérateur entraîne la réflexion. Par exemple quand il détecte l'envie du "tout pénal" : sous prétexte de combattre le Mal, l'empire du Bien impose des lois antidémocratiques.

Muray fut un moraliste pour qui l'esprit critique se devait d'être un art. Face aux intellectuels au sourire commercial, il jouait les ronchons de service. Il est mort d'un cancer du poumon. "Un grand style, comme les crimes parfaits, doit être longuement prémédité", écrivait-il. Gageons qu'il sera encore lu dans longtemps. Car sa vision du monde ne cesse de nous rappeler non pas au nihilisme, mais à la lucidité.  

 

Autres critiques signalées : Sébastien Lapaque, "Philippe Muray, le mécomtemporain", Le magazine littéraire, novembre 2010. - Frédéric Saenen, "Philippe Muray, saboteur de l'Empire du bien", Le magazine des livres, novembre-décembre 2010.


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11 décembre 2010 6 11 /12 /décembre /2010 01:34
La soirée d'Illkirch
 
Vendredi 10 décembre, dans l'après midi, les ministres de la défense français et allemand assistaient à l'installation du Jägerbataillon 291 dans le quartier Leclerc d'Illkirch-Graffenstaden, au nord de Strasbourg. Pour la première fois depuis la libération de la France, une unité militaire allemande franchissait le Rhin et s'installait sur le sol français. Naturellement, les deux ministres, Alain Juppé pour la France et Karl Theodor Freiherr zu Guttenberg pour l'Allemagne, se livrèrent aux bonnes paroles habituelles sur l'Europe, la paix et l'amitié entre les peuples. Mais lorsque le bataillon allemand défila, après avoir hissé ses couleurs, et qu'il prit possession des lieux, les coeurs se serrèrent et de nombreux Français eurent du mal à retenir leur émotion [1]. La terrible campagne d'Alsace de l'hiver 1944, le souvenir de Leclerc, de de Lattre, de Monsabert, le sacrifice de la brigade Malraux, les exactions subies par les populations alsaciennes  pendant quatre ans d'occupation allemande, tout cela était ce soir là dans la mémoire de beaucoup d'entre nous.
Quelques jours plus tôt, c'était un autre symbole de notre prestige militaire qui palissait. A Djibouti, dans cette corne de l'Afrique où la France exerce depuis tant d'années sa vigilance,  la 13e demi brigade de la Légion Etrangère apprenait par un simple communiqué de l'Etat-major son départ pour "d'autres cieux" et sa "restructuration". Pour la première fois, une unité combattante de la Légion quittait l'Afrique. Le passé glorieux de la 13e DBLE justifiait pourtant qu'on la traitât avec d'autres égards [2]. C'est elle qui, le 13 mai 1940, sous les ordres du général Bethouart, débarqua dans la nuit polaire à Narvik et y réduisit la garnison allemande. Première unité à rejoindre la France libre, se couvrant de gloire à Keren, à Massaoua, à Bir Hakeim, à El Alamein, elle reçut les insignes de l'Ordre de la Libération. Elle participa victorieusement aux combats des Vosges et à cette libération de l'Alsace que l'évènement de vendredi vient de nous remettre tristement en mémoire.
Terribles symboles ! Alors que l'Allemagne redresse un peu partout la tête, alors qu'elle impose à toute l'Europe les lois d'airain de son industrie et de sa finance, nous courbons l'échine comme les autres, trop contents - mais pour combien de temps - de figurer encore sur la photo. Pire encore, les quelques symboles de puissance qu'il nous reste, armée, nucléaire, présence militaire dans le monde, diplomatie, nous sommes prêts à en brader les intérêts. Au nom de raisonnements financiers absurdes ou d'un angélisme politique des plus imbéciles. Le chef de l'Etat lui-même n'hésitait pas il y a quelques semaines à Londres à hypothéquer l'avenir de notre dissuasion nucléaire, au nom d'une coopération qui nous enferme dans les jeux et les choix stratégiques des anglo-saxons. Ne parle-t-on pas sérieusement de plaider auprès de l'ONU pour que l'Allemagne dispose d'un siège permanent au Conseil de sécurité ? N'a t-on pas vu ressurgir au dernier sommet de l'OTAN à Lisbonne les discours les plus délirants sur la défense européenne et sur la nécessité d'une intégration plus poussée de nos unités avec celle d'autre pays ? Et qui tient au premier chef ces discours débilitants : nos gouvernants et les tristes larbins qui leur servent de hauts fonctionnaires, comme il se doit !  
Ceux qui, au moment du remaniement, avaient pronostiqué un virage "gaullien" de la défense et de la diplomatie française en sont déjà pour leurs frais. Leur désenchantement ne fait que commencer. Mme Alliot-Marie et M. Juppé n'ont jamais été autre chose que de parfaits exécutants. Ils sont les pions de l'actuel chef de l'Etat comme ils ont été ceux de M. Chirac. Il n'y a rien à attendre de cette engeance qui n'a conservé du gaullisme qu'un goût maladif de l'autorité et des privilèges. Elle est, à tout prendre, plus "gaullarde" que gaulliste, cette droite RPR dont nous connaissons depuis des lustres la duplicité, les coups de menton et les ronds dans l'eau. Dure avec le peuple, elle est complaisante et veule face aux puissants de ce monde. C'est la même droite qui a su faire croire en 2007 à des millions d'imbéciles que Sarkozy, Guaino et quelques autres allaient restaurer les valeurs nationales ! Jusqu'aux embrassades avec Bush, jusqu'au discours de Washington, jusqu'au retour dans l'OTAN, jusqu'à l'avilissement actuel devant Berlin...
Plus encore que le chef de l'Etat, c'est M. Juppé qui risque de faire les frais de cette politique des faux semblants. Il a eu tort de se compromettre dans l'odieuse cérémonie d'Illkirch. Il a tort d'attacher son nom à l'héritage désastreux de M. Morin et au bradage de nos positions en Afrique et ailleurs. Il sera jugé d'autant plus sévèrement qu'il affirme par ailleurs ses convictions gaullistes et nationales. On dit que M. Juppé conserve l'espoir d'être un jour candidat aux plus hautes fonctions de la République. Qu'il réfléchisse bien avant d'agir, au poste où il est aujourd'hui. En politique, les Français sont prêts à pardonner beaucoup de choses, mais  pas l'imposture.
Hubert de Marans.


[1]. On en trouve le meilleur témoignage dans les propos de ce responsable de l'Association du Souvenir français qui déclarait vendredi à FR3 : "L'Alsace est toujours dans la réserve quand on voit l'armée allemande défiler sur nos terres". En revanche le Figaro, fidèle à sa tradition de premier larbin de la presse française, titrait "L'Alsace se réjouit d'accueillir un régiment allemand" ! Ils doivent avoir des archives pour trouver de pareils titres ! 
[2]. Jean-Dominique Merchet, toujours parfaitement informé, développe ces informations dans son excellent site Secret Défense. L'image de l'Etat-major et du cabinet du Ministre n'en sortent pas grandis! 

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