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29 janvier 2011 6 29 /01 /janvier /2011 20:25
Deux enchanteurs
 
Parlons un peu de poésie. Sait-on assez que la France reste une terre de poètes, de vrais poètes ? Les petites revues en sont pleins. Il suffit de trier un peu, de retirer du lot les produits périmés, les derniers fac-similés du surréalisme ou du lettrisme et l'on finit toujours par trouver quelques pépites, une strophe aimable, quelques beaux vers. Même les grands magazines littéraires se sont remis à la poésie, preuve qu'on l'achète et qu'on la lit. Quant aux poètes du passé, les éditeurs nous disent qu'on ne les a jamais autant publiés. Des montagnes d'élégiaques, de lyriques, de classiques, de symboliques, de romantiques, de parnassiens occupent les rayons de nos libraires. Valéry se vend comme des petits pains et Boileau était en "rupture de stock" à la Fnac la semaine dernière !
A cela une explication simple : la poésie est chez elle en France. C'est un tour d'esprit qui nous est familier, une musique qui s'accorde à notre langue, une seconde nature, quelque chose qui a à voir aussi avec nos paysage, la couleur des villes, les nuances du ciel, l'harmonie des campagnes. Chez nous, il y a des vers pour chaque saison: ceux que l'on chuchote, chaudement emmitouflé devant l'âtre, en hiver, ceux que l'on chante au printemps lorsque la nature se fait belle, ceux que l'on déclame avec courage au mois d'août sous le soleil des batailles, ceux que l'on écrit plein de tristesse quand vient l'automne. C'est la poésie, chez nous, qui organise le passage des solstices et qui apaise les coeurs lors des marées d'équinoxe.
Jacques Reda fait partie de ces poètes que l'on retrouve avec bonheur quelle que soit la saison. Il est d'humeur égale, même si aucune variation, aucune nuance ne lui échappe. On sait qu'il aime Paris et qu'il destine une strophe, un sonnet à chacun de ses quartiers. Mais Reda aime aussi varier les plaisirs. En cela il est du même bois que Carco, Derème, Pellerin et Bernard dont la palette était vaste. Reda fantaisiste ? Pourquoi pas. Son dernier recueil publié chez Gallimard, la Physique amusante  [1], allie humour et profondeur. Tout y est parfait, y compris, en ouverture, une belle invocation aux muses :
 
A vous, Muses des jours fleuris d'Attique et d'Arcadie :
Veuillez, avant que le destin sourd ne me congédie
Entendre mon appel et, dans votre cercle de soeurs
Un instant ouvert, accueillir mes vers comme danseurs.
 
Mais je dois invoquer d"abord Mnémosyne, la mère
Qui, du plus grand des dieux, en neuf nuits d'amour vous conçut,
Afin qu'elle affermisse en moi la trame du tissu
Où la vie a déjà perdu sa couleur éphémère.
 
Nous voilà brusquement projeté sur d'autres rives : celles des sciences exactes et de la musique des sphères. Mais qu'on se rassure, rien d'ennuyeux dans la physique de Réda. Il conjugue avec malice théories et  axiomes, ses équations prennent des airs de formules magiques et les mots du poète donnent de l'épaisseur aux grands principes. Qu'on en juge lorsqu'il rêve sur le Temps :
 
Étale dans l'Espace ou prise dans un drain,
La substance du Temps s'écoule tout entière
A travers l'épaisseur sans fond de la matière
Et ne rechigne pas devant l'alexandrin.

Chaque fois que j'entame une nouvelle strophe,
C'est lui qui tient ma main et guide le crayon;
Il emprunte le vers comme un lièvre un layon;
Le poème se taille à même son étoffe.

Ou lorsqu'il vagabonde sur la lumière :
 
Elle se réfléchit, contourne, au besoin se diffracte
Puis reprend tout droit son élan
Et parfois s'avance masquée à nos yeux mais intacte,
Ultraviolette, infrarouge, X, devin ondulant.
 
Ou sur la création du monde, à la façon d'un Gassendi parlant des secrets de Dieu :
 
Tout aurait ainsi commencé :
Un Dieu qui n'était pas pressé
Tirait des plans sur la comète
Et dans un gaz surconcentré :
Bang ! (l'aurait-on enregistré ?)
Craqua soudain une allumette.
 
Voici les Neutrinos, qui entrent en scène comme dans une opérette d'Offenbach :
 
Partout dans notre univers,
En long, en large, en travers,
Le Neutrinos neige, neige.
Nulle part il ne s'agrège,
Toujours à déménager
Pour neiger, neiger, neiger,
Infiltrant par myriades
Andromède, les Hyades,
L'air, le feu, l'eau, le moellon.
 
Et cette définition de l'Ordre que n'aurait pas rejeté certain positiviste de ma connaissance :
 
- C'est que l'ordre naquit d'un éclat fulminant,
D'un concentré de Rien qui s'excède et se lance
Hors de soi vers un Tout et, dans la turbulence,
Dans la fournaise, adapte, en tous sens rayonnant,

Chaque nouveau progrès de cette violence
A son projet encore obscur, imaginant
Un nouvel équilibre et l'écart imminent
Qui requiert promptitude, audace, vigilance.
 
Et l'on aime tout à la fin ce retour  au mystère poétique :
 
N'esquivons pas l'énigme et cherchons la réponse,
Mais faisons nous légers comme la pierre ponce
Qui flotte sur les eaux, fussent-elles torrents;
Comme l'Esprit peut-être issu de leur abîme
Ou descendu pour que son souffle nous anime,
Souffles errants.
 
Si, malgré tout cela, la lumière de Reda vous aveugle et que vous préférez les brumes de la  mer du Nord aux clartés méditerranéennes de Pythagore, d'Euclide ou d'Archimède, alors mettez vous dans le sillage de Jean-Claude Pirotte. Son dernier recueil Autres Séjours [2] raconte une longue migration vers les rives boréales. Pirotte est né à Namur. Son enfance a été bercée par la Meuse, cette Meuse lente, terrestre, continentale, fleuve de vallées profondes longeant de vieux massifs forestiers, qui soudain s'ouvre au monde dans les plaines belges et néerlandaises, jusqu'à l'apothéose de l'embouchure. Autres Séjours, c'est aussi un voyage dans le temps où l'on glisse tranquillement de l'enfance vers aujourd'hui, vers la mer pour oublier la mort :
 
Quand je me sens prêt à mourir
chaque matin et chaque soir
j'entends soudain la mer venir
et s'emparer de mes peaux mortes

Alors je remets à demain
Les derniers codicilles noirs
d'un testament indéchiffrable
et je renonce à la lumière

Pour en sauver le souvenir
 
Il y a chez Pirotte de la nostalgie, une tendre ironie, mais la pudeur interdit toute amertume et tout débordement. Des mots simples et clairs, de courtes strophes qui ressemblent souvent aux poésies de l'enfance. Nous retrouvons chez lui également cette veine fantaisiste que nous détections tout à l'heure chez Reda et qui est la marque de fabrique de la bonne poésie. Chez lui, l'espoir couronne toujours l'horizon de l'élégie :
 
Comme si la vie était une terre remembrée
qui n'était pas en voie d'épuisement
et qu'au soleil des emblavures
le temps propice aux longs repaires
devait épanouir les solitudes
et révéler l'envers du monde.
Eugène Charles.


[1]. Jacques Réda, La Physique amusante, Gallimard, 124 pages.
[2]. Jean-Claude Pirotte, Autres séjours, éd. Le Temps qu'il Fait, 200 pages.
 
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25 janvier 2011 2 25 /01 /janvier /2011 11:00
Ils n'auront pas l'Hôtel de la Marine
 
                                                  La République, c'est le gouvernement des imbéciles...
                                                                                               Léon Daudet.
 

Le transfert au privé de l’Hôtel de la Marine continue de susciter beaucoup d’émoi et c’est tant mieux. On sait qu’au printemps dernier, le petit Morin, alors ministre de la Défense, envisageait sérieusement de vendre ce joyau du patrimoine national pour financer son Pentagone de Balard, projet ruineux et inutile s’il en est. En novembre, au vu des premières réactions scandalisées, on n’évoquait déjà plus qu’un transfert en gestion sous la forme d’un bail de longue durée. Après le remaniement et le limogeage de Morin, l’équipe Juppé prenait la mesure de l’héritage : « une affaire qui pue », confirmait l’entourage du ministre qui suscitait aussitôt un nouvel arbitrage de l’Elysée. Lequel est tombé le 17 janvier dernier. « Pas question de vendre l’Hôtel de la Marine ni même de l’aliéner ! » s'est écrié le Président de la République sur un ton de vierge outragé. Il est vrai que l’affaire commençait à devenir chaude : des pétitions couvertes de signatures en quelques jours, des milieux intellectuels en effervescence, l’odeur du scandale d’Etat qui commençait à allécher les rédactions… Il était temps d'allumer des contre-feux !  Alors, enterré le projet ? Pas si sûr ! Parmi les candidats intéressés par la reprise, on ne trouve pas que des philanthropes et des amateurs de belles pierres. Le consortium mené par le brasseur d’affaires Alexandre Allard, flanqué d’un ancien ministre de la culture – le nullissime Donnedieu de Vabres – et d’une star de l’architecture stipendiée – le mirobolant Jean Nouvel – a mis beaucoup d'espoir et d'argent dans ce dossier. Son projet, modestement baptisé le Royale, qui prévoit la réalisation de suites de luxe, de restaurants de prestige et de kilomètres de galeries commerciales, donne le tournis à tout ce que Paris, Londres et New-York comptent d'énarques dénaturés, de promoteurs, de banquiers et de Béotiens de la pire espèce. Ceux là et quelques autres ne sont pas prêts à lacher le morceau comme ça ! L'appel à projets  en vue de "l'occupation, la mise en valeur et l'exploitation" du batiment reste d'ailleurs toujours ouvert, malgré les déclarations du Chef de l'Etat. C’est pourquoi nous invitons tous nos lecteurs à signer et à diffuser largement autour d’eux la pétition (ci-dessous) lancée par l’Association des Amis de l’Hôtel de la Marine et son président, M. le vicomte de Rohan, pétition qui a réuni en quelques jours plus de 8000 signatures. Nous engageons aussi nos amis à bien noter et à conserver dans leurs portefeuilles le nom des protagonistes de cette triste affaire.  Pour le jour, qui n’est pas si éloigné, où certains d'entre eux oseront se présenter devant les électeurs. Mais aussi au cas où il serait permis à ces voraces de mettre leur dessein à exécution. Il faut qu’ils sachent et qu’ils sachent bien qu’ils trouveront en face d’eux des gens résolus à ne pas les laisser faire. Par tous les moyens, même légaux. 

La Revue critique.

 

 

Soutenir l’Hôtel de la Marine


Une exceptionnelle mobilisation de l’opinion publique a permis d’alerter le Président de la République sur l’impopularité d’une cession de l’Hôtel de la Marine au secteur privé, et ceci, quelle qu’en soit la forme. Celui-ci en a pris acte. Dans le discours qu’il a prononcé pour présenter ses vœux au monde de la culture et de la communication, le  19 janvier de ce mois, le Président de la République a déclaré : "Je pense que la meilleure façon de clore toutes les polémiques, c’est qu’avec Frédéric Mitterrand, nous mettions en place une commission composée de gens indépendants, la semaine prochaine, pour voir qu’elle est la meilleure utilisation de l’Hôtel de la Marine."
Tous ceux et celles qui ont déjà signé notre pétition peuvent donc avoir des raisons d’espérer que soit affirmée par le gouvernement la valeur emblématique, pour notre pays, de l’Hôtel de la Marine, du fait de sa vocation, de  son histoire et de son emplacement. Le gouvernement devra en même temps s’engager à conserver la structure de cet ensemble qui est encore à ce jour, pour l’essentiel, telle que l’avait conçue le grand architecte Gabriel, et à ne pas le dépouiller de ses collections réunies au cours de plus de deux siècles d’existence.
Aucune décision n'ayant cependant encore été prise pour nous assurer que nos souhaits seront entendus, nous devons être toujours plus nombreux à les exprimer. C’est pourquoi notre appel à signer notre pétition (voir) reste ouvert. Plus nombreux serons nous à l’avoir signé, plus nous aurons de chances de faire prévaloir nos souhaits.
Olivier de Rohan.
President des Amis de l'Hôtel de la marine 

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23 janvier 2011 7 23 /01 /janvier /2011 23:00
Mainstream                              
Enquête sur cette culture
qui plaît à tout le monde          
 
de Frédéric Martel
Mis en ligne : [24-01-2011]
Domaine :  Idées  
Martel--Frederic--Mainstream.gif

 

Frédéric Martel est chercheur et journaliste. Il enseigne à HEC et anime le principal magazine d'information sur les industries créatives et les médias à Radio France.  Son dernier livre, De la culture en Amérique. (Gallimard, 2009), a été traduit et discuté dans de nombreux pays.  


Frédéric Martel, Mainstream - Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde. Paris, Flammarion, mars 2010, 457 pages.


Présentation de l'éditeur.
Comment fabrique-t-on un best-seller, un hit ou un blockbuster ? Pourquoi le pop-corn et le Coca-Cola jouent-ils un rôle majeur dans l'industrie du cinéma ? Après avoir échoué en Chine, Disney et Murdoch réussiront-ils à exporter leur production en Inde ? Comment Bollywood séduit-il les Africains et les telenovelas brésiliennes, les Russes ? Pourquoi les Wallons réclament-ils des films doublés alors que les Flamands préfèrent les versions sous-titrées ? Pourquoi ce triomphe du modèle américain de l'entertainment et ce déclin de l'Europe ? Et pourquoi, finalement, les valeurs défendues par la propagande chinoise et les médias musulmans ressemblent-elles si étrangement à celles des studios Disney ? Pour répondre à ces questions, le journaliste et chercheur Frédéric Martel a mené une longue enquête de Hollywood à Bollywood, du Japon à l'Afrique subsaharienne, du quartier général d'Al Jazeera au Qatar jusqu'au siège du géant Televisa au Mexique. Ce qu'il nous rapporte est à la fois inédit, fascinant et inquiétant : la nouvelle guerre mondiale pour les contenus a commencé. Au coeur de cette guerre : la culture " mainstream ". De nouveaux pays émergent avec leurs médias et leur divertissement de masse. Internet décuple leur puissance. Tout s'accélère. En Inde, au Brésil, en Arabie saoudite, on se bat pour dominer le Web et pour gagner la bataille du " soft power ". On veut contrôler les mots, les images et les rêves. Mainstream raconte cette guerre globale des médias et de la culture. Et explique comment il faut faire pour plaire à tout le monde, partout dans le monde.


Article de Yves Landevennec. Royaliste n° 979 du 22novembre 2010.
Courants dominants. On sort du livre de Frédéric Martel admiratif et quelque peu étourdi. L’admirable, c’est l’enquête menée dans trente pays, auprès de 1250 personnes aux fonctions très diverses, par un docteur en sociologie qui a suivi de près, à des postes de premier plan, les relations culturelles internationales en France puis aux États-Unis. Mais l’analyse des flux financiers, des stratégies des groupes industriels, des productions culturelles, des enjeux politiques et des questions de civilisation est d’une telle complexité que certains lecteurs auront l’impression de perdre tout repère.
Réflexion faite, ce sont surtout des préjugés que l’on perdra. La lecture de Mainstream dissipe une angoisse largement répandue : la mondialisation des techniques et les réseaux planétaires de diffusion massive de contenus culturels (films, musiques, écrits) n’aboutissent pas à l’uniformisation tant dénoncée. D’ailleurs, le titre du livre est démenti par la conclusion de l’enquête : Frédéric Martel constate que mainstream (la culture populaire, au sens positif du terme ou négativement la culture de marché) est à mettre au pluriel.
De fait, il y a plusieurs courants dominants qui se mêlent plus qu’ils ne s’opposent. Nous baignons, comme toujours, dans la diversité des cultures mais nous avons en même temps une claire perception, grâce aux médias, des éléments communs au monde entier. Il ne faut pas confondre le goût mondial pour certains types de spectacles modernes (le cinéma, la télévision) et la stratégie globale des groupes capitalistes qui produisent des contenus culturels destinés à être acquis par le plus grand nombre possible de consommateurs.
Quant à la stratégie des groupes, nous sommes obnubilés par les États-Unis en général et par Hollywood en particulier. Ce n’est pas sans raisons : le cinéma américain est prépondérant en Europe de l’Ouest, où il n’y a plus qu’une seule production cinématographique nationale – la nôtre. Sans oublier la richesse de l’héritage culturel accumulé dans le passé, Frédéric Martel n’a pas tort d’écrire que la culture mainstream américaine est actuellement la seule culture commune à l’Europe, réduite par lui à l’Union européenne.
Il y a bien un effet de domination, avec des particularités et des résistances qui ne sont pas locales comme le disent les firmes capitalistes et les altermondialistes, mais bel et bien nationales. Mais cette progression de la culture américaine de masse n’est pas un phénomène qui se vérifie dans le monde entier. Notre constant oubli de l’Inde nous fait ignorer ou sous-estimer la puissance et la séduction du cinéma indien (3,6 milliards de billets vendus en 2008) qui attire les foules bien au-delà des frontières du pays ; en Asie centrale, dans le Caucase, on chante, on danse, on vibre au rythme de ces comédies qui constituent, à l’opposé des productions américaines, un spectacle complet. De même, les Français ignorent - sauf s’ils sont familiers du monde hispanique - la popularité des telenovelas, ces séries télévisées qui sont appréciées aux États-Unis comme en Europe de l’Est.
Parfois charmants, parfois médiocres, ces films, ces chansons et ces séries sont adaptées aux marchés nationaux (les productions japonaises sont souvent déjaponisées pour être vendues partout enAsie) et ne détruisent pas les cultures traditionnelles. C’est une banalité qu’il faut souligner: on peut étudier Descartes et aimer la bande dessinée, réciter Omar Khayyâm, écouter de la musique soufi et fredonner Enta Eyh en regardant une vidéo de Nancy Ajram, chanteuse libanaise immensément populaire dans tout l’Orient chiite et sunnite, arabe ou non.
Ce mélange des genres a pris des proportions considérables en raison des moyens modernes de diffusion - il existe d’ailleurs aux États-Unis, qui ne se réduisent pas au petit monde de Disney. La culture hispano-américaine (entre autres) est pleine de vitalité, les classiques de la littérature américaine sont massivement diffusés (nous devrions imiter les Américains sur ce point) et ce sont les universités américaines qui assurent pour une large part la créativité du cinéma hollywoodien.
Il est passionnant d’observer en compagnie de Frédéric Martel les réactions chinoises à l’offensive des grands groupes occidentaux et d’examiner l’identité des nouveaux venus (les télévisions arabes) sans pour autant le suivre dans toutes ses conclusions. S’il ressort de son ouvrage qu’il n’y a pas de choc culturel des civilisations, on peut s’interroger sur la réalité de ces guerres culturelles qu’il annonce tout en décrivant une très large hybridation des cultures. Nous sommes plutôt dans une concurrence entre groupes industriels et financiers qui profitent du libre-échange pour vendre leurs productions sans trop se soucier de l’idéologie et de la politique.
Les groupes occidentaux qui veulent conquérir le marché chinois - très protégé - gomment toutes les critiques émises envers la Chine et le puissant groupe du prince Al Waleed (Arabie saoudite) affirme que son objectif est la défense des valeurs tout en misant sur le divertissement pour séduire la jeunesse. Mais toute affirmation mérite maintes nuances : elles se trouvent dans le livre de Frédéric Martel qui est conscient que les maintreams vont être bouleversés par les innovations technologiques qui sont en cours.
 
Autre critique à signaler :   Jean-Louis Lambert. Esprit, décembre 2010

 

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20 janvier 2011 4 20 /01 /janvier /2011 11:52
Jours tranquilles
au Quai d'Orsay                       
LALUMIERE (Jean-Claude) Le Front russe


Vous cherchez un peu de lumière dans la grisaille de l'actualité des lettres ?  Alors, pour une fois, fiez vous à la rumeur et aux gazettes littéraires qui ont flairé la bonne piste et précipitez vous sur le premier roman de Jean-Claude Lalumière, Le Front russe [1]. Pour un coup d'essai, c'est presque un coup de maître. Un peu autobiographique bien sûr, mais quoi de plus normal pour un premier ouvrage. On y marche d'abord à pas mal assurés, on se tient aux murs de l'enfance, aux certitudes de la vie. Et puis brusquement on se lâche, l'histoire se met en route, les personnages vivent par eux-mêmes et tout devient facile. Nous voilà partis pour le front.

Le narrateur du Front russe part lui aussi en campagne. Avec un handicap certain, c'est un rêveur. Rejeton de la petite bourgeoisie des années 70, fils unique un peu couvé, il a passé son enfance à soupirer sur les atlas et les revues de géographie, la tête pleine d'aventures exotiques et de voyages au long cours. Et voilà que la chance semble lui sourire : un  petit concours administratif réussi, une affectation aux Affaires Étrangères et la valise est déjà prête pour les terres lointaines. Mais le mirage s'évanouit très vite. Notre apprenti diplomate, mal servi par le sort, découvre à ses dépens la réalité du Quai d'Orsay d'aujourd'hui. On le placardise d'emblée dans un service en déshérence, "le bureau des pays en voie de création, section Europe de l'est et Sibérie", situé en plein treizième arrondissement, dans la hideuse ZAC Rive gauche. Le voici au purgatoire du "Front russe", promis à l'attente, à l'ennui et à l'inutilité. Son activisme et son envie de bien faire lui mettent évidemment tout le monde à dos et chacune de ses initiatives tourne au désastre. Il lui faudra du temps et beaucoup d'humour pour comprendre qu'on ne dérange pas impunément les certitudes moisies des administrations et que les rêves des ronds de cuir n'ont pas grand chose à voir avec ceux de l'enfance. Il finira par en prendre son parti.

Il y a un peu de fatalisme dans ce Front russe. Mais c'est un fatalisme qui ne tourne jamais à l'aigre. On sent que Jean-Claude Lalumière est un adepte du sourire moqueur de Jacques Tati. Son héros est une sorte de M. Hulot jeune qui débarquerait au Quai d'Orsay. Il ignore tout des rites de la maison, il accumule les gaffes sans s'en rendre compte, persuadé qu'il a l'avenir pour lui. Lalumière s'amuse de son personnage, de sa crédulité et de son manque d'assurance; le ton faussement naïf du récit fait des merveilles. Nos lecteurs goûteront également l'humour délicatement réactionnaire de certains bons passages. On savourera sans retenue l'épisode où le ministre - qui ressemble un peu à Bernard Kouchner - décide de redorer son blason et organise une "marche des fiertés diplomatiques" qui sombre dans le ridicule le plus total. On rira un peu jaune au récit de ce voyage improbable en Géorgie où l'ambassade de France se transforme en music-hall de bas étage pour séduire des élites locales atterrées. On sourira à l'histoire du pigeon mort qui encombre la fenêtre du narrateur et dont l'enlèvement met en émoi toute la bureaucratie du Quai d'Orsay. Et on sera plein d'indulgence pour les déboires amoureux du narrateur avec la jeune secrétaire du service, une pauvre créature, victime du bio, des séries télévisés et des magazines féminins.

Il y a aussi un peu de nostalgie dans le Front russe. Une douce nostalgie, une petite musique tendre qui se dilue dans l'humour et qui rend le livre parfaitement attachant. Nostalgie des années 70, des familles heureuses et du temps du plein emploi, où le temps s'écoulait entre l'attente de Noël et celle des grandes vacances, où il flottait encore sur le monde ce parfum d'aventure qui fait les rêves adolescents. Le narrateur est un pur produit de cette époque, il est aussi une victime des temps nouveaux, de ces années au front dur où les rêves n'ont plus leur place, où les terrains d'aventure sont peuplés de touristes obèses, où la France n'est plus tout à fait au centre du monde, où les ministres des Affaires Étrangères ne s'appellent plus Maurice Couve de Murville ou Michel Jobert mais, plus bêtement, Philippe Douste-Blazy ou Bernard Kouchner. Alors, entre ces deux époques, celle où on a bien vécu et celle où il faut bien vivre, on perd vite ses repères. Il faut peu de choses pour faire d'un adolescent rêveur un anti-héros adulte : des parents qui s'éloignent, des maîtres ou des amis qui s'effacent, la routine de la vie qui vous mange le coeur. "Je crois que j'ai perdu ma capacité à rêver, dit le narrateur du Front russe. J'attends simplement. J'attends qu'un événements survienne dans ma vie. (...) . Mais il ne se passe rien. Je vis et il ne se passe rien. J'aurai vécu et personne n'en saura rien. (...) J'ai voulu tracer mon propre parcours, et je me suis retrouvé à mettre mes pas dans ceux de mon père. on croit se rendre  dans des endroits nouveaux mais on réalise que c'est partout pareil. L'histoire d'une vie, c'est toujours l'histoire d'un échec." Troublante confession d'un enfant du siècle.

On prend surtout du plaisir à lire le Front russe. Lalumière a été, c'est visible, à bonne école. Celle de Stendhal, celle de Dumas, celle aussi, à coup sûr, des Nimier, Blondin, Laurent et de quelques autres qu'on aime ici. Il cultive la légèreté avec la mélancolie, l'ironie avec une pointe d'amertume, l'effronterie et une certaine pudeur. Ce premier roman, c'est entendu, manque un peu de fond, les protagonistes du narrateur y sont juste esquissés et on voudrait au récit plus d'intrigue, plus de rebondissements. Les propos intimistes y arrivent un peu tard, presque à la fin. Mais tous les ingrédients sont là pour qu'une oeuvre naisse. Presque un coup de maître, disions nous. A coup sûr un coup d'éclat qui ne peut pas rester sans suite. Faites vite, Lalumière !

Eugène Charles.

 


[1]. Jean-Claude Lalumière, Le Front russe, Le dilettante, 256 pages.

   

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16 janvier 2011 7 16 /01 /janvier /2011 23:00
La nouvelle                               
idéologie française           
 
de Béatrice Durand
Mis en ligne : [17-01-2011]
Domaine :  Idées  
DURAND--Beatrice--La-nouvelle-ideologie-francaise.gif

 

Ancienne élève à l’École normale supérieure, Béatrice Durand vit à Berlin depuis vingt ans. Elle enseigne au Lycée français et à la Freie Universität. Elle a une double culture qui la place idéalement pour évaluer notre républicanisme et le comparer à ce qui se fait outre-Rhin. Elle est notamment l’auteur de Cousins par alliance. Les Allemands en notre miroir (Autrement, 2002).  


Béatrice Durand, La nouvelle idéologie française. Paris, Stock, septembre 2010, 228 pages.


Présentation de l'éditeur.
Depuis les années 1980, au moment où les projets marxistes et révolutionnaires quittaient la scène, une nouvelle idéologie typiquement française s’est installée dans le paysage : le républicanisme. Tout le monde s’est mis à se réclamer de la république et de ses valeurs ; aucun mot n’est mieux porté, à droite comme à gauche. Le « modèle républicain » serait maintenant le modèle français. L’identification à la République est devenue l’épine dorsale de notre identité. Ce républicanisme recouvre, en vrac, notre conception de l’État de droit, la manière dont nous comprenons la laïcité et la séparation de l’Église et de l’État, notre conception de l’école méritocratique, etc. Et aussi la manière dont nous réglons les revendications particularistes, depuis le régionalisme jusqu’aux fameuses affaires du voile islamique et, maintenant, de la burqa. Un regard sur ce qui se passe chez nos voisins européens nous aiderait à comprendre qu’on peut conjuguer d’autres façons les idéaux qui sont les nôtres et leur mise en application. Non seulement la République n’est pas l’apanage de la France, mais son principe devrait permettre d’articuler les identités particulières et la vie commune en laissant à l’individu un maximum de liberté dans le choix et l’expression de ses convictions. Ne serait-ce que dans la manière de gérer les revendications identitaires. Ne serait-ce aussi que dans la manière d’aborder la question de la religion et de son articulation au politique. Il faut revisiter notre conception de la République, en espérant qu’on pourra ainsi la rendre moins arrogante, moins franchouillarde, en espérant aussi que notre actuel républicanisme cessera d’être un autoritarisme contraire aux principes d’une société démocratique.


Recension de Paul Valadier. Etudes, décembre 2010.
Ces pages agaceront. Surtout du côté des républicains intransigeants, s’ils ne s’avisent pas que l’auteur tient seulement à balayer du regard un « pano­rama des lieux communs de l’idéologie républicaine » dans ses récentes évolu­tions. S’en prenant à la « doxa républi­caine » ou encore au « républicanisme franchouillard », elle ne fait certes pas toujours dans la dentelle. Mais tous ont intérêt à entendre les critiques acérées, la plupart du temps justes et perti­nentes, adressées à ce qu’elle appelle une « idéologie » ; elle vise en particulier les adversaires d’une reconnaissance de différences de la part de l’Etat, caricatu­rée sous le nom de « communitarisme ». L’idéologie en cause est celle qui néglige d’admettre l’importance du culturel pour cimenter une société et asseoir un Etat respecté. Celle qui éradique les diversités au profit d’une idée de Nation devenue désuète. Et de fait, quoi qu’on dise, la République française n’aime guère ce qui va apparemment contre l’unité, pas plus les religions qu’elle res­pecte dans la mesure où elles se bornent au privé et se taisent, que les langues régionales. La défense des différences, en ce qui concerne voiles et burqas ou langues, aurait pu être plus nuancée, ou plus lucidement abordée la difficile pré­sence de l’islam dans l’espace public de ce pays. Mais ce discours rarement entendu ne doit pas être identifié à un anti-républicanisme de principe, ce dont Béatrice Durand se défend à juste titre. Les références à l’Allemagne, où vit l’auteur, sont aussi tout à fait éclairantes.

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14 janvier 2011 5 14 /01 /janvier /2011 09:47
La France qui se bat
 
Pour le mouvement social, l'année 2010 se termine mieux qu'elle n'avait commencé.  Même si la bataille des retraites s'est conclue par un échec, quel échec! Des millions de Français dans la rue, un front syndical ressoudé et relégitimé, une opinion publique largement acquise, un gouvernement à la victoire honteuse, hué, conspué dans les esprits et dans les coeurs, contraint de renvoyer à plus tard son programme de "réformes" funestes. Ainsi, on n'ouvrira aucune négociation avant la fin du quinquennat sur la réforme du marché du travail et c'est tant mieux pour les  salariés précaires et pour les chômeurs, menacés de statuts encore plus aléatoire. Le gouvernement voudrait bien parler de l'emploi des jeunes, mais les syndicats, échaudés par le CPE et autre CIP, n'ont aucune envie de répondre à l'appel. Quant au MEDEF, la contestation y bat son plein contre Mme Parisot et ses mentors sarkozystes, ce qui n'est pas le meilleur moment pour engager de nouvelles grandes manoeuvres. Autre bonne nouvelle : la contestation contre la réforme des retraites a dopé les revendications salariales dans les entreprises. On n'a jamais autant négocié sur les salaires que depuis octobre et dans un grand nombre de cas avec succès. C'est vrai chez Bosch où les débrayages de l'automne ont permis aux salariés d'engranger une hausse  de salaire près de deux fois supérieure à ce que prévoyait leur direction. Même chose chez Rhodia, à l'issue là encore d'un conflit très dur qui a mobilisé 80% du personnel de production. La fermeté paye également au plan juridique contre les licenciements boursiers et les patrons voyous. Les conseils de prud'hommes et les tribunaux sanctionnent de plus en plus souvent des plans sociaux bâclés, rédigés au mépris de la loi ou inexistants. A Cherbourg, les salariés de Sanmina France font condamner le groupe yankee qui les employait pour licenciements abusifs et obtiennent les indemnités minimales qu'ils réclamaient. A Bernay, c'est le groupe PPR qui perd en appel contre ses anciens salariés à qui il devra payer des sommes allant de 10 000 à 116 000 euros. On espère qu'il en sera de même pour les salariés de Molex qui se battent toujours pour que leur ancien employeur - encore un groupe américain voyou - paye leurs indemnités légales de licenciement. Des Molex qui ne comptent que sur eux-mêmes dans cette dure bataille; ils ont pu mesurer la duplicité d'un gouvernement qui les a abreuvés de bonnes paroles mais qui n'a rien fait pour qu'ils obtiennent justice. On ne se méfiera d'ailleurs jamais  assez des groupes étrangers qui, une nouvelle fois en décembre, sont  à l'origine des plans sociaux les plus lourds.  Et l'attitude d'équipes CGT comme celle des Verreries du Languedoc, qui négocie pied à pied la reprise de son entreprise par le géant américain Owens-Illinois, mérite d'être saluée.  Comment s'étonner, devant tant de signes positifs, du regain de popularité des syndicats auprès des Français ? Selon un sondage TNS-Sofres, publié fin novembre, 54% de nos concitoyens font  "tout à fait ou plutôt confiance" aux syndicats pour les défendre, soit une hausse de 8% en deux mois. Autre signe encourageant, l'amélioration de cette image est particulièrement forte chez les jeunes et les salariés du secteur privé. La CGT et la CFDT notent d'ailleurs depuis septembre un afflux d'adhésions en provenance de ces deux catégories. Les organisations syndicales sauront-elles tirer partie d'un contexte qui leur est manifestement favorable ? Oui si on se place du point de vue de l'unité d'action. L'intersyndicale qui s'est constituée au moment de la bataille des retraites a tenu le choc; elle s'est même érigée en structure permanente et s'appuie sur une plate-forme de revendications solide. Sa ligne d'indépendance vis à vis des partis politiques, et en particulier du PS, est très bien perçue par les salariés. Elle leur fait prendre conscience  que c'est au sein du mouvement social et non pas dans les think tank à la mode que la transformation de la société peut se construire. Encore faut-il être capable de passer de la revendication à la proposition et c'est là que le bas blesse. On l'a bien vu lors du conflit des retraites où deux lignes de propositions se sont affrontées: celle de la CGT, assez à l'écoute des salariés, et celle de la CFDT, plus sensible aux sirènes social-libérales des petits maîtres de la rue de Solférino. Le chantier que vient d'ouvrir l'intersyndicale pour mettre à jour sa plate-forme de revendications permettra-t-il de dépasser ces oppositions et de faire naître des "cahiers de propositions" ? Ce chantier peut-il également marquer des avancées en matière de recomposition syndicale ? La CGT et la FSU le souhaitent visiblement et entendent battre le fer tant qu'il est chaud. Elles ont lancé, le 16 décembre dernier un appel à "un rassemblement plus durable pour construire et renforcer un syndicalisme rénové de transformation sociale, articulant luttes et propositions". Voilà une initiative excellente dont il faudra suivre de près les retombées dans les semaines qui viennent.
H. V.
 
Vendredi  3 décembre
- Licenciés en avril 2008, 203 des salariés de Sanmina France de Cherbourg, spécialisée dans les télécommunications pour l’aéronautique et le militaire, qui contestaient leur licenciement devant le conseil des Prud’hommes ont obtenu gain de cause Le conseil a reconnu le caractère économique des licenciements infondé et qu’il s’agissait bien de licenciements abusifs. Le groupe américain Sanmina dont le site cherbourgeois était une filiale, devra verser à chacun des plaignants des dédommagements allant de 10 000 à 20 000 euros en fonction des cas, représentant six mois de salaire.
Samedi 4 décembre
-  José Alcala a présenté à Villemur-sur-Tarn, son film-documentaire sur l’usine Molex fermée en 2010 : « Les Molex, des gens debout », lors d’une projection réservée aux anciens salariés (283). La séance a été accueillie par un silence profond et chargé d’émotion. Le film raconte toute la lutte des salariés, de l’annonce de la fermeture de l’usine par le groupe américain Molex au départ des outils de travail à bord de camions semi-remorques. Les salariés qui se battent toujours pour le paiement de leurs indemnités légales de licenciement s'indignent que l'Etat n'ait pris aucune mesure de mise sous sequestre des biens de Molex en France.
Lundi 6 décembre
Les négociations sur le plan social de Bergerac NC, filiale de la SNPE vendue au groupe espagnol Maxam ont abouti. L'intersyndicale souligne que sur les 108 postes supprimés dans le cadre de la cession (sur 146), 53 salariés bénéficieront du dispositif amiante et 41 ont accepté une mutation dans un autre site du groupe SNPE. Les conséquences de cette restructuration sur l'activité industrielle du bassin de Bergerac (Dordogne) restent malgré tout très sensibles. .
Jeudi 9 décembre
- Le personnel d’Ethicon se mobilise face à la fermeture de l’usine d’Auneau (Eure-et-Loir). Lundi dernier, plus de 200 des 365 salariés de cette filiale de l’américain Johnson & Johnson ont manifesté à Issy-les-Moulineaux en Ile-de-France, devant le siège du groupe. Une délégation a été reçue par la direction qui a confirmé la fermeture du site fin 2011. Implantée depuis plus de quarante ans à Auneau, la dernière usine de fils de suture de France, pourtant bénéficiaire, est oubliée au profit du Brésil, de Porto Rico et du Mexique, où le géant pharmaceutique compte sur la main d’œuvre bon marché pour gagner en compétitivité.
Lundi 13 décembre
- Après plus de deux semaines de blocage total de l'usine spécialisée dans les outils de levage, les 70 salariés d'Ingersoll Rand à Sin-le-Noble (Nord), estiment avoir obtenu suffisamment de garanties pour reprendre le travail. Les salariés ont adopté  des propositions formulées par la direction du site concernant les primes supra-légales, en contrepartie de la fermeture définitive du site fin 2011. Une prime fixe de 22 000 euros sera versée à chacun des salariés licenciés, à laquelle s’ajoute 1925 euros par année d’ancienneté.
Mardi 14 décembre
- Les 126 salariés de l'usine Expansia qui produit des principes actifs pharmaceutiques à Aramon (Gard) ont voté la poursuite du mouvement de grève destiné à protester contre le projet du groupe américain PCAS, leur maison-mère, de supprimer 43 postes sur le site.
Mercredi 15 décembre
- Le groupe américain Owens-Illinois, numéro un mondial de la fabrication de bouteilles en verre, envisage de prendre le contrôle de la Verrerie du Languedoc à Vergèze (Gard). L'usine, qui fournit les bouteilles de la source Perrier, emploie aujourd'hui 212 salariés. L'activité est bénéficiaire et des investissements importants ont été réalisés dans un passé récent pour moderniser le site. C'est pourquoi la CGT conteste les conditions posées par le repreneur : suppression de 68 postes et baisse des salaires de 20 à 30%. La mobilisation des salariés contre ce projet de reprise est maintenant très forte. 
- Le groupe Pinault-Printemps-Redoute (PPR) est débouté de son appel devant la cour d’appel de Rouen de la décision du Conseil des Prud’hommes de Bernay concernant l’indemnisation de salariés de son ex-filiale Yves-Saint-Laurent Beauté (YSL). Le groupe devra payer à 48 salariées plaignantes sur les 146  licenciés de l’usine YSL Beauté de Bernay des sommes allant de 10 000 à 116 000 euros.
- Le tribunal de commerce d’Epinal a prononcé hier, mardi 14 décembre, la liquidation judiciaire anticipée des Papeteries du Souche à Anould (Vosges). L’imprimeur, contrôlé par le fonds d’investissement Green Recovery, était sous administration judiciaire depuis mi-novembre dernier et cherchait un repreneur. Elle employait 168 salariés.
Samedi 18 décembre
- Le fonds d'investissement Fondation capital a annoncé le rachat de la chaîne de restauration Courtepaille. Courtepaille gère 222 établissements en France et emploie plus de 3600 salariés. La vente pourrait intervenir début 2011
- Presse informatique, qui gère les abonnements d'entreprises de presse et audiovisuelles, annonce la fermeture de son site de Cauvigny (Oise) et la suppression de 180 emplois, selon la CGT. La société était en redressement judiciaire depuis fin novembre.
-  La CGT organise une "journée nationale d'actions" au sein du groupe Carrefour. Le syndicat proteste contre la refonte du modèle organisationnel de Carrefour, qui prévoit la suppression de postes et l'extension des horaires.
- Le tribunal de commerce de Nantes prononce la liquidation judiciaire du fabricant de semi-conducteurs, MHS Electronics, mais autorise une poursuite de son activité jusqu’au 15 mars 2011. Ce délai laisse la possibilité d’une reprise totale ou partielle de l’entreprise, ce qui permettrait de sauver une partie des 100 emplois dans cette usine qui en a compté jusqu’à 900. 
Lundi 20 décembre

- Le tribunal de commerce de Reims place l'équipementier aéronautique Reims Aerospace en liquidation judiciaire avec un sursis de trois mois. L'entreprise, basé à Prunay (Marne) et qui emploie 203 salariés, est la victime des plans de restructuration décidée chez Dassault et chez Airbus. Une solution de reprise locale est en discussion, avec l'appui des collectivités locales.

Mardi 21 décembre
- Forte mobilisation des 192 salariés brestois du sous traitant électronique Compétence contre leurs dirigeants. Le fonds nord-américain Mercatech, qui a repris l'activité il y a 6 mois, aurait procédé à un transfert de 12 millions d'euros de trésorerie au bénéfice d'autres activités de Mercatech à l'étranger.  L'entreprise n'est plus en mesure de payer ses fournisseurs et les salariés craignent une liquidation
Mercredi 22 décembre
- Forte inquiétude des salariés d'Arcelor Mittal à Bouren Bresse. La pérennité de plusieurs sites de production serait menacé après la condamnation d'Arcelor à payer une amende de 230 millions d'euros pour entente illicite. Les syndicats ont interpellé l'Etat sur les risques qui pèsent sur près de 800 emplois en France, dont 400 à Bourg en Bresse. 
Jeudi 23 décembre
- Après plusieurs mois de conflit entre la direction et la CGT, le comité d'entreprise du fabricant de rotatives Goss, à Montataire (Oise) a voté contre le plan social qui prévoit la suppression de 300 emplois sur 623. La tension sociale est très vive sur le site.
Vendredi 24 décembre
Quelques 500 salariés d'Adixen, une filiale d'Alcatel à Annecy, ont reversé leur prime de résultat à leurs 250 collègues intérimaires. Au vu des résultats excetionnels de l'entreprise en 2010, le personnel avait réclamé une prime de résultat. La direction d'Adixen n'ayant accepté de débloquer que 100.000 euros, les salariés permanents ont préféré n'en faire bénéficier que les intérimaires. 
Vendredi 31 décembre
- Le groupe de mécanique de précision Semeca, implanté à Verquin (Pas de Calais) annonce la fermeture de son unité de Ronchin, en banlieue de Lille. L'unité compte 47 salariés. L'ensemble du groupe Semeca, qui emploie 220 personnes, est en redressement judiciaire depuis octobre dernier.
Henri Valois.
   
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10 janvier 2011 1 10 /01 /janvier /2011 23:00
Myopies démocratiques
 
La revue Commentaire a publié, dans sa livraison de l'automne, le texte d'une brillante conférence donnée par Pierre Rosanvallon à l'Académie des sciences morales et politiques en mai dernier  (1). Il y est question de la démocratie et de ses difficultés à traiter du long terme, sujet on ne peut plus essentiel. Tout en reconnaissant d'entrée de jeu qu'il existe bien une myopie démocratique, Rosanvallon s'attache à en présenter les différentes facettes et à voir comment il est possible d'y remédier. Sur ce dernier point, disons d'emblée qu'il est le moins convaincant.

Si les régimes démocratiques ont toujours plus ou moins souffert de leur incapacité à anticiper, cette difficulté devient préoccupante, souligne Pierre Rosanvallon, "à  l'heure où les questions de l'environnement et du climat obligent à penser dans des termes inédits nos obligations vis-à-vis des générations futures". Nous y rajouterions volontiers les changements géostratégiques en cours qui dessinent un monde bien différent de celui de l'après guerre froide.

Quels sont les ressorts de cette myopie démocratique ? Le premier d'entre eux est incontestablement lié au régime électif lui-même :

Une sorte de préférence pour le présent a marqué continuellement l'horizon politique des démocraties. Tout le monde connaît la célèbre formule de Rabaud Saint Etienne : "L'histoire n'est pas notre code".  De fait la démocratie s'est définie comme une préférence pour le présent. Il y a à cela des raisons structurelles. La préférence pour le présent dérive à l'évidence de comportements dictés par les rythmes électoraux ou les impératifs sondagiers. La course éperdue au court terme est d'abord fille des conditions d'exercice de la lutte pour le pouvoir. Il est ainsi banal d'opposer les idéaux du politicien qui ne se préoccuperait que de la prochaine échéance électorale à ceux de l'homme d'Etat qui aurait, au contraire, l'oeil fixé sur un horizon plus lointain.

Nous savions tout cela et cette "tyrannie de l'élection" est encore largement présente dans nos démocraties modernes. La Constitution de la Ve République était censée en corriger les travers mais on peut se demander si, dans une certaine mesure, elle ne les a pas aggravés  en faisant de la compétition présidentielle la clé de voûte de notre vie politique.

Mais Pierre Rosanvallon va plus loin et discerne d'autres causes plus structurelles à cette préférence pour le présent. La première tient à l'histoire même de la démocratie

qui n'a pu faire son chemin  qu'en s'arrachant aux puissances de tradition et en légitimant les droits du présent afin de ne pas se laisser emprisonner dans une temporalité prédéterminée. 

En rappelant la formule terrible de Jefferson "la Terre appartient aux vivants", Rosanvallon montre bien  l'infirmité principale du régime né des Révolutions des Lumières: en niant l'histoire, et d'abord l'importance du passé comme champ de l'expérience humaine, le régime électif s'interdit de comprendre l'avenir. On retrouve ce même constat chez Marcel Gauchet (2)  qui y voit, tout comme Rosanvallon, une volonté de rupture avec l'Histoire mais également avec la religion :

Dans le monde postrévolutionnaire d'aujourd'hui, plus aucune religion séculière ne peut en outre conduire à donner sens à l'action collective en la rapportant prioritairement à une lointaine espérance. Tocqueville disait : "Le propre des religions est qu'elles donnent l'habitude de se comporter en vue de l'avenir." Le long terme était autrefois toujours associé à l'idée de salut. Les impératifs de sécularisation et ceux d'une expression autonome de la volonté générale se sont de la sorte superposés pour borner l'horizon temporel des démocraties.

Et Tocqueville de conclure à partir de ce double constat de carence que "les régimes démocratiques sont décidément inférieurs aux autres dans la direction des intérêts extérieurs de la société". N'est-ce pas le même constat que fera un peu plus tard Maurras en incriminant l'incapacité de la démocratie à disposer d'une politique extérieure et d'une politique de défense dignes de ce nom.

La démocratie l'emporterait-elle dans sa faculté à gérer et à bien gérer le présent ? Rien n'est moins sûr. Et Rosanvallon de rappeler l'autre grand reproche adressé au régime électif: son incapacité, dans la plupart des cas, à faire face aux circonstances exceptionnelles. Critique qui porte d'autant plus fort qu'elle se fonde la plupart du temps sur des faits réels: crise sociale comme au moment de la Commune, crise internationale comme on l'a vu avant la guerre de 14 et pendant l'entre deux guerres, crise coloniale qui épuisa la IVe république...

Alors qu'un Tocqueville accusait les démocraties de ne pas savoir regarder l'horizon assez lointain, un Carl Schmitt instruira le procès en impuissance des démocraties pour ne pas savoir  trancher dans l'urgence, freinées qu'elles sont supposées être par la nécessité d'une décision collective. Entre une critique décisionniste et la dénonciation du penchant court-termiste, les démocraties ont souvent été décrites comme temporellement dysfonctionnelles.

Constat terrible ! Auquel  les démocrates ont opposé pendant longtemps une sorte de déni.  Non, disait Renan, "on ne peut confondre la démocratie avec le caprice de l'instant", elle doit s'appuyer sur ce qui fait sa force, à savoir l'expression d'une volonté, celle du peuple, pour agir dans la durée. Peine perdue, diront les adversaires du régime électif, cette volonté est aussi changeante d'insaisissable, elle ne fonde aucune action dans la durée ! Cette difficulté, un grand nombre de penseurs l'ont bien identifiée, dès les lendemains des Révolutions américaine et française:

Ainsi Sieyès a essayé de définir les conditions dans lesquelles on pouvait considérer nécessaire la mise en place de gardiens du long terme dans les démocraties. Comment articuler un pouvoir exécutif et des gardiens du long terme, ce sujet très fortement présent pendant la Révolution française a, hélas, été oublié pour ne revenir qu'aujourd'hui à l'ordre du jour.

Comme le rappelle Rosanvallon, cette question des "gardiens du long terme"  a été longtemps éludée parce qu'il existait, au sein de la République, deux institutions qui en tenait lieu :  l'Etat de service public, successeur de l'administration d'Ancien régime, a longtemps joué ce rôle de contre-poison de la démocratie; la représentation nationale, héritière elle aussi du parlementarisme de la Restauration, a pu servir de filtre aux injonctions populaires; elle  a également cherché à recréer une élite au sein d'un régime par nature antiélitiste.  Mais force est de reconnaître que ces institutions ont perdu beaucoup de leur légitimité, que la dictature de l'instant s'est également emparé du travail de l'administration et de celui des parlements. Le désir de démocratie directe, de "démocratie participative" qui est apparu récemment dans le débat politique est caractéristique de cette usure du pouvoir des bureaux et des notables républicains.

Que faire alors, si l'on veut affronter efficacement les nouveaux défis du long terme? Accepter une démocratie complexe et plurielle, nous répond Pierre Rosanvallon, créer à côté des institutions qui fonctionnent selon les règles de la majorité d'autres institutions qui fonctionnent selon la règle du consensus.

Ce dont la plupart des démocraties souffrent actuellement est de ne pas avoir suffisamment saisi le lien nécessaire qu'il y a entre des institutions conflictuelles majoritaires et des institutions exprimant un consensus. La question avait pourtant été étudiée lors des Révolutions américaine et française. Si l'on avait mis en place dans le Vermont et en Pennsylvanie un Conseil des censeurs, c'était précisément pour que cette dualité fût représentée. Et l'idée même du Tribunat, due en partie à Benjamin Constant et à Sieyès, correspondait à la mise en place d'une dualité entre les institutions de la majorité et celles des consensus.

C'est là que nous ne pouvons plus complètement suivre Pierre Rosanvallon. Son rêve d'une démocratie complexe, d'institutions mixtes se heurte, hélas, à une double réalité : la puissance du sentiment "majoritaire" qui délégitime toute institution qui n'en procède pas, sauf à ce qu'elle relève d'une autre source de légitimité, d'un niveau supérieur; une certaine dérive populiste, dont le sarkozysme est chez nous l'expression la plus visible, qui réfute par principe  le temps long de l'action publique. Si, pour reprendre des expériences que Pierre Rosanvallon connaît bien, la planification à la française ou l'aménagement rationnel du territoire ont connu dans les années 60 leurs heures de gloire, c'est que ces préoccupations étaient portées, inspirées, animées par un pouvoir supérieur qui tirait sa légitimité du long terme. Ce pouvoir est aujourd'hui en miettes. C'est d'abord lui qu'il faut reconstruire si nous voulons vivre et grandir dans un monde qui, à nouveau, a de la mémoire.

Paul Gilbert.

 


(1). Pierre Rosanvallon, "La myopie démocratique.", Commentaire n°131, Automne 2010.

(2). Marcel Gauchet, L'avénement de la démocratie,  II. La crise du libéralisme 1880-1914. (Gallimard, 2007).  

 

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10 janvier 2011 1 10 /01 /janvier /2011 11:30
La séparation des races           
 
de Charles-Ferdinand Ramuz
Mis en ligne : [10-01-2011]
Domaine : Lettres 
RAMUZ--Charles-Ferdinand--La-separation-des-races.gif

 

Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947). Publications récentes  : Chant de notre Rhône (Les Amis de Ramuz, 2005),   Le gros poisson du lac. (Éd. Séquences, 2005), Vendanges. (Ed. Séquences, 2005), Romans. (Gallimard-La Pléiade, 2005), Présence de la mort. (Ed. de l'Aire, 2009) .

  


Charles-Ferdinand Ramuz, La séparation des races, Paris, Gallimard, avril 2010, 212 pages.


Présentation de l'éditeur.
" Il y a ces pâturages qui sont sous le col à deux mille cinq cents mètres, et c'est seulement vers la fin de l'été qu'ils y montent, à cause que leur vie va de bas en haut comme l'oeil fait. Tout là-haut, au milieu de la dernière pente d'herbe, on voyait le chalet ; ils étaient devant le chalet, assis par terre, parce qu'il n'y avait même pas de banc, se tenant adossés au mur de pierres sèches, en face et au-dessus du vide. Vu de cette hauteur, le fleuve, au fond de la vallée, n'était plus qu'un bout de fil gris apparaissant à travers une brume bleue, comme si ce n'eût pas été de l'air, mais de l'eau, dans laquelle on aurait mis fondre du savon, qui remplissait cet immense bassin de fontaine ; ils se tenaient là sans parler, parce qu'on se sent tellement petits, c'est tellement trop grand pour nous. "

 
Recension d'Alexandre Fillon, Lire - juillet-août 2010

De l'autre côté de la montagne.  Avec Charles-Ferdinand Ramuz, l'oeuvre est toute affaire d'écriture. "J'étreindrai la langue et, la terrassant, lui ferai rendre gorge et jusqu'à son dernier secret, et jusqu'à ses richesses profondes, afin qu'elle me découvre son intérieur et qu'elle m'obéisse et me suive rampante, par la crainte, et parce que l'ai connue et intimement fouillée", notait l'écrivain vaudois en 1904.  Ce qui frappe lorsqu'on attaque La séparation des races, c'est la présence du paysage. Des carrés d'ardoise, des forêts de sapins et des pâturages. Beaucoup de couleurs et peu de bruits, hormis celui du vent. Les bergers locaux forcent sur le muscat qu'ils boivent dans des gobelets de bois. Firmin en a peut-être trop abusé, lui qui évoque "ceux de l'autre côté de la chaîne, ceux de là-bas, ceux d'au-delà du col, du côté au nord". Car l'on "n'aime pas ce qu'on ne connaît pas", on se "méfie de ce qu'on a jamais vu".  Dans son discours, il y a également cette fille "rudement belle" qui parle une autre langue. Elle est grande, avec des cheveux "comme de la paille de seigle, comme du bois de châtaignier neuf... comme de l'herbe sèche...". Une fille qu'il se sent prêt à ramener chez lui par tous les moyens. Afin de la récupérer, son fiancé Hans enverra Mathias dont c'est le métier "d'aller", avec sa barbiche, son cornet et son tricorne. "C'est un roman qui ne peut valoir quelque chose que par le ton", affirmait Ramuz à propos de La séparation des races. Le sien reste unique.  

  

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9 janvier 2011 7 09 /01 /janvier /2011 19:00
L'aube rue Saint Vincent
                                                        
Le jour doré s'accroche à l'aile                           
D'un moulin qui ne tourne plus
Et l'on sent bouillonner le zèle
De Paris, moi je suis perclus.

Voici, beautés d'apothéose,
Merveilles du soleil levant,
Traînés par une jument rose
Des choux bleus et des coucous blancs.

La fontaine laborieuse
Redit, inutile leçon,
Une chanson d'esclave heureuse
Au ruisseau libre et vagabond.

On ouvre et l'on ferme des portes
Et des mains lèvent des miroirs
Lourds de lumière, que m'importe
Si je suis parfumé de soir?

La lune a bu toutes mes larmes;
Partageant mon vin, des filous
M'ont laissé caresser leurs armes;
Ma nuit fut belle. Couchons-nous.

 

rue-saint-vincent.jpg

 

André Salmon (1881-1969). Créances. ( 1905-1910).


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5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 23:08

Omissions genevoises

 

Le Monde, notre excellent journal suisse de langue française, n'aime pas que l'on s'en prenne aux "valeurs" de l'Europe. Qu'un Etat contrevienne tant soit peu aux traités européens et voilà nos "genevois" partis en guerre. L'éditorial d'hier [1] était plein de cris et de fureur contre la Hongrie. Et plus précisément contre le chef du gouvernement magyar, M. Orban, qui préside depuis quelques jours l'Union européenne. Les raisons qu'invoque le Monde ne sont pas sans fondements et l'on doit reconnaître que le régime de censure politique que l'équipe Orban vient d'instaurer à Budapest est assez stupide. Faut-il pour autant abreuver nos amis hongrois de prêches vindicatifs et de leçons de morale ? Ils auront beau jeu de rétorquer que les relations entre médias et pouvoir en France n'ont jamais été particulièrement exemplaire, que l'époque de l'ORTF et de la censure gaulliste n'est pas si éloignée et que le Monde manque à tout le moins d'indulgence et de mémoire. Reconnaissons qu'ils n'auront pas totalement tort.

On peut aussi se demander si le coup de sang un peu excessif  du Monde n'a pas d'autres motivations, celles là plus profondes. Un passage de l'éditorial d'hier retient l'attention : "Dans la plupart des pays membres de l'Union européenne - à l'exception de l'Allemagne, du Luxembourg, et, tardivement de la France - les dirigeants sont timides. Ils n'osent pas critiquer un gouvernement hongrois qui, par ailleurs, a rogné les autres contre-pouvoirs - notamment celui de la Cour constitutionnelle - et affiche un nationalisme d'un autre âge. " Pouvoir de la Cour constitutionnelle ? Nationalisme d'un autre âge ? Voilà des considérations qui nous emmènent bien loin de la liberté de la presse. Et une défense des "valeurs" de l'Europe qui prend une signification toute différente. Eclairons le débat. 

 Nos lecteurs savent sans doute que le gouvernement de M. Orban vient de prendre une série de mesures pour permettre à la Hongrie de reprendre le contrôle de son économie, très secouée par la crise financière internationale. A Budapest comme ailleurs, les fonds de pension privés ont propagé la spéculation, au point de mettre en péril les retraites de millions de Hongrois. L'équipe Orban, pourtant conservatrice, a décidé assez logiquement de les étatiser. De la même façon, elle a décidé de relever substantiellement les impôts des entreprises multinationale qui ont trop tendance - comme chez nous - à jouer contre l'emploi. Naturellement, ces décisions font hurler. Les gestionnaires de fonds privés en premier lieu, qui voient leur gagne-pain s'envoler. Les dirigeants des grandes entreprises étrangères qui font donner leur gouvernement d'appartenance, américain et allemand en premier lieu, comme il se doit. La Commission de Bruxelles qui s'insurge contre ces graves manquements à la propriété privée et à la libre circulation des capitaux. Et enfin les marchés, très inquiets de voir les idées hongroises faire tache d'huile en Europe.

On décrypte maintenant un peu mieux la réaction du Monde. Et on comprend mieux aussi pourquoi  tant de "voix autorisées" s'élèvent brusquement de Paris à Berlin et de Luxembourg à Bruxelles contre le "gouvernement liberticide" hongrois. Les reproches qu'on lui adresse concernent bien d'autres "libertés" que celles de la presse et des médias. En fait de liberté, il s'agit d'abord de celle du renard libre dans le poulailler libre. De la liberté des prédateurs contre un Etat qui cherche à sauvegarder sa souveraineté. Que MM. Juncker, Trichet ou Barroso s'indignent, au nom du droit des renards et des prédateurs, il n'y a là rien d'anormal. Que M. Sarkozy ou Mme Merkel leur emboîtent le pas n'étonnera personne. Mais que le Monde se fasse leur porte-voix est plus stupéfiant. A moins d'y voir un des premiers effets de de la prise de contrôle du journal par le trio Berger-Pigasse-Niel et leur cohorte d'amis entrepreneurs et philantropes. Qui parlait déjà de presse libre et indépendante ?

Paul Gilbert.

 


[1]. "La Hongrie se moque des valeurs de l'Europe". Le Monde du 5 janvier 2011. 


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Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01
 
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