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29 septembre 2010 3 29 /09 /septembre /2010 00:26
Alerte !
 

Ceux qui ont cru que la Grèce et l’ensemble de la zone euro avaient été sauvés par les décisions du printemps dernier vont être déçus. Alors qu’il affirmait en juillet quel la Grèce avait fait de s « progrès considérables » et préconisait une réduction drastique des dépenses de santé, le Fonds Monétaire international envisage deux mois plus tard d’apporter une aide supplémentaire à la Grèce afin d’éviter qu’elle fasse défaut sur sa dette.

L’information publiée parle Wall Street journal n’a guère été commentée et les organes européens sont en la matière d’une discrétion de violette alors que nous sommes à la veille d’une nouvelle crise: la Grèce, mais aussi et le Portugal et l’Irlande, confrontée au désastre de l ’Anglo Irish Bank, doivent s’endetter à des taux de plus en plus insupportables pour couvrir leurs échéances immédiates.

L’alerte est donnée mais une fois de plus les organes européens réagiront faiblement et trop tard, ce qui finira par détruire la zone monétaire qu’ils voudraient conserver.


  Billet publié dans Royaliste n° 975 du 27 septembre 2010


 

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28 septembre 2010 2 28 /09 /septembre /2010 18:42
Villa d'Este
 
Un récit de Gabriel Faure
Gabriel Faure.jpg
Gabriel Faure (1877-1962), le délicat poète du Rhône, fut aussi un grand amoureux de Rome et de l'Italie. Il l'aima sous les parures diverses des saisons, toute fraîche et candide au printemps, plus sombre et plus voluptueuse à l'automne. Il rapporta de chacun de ses périples des livres curieux et pleins d'enthousiasme. On trouve encore dans nos bibliothèques ses Heures d'Italie (1910), ses visites aux lacs italiens (1922), ses Promenades latines (1946), son Paul Valéry méditerranéen (1954), ainsi que les  charmants guides de voyage qu'il donna à partir des années 1920 chez Arthaud (Aux bords du Rhône, Venise, Sicile, Riviera...). Le texte qui suit, extrait de l'Agenda du P.L.M. pour 1924, décrit l'allégresse du voyageur aux prises avec une pure merveille, la Villa d'Este, où verdures, marbres et eaux se composent.
jean-jacques bernard.
 
Dans les jardins de la villa d'Este
 
au début d'un article sur les Lacs italiens, publié dans un précédent Agenda, je disais quelle exaltation me donnaient ces deux mots. Il me suffit, écrivais-je, de les entendre prononcer, dans la vie fiévreuse de Paris, pour que mon cœur se mette à battre et pour ressentir l'envie irrésistible de partir... Il en est d'autres peut-être plus évocateurs encore; ce sont ceux de "villa d'Este" et de "Tivoli", dont les syllabes chantantes portent en elles comme une magie particulière et un sortilège.
La villa d'Este, à Tivoli, est la perle des villas romaines; elle n’a point usurpé sa gloire; elle fait à juste titre partie du programme obligatoire pour tout voyageur qui passe quinze jours dans la Ville éternelle.
Ce n'est pas que la première arrivée à Tivoli ne réserve quelque déception. Après une montée parmi des oliviers aux aspects fantastiques, qui sont parmi les plus beaux que je connaisse, on pénètre dans une petite ville sans grand caractère, sauf du côté des célèbres et pittoresques cascades. L'entrée du palais est assez difficile à trouver dans le dédale des rues étroites. Pour le voyageur non initié, tout ému de penser qu'il va voir l'une des merveilles de l'Italie, les désillusions se succèdent. Un pauvre vestibule donne dans une pauvre cour entourée d'une maigre colonnade; puis, ce sont de tristes couloirs, des salles abandonnées. L'Allée de la Villa où l'on a de la peine à imaginer les splendeurs d'autrefois. Des peintures délabrées accroissent encore l'impression de tristesse. Enfin, une porte ouvre sur une terrasse d'où l'on domine les jardins...
Et c'est l’éblouissement !
Un cri d'admiration vous échappe, cri répété dix, vingt, cent fois par jour — autant qu'il y a de visiteurs. C'est à se demander si tout n'a pas été conçu en vue de cet effet...
Comment décrire ce fouillis magnifiquement ordonné, qui donne à la fois l'idée de la plus libre fantaisie et de l'effort le plus discipliné ? Jamais n'a été poussé plus loin ce que Barrés appelle si joliment « l'art de disposer les réalités de manière qu'elles enchantent l'âme ». Jamais les trois éléments essentiels dont se composent les jardins italiens — verdures, marbres et eaux — ne se combinèrent plus harmonieusement. Pas un coin où les marbres ne fassent chanter les verdures; pas un coin où quelque bassin ne reflète leurs différentes teintes de blanc et de vert. Emouvante symphonie, sorte de cantate à trois voix, où les thèmes s'enchevêtrent avec un art souverain. Le bruit des eaux accompagne délicieusement la rêverie qui est mobile comme elles. Le chant des fontaines se mêle à la rumeur des branches balancées et des feuilles tremblantes. Mais il serait vain de vouloir dire avec des mots ce qui est par essence intraduisible et exprimer des harmonies si fluides qu'elles se décomposent au moment même où elles se forment. Même la musique est impuissante. Liszt s'y essaya, mais ne put se montrer égal au modèle. Dans un carnet de Sainte-Beuve, que j'ai récemment publié, figure la mention de sa visite à la villa d'Este avec Liszt. L'écrivain aussi eut le désir de célébrer ces jardins et de composer ce qu'il appelle « son paysage du Poussin ». Hélas ! la lyre du poète ne valait pas le pinceau du peintre, ni même l'instrument du musicien; et la pièce, qu'on peut lire dans le recueil de ses vers, est bien médiocre. Mais l'intelligent critique avait tout de suite observé qu’il avait sous les yeux un tableau de Poussin, dont les œuvres ne sont pas, comme on l'a cru, de simples constructions de l’esprit et des arrangements de convention. Ce qui est très intéressant à noter, c'est que ce sont des Français qui ont aperçu, les premiers, le parti décoratif qu'on pouvait tirer de la campagne romaine, de ses ruines, de ses villas et de ses jardins. « Chose curieuse, comme le dit si justement Chateaubriand, ce sont des yeux français qui ont le mieux vu la lumière d'Italie ».
Autant que Poussin, et peut-être plus fidèlement encore, Claude Gelée, à peine arrivé de sa Lorraine, fixait dans d'innombrables dessins et sépias la noble majesté des jardins et des horizons de Tivoli. Après eux, de Fragonard et d'Hubert Robert à Corot et à Vignal, on ne compte plus les artistes qui vinrent planter leur chevalet sous les cyprès de l'incomparable villa.
Ah ! délices des heures vécues au milieu de ces jardins d'Este, dans leurs parfums de fleurs, de verdures et d'eaux ! On songe à ces bosquets d'Armide, où, sous la persuasion odorante des roses, un héros sentit sa haine faire place à l'amour. Les allées sombres, que trouent à peine les rais du soleil, s'achèvent en terrasses lumineuses, d'où l'on découvre des collines fauves, aux lignes aussi élégantes que les monts toscans. Des marbres mutilés se dressent entre les buis. Une pluie fine tombe des cascades où la lumière se joue comme en d'irréelles écharpes de gaze. Des vasques aux reflets multicolores s'arrondissent aux courbes des rampes et des balustrades. Les nappes vertes, bleues, ou presque noires de vastes bassins mettent leur note apaisée et font comme une basse soutenue aux chants des fontaines. Et de partout s'élancent, rivalisant de hardiesse, les jets alternés des cyprès et des eaux.
Cette villa d'Este est la plus parfaite image de ce que pouvait être le décor de la vie princière à la campagne, aux années bénies de la Renaissance. Nulle demeure n'était mieux faite pour ce grand seigneur que fut le cardinal de Ferrare, Hippolyte II, fils de Lucrèce Borgia, à moitié français, archevêque d'Auch, ami et protecteur de Clément Marot. La brillante cour des cardinaux d'Este fut le rendez-vous de tous les lettrés et de tous les artistes du temps. Fêtes, concerts, banquets se succédaient sans interruption dans cette villa de Tivoli, où, malgré le décor un peu triste des montagnes nues et les horizons sévères du Latium, se continuait le faste princier des palais de Ferrare. On s'y occupait d'archéologie; on fouillait les ruines de la villa d'Hadrien; on transportait dans la villa nouvelle les plus riches mosaïques et les plus beaux objets d'art. Et, sous les ifs funèbres, le Tasse, achevant sa Jérusalem, promenait ses mélancolies passionnées.
 
*
*   *
 
Du jour où l'Italie entra en guerre à nos côtés, la municipalité de Tivoli prit possession du domaine de l'archiduc François-Ferdinand; et c'est elle maintenant qui perçoit les droits d'entrée. L'aigle des Este partout sculpté, rongé par lé temps et l'humidité, semble le symbole de la lamentable fin de la monarchie austro-hongroise.
Je ne sais ce qu'il adviendra de la villa. Mais n'est-ce pas l’occasion de rappeler le vœu d'Henri de Régnier qui voudrait la réserver aux poètes et aux hommes de lettres? « Je les eusse souhaités, écrivait-il, accoudés au balustre de pierre, respirant l'amère odeur qui, d'en bas, monte des buis sombres et des cyprès verts, et écoutant longuement et délicieusement le murmure des cascades, des jets d’eau et des fontaines dont le passant de ces beaux lieux emporte à jamais dans sa mémoire le bruit humide, harmonieux et frais. »
Où donc, en effet, mieux que sur ces terrasses, un jeune écrivain pourrait-il rêver, méditer, composer ? Presque tous ses aînés y vinrent s'exalter, surtout depuis que Chateaubriand révéla la grandeur et la poésie de la campagne romaine. Je ne vois guère que George Sand qui n'ait point goûté l'incomparable séduction de ces paysages. « Laide, s'écrie-t-elle, trois fois laide et stupide la steppe de Rome ! O mes belles landes plantureuses de la Marche et du Bourbonnais ! » Par delà les larges ondulations de la plaine, pareilles à une mer figée qui meurt au bord de la mer vivante, ne voyait-elle donc pas à l'horizon la silhouette de la ville qui dresse à la fois sur le ciel les hauts murs du Colisée et le dôme de Saint-Pierre ? Il n'est pas de plus magnifique spectacle au monde que ces environs de Rome, où est gravée, en lettres éternelles, la plus noble partie de l'histoire humaine. Ah ! comme je comprends mieux Stendhal écrivant : « Rien sur la terre ne peut être comparé à cela ! »
gabriel faure.
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27 septembre 2010 1 27 /09 /septembre /2010 21:30
La méthode des études           
de notre temps          
 
de Giambattista Vico
Mis en ligne : [27-09-2010]
Domaine :  Idées  
Vico.gif

 

Le grand philosophe napolitain Giambattista Vico (1668-1744) est un des précurseurs de la philosophie de l'Histoire. Farouchement opposé aux thèses de Descartes, il cherche à élaborer une approche plus humaniste de l'homme et des savoirs et fonde sa théorie de l'histoire sur l'idée de cycles historiques. Principales oeuvres : De l'antique sagesse de l'Italie (Garnier Flammarion, 1993), La Science Nouvelle (Fayard, 2001). 

  


Giambattista Vico, La méthode des études de notre temps. Traduit du latin par Alain Pons.  Paris, Les Belles Lettres, mars 2010, 172 pages.


Présentation de l'éditeur.
Écrite en latin et publiée en 1709, La Méthode des études de notre temps n'avait jamais été présentée ni traduite en français. Dans ce discours, prononcé devant les étudiants de l'université de Naples où il enseignait la rhétorique. Vico oppose l'enseignement « humaniste », tel qu’il avait formé les hommes de l’Antiquité, puis ceux de la Renaissance, à l’enseignement moderne, qui s’impose à l’Europe entière depuis l’avènement des sciences de la nature et le triomphe du cartésianisme. En effet, Descartes (1596-1650) et ses disciples disqualifient toute méthode de connaissance qui ne repose pas sur la raison déductive, refusant tout rôle à l’imagination et à sa puissance inventive et créatrice, méprisant les disciplines « rhétoriques », l’étude du langage, de l’histoire, et ne préparant pas les jeunes à entrer dans la vie sociale et politique. Ce livre n’a pas seulement un intérêt historique. Depuis quelques années, à travers des traductions italiennes, anglaises, allemandes, son « actualité » a été soulignée par tous ceux qui s’inquiètent des directions prises par la culture moderne, et qui craignent que nos sociétés ne sombrent dans ce que Vico appelle, la Science nouvelle, la « barbarie de la réflexion ». Cette traduction, annotée et précédée d’une introduction, est l’œuvre d’Alain Pons, philosophe et italianiste. Président du « Centre Giambattista Vico », il a traduit récemment La Science nouvelle (Fayard, 2001). Le texte latin a été publié par Andrea Battistini dans son édition des Opere de Giambattista Vico, 2 vol., Milan, Arnaldo Mondadori, coll. I Meridiani, 1990. Andrea Battistini a bien voulu, pour cette publication aux Belles Lettres, rédiger une « note philologique » dans laquelle il évoque les différents problèmes posés par l’établissement du texte latin du De nostri temporis studiorum ratione.

Recension de Jean Montenot.
Lire - mai 2010
.
Raison et intuition. Au seuil du siècle des Lumières, Giambattista Vico est l'auteur d'une oeuvre originale relevant de la philosophie de l'histoire aussi bien que de celle de l'esprit. Dans le fil de l'humanisme renaissant, il montre comment l'homme crée poétiquement et par étapes un monde humain. Avec l'édition bilingue du De nostri temporis studiorum ratione (1709) est proposée en français la première oeuvre importante de l'auteur de la Scienza nuova (1725). Il s'agit d'un des discours de rentrée prononcés en 1708 par Vico en sa qualité de professeur de rhétorique à l'université de Naples. Y sont comparés les avantages et les inconvénients respectifs de la "méthode des études" moderne, autrement dit pour l'époque celle qui puise son inspiration dans l'oeuvre cartésienne et dont Vico reconnaît les mérites pour l'étude des sciences de la nature, et de la méthode ancienne plus à même de saisir les finesses et la complexité des affaires humaines. La méthode moderne privilégie la raison géométrique. Art de juger conformément aux règles de la logique, elle est fort appropriée à la connaissance dans les domaines où la raison démonstrative règne, mais elle demeure stérile quand il s'agit de comprendre ce qui relève des affaires humaines. Le Napolitain se livre ainsi à une réhabilitation des études rhétoriques, et notamment de l'art d'argumenter à la façon de la tradition de la "topique" aristotélico-cicéronienne. Il s'agit d'apprendre à s'appuyer sur le sens commun et à trouver les bons moyens termes pour juger droitement des réalités complexes. A travers la méthode des Anciens, Vico fait l'apologie de l'ingenium -l'esprit de finesse, aurait dit Pascal -, nourri de ce qu'il y a de meilleur dans l'imagination humaine, qu'un exercice purement intellectuel de l'intelligence dessèche. Vico en appelle donc à cette faculté intuitive qui, chez les enfants et chez les peuples jeunes, se caractérise par la confiance dans la puissance inventive et poétique de la métaphore. Cette dernière permet de voir des rapports entre des choses que l'on pensait d'abord séparées et auxquels la raison abstraite des cartésiens demeure obstinément aveugle. Au détriment de la science de l'homme (en témoigne l'indigence de la pensée politique d'un Descartes), et in fine de la science de la nature.

 

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25 septembre 2010 6 25 /09 /septembre /2010 00:34
La police politique
 
Barbouzes, policiers et toutes vos équipes,
Régimistes payés, nous fouaillerons vos tripes...
(Air connu de notre belle jeunesse)
 

  Nous étions quelques uns, avant l'été, à annoncer la fin du sarkozysme. Ce qui n'était alors qu'une intuition, qu'un pressentiment, tend à devenir une réalité. On le sent bien, le pouvoir est aux abois. Sa politique économique a échoué et le pays s'enfonce chaque jour davantage dans le chômage et une sorte de dépression molle mais inéluctable. L'épouvantable affaire Woerth-Bettencourt a mis à jour tous les vices du régime - corruption, affairisme, attirance malsaine pour l'argent, mensonge, arrogance -  et le poison du doute et de la défiance s'est largement diffusé dans l'opinion. Le chef de l'Etat récolte chaque jour son lot de mauvaises nouvelles et tout ce qu'il entreprend pour sortir de la nasse l'y plonge encore plus profondément. M. Sarkozy ressemble de plus en plus à un boxeur en fin de match, qui titube sous les coups, qui sent inconsciemment que la partie est perdue, mais qui continue à s'accrocher aux cordes du ring. Pour combien de temps ?
C'est généralement à cet instant que l'appareil d'Etat dysfonctionne. Notre histoire est pleine de ces moments où le sort des dirigeants bascule, où les pouvoirs finissants tentent le tout pour le tout. On l'a vu récemment lors des fins de règne de MM. Giscard d'Estaing, Mitterrand ou Chirac : il faut gagner du temps, créer des diversions, garder la main sur les derniers alliés, démasquer les transfuges. Alors on surveille, on fiche, on contrôle, on intrigue. Il faut agir et agir vite contre la mauvaise herbe qui gagne, et peu importe les motivations et les moyens employés. C'est l'heure où le ministère de l'Intérieur, le ministère des coups tordus, prend les manettes, l'heure où les mauvais conseilleurs sortent de l'ombre, où l'on réactive les cabinets noirs. L'heure où la police politique prend le pas sur la police. Nous y sommes, ou à peu près.
Que l'on ne s'y méprenne pas. Il n'y a pas à proprement parler de tournant sécuritaire du régime, comme le dénonce une certaine gauche à longueur de colonnes du Monde ou de Libération. Les choses sont en réalité infiniment plus simples. L'exécutif compte en son sein une composante à la fois policière et politique qui y joue un rôle très actif. Ce groupe s'est constitué bien avant 2007, lorsque M. Sarkozy était ministre de l'Intérieur. Il associe de façon très étroite des préfets, des membres de la haute hiérarchie policière qui ont fidèlement servi le chef de l'Etat lorsqu'il était place Beauvau et des sarkozystes historiques, comme MM. Hortefeux, Estrosi, Devedjian et quelques autres. Il repose aujourd'hui sur deux têtes: le préfet Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, véritable éminence grise du président de la République, et l'actuel ministre de l'Intérieur, lui-même préfet, qui dirige d'une main de fer la haute administration de la police. L'un et l'autre s'appuient  sur une chaîne de commandement parfaitement rodée: des membres du corps préfectoral présents dans chacun des ministères-clés et le réseau territorial des préfets de région et de département, entièrement épuré et mis au pas depuis 2007, qui quadrille le pays.
Cet Etat dans l'Etat n'est pas nouveau. Il a toujours plus ou moins existé sous la République. L'actuel chef de l'Etat l'a institué et en a codifié l'organisation dès le début de son quinquennat, tout en veillant à ce qu'il cohabite avec d'autres secteurs d'influence au sein du  gouvernement : Matignon et l'équipe rapprochée du Premier ministre, les financiers de Bercy, le Quai d'Orsay de Bernard Kouchner, la haute hiérarchie militaire, le ministère des affaires sociales d'Eric Woerth...  Ce qui est réellement nouveau, c'est le poids qu'il a pris au sein de l'exécutif depuis environ six mois. Très affecté par ses échecs, M. Sarkozy ne fait visiblement plus confiance qu'à cette garde rapprochée d'amis fidèles et d'exécutants sans état d'âme. C'est à eux qu'il a clairement confié la direction des opérations. L'Etat est désormais entre les mains d'une équipe dont le seul programme est de sauver les meubles et de préparer 2012. Si l'apparence du pouvoir reste à l'Elysée, sa réalité s'appelle aujourd'hui  Claude Guéant et Brice Hortefeux et on peut compter sur ces deux-là pour ne faire aucun cadeau à leurs adversaires.
Jusqu'à quelles extrémités ? La question a été récemment posée à l'occasion de l'affaire des fuites qui oppose le journal Le Monde à l'Elysée. Il est vrai que les moyens mis en oeuvre pour identifier la taupe de l'enquête Bettencourt relèvent des meilleures traditions barbouzardes et que le directeur général de la police nationale, M. Péchenard, et son collègue des renseignements généraux, M. Squarcini, n'y ont pas été par quatre chemins. Leur proximité avec le chef de l'Etat est bien connue et leur comportement parfaitement caractéristique des méthodes de la "nébuleuse" Guéant-Hortefeux. On a parlé de police politique et on a eu raison. Faut-il pour autant élever ce dossier au rang d'affaire d'Etat, comme voudrait le faire Le Monde ? Si les moyens utilisés pour démasquer la source sont répréhensibles, n'est-il pas tout aussi choquant de publier des comptes-rendus d'audience couverts par le secret de l'instruction? Attention à ce qu'un sujet aussi médiatique ne vienne pas occulter d'autres dérives, beaucoup plus graves. 
Et d'abord ce qui s'est passé en juillet dans les banlieues. Le discours de Grenoble n'est pas le résultat d'un coup de chaleur de l'été. Il a été conçu par les équipes de Beauvau et de l'Elysée dans une optique parfaitement claire : retrouver les suffrages des milieux populaires, satisfaire l'ensemble de l'électorat de droite. Au prix, si nécessaire, d'un nouvel incendie des banlieues, d'une stigmatisation des étrangers et, fait nouveau, des Français d'origine étrangère. Manque de chance, la ficelle était un peu grosse et la stratégie a fait long feu. Contrairement à ce qu'espérait le pouvoir, les Français ont réagi une fois de plus avec le sang froid et le bon sens qu'on leur connaît. Comme en témoignent les enquêtes d'opinion, les discours d'exclusion ne font plus recette et les causes de l'insécurité urbaine - démantèlement des polices de proximité, réduction massive des effectifs de police -  sont parfaitement pointés du doigt. Pour autant, on peut être sûr que le pouvoir reviendra sur ce terrain, car la tentation est trop forte. On raconte que, pendant cette période, le chef de l'Etat s'est fait communiquer chaque jour la courbe des adhésions à l'UMP, se félicitant qu'elles "rentrent bien". Pour rallier quelques bataillons d'adhérents ou d'électeurs de plus, l'exécutif actuel est prêt à aller loin, très loin. 
L'affaire des Roms en a fourni une autre illustration. Là encore  l'appareil préfectoral et policier s'est mobilisé comme un seul homme. Avec quelques maladresses, comme cette circulaire rédigée en toute hâte, qui donne priorité au démantèlement des camps Roms, et qui nous vaut d'être mis au ban de l'Europe. Mais avec une volonté claire de faire du chiffre, puisque on annonçe l'expulsion de plus d'un millier de Roumains et de Bulgares entre fin juillet et fin août. Le clou de cette affaire fut sans aucun doute l'épisode européen de la semaine dernière. Il est parfaitement clair que les déclarations de Viviane Reding, la commissaire européenne à la justice, ont été pris par l'Elysée comme du pain béni. L'occasion était trop belle de rassembler dans une même protestation anti-bruxelloise les partisans d'une ligne dure en matière d'immigration et ceux qui refusent, quel que soit le sujet, que la Commission viennent nous faire la leçon. La grosse colère de M. Sarkozy au sommet européen, parfaitement médiatisée, a fait le reste. C'est sans état d'âme que la Police politique considère qu'elle a marqué des points avec le dossier des Roms. Même s'il fragilise la France au plan international et nous déconsidère aux yeux de nombreux pays, alliés ou amis. 
Nos préfets et policiers n'ont d'ailleurs aucun état d'âme à régenter d'autres domaines que les leurs. A commencer par la défense et la politique étrangère, qu'ils considèrent comme des extensions naturelles de leur champ d'action. Et pourtant géostratégie et chaussettes à clous n'ont jamais fait très bon ménage. On l'a vu il y a un peu plus d'un an, lorsque le préfet Guéant a imposé à l'armée une réforme indigeste et destructive au nom de la fameuse Revue générale des politiques publiques (RGPP), sur laquelle il a la haute main. On l'a vu également dans les arbitrages qui ont conduit à regrouper autour du ministère de l'Intérieur tous les pouvoirs en matière de sécurité intérieur, y compris la Gendarmerie, au détriment des intérêts de la défense nationale. Il en est hélas de même pour la diplomatie: M. Guéant, nouveau Foccard, règne sur une politique africaine de la France qui se résume à peu de choses près aux questions de sécurité. Il est aussi, avec M. Hortefeux, l'homme des missions et des intermédiations difficiles, comme on l'a vu au Proche Orient ou dans l'affaire d'Afghanistan. Le corps diplomatique et, plus mezzo voce, M. Kouchner, ont beau dénoncer le manque de professionnalisme de cette "diplomatie policière", ces critiques ne rencontrent plus aucun écho au sommet de l'Etat.
Plus on s'approchera des prochaines échéances politiques, plus la dérive policière du pouvoir va s'aggraver. L'affaire du Monde a permis de lever un coin du voile sur cette dérive et de mettre l'opinion en alerte. Mais la vérité exige d'aller plus loin. Il est indispensable de mettre sous les yeux des Français l'étendue d'un phénomène qui conduit à dénaturer l'Etat, à l'asservir tout entier à la volonté d'un parti et d'un clan. Et si, comme nous l'espérons tous, le sarkozysme vient à disparaître - en 2012 voire avant - de nos écrans de contrôle, il faudra d'une façon ou d'une autre tirer les enseignements de cette période. Nous avons déjà eu l'occasion d'insister sur le fait que nos institutions républicaines ne garantissent plus aujourd'hui l'indépendance de l'Etat. Il sera tout aussi indispensable de réfléchir à une réforme en profondeur de la haute administration, dont on perçoit tous les travers. C'est tout particulièrement vrai du corps préfectoral dont les fonctions de quadrillage politique du pays relève d'un autre temps. A l'heure de la décentralisation, cette institution ne répond plus à aucune nécessité et l'on a aujourd'hui sous les yeux le mal qu'elle peut produire entre les mains d'un pouvoir partisan et égaré. La France moderne et libre n'a plus besoin de préfets.
 
Hubert de Marans.

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21 septembre 2010 2 21 /09 /septembre /2010 08:47

La France qui se bat

 

Mercredi 9 juin 
- Le tribunal de commerce devrait désigner le 30 juin un repreneur pour le groupe Heuliez.  Les deux principaux candidats à la reprise, le groupe franco-allemand BGI-ConEnergy et le fonds malaisien Delamore & Owl, proposent de garder le même nombre de salariés (400 sur 650 aujourd'hui) mais avec des projets industriels différents.
Jeudi 1er juillet 2010
- La cour d'appel de Douai impose au groupe Total de redémarrer sa raffinerie de Dunkerque, sous peine d'astreinte de 100.000 euros par jour. Un jugement qui sanctionne des défauts d'information des représentants du personnel et que les avocats des syndicats considèrent comme une première nationale. La Raffinerie des Flandres emploie 367 salariés et fait travailler plus de 400 emplois de sous-traitance.   
Lundi 5 juillet
- La médiation entamée il y a deux mois au sein de l'usine Goodyear d'Amiens porte ses fruits. La CGT obtient le maintien pendant 5 ans au minimum de l'activité agraire du site, qui emploie 573 salariés et la mise en place d'un nouveau plan de sauvegarde de l'emploi, qui intégrera des départs volontaires. 
Jeudi 8 juillet
- L'entreprise ferroviaire Arbel Fauvet Rail, implantée à Douai, sera reprise par l'industriel Pascal Varin associé au groupe indien Titagarth, fabricant de wagons de marchandises. Ce projet pourrait permettre la sauvegarde immédiate de 80 des 225 emplois d'AFR, puis la réembauche progressive de 120 salariés.
Vendredi 9 juillet
- Le fabricant de passementerie Van Lathem, basé à Templeuve (Nord), est placé en liquidation judiciaire. L'entreprise va fermer ses portes dès aujourd'hui, entraînant le licenciement de 36 salariés.
Lundi 12 juillet
- Selon des sources gouvernementales, les coupes budgétaires dans les aides sociales, allocations logement et emplois aidés pourraient atteindre plus de 4 milliards d'euros. Les populations défavorisés et, pour partie, les classes moyennes vont être plus particulièrement touchées par ses mesures d'austérité. 
Mercredi 21 juillet
- A Strasbourg, les salariés de General Motors acceptent, par référendum interne, une diminution de 10% de leurs salaires en échange de garanties sur le maintien de l'activité jusqu'en 2014. La CGT dénonce un chantage à l'emploi et refuse d'approuver l'accord.
Mercredi 28 juillet
- Le syndicat CGT de General Motors Strasbourg précise que neuf de ses militants ont porté plainte pour "coups et blessures", à la suite d'altercations avec des salariés favorables aux propositions de la direction. Le climat est très tendu dans l'usine alsacienne.
Vendredi 30 juillet
- Le groupe alimentaire américain MW Brands, propriétaire de la conserverie Petit Navire de Douarnenez (Finistère) annonce son rachat par le thaïlandais Union Frozen Products. Petit Navire, qui confectionne des salades et des produits à base de thon, emploi 300 personnes.
Vendredi 6 août
- La FNSEA, sa branche laitière, ainsi que les Jeunes Agriculteurs, ont lancé un ultimatum aux industriels pour qu'ils rouvrent d'ici le 12 août les négociations sur les prix du lait. Une nouvelle grève du lait est possible, sur le modèle du conflit de septembre 2009.
Jeudi 12 août
- Climat très tendu entre la profession agricole et les industriels sur le prix du lait. Les négociations sur les prix n'ont pas abouti et la FNSEA fait planer la menace d'actions de protestation massive, notamment dans l'Ouest.
Vendredi 20 août
 - Le fabricant de sacs industriels Mondi Lembacel a annoncé son intention de fermer en avril 2011 deux de ses quatre sites français, ceux d'Aouste et de L'Homme d'Armes (Drôme). Cette fermeture devrait entraîner le départ de quelque 125 emplois.
Mardi 24 août
- Le groupe américain Ingersoll Rand a décidé de fermer son usine de Sin le  Nobre, près de Douai. L'unité, qui emploi 71 salariés, avait déjà fait l'objet d'un plan de suppression de 21 postes en 2009.
Mercredi 25 août
- Après une année 2009 particulièrement difficile, le nombre de plans sociaux a baissé au premier semestre 2010 avec 668 dossiers, contre 934 au dernier semestre et 1311 au premier semestre de 2009. Mais la rentrée reste très tendue dans les PME.
Mercredi 25 août
- Le syndicat CGT de l'inspection du travail estime que le licenciement des représentants du personnel de l'équipementier Molex serait entaché d'une absence totale de déontologie.  Un conseiller du ministre du Travail, qui a autorisé le licenciement, travaillait parallèlement pour un des cabinets d'avocat conseil de Molex.
Henri Valois.

 

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20 septembre 2010 1 20 /09 /septembre /2010 10:30
Accélération                               
Une critique sociale du temps              
 
de Hartmut Rosa
Mis en ligne : [21-09-2010]
Domaine :  Idées  
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Né en 1965, Hartmut Rosa est un sociologue et philosophe allemand. Professeur à l’université Friedrich Schiller de Iéna, il fait partie d’une nouvelle génération d’intellectuels travaillant dans le sillage de la  "Théorie critique" (Habermas, Adorno, Horkheimer...).   

  


Hartmut Rosa, Accélération, une critique sociale du temps, Paris, La Découverte, avril 2010, 474 pages.


Présentation de l'éditeur.
L'expérience majeure de la modernité est celle de l'accélération. Nous le savons et l'éprouvons chaque jour : dans la société moderne, " tout devient toujours plus rapide ". Or le temps a longtemps été négligé dans les analyses de la modernité au profit des processus de rationalisation ou d'individualisation. C'est pourtant le temps et son accélération qui, aux yeux de Hartmut Rosa, permettent de comprendre la dynamique de la modernité. Pour ce faire, il livre dans cet ouvrage une théorie de l'accélération sociale susceptible de penser ensemble l'accélération technique (celle des transports, de la communication, etc.), l'accélération du changement social (des styles de vie, des structures familiales, des affiliations politiques et religieuses) et l'accélération du rythme de vie, qui se manifeste par une expérience de stress et de manque de temps. La modernité tardive, à partir des années 197o, connaît une formidable poussée d'accélération dans ces trois dimensions. Au point qu'elle en vient à menacer le projet même de la modernité : dissolution des attentes et des identités, sentiment d'impuissance, " détemporalisation " de l'histoire et de la vie, etc. L'auteur montre que la désynchronisation des évolutions socioéconomiques et la dissolution de l'action politique font peser une grave menace sur la possibilité même du progrès social. Marx et Engels affirmaient ainsi que le capitalisme contient intrinsèquement une tendance à " volatiser tout ce qui est solide et bien établi ". Dans ce livre magistral, Hartmut Rosa prend toute la mesure de cette analyse pour construire une véritable " critique sociale du temps " susceptible de penser ensemble les transformations du temps, les changements sociaux et le devenir de l'individu et de son rapport au monde.

Entretien d'Hartmut Rosa par Frédéric Joignot.
Le Monde magazine - 29 août 2010
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Au secours ! Tout va trop vite ! L'homme contemporain remonte désespérément une pente qui s'éboule. Nous fonçons pour rester à la même place, dans un présent qui fuit sans cesse. Car si nous arrêtons une seconde de courir – après le travail, nos courriels, nos rendez-vous, nos obligations, notre argent, après le temps qui file – nous tombons. Dans le chômage, la pauvreté, l'oubli, la désocialisation. Voilà le portrait du moderne, selon le sociologue allemand Hartmut Rosa. Le temps désormais s'accélère et nous dévore, comme hier Cronos ses enfants. L'accélération technique, au travail, sur les écrans, dans les transports, la consommation, a mené à l'accélération effrénée de notre rythme de vie. Puis a précipité le changement social. Rien n'y résiste. Les métiers changent en quelques années, les machines en quelques mois, aucun emploi n'est assuré, les traditions et les savoir-faire disparaissent, les couples ne durent pas, les familles se recomposent, l'ascenseur social descend, le court terme règne, les événements glissent. L'impression de ne plus avoir de temps, que tout va trop vite, que notre vie file, l'impression d'être impuissant à ralentir nous angoisse et nous stresse. Ainsi Hartmut Rosa, 45 ans, professeur à l'université Friedrich-Schiller d'Iéna, développe sa "critique sociale du temps" de la "modernité tardive" dans sa magistrale étude, Accélération (La Découverte). Après les études inquiètes de Paul Virilio sur la vitesse, Hartmut Rosa examine la dissolution de la démocratie, des valeurs, de la réflexion, de notre identité, emportées par la vague de l'accélération. Entretien de rentrée, alors que déjà, tous, congés derrière nous, on se magne.

C'est la rentrée, le moment où on ressent avec le plus d'acuité la façon dont nos vies s'accélèrent. Nous avons même souvent le sentiment que les vacances se sont passées à toute allure. Comment expliquer ce sentiment d'urgence permanent ?

Hartmut Rosa : Aujourd'hui, le temps a anéanti l'espace. Avec l'accélération des transports, la consommation, la communication, je veux dire "l'accélération technique", la planète semble se rétrécir tant sur le plan spatial que matériel. Des études ont montré que la Terre nous apparaît soixante fois plus petite qu'avant la révolution des transports. Le monde est à portée de main. Non seulement on peut voyager dans tous les coins, rapidement, à moindres frais et sans faire beaucoup d'efforts, mais on peut aussi, avec l'accélération des communications, la simultanéité qu'elle apporte, télécharger ou commander presque chaque musique, livre ou film de n'importe quel pays, en quelques clics, au moment même où il est produit. Cette rapidité et cette proximité nous semblent extraordinaires, mais au même moment chaque décision prise dans le sens de l'accélération implique la réduction des options permettant la jouissance du voyage et du pays traversé, ou de ce que nous consommons. Ainsi les autoroutes font que les automobilistes ne visitent plus le pays, celui-ci étant réduit à quelques symboles abstraits et à des restoroutes standardisés. Les voyageurs en avion survolent le paysage à haute altitude, voient à peine la grande ville où ils atterrissent et sont bien souvent transportés dans des camps de vacances, qui n'ont pas grand-chose à voir avec le pays véritable, où on leur proposera de multiples "visites guidées". En ce sens, l'accélération technique s'accompagne très concrètement d'un anéantissement de l'espace en même temps que d'une accélération du rythme de vie. Car, même en vacances, nous devons tout faire très vite, de la gymnastique, un régime, des loisirs, que nous lisions un livre, écoutions un disque, ou visitions un site. Voilà pourquoi on entend dire à la rentrée : "Cet été, j'ai fait la Thaïlande en quatre jours." Cette accélération des rythmes de vie génère beaucoup de stress et de frustration. Car nous sommes malgré tout confrontés à l'incapacité de trop accélérer la consommation elle-même. S'il est vrai qu'on peut visiter un pays en quatre jours, acheter une bibliothèque entière d'un clic de souris, ou télécharger des centaines de morceaux de musique en quelques minutes, il nous faudra toujours beaucoup de temps pour rencontrer les habitants, lire un roman ou savourer un air aimé. Mais nous ne l'avons pas. Il nous est toujours compté, il faut se dépêcher. C'est là un des stress majeurs liés à l'accélération du rythme de vie : le monde entier nous est offert en une seconde ou à quelques heures d'avion, et nous n'avons jamais le temps d'en jouir.

Selon vous, l'accélération de la vie se traduit par l'augmentation de plus en plus rapide du nombre d'actions à faire par unité de temps. C'est-à-dire ?

Ces jours-ci, les gens rentrent de congés et déjà tous, vous comme moi, se demandent comment ils vont réussir à venir à bout de leur liste de choses "à faire". La boîte mail est pleine, des factures nouvelles se présentent, les enfants réclament les dernières fournitures scolaires, il faudrait s'inscrire à ce cursus professionnel, ce cours de langue qui me donnerait un avantage professionnel, je dois m'occuper de mon plan de retraite, d'une assurance santé offrant des garanties optimales, je suis insatisfait de mon opérateur téléphonique, et cet été j'ai constaté que je négligeais mon corps, ne faisais pas assez d'exercice, risquais de perdre ma jeunesse d'allure, si concurrentielle. Nous éprouvons un réel sentiment de culpabilité à la fin de la journée, ressentant confusément que nous devrions trouver du temps pour réorganiser tout cela. Mais nous ne l'avons pas. Car les ressources temporelles se réduisent inexorablement. Nous éprouvons l'impression angoissante que si nous perdons ces heures maintenant, cela serait un handicap en cette rentrée sur les chapeaux de roue, alors que la concurrence entre les personnes, le cœur de la machine à accélération, s'aiguise. Et même si nous trouvions un peu de temps, nous nous sentirions coupables parce qu'alors nous ne trouverions plus un moment pour nous relaxer, passer un moment détendu avec notre conjoint et nos enfants ou encore aller au spectacle en famille, bref profiter un peu de cette vie. Au bout du compte, vous voyez bien, c'est l'augmentation du nombre d'actions par unité du temps, l'accélération du rythme de vie qui nous bouscule tous.

En même temps, chaque épisode de vie se réduit…

En effet, la plupart des épisodes de nos journées raccourcissent ou se densifient, au travail pour commencer, où les rythmes s'accélèrent, se "rationalisent". Mais aussi en dehors. On assiste à une réduction de la durée des repas, du déjeuner, des moments de pause, du temps passé en famille ou pour se rendre à un anniversaire, un enterrement, faire une promenade, jusqu'au sommeil. Alors, pour tout faire, nous devons densifier ces moments. On mange plus vite, on prie plus vite, on réduit les distances, accélère les déplacements, on s'essaie au multitasking, l'exécution simultanée de plusieurs activités. Hélas, comme nos ressources temporelles se réduisent, cet accroissement et cette densification du volume d'actions deviennent vite supérieurs à la vitesse d'exécution des tâches. Cela se traduit de façon subjective par une recrudescence du sentiment d'urgence, de culpabilité, de stress, l'angoisse des horaires, la nécessité d'accélérer encore, la peur de "ne plus pouvoir suivre". A cela s'ajoute le sentiment que nous ne voyons pas passer nos vies, qu'elles nous échappent.

Nous assistons, dites-vous, à une "compression du présent", qui devient de plus en plus fuyant. Pouvez-vous nous l'expliquer ?

Si nous définissons notre présent, c'est-à-dire le réel proche, comme une période présentant une certaine stabilité, un caractère assez durable pour que nous y menions des expériences permettant de construire l'aujourd'hui et l'avenir proche, un temps assez conséquent pour que nos apprentissages nous servent et soient transmis et que nous puissions en attendre des résultats à peu près fiables, alors on constate une formidable compression du présent. A l'âge de l'accélération, le présent tout entier devient instable, se raccourcit, nous assistons à l'usure et à l'obsolescence rapide des métiers, des technologies, des objets courants, des mariages, des familles, des programmes politiques, des personnes, de l'expérience, des savoir-faire, de la consommation. Dans la société pré-moderne, avant la grande industrie, le présent reliait au moins trois générations car le monde ne changeait guère entre celui du grand-père et celui du petit-fils, et le premier pouvait encore transmettre son savoir-vivre et ses valeurs au second. Dans la haute modernité, la première moitié du xxe siècle, il s'est contracté à une seule génération : le grand-père savait que le présent de ses petits-enfants serait différent du sien, il n'avait plus grand-chose à leur apprendre, les nouvelles générations devenaient les vecteurs de l'innovation, c'était leur tâche de créer un nouveau monde, comme en Mai 68 par exemple. Cependant, dans notre modernité tardive, de nos jours, le monde change plusieurs fois en une seule génération. Le père n'a plus grand-chose à apprendre à ses enfants sur la vie familiale, qui se recompose sans cesse, sur les métiers d'avenir, les nouvelles technologies, mais vous pouvez même entendre des jeunes de 18 ans parler d'"avant" pour évoquer leurs 10 ans, un jeune spécialiste en remontrer à un expert à peine plus âgé que lui sur le "up to date". Le présent raccourcit, s'enfuit, et notre sentiment de réalité, d'identité, s'amenuise dans un même mouvement.

 
 
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12 septembre 2010 7 12 /09 /septembre /2010 18:00
Le Rameau d'or
                               
                                 Pour le second millénaire de Virgile.
  
Pour avoir tant de fois enrichi l'âme humaine,
A jamais l'Italie est sacrée à nos yeux :
Nous sommes de sa race, ayant servi ses dieux
Et nourri nos esprits de la Muse romaine.
 
De l'écolier bercé par son vers triomphant
Virgile a mis les pas dans le chemin des sages
Et par l'enchantement du rythme et des images,
Elargi l'horizon de nos rêves d'enfant.
 
Il amenait chez nous le vieillard aux abeilles,
Il accordait sa flûte aux chants de nos bergers,
Tandis que sur la mer innombrable en dangers,
La route des héros se peuplait de merveilles.
 
Les antiques récits chargés d'un double don
Nous ouvraient la légende en nous enseignant [l'homme :
Vénus nous instruisait de la grandeur de Rome;
Nous apprenions l'amour aux larmes de Didon...
 
Muse ! garde nos fils, et conduis-les encor
De la maison d'Horace au tombeau de Virgile;
Fais que leur main fervente, au bois de la Sibylle,
Cueille dans les lauriers le dernier Rameau d'or!

 

 

virgile

Pierre de Nolhac (1859-1936). -  Stances romaines. (1933).

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11 septembre 2010 6 11 /09 /septembre /2010 10:35
Claudel et les romanciers de quinze ans
 
Nous avions eu M. Bergmann (quinze ans), Mlle Fornia (quatorze ans) et M. Sperling (dix-huit ans). On annonce aujourd’hui une Mlle Bramly (quinze ans). Ces jeunes gens ont en commun d’avoir écrit et publié des livres à l’âge où l’on peine à rédiger sa première dissertation. Accessoirement, tous les quatre ont des parents célèbres, issus du monde du spectacle : l’habitude de coopter sa descendance pour qu’elle fasse carrière dans les variétés, la télévision et le cinéma a donc gagné l’édition, devenue un des départements de l’entertainment.
Quand on sait à quel point la peur domine nos sociétés, on reste stupéfié par l’inconscience de tous ces parents que l’on voit pousser dans le monde leur rejeton. S’ils soupçonnaient ce qu’implique la tension terrible de la vocation artistique, ils ne pourraient pas la voir paraître sans terreur.
On reprend à l’envi le mot de Céline : « Mettre sa peau sur la table »; on oublie ce qui le suit, qui n’est pas moins significatif : « Il faut payer ». Trop d’écrivains se croient impunis ; ils n’ont pas conscience que leur condition les oblige.
Aucune vocation, avec l’orgueil qu’elle suppose et l’abnégation qu’elle impose, n’est gracieusement octroyée. Sur les plans matériel, social, moral, politique, familial, – il faut payer. Ce sont les défauts d’argent, de considération, de « surface sociale » ; on peut y perdre sa réputation, son honneur, sinon sa raison et sa vie. – Et ce coût, sans doute, a de quoi effrayer.
Il n’ait de créateurs qui ne paient ; même les faux, même les plus absurdes, doivent s’acquitter de cette dette. C’est ce prix payé, souvent à fond perdu, qu’il faudrait rappeler à tous ces parents (et notamment toutes ces otaries d’émissions de télé-crochets que l’on voit battre des mains quand leurs homoncules chantent les bluettes de Françoise Hardy) qui n’ont pour leurs enfants d’autre ambition que celle de devenir des artistes.
L'effroi devant la vocation artistique, nul ne l’a mieux décrit que Claudel, quand il avoue à Jean Amrouche qu’il éprouve « une véritable horreur », et qu’il est « comme frappé de terreur » quand il voit naître chez un enfant cet élan, cette foi. « Je crois, dit-il, que c’est une chose exceptionnelle, que, vraiment, on ne peut souhaiter à personne. »
La création artistique s’adresse à des fonds où sont remuées des forces sensibles, obscures et mal connues, où l’esprit naviguant à vue se désoriente et se déséquilibre ; et il faut être solidement bâti pour y résister, pour que les barrages intérieurs ne cèdent pas. Cette leçon de Claudel, les éditeurs et les parents des romanciers de quinze ans devraient la méditer.
Bruno Lafourcade.

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6 septembre 2010 1 06 /09 /septembre /2010 10:30
Le Corps de la France               
 
de Michel Bernard
Mis en ligne : [7-09-2010]
Domaine : Lettres 
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Né en 1960, Michel Bernard est romancier. Il a récemment publié :  Comme un enfant. (Le temps qu'il fait, 2003), La tranchée de Calonne. (La Table ronde, 2007), La maison du docteur Laheurte. (La Table ronde, 2009). 

  


Michel Bernard, Le Corps de la France, Paris, La Table ronde, mai 2010, 224 pages.


Présentation de l'éditeur.
Le Corps de la France parle de gens qui ont réellement existé. Ils ne se connaissaient pas, mais la plupart ont vécu à la même époque, pendant et entre les deux guerres mondiales, en France et hors de France, au Québec. Ce sont des écrivains : Léon Werth, Henri Calet, Maurice Genevoix, Antoine de Saint-Exupéry, Louis Hémon, des musiciens : Jehan Alain, Arthur Honegger, Charles Munch, un chanteur, Charles Trenet, un sculpteur, Paul Landowski, et Charles de Gaulle. Le livre commence au mois de juin 1940, à Paris que quittent dans une vieille Bugatti un écrivain et sa femme. Le flot de l’exode les entraîne vers la Loire où ils assistent aux derniers combats. Plus rien ne sera pareil pour LéonWerth. Pas plus que pour le mitrailleur Henri Calet capturé au même moment, à la tombée de la nuit, dans un village de l’Yonne. Ils voient, de ce jour, ce qui était près d’eux et en eux, et qu’ils n’avaient jamais vu. L’un dialogue avec l’Histoire, l’autre avec son chagrin. Les deux écrivains sont entrés dans un étrange pays : le leur. Ils y croisent d’autres artistes, des soldats et des marins, des illustres et des humbles, les siècles et l’avenir, la campagne sous le soleil, les quais de la Saône à Tournus, la neige, des coureurs du Tour de France, « La route enchantée ». Le Corps de la France est un chant d’amour.

Critique de Pierre Cornut-Gentille.
Service littéraire - juin 2010
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Hymne à la France. Voici un beau livre qui n'appartient à aucun genre : on le lit comme un roman, parfois comme un poème, mais c'est d'Histoire qu'il s'agit. Au départ, il y a "la honte collective" de juin 1940, la stupeur de Léon Werth enlisé sur les routes de l'exode et l'hébétude d'Henri Calet, capturé par des motocyclistes allemands le long du mur d'un cimetière de Bourgogne. Puis, de proche en proche, Michel Bernard, dans une langue superbe, évoque d'autres personnages, d'autres évènements et d'autres lieux : de Gaulle (poète "non pas de l'action, lieu commun dénué de sens" mais "parce qu'il désigne chaque chose par le mot juste"), Saint-Exupéry, le Jura et les bords de la Saône, la Libération, Maurice Genevoix, l'agonie de Montcalm, le Canada français et Maria Chapdelaine, Charles Trenet, Paul Claudel, le plateau du tardenois, un récit éblouissant du voyage de de Gaulle au Québec, les morts de la Grande Guerre et le Tour de France dans la vallée de l'Aude... Tout cela se mêle et s'enchaîne pour constituer un hymne à la France. Louis Nucéra, préfaçant le premier livre de Michel Bernard, avait salué "la langue d'un écrivain, sa sensibilité". Il aurait aimé "Le Corps de la France".
 
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31 août 2010 2 31 /08 /août /2010 15:54
Paul Drouot
(1886-1915)
 
Paul Drouot est né le 21 mai 1886 à Vouziers, dans une famille d'origine lorraine. Il est l'arrière-petit-neveu du Général Drouot, qui accompagna Napoléon à l'Ile d'Elbe, dont il fut gouverneur. Il publie de 1905 à 1910 "des vers juvéniles et pourtant graves, lourds d'un pressentiment noble et tragique" (Henri Clouard). Puis il se consacre jusqu'à la guerre à son oeuvre majeure, Eurydice deux fois perdue, qui restera inachevée. Il tient la rubrique littéraire de la revue des Marches de l'Est et publie de nombreux articles dans des quotidiens et des revues d'art. Mobilisé dès le début de la guerre, refusant un poste à l'arrière où sa santé fragile aurait du le reléguer, faisant preuve d'un courage à toute épreuve, il est tué par un obus le le 8 juin 1915 devant Notre-Dame-de-Lorette.    
 
La Chanson d'Eliacin (Psyché, 1906). — La Grappe de Raisin (La Phalange, 1908). - Sous le Vocable du Chêne (Dorbon aïné, 1910). — Derniers Vers (La Belle Edition, 1920) - Eurydice deux fois perdue, roman poétique (Société Littéraire de France, 1921).
 
 
Ma gaité
 

Tu es vivante, et jaune d'or, et imprévue
Comme une fleur qui pousse au sommet d'un beffroi.
Amie entrée par la fenêtre, ô inconnue
Dont la venue me remplit de trouble et d'effroi,
Toi qui me dit : "Voici l'emploi de ta nuitée:
Sais tu danser ? Nous danserons. Sortant du bal
Nous irons voir tomber - d'où ? du ciel - la rosée
Et naître devant nous le soleil matinal."

 
   
 
Paul Drouot. (1886-1915), La grappe de raisin (1908)
 
 
Ce calme...
 
Ce calme... cette paix... est-ce bien moi, Seigneur?
C'est comme à un vieil arbre une écharpe de roses.
Ce que vous ajoutez de joie et de langueur
A ce cœur occupé de passions moroses.

Je confonds, comme en un miroir double et fuyant,
Le glaive avec l'Amour, l'Orgueil avec les flèches ;
Nette et vide, ma main pend à mon bras pendant ;
L'ombre comme un vieux chien la caresse et la lèche.

Je renverse la bouche et je ferme les yeux ;
Pour un peu de bonheur je ne suis plus le même ;
Je suis gai ; je suis doux ; je suis silencieux ;
Je suis humble avec vous. Seigneur, comme quand j'aime.
 
   
 
Paul Drouot. (1886-1915), Sous le vocable du chêne (1910)
 
   
 

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Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01
 
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