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2 août 2010 1 02 /08 /août /2010 18:00
En vacances

La Revue critique des idées et des livres prend ses quartiers d'été à partir d'aujourd'hui. Nous reprendrons notre publication le 4 septembre prochain.
D'ici là, n'hésitez pas à  adresser à notre nouveau courriel redaction@larevuecritique.fr vos articles, vos idées, ainsi que vos critiques ou encouragements. Nous publierons tout ce qui mérite de l'être, dans l'esprit de liberté et d'ouverture qui caractérise notre revue.
La Revue critique a considérablement élargi son lectorat sur les 6 derniers mois. Le nombre de visiteurs uniques s'est accru de plus de 50% depuis le début de l'année 2010 et le nombre de pages lues de plus de 30%. C'est dire le chemin parcouru en un peu plus de deux ans, sans publicité, presque sans référencements, largement par le "bouche à oreille" et les réseaux d'amitié.
Notre objectif reste le même : publier une vraie revue en ligne et sous format papier d'ici un à deux ans. Il est parfaitement atteignable à deux conditions :
- une diffusion plus large encore auprès d'un public fidélisé, ce qui suppose la création d'outils de promotion sur le net ou sur les réseaux sociaux : Facebook (sur lequel nous avons déjà ouvert la page "François Renié) et Twitter. Nous y travaillons dès cet été.
- une équipe de rédaction plus étoffée. Nous avons besoin de davantage de notes de lecture, de critiques littéraires, d'articles de fond... Nous avons aussi besoin d'élargir le spectre des sujets traités, notamment dans les domaines des arts plastiques, de la musique et de la danse, du théâtre. Une revue de presse des revues francophones et étrangères serait également bienvenue. Alors, à vos plumes.
Bonnes vacances à tous.
La Revue critique.

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2 août 2010 1 02 /08 /août /2010 12:42
Notre Bernanos                      
BERNANOS Georges 4 
  
Nous signalons la création toute récente du site georgesbernanos.fr et de la nouvelle Association internationale des amis de Georges Bernanos qui vont permettre de poursuivre et d'amplifier le travail engagé par Jean-Loup Bernanos pour mieux faire connaître la vie et l'oeuvre de son père. Nous publions ci-dessous l'annonce diffusée par Yves Bernanos le 6 juillet 2010.

La création du site “georgesbernanos.fr” est pour ainsi dire "l’acte fondateur" de la nouvelle "Association internationale des amis de Georges Bernanos", depuis que Jean-Loup Bernanos, créateur et inlassable artisan de celle-ci, s’est embarqué pour un “éternel matin” le 4 mai 2003.
Il avait réuni autour de son action un grand nombre de bernanosiens, de tous horizons, auxquels l’association faisait parvenir chaque année les “Cahiers Georges Bernanos”. Les membres de “l’A.I.D.A de Georges Bernanos” y découvraient des témoignages et des articles, des textes inédits, des documents, des photos, des informations sur l’oeuvre et la vie de Bernanos et des renseignements sur les événements concernant celles-ci.
Le site “georges bernanos.fr” a pour vocation de poursuivre ce travail, de perpétuer et de nourrir cette passion en mettant d’abord à la disposition de tous une première approche, complète et vivante, de la création littéraire et du parcours de Georges Bernanos. Ceux qui sont familiers et connaisseurs de l’écrivain y trouveront aussi, bien sûr, de quoi nourrir leur intérêt et leurs recherches.
Mais un site, c’est avant tout un espace d’information, de documentation, d’échange, de communication, de dialogue ; une "maison ouverte, ou chacun vient cuire librement son pain"…
Mon œuvre, écrit Bernanos dans “Lettre aux anglais”, c’est moi-même, c’est ma maison ; je vous parle la pipe à la bouche, ma veste encore fraîche de la dernière averse, et mes bottes fumant devant l’âtre. Je vous écris dans la salle commune, sur la table où je souperai tout à l’heure, avec ma femme et mes enfants. Entre vous et moi, il n’y a pas même l’ordinaire truchement d’une bibliothèque, car je n’ai pas de livres. Entre vous et moi, il n’y a vraiment rien que ce cahier de deux sous. On ne confie pas de mensonges à un cahier de deux sous. Pour ce prix là, je ne peux vous donner que la vérité.
BIENVENUE A TOUS !
Yves Bernanos .
(Association internationale des amis de Georges Bernanos)
 
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31 juillet 2010 6 31 /07 /juillet /2010 15:55
Jean de la Ville de Mirmont
(1886-1914)
 
Jean de la Ville de Mirmont nait à Bordeaux le 2 décembre 1886, dans une famille de la bourgeoisie protestante. Il est le fils d'Henri de la Ville de Mirmont, professeur de lettres reconnu pour ses traductions de Cicéron et qui fut un moment conseiller municipal de la grande cité atlantique. Jean fait partie de cette génération d'étudiants idéaliste et dilettante du début du siècle dernier. Son romantisme et son goût de l'aventure le pousse vers la carrière maritime, tandis que ses origines bourgeoises le destinent à une existence plus traditionnelle. A 22 ans, il s'installe à Paris où il retrouve son ami d'enfance, François Mauriac, et occupe un emploi de rédacteur à la Préfecture de la Seine. A partir de 1910, Il publie de premiers vers, ainsi qu'une nouvelle "Les dimanches de Jean Dézert", où il raconte avec ironie et dégoût la vie morne et sans idéal du petit fonctionnaire. Convaincu de vivre la guerre comme une aventure, il se fait  incorporer dès le début des hostilités au 57e régiment d'infanterie, avec le grade de sergent, et demande à partir immédiatement au front. En quittant son bureau parisien, il laisse ces vers d'espoir :
 
Cette fois, mon coeur, c'est le grand voyage;
Nous ne savons pas quand nous reviendrons.
Serons-nous plus fiers, plus fous ou plus sages ?
Qu'importe, mon coeur, puisque nous partons !
Avant de partir, mets dans ton bagage
Les plus beaux désirs que nous offrirons.
Ne regrette rien, car d'autres visages
Et d'autres amours nous consoleront.
Cette fois, mon coeur, c'est le grand voyage.
 
Il tombe, le 28 novembre 1914 devant Verneuil, sur le Chemin des Dames.  
Jean de la Ville de Mirmont reprend dans son principal recueil, L'Horizon Chimérique, le long cri de désespoir et de mélancolie qui fut celui de toute une jeunesse de Vigny jusqu'à Rimbaud, en y ajoutant quelque chose de plus neuf, de plus récent : ce furieux battement des drapeaux de l'aventure et des voiles du départ, cet appel de l'exotisme qui est le signe de sa génération. Comme le signale Henri Clouard, " ses vers sont mâles, forts, immenses". 
 
L'Horizon chimérique (Société littéraire de France, 1920).
 
 
 
Vaisseaux...
 
Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte ;
Le dernier de vous tous est parti sur la mer.
Le couchant emporta tant de voiles ouvertes
Que ce port et mon cœur sont à jamais déserts.

La mer vous a rendus à votre destinée,
Au-delà du rivage où s’arrêtent nos pas.
Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées ;
Il vous faut des lointains que je ne connais pas.

Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.
Le souffle qui vous grise emplit mon cœur d’effroi,
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,
Car j’ai de grands départs inassouvis en moi.
 
   
 
Jean de la Ville de Mirmont. (1886-1914), L'Horizon chimérique (1920)
 
 
La Belle-Julie
 
Par un soir de brouillard, en un faubourg du nord,
Où j'allais, promenant mon cœur noyé de pluie,
J'ai vu, dans une auberge basse du vieux port,
Danser les matelots de la Belle-Julie.
 
Le timonier portait sur son épaule droite,
Exotique et siffleur, un grand perroquet vert.
Du maître d'équipage au cuisinier, qui boite,
Tous gardaient, dans leurs pas, le rythme de la mer.
 
Et déjà gris de stout, de rhum et de genièvre,
Les plus jeunes, longtemps sevrés de tels festins,
Ecrasaient en dansant des baisers sur les lèvres

De filles dont le cœur est tendre aux pilotins.
 
Aux accents du trombone et de l'accordéon,
Leurs talons, à grand bruit, soulevaient la poussière.
Mais le mousse, natif de Saint-Pol-de-Léon,
Ivre mort, récitait gravement ses prières.
 
 
   
 
Jean de la Ville de Mirmont. (1886-1914), L'Horizon chimérique (1920)
   
 

sonn1

 
 
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30 juillet 2010 5 30 /07 /juillet /2010 20:45
Rupture et éclaircissements
 
Il était dit que la coalition au pouvoir à Rome ne passerait pas l’été. L’autoritarisme de M. Berlusconi, ses conflits permanents tant avec son ex-dauphin, M. Fini, qu’avec son encombrant allié de la Ligue du Nord, M. Bossi, la succession de scandales qui éclaboussent le parti au pouvoir ont eu raison du pacte qui liait depuis deux ans les composantes de la droite italienne. Il ne manquait plus qu’un prétexte pour que la crise éclate au grand jour. C’est M. Fini qui l’a fourni en début de semaine en réclamant une nouvelle fois la mise à l’écart des dirigeants du PDL soupçonnés de corruption. Exaspéré par les attaques à répétitions de son ex-allié, le Cavaliere convoquait séance tenante l’exécutif du parti du Peuple de la Liberté (PDL) - dans lequel les partisans de M. Fini sont minoritaires -, mettait en demeure les dissidents de rentrer dans les rangs et sommait M. Fini d’abandonner la présidence de la Chambre. La réplique ne s’est pas faite attendre : non seulement l’intéressé n’a pas démissionné de son poste, non seulement ses amis politiques ont quitté le PDL, mais il a annoncé la création de son propre groupe parlementaire et, dans un avenir proche, de sa propre formation. M. Berlusconi sort affaibli de cette ultime escarmouche ; il ne dispose plus de majorité assurée à la chambre et risque de devoir affronter des élections générales.
Cette perspective n’enchante guère le chef du gouvernement italien. Il sait que son bilan n’est pas bon. Le programme de relance, de privatisation et d’allègements fiscaux sur lequel il s’est fait élire n’a produit aucun des résultats attendus, ni en termes d’emploi, ni en termes de rebond économique et l’Italie, durement frappé par la crise, doit adopter – solidarité européenne oblige – des mesures d’austérité drastiques. La cote de popularité de M. Berlusconi est au plus bas niveau, proche de celui de M. Sarkozy, ce qui n’est pas peu dire. Sa seule marge de manœuvre serait de convaincre certains centristes et des démo chrétiens de droite de former une nouvelle alliance avec le PDL, mais qui a envie aujourd’hui de lier son sort à celui de M. Berlusconi ?
La perspective de retourner devant les électeurs n’excite pas davantage l’opposition. La principale formation de gauche, le Parti démocrate (PD) - assemblage hétéroclite d’anciens communistes, de centristes et de l’aile gauche de l’ex-démocratie chrétienne – n’a absolument pas anticipé cette épreuve. A l’issue des derniers scrutins électoraux, que le PD a perdus, ses dirigeants historiques ont démissionné ou se sont retirés sur l’Aventin, laissant les rênes du parti au peu charismatique M. Bersani. En matière de corruption, le PD ne fait guère mieux que le PDL. En outre, le dernier passage de la gauche au pouvoir, avec M. Prodi, s’est achevé dans la confusion la plus totale, et les Italiens en garde encore aujourd’hui un souvenir plus qu’amer.  
Peut-on réellement sortir de cette crise sans élections ? A priori non. M. Fini, qui détient désormais la clef de la majorité, sera sans doute tenté de faire bouillir ses anciens alliés à petit feu. Pour autant, ni lui, ni Berlusconi n’ont intérêt à retarder l’épreuve de force. Il est vraisemblable que le gouvernement va présenter des réformes de moins en moins acceptables pour les « finistes » et que ceux-ci attendront le texte le plus emblématique pour rompre le pacte majoritaire. Le vote à l’automne d’un nouveau train de mesures d’austérité serait le prétexte parfait pour faire tomber le gouvernement. La voie des urnes serait alors ouverte.
La situation n’en serait que plus claire. En mettant fin, il y a une vingtaine d’années au règne sans partage de la démocratie chrétienne, la classe politique italienne a liquidé son passé mais elle s’est toujours refusé à choisir entre régime parlementaire, régime présidentiel ou régime de type gaullien. Malgré la présence d’hommes de conviction, comme MM. Berlusconi, Fini, Bossi ou le président de la République, M. Napolitano, le système politique reste encore entre les mains des combinazzione, des jeux partisans, des groupes d’intérêt et des sociétés de pensée. A chaque élection, on évoque la nécessité d’un nouveau régime, d’une autre République, d’une nouvelle constitution mais c’est pour les oublier aussi vite, l’élection passée. Personne, pour le moment, n’a voulu et n’a su imposer cette transition.
D’une certaine façon, l’échec annoncé de M. Berlusconi et de la droite libérale, comme hier celui de M. Prodi et de la gauche traditionnelle, constituent de premiers éléments de clarification. Ils sanctionnent ceux qui ont choisi de se servir de l’Etat – à droite pour l’argent, à gauche pour les postes – plutôt que de le servir. Restent deux choix possibles. Celui de la modernisation et du renforcement de l’Etat, de sa « moralisation » au service de l’intérêt général. C’est la voie, gaullienne, que M. Fini pourrait être tenté de suivre, même si c’est une voie difficile, qui suppose de profonds changements dans la classe politique et dans l’opinion. L’autre choix, plus facile à faire accepter mais sans doute moins ambitieux pour l’Italie, c’est celle du fédéralisme, prôné par M. Bossi. Nationalisme moderne ou fédéralisme, voilà les termes qui risquent d’orienter pour longtemps le débat politique en Italie. Leur synthèse réussie pourrait donner des idées au reste de l’Europe [1].
Jean-Gabriel Faure. 

 


[1]. On notera que M. Fini n’est pas un adversaire du fédéralisme. Il en fait même un des éléments de son programme. Ce qu’il refuse à tout prix c’est la fin de l’unité italienne et l’émergence de cette chimère que l’on appelle « l’Europe des Régions ». Nous le suivrions assez bien sur ces deux points.

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29 juillet 2010 4 29 /07 /juillet /2010 00:34
Annonces à blanc
 
Avec M. Sarkozy, un clou chasse l’autre. L’affaire Woerth/Bettencourt a-t-elle pris ses quartiers d’été que l’on reparle de M. Proglio et des intentions équivoques du pouvoir vis-à-vis d’EDF et de la filière électronucléaire française.
On connait nos soupçons. Ils ne se limitent pas, loin s’en faut, à la situation personnelle de M. Proglio et aux avantages qu’il aurait pu tirer de son double salaire à la tête d’EDF et de Veolia, péché somme toute assez véniel en Sarkozie. Ils se situent à un tout autre niveau : il existe un risque sérieux que les amis du pouvoir et les groupes privés de services urbains mettent la main sur l’ensemble de notre filière énergétique. Ces manœuvres ont  commencé bien avant l’arrivée de M. Proglio à la tête d’EDF. Elles datent très précisément de la prise de contrôle de GDF par Suez-Lyonnaise, opération initiée par M. Sarkozy lorsqu’il trônait à Bercy et achevée dès le début de son règne. C’est après et seulement après que la main est passée à Veolia, avec l’arrivée à la tête de l’électricien national de M. Proglio et de la quasi-totalité de ses anciens collaborateurs de la rue d’Anjou. La nouvelle équipe d’EDF n’a d’ailleurs pas mis beaucoup de temps à abattre ses cartes en revendiquant le contrôle de l’ensemble de la filière nucléaire, la mise sous tutelle d’AREVA – qui avait eu la mauvaise idée de prendre des accords avec Suez, concurrent d’EDF, sur le marché européen – et si possible sa fusion avec Alstom, troisième larron stratégique de la filière. Tout cela s’était terminé par une brouille mémorable à l’hiver 2009 entre Henri Proglio et Anne Lauvergeon, la bouillante présidente d’AREVA, et un appel à l’arbitrage de l’Etat. MM. Sarkozy et Fillon avait promis de s’exprimer sur le sujet à l’été.
Lorsque l’Elysée annonça il y a quelques jours qu’un « conseil de politique nucléaire » se tiendrait le 27 juillet, on pouvait légitimement craindre le pire. On savait M. Sarkozy pressé d’en finir avec un dossier nucléaire qui risque de ne pas être ficelé comme il le souhaite avant les échéances de 2012. Le rapport commandé par le gouvernement à François Roussely, ancien PDG d’EDF sous Mitterrand, avait également de quoi émouvoir. Ne parlait-on pas d’une entrée en force d’EDF au capital d’AREVA et d’une privatisation à terme de l’ensemble de la filière ? De quoi commencer à inquiéter des syndicats et des partis de gauche, bien discrets jusqu’à présent sur M. Proglio et ses projets. Il est vrai que notre homme a acquis beaucoup d’entregent lorsqu’il dirigeait Veolia et qu’il dispose de réseaux efficaces !
Au final, l’affaire accouche une fois encore d’une souris, voire d’une demi-souris. Si EDF est consacré « architecte ensemblier » du nucléaire français, en particulier sur les marchés à l’export, sa prise de participation dans AREVA ne dépassera sans doute pas 10% et évitera surtout à l’Etat de sortir de l’argent frais pour recapitaliser sa filiale. Mme Lauvergeon ne figurera pas, en tous cas dans l’immédiat, au tableau de chasse de M. Proglio, même si ses griffes sont un peu rognées. Le vrai vainqueur de cette journée de dupes, c’est une fois de plus Bercy qui évite des décisions à l’emporte-pièce et gagne du temps.
Les perdants, en revanche, ce sont une fois de plus les Français. Les sommes qu’EDF va  investir dans AREVA auraient sans doute été bien mieux placées dans le renouvellement du parc français, le renforcement de sa sécurité et le développement d’énergies alternatives au nucléaire ou au pétrole. La seule logique qui prévaut désormais dans ce dossier est la défense de nos positions sur les marchés étrangers, intention louable mais qui ne résume en rien les enjeux énergétiques de la France d’aujourd’hui et ceux de demain. Une fois de plus nos intérêts à long terme sont sacrifiés à des impératifs essentiellement marchands et contingents. Si l’affaire Proglio n’a finalement pas connu les développements que l’on craignait, elle est loin d’être encore terminée. Restons vigilants.
Hubert de Marans.

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28 juillet 2010 3 28 /07 /juillet /2010 00:26
Vacances de papier
 
Que nos lecteurs qui partent pour des contrées lointaines, mais qui ne souhaitent pas pour autant perdre le fil de l’actualité littéraire, se rassurent… Inutile de bourrer vos valises de revues ou de magazines encombrants, encore moins d’occuper votre esprit avec des adresses de sites internet improbables ! La solution à votre problème s’appelle Service littéraire , ce petit mensuel plein de charme qui, en huit pages, vous offre une vue panoramique sur l’ensemble des nourritures terrestres du moment (y compris une rubrique gastronomique du diable signé Jules Magret).
Dans la livraison de juillet-août, l’éditorial s’intitule « Lui ? ». De la plume de Victor Hugo, il mérite d’être cité tout entier :
 Que peut-il ? Tout. Qu’a-t-il fait ? Rien. Avec cette pleine puissance, en huit mois un homme de génie eût changéLa face de la France, de l’Europe peut être. Seulement voilà, il a pris la France et n’en sait rien faire. Dieu sait pourtant si le Président se démène : il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c’est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide. L’homme qui, après sa prise de pouvoir, a épousé une princesse étrangère est un carriériste avantageux. Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a pour lui l’argent, l’agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort. Il a des caprices, il faut qu’il les satisfasse. Quand on mesure l’homme et qu’on le trouve si petit, et qu’ensuite on mesure le succès et qu’on le trouve énorme, il est impossible que l’esprit n’éprouve pas quelque surprise. On y ajoutera le cynisme, car la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, la nie, l’insulte et la bafoue. Triste spectacle que celui du galop, à travers l’absurde, d’un homme médiocre échappé.
Cette petite merveille est tirée de « Napoléon le petit », qu’Actes Sud vient de rééditer. Avouez que la coïncidence est troublante.
Après cette mise en bouche, on se précipitera sur le papier de tête signé Michel Déon qui rend compte d’un roman inclassable du romancier espagnol Manuel Chaves Nogales, Le double jeu de Juan Martinez, récemment réédité chez Quai Voltaire. Si vous aimez les danseurs de flamenco, le monde cosmopolite d’avant et d’après la guerre de 14 (ce n’est pas le même) et l’atmosphère de la guerre civile russe, vous serez comblé. Déon raconte parfaitement bien sa trouvaille et la révolution russe, Trotski, Lénine et quelques autres pantins sanglants ont l’air d’en prendre pour leur grade, ce qui est un signe de qualité. Voilà un récit à mettre de côté pour cet hiver.
En restant dans le rouge sang de bœuf, on lira avec profit la critique du dernier essai de Michel Mourlet sur Brecht. Mourlet se déguise en entrepreneur de démolitions. Il organise la mise à bas de cette vieille idole stalinienne surestimée, que seul le génie de Vilar a pu faire passer un moment pour autre chose qu’un raseur doublé d’un balourd. « Médiocrité stylistique », « théâtre sans nuances et sans subtilités », « ennui profond de cette prose », les langues se délient enfin chez les metteurs en scène, les critiques et les traducteurs, mais il aura fallu du temps. Mourlet venge aussi des générations d’étudiants et de lycéens qui ont du subir comme une purge la lecture de Mère Courage, d’Arturo Ui, ou des grandeurs et misères du Troisième Reich. Rien que pour cela, nous chanterons à tue tête : Vive Michel Mourlet, ma mère, vive Michel Mourlet !...
Autres éreintements réjouissants : celui de Guillaume Musso, (« comme styliste, Musso est exaspérant, comme penseur, il est médiocre. Quel pâté » nous confirme Pauline Dreyfus dans un article joliment intitulé « Salade de Musso ») pour son dernier roman « La fille de papier », celui d’Amanda Sthers pour son livre « Les terres saintes »  ou celui de Thierry Dancourt (« Dancourt trop long », dit Jean-Michel Lambert) pour « Jardin d’hiver ». Des coups de bâton distribués avec précision et méchanceté. Les coups d’encensoir eux aussi sont distribués à bon escient : une réédition des Iles Grecques de Lawrence Durell, une petite merveille qui vient de refaire surface, dont nous rendrons prochainement compte à nos lecteurs, un portrait d’Albert Cossery, qui ressuscite sa voix récemment disparue, le nouveau roman de Pierre Magnan (Elégie pour Laviolette, chez Robert Laffont), un recueil de délicieuses critiques littéraires de J.-K. Huysmans (Ecrits sur la littérature, chez Hermann).
Et si vos nuits dans les neiges du Kilimandjaro ou dans les douceurs de Bali vous laissent encore des moments libres, reportez vous aux rubriques habituelles : Ecrits et chuchotements d’Emmanuelle de Boysson (que de finesse !), On trouve ça bien/ on trouve ça mauvais, Des poches sous les yeux. N’oubliez pas de sacrifier au rituel du billet gastronomique en dernière page, les délices qu’on y narre vous aideront à digérer le tajine kalmouk, la bouillie tibétaine ou la potée camerounaise qui figure, ce soir, au menu de votre pension complète. Bonnes vacances !

Eugène Charles.

 

[1]. A réserver sur servicelittéraire.fr ou dans tous les bons kiosques.  

 

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27 juillet 2010 2 27 /07 /juillet /2010 19:42
La journée
de Bouvines              
bouvines vernet

   

27 juillet 1214. Pour la première fois, toute l'Europe est en face de la France.  Avec l'éclatante victoire de Bouvines, fruit de l'alliance d'un roi et de son peuple, commence la partie la plus brillante de l'aventure capétienne. Après les fondateurs, voici les conquérants, puis viendront les grands administrateurs. L'article ci-dessous, que le jeune historien Jean Longnon consacre à Bouvines dans la Revue critique du 25 juin 1914, a quelque chose d'émouvant et de terrible. Dans l'ouragan qui allait emporter quelques semaines plus tard toute l'Europe, et mettre à nouveau la France aux prises avec l'empire allemand, que manque-t-il à cette jeunesse combattante, sinon la présence d'un prince français ? 
  François renié.
 
 
Bouvines
 
Cette année est aux grands centenaires de notre histoire : en février, l'on fêtait le souvenir de la campagne de France ; ces jours-ci, à Bouvines, on commémore la bataille où pour la première fois dans nos annales le sentiment national s'est glorieusement manifesté. Le septième centenaire de Bouvines suit de trois mois à peine celui de la naissance de saint Louis : lorsque le petit prince Louis naquit au château de Poissy, le 25 mars 1214, son père était aux bords de Loire à contenir l'armée de Jean sans Terre, tandis que son grand-père rassemblait ses troupes dans le nord pour marcher contre l'Empereur. C'est en ce double danger que vint au monde celui qui devait être saint Louis. Rencontre digne de remarque : comme l'a dit notre collaborateur et ami M. de Roux en un récent discours, la couronne qui fut sauvegardée à Bouvines est celle de ce petit enfant sans force et sans voix, celle que, par sa vie admirable, il devait ennoblir à tout jamais.
Philippe Auguste, poursuivant la lutte de ses prédécesseurs contre les rois d'Angleterre qui, dominant des deux côtés de la Manche, et par les fiefs de la maison de Plantagenets et le mariage d'Aliénor de Guyenne possédant la moitié occidentale de la France, constituaient un danger perpétuel pour la monarchie française naissante, avait successivement conquis sur Jean sans Terre la Bretagne, l'Anjou, le Maine, la Touraine, une partie du Poitou et la Normandie. Jean sans Terre résolut de prendre sa revanche en 1213 : il ligua contre le roi de France l'empereur Othon IV, les barons de Lorraine et de Hollande, le comte de Flandre et le comte de Boulogne. De Guyenne, il devait pénétrer dans les Etats de Philippe par le Poitou et, passant la Loire, marcher sur Paris, tandis que l'Empereur avec les coalisés s'avancerait par le nord.
Jamais Philippe Auguste, jamais même les Capétiens ne s'étaient trouvés dans un danger pareil ; mais en ce péril la France se resserra autour du Roi et éprouva plus fort encore ce sentiment qu'elle avait déjà eu sous Louis VI lors d'une menace de l'Empereur sur les frontières de la France. Le Roi recueillit alors les fruits de l'œuvre d'ordre et de paix que lui et ses prédécesseurs avaient faite dans le royaume. Les premiers Capétiens, en faisant la bonne police et en exerçant une droite justice sur le pays qui formait la France proprement dite, c'est-à-dire le centre du royaume, d'Orléans à Beauvais et de Dreux à Reims, avaient su gagner à leur affection le peuple des communes et discipliner la petite féodalité. Chacun dans la petite France sentait peser sur lui la main du Roi, la main de justice qui est son symbole, ferme et droite, mais aussi la douce main d'un père affectueux, la main tutélaire d'un protecteur. Etant plus assurés dans leur personne et dans leurs biens, tous, sujets du même roi, sentaient qu'ils avaient quelque chose de commun entre eux, ce même sentiment d'attachement à la terre de leurs pères, sauvegardée par leur prince. Ainsi, dans la paix créée par les grandes chevauchées de justice des premiers Capétiens, s'éveillait confusément le sentiment de la patrie. A l'heure où une menace apparaît, les sujets du roi comprendront qu'ils ont une chose commune à défendre qui est la condition même de leur tranquillité particulière : c'est ce que l'on vit devant la coalition de 1213.
A la première nouvelle de l'entrée en campagne de Jean sans Terre, Philippe Auguste fond sur lui et le force à rentrer en Guyenne ; puis, retournant vers le nord, il se prépare à faire face à l'empereur d'Allemagne, laissant à son fils Louis le soin de contenir Jean sans Terre. Aussitôt après le départ de Philippe, Jean traverse le Poitou et vient assiéger le château de la Roche-au-Moine. Le prince Louis, qui avait affaire à une armée trois fois supérieure à la sienne, n'osait attaquer. Mais son père lui en donne l'ordre. Le 2 juillet 1214, Louis s'avançait vers la Roche-au-Moine, lorsqu’à cette nouvelle l'armée assiégeante abandonne ses bagages et ses machines de guerre, et en désordre repasse la Loire sans avoir affronté le combat. Cette étonnante déroute termina la campagne du roi d'Angleterre.
Cependant Philippe Auguste avait rassemblé ses troupes à Péronne. Toute la France du centre s'était levée : bourgeois des villes du domaine royal et des communes de Compiègne, de Beauvais, d'Amiens et d'Arras, seigneurs ecclésiastiques et vassaux des pays voisins de l'Ile-de-France, chevaliers de Bourgogne, de Champagne et de Normandie, tous unis sous l'oriflamme rouge de Saint-Denis, et que commandait un des plus curieux personnages de ce temps, frère Guérin, évêque de Senlis. Frère Guérin était un ancien hospitalier, plié aux stratagèmes des guerres d'Orient et qui, revenu en France, avait pendant vingt ans rempli l'office de chancelier de France sans en porter le titre. Cette sorte d'Eminence grise, qui se trouvait aussi bien à la tête d'hommes d'armes que des scribes de la chancellerie, qui connaissait aussi bien les principes de la stratégie que les formules des actes et était à sa place sur un champ de bataille comme au chapitre de la cathédrale, était l'homme de confiance du Roi et le méritait : ce fut lui le principal artisan de la victoire de Bouvines.
Par une décision hardie, Philippe Auguste s'avança à marches forcées vers le nord pour couper l'Empereur des secours d'Angleterre. Ce mouvement n'était pas sans péril. Les Impériaux le virent et se crurent déjà vainqueurs. Déjà ils se chargeaient de cordes pour enchaîner les Français et ils se partageaient d'avance le royaume. L'empereur Othon, l'ennemi du pape, rassemblait les principaux chefs de l'armée coalisée et leur déclarait :
 
C'est contre le roi de France qu'il convient de diriger nos efforts ; c'est lui qu'il faut tuer le premier de tous, lui seul qui oppose une barrière à nos succès, qui seul nous résiste et se fait notre ennemi en toutes choses. Aussitôt qu'il sera mort, vous pourrez à votre gré enchaîner tous les autres, soumettre le royaume à notre joug et le partager de cette sorte : que toi, Renaud (de Boulogne), tu t'empares de Péronne et de tout le Vermandois ; toi, Ferrand (de Flandre), nous te concédons Paris ; que Hugues (de Boves) possède Beauvais ; que le héros de Salisbury (Guillaume Longue-Epée) prenne Dreux ; que Gérard (de Randerath) prenne Château-Landon et le Gâtinais ; que Conrad (de Dortmund) possède Mantes avec le Vexin... Quant aux hommes du clergé et aux moines, que Philippe exalte tellement, qu'il aime, protège et défend de toute la vivacité de son cœur, il faut, ou que nous les mettions à mort, ou que nous les déportions, de telle sorte qu'ils ne soient plus qu'un petit nombre, que leurs ressources soient réduites, et qu'ils se suffisent du produit des offrandes.
 
Si le roi tombait dans la bataille, on voit quel bouleversement se préparait pour la France.
 
*
*  *
 
Le 27 juillet 1214, Philippe Auguste, quittant un pays marécageux favorable à la formidable armée de pied d'Othon pour la plaine découverte propice aux chevaliers français, se retirait de Tournai vers Lille ; l'armée marchait en bon ordre, prête au combat, protégée par une forte arrière-garde en contact avec le gros des troupes. Les coalisés, croyant Philippe en fuite, s'avancent en complet désordre contre l'armée royale, « comme s'ils couraient une proie ».
La chaleur était extrême : vers midi, Philippe Auguste, ayant quitté son armure, prenait un peu de repos à l'ombre d'un frêne près de l'église de Bouvines et mangeait dans une coupe d'or du pain trempé dans du vin, lorsqu'il voit accourir à toutes brides frère Guérin qui, étant allé en reconnaissance du côté de Tournai, lui apprend l'approche de l'ennemi. Le roi aussitôt entre dans l'Eglise pour implorer l'assistance divine ; puis il s'arme, s'élance sur son cheval et donne les ordres pour la bataille.
L'Empereur, qui s'attendait à tomber sur l'arrière-garde démunie, trouve l'armée française qui a fait volte-face, disposée en bataille, le dos tourné au soleil et prête à affronter le combat. Frère Guérin va de rang en rang, « encourageant les uns et les autres à veiller chacun à la défense publique, à combattre vigoureusement pour l'honneur de la patrie et du roi, à se souvenir de leur race qui, victorieuse dans tous les combats, a toujours détruit les ennemis ; sur toutes choses à prendre garde que l'ennemi plus nombreux, prolongeant les ailes, ne cherche à les envelopper ; que sa ligne ne s'étende jamais plus que leur propre ligne ; qu'aucun chevalier ne serve jamais de bouclier à un autre, mais plutôt que chacun se présente volontairement pour faire face à un ennemi. [1] »
Les deux armées forment ainsi deux lignes parallèles, mais les soldats d'Othon, de beaucoup les plus nombreux [2], ont une profondeur triple. Au centre, le Roi, entouré des chevaliers de sa maison et précédé des milices des communes et des villes royales, a en face de lui l'Empereur avec la cavalerie allemande, couvert par l'imposante infanterie flamande. A l'aile droite, les chevaliers champenois avec le duc de Bourgogne, le comte de Saint-Pol et les sergents à cheval de l'abbé de Saint-Médard de Soissons, s'opposent à la cavalerie flamande du comte Ferrand. L'aile gauche, moins forte et composée de la cavalerie et des milices du Ponthieu avec le comte de Dreux et son frère l'évêque de Beauvais, a en face d'elle Hugues de Boves, le comte de Boulogne et Salisbury, le frère du roi Jean, avec le contingent anglais.
Au moment d'affronter le combat, Philippe Auguste s'adresse à ses barons [3] et les harangue : « Seigneurs, je ne suis qu'un homme, mais je suis roi de France : vous devez me garder sans défaillir. Vous faites bien en me gardant, car par moi vous ne perdrez rien. Or chevauchez ! Je vous suivrai et partout après vous j'irai. » La grandeur simple de la monarchie française et son rôle tutélaire se découvrent en ces paroles suprêmes où Philippe Auguste se dépouille de la majesté royale pour ne songer qu'aux charges de son office. Puis le Roi embrassa les plus vaillants de ses compagnons d'armes et, à la demande des chevaliers, il éleva les mains pour demander la bénédiction divine. Alors les trompettes retentirent, et la bataille s'engagea. div
Jusqu'au XIVe siècle, la cavalerie seule faisait le fond des armées, les soldats de pied n'existant qu'en fonction des chevaliers qu'ils aidaient. La lutte consistait à renverser par une charge les lourdes masses de fer qu'étaient les chevaliers armés ; alors les hommes de pied accouraient et faisaient prisonniers les chevaliers désarçonnés ou les égorgeaient. Les charges de la cavalerie décidaient ainsi de la victoire. On a souvent attribué le gain de la bataille de Bouvines aux milices communales. Leur rôle, en réalité, fut secondaire. Éloignées du champ de bataille au moment où l'action s'engagea, elles arrivèrent en hâte se placer devant le roi autour de l'oriflamme de Saint-Denis. Ces bons bourgeois étaient tout essoufflés et ne purent supporter le choc de l'infanterie flamande quatre fois plus nombreuse. Mais ils firent leur devoir, sentant bien qu'en ce jouir, ils défendaient leur patrimoine, leur pays et leurs libertés, dans la personne de leur roi.
Les batailles manquaient souvent d'unité et se composaient d'un certain nombre de combats séparés, de corps à corps, parfois d'homme à homme. C'est ainsi qu'à Bouvines, il y eut trois batailles : à l'aile droite, au centre et à l'aile gauche.
 
Le combat commença à l'aile droite, qui, formant auparavant l'arrière-garde, avait été la première touchée par l'ennemi. Ferrand de Flandre avait tenté un mouvement vers le centre pour appuyer Othon ; mais il est arrêté par les chevaliers de Champagne. Alors le comte de Saint-Pol, avec les sergents à cheval de l'abbé de Saint-Médard, s'élance au milieu des chevaliers flamands, culbutant tout sur son passage ; puis, ayant traversé leurs rangs, il retourne, charge par derrière et fait une nouvelle trouée. Cette manœuvre, renouvelée plusieurs fois, jette le plus grand désordre parmi les Flamands : dans leurs rangs tombent Eustache de Macheleu qui hurlait : « Mort aux Français ! » et Buridan de Furne comme il s'écriait : « Que chacun maintenant se souvienne de sa mie ! »
Alors le duc de Bourgogne Eudes III entre en ligne avec de nouveaux chevaliers de l'aile droite. Eudes « très corpulent et de complexion flegmatique », tombe avec son cheval ; on lui en donne un autre et, furieux, il s'élance au milieu des Flamands.
Au bout de trois heures, les Français parviennent jusqu'au centre de l'aile ennemie. Ferrand se défend avec courage ; mais blessé et désarçonné, il finit par se rendre. Sa capture achève la déroute des Flamands ; l'armée française, victorieuse à l'aile droite, peut prendre de flanc le centre allemand et chercher à lui couper la retraite.

 

Au centre, où l'action avait commencé plus tard, le combat avait eu plus de péripéties. L'infanterie impériale se forme en coin et pénètre dans les rangs des milices qu'elle défonce; Othon avec ses chevaliers la suit et marche sur Philippe Auguste. Alors un des plus vaillants chevaliers français, Guillaume des Barres, avec une partie de la Maison du roi, par un mouvement tournant prend l'infanterie impériale à revers et charge sur Othon.
Philippe Auguste, en les suivant, est arrêté et enveloppé par les fantassins d'Othon qui tentent, avec le crochet de leurs piques, de le désarçonner. Ils y parviennent, en effet, et, cherchant le défaut de l'armure, veulent l'égorger. Mais l'armure est bonne, et quelques chevaliers restés autour lui le défendent : Pierre Tristan, descendu de cheval, se jette au-devant des coups, cependant que Galon de Montigny, qui porte l'oriflamme, l'agite pour signaler le péril. Enfin Guillaume des Barres aperçoit le signal et, abandonnant Othon, passe sur le corps des fantassins allemands avec ses compagnons et vient délivrer le Roi.
Le Roi remonte à cheval et charge le corps d'Othon avec ses chevaliers. Guillaume des Barres, Gérard La Truie et Pierre Mauvoisin arrivent à atteindre l'empereur. Mauvoisin saisit son cheval par la bride, tandis que La Truie essaie de frapper Othon, mais blesse seulement le cheval qui se cabre et s'abat. Comme on lui avait donné un autre cheval, Guillaume des Barres saisit Othon par le cou, mais il est entouré, isolé, son cheval tué. Othon en profite pour s'enfuir jusqu'à Valenciennes. « Nous ne verrons plus sa figure d'aujourd'hui, » dit Philippe Auguste.

 

Le combat cependant se poursuit entre Impériaux et Français. La chaleur était torride et la poussière telle que les combattants avaient peine à se reconnaître. Enfin ici encore les Français restèrent maîtres du champ de bataille : le dragon et l'aigle impériaux tombés entre leurs mains étaient portés en trophées à Philippe Auguste.

 
A l'aile gauche, le combat continuait toujours. Un instant Salisbury, repoussant les milices du Ponthieu, avaient menacé de couper la retraite aux Français. Là se trouvait l'évêque de Beauvais, Philippe de Dreux, ancien chevalier croisé, héros des guerres d'Orient. Les règles canoniques lui interdisaient de verser le sang, et jusque-là il n'avait pas pris part au combat, se contentant, comme frère Guérin, de diriger ses troupes. A la vue du péril, sa générosité, le sentiment du pays menacé, l'emportent : il s'élance à la tête des soldats, portant une masse d'armes, — car il avait promis de ne plus porter l'épée, — et d'un seul coup il renverse à terre Salisbury. Tandis que l'on s'empare du prince anglais, l'évêque de Beauvais, réfléchissant à la gravité de son acte, dit à ceux qui l'entourent : « Emportez-le ; vous direz que c'est vous qui l'avez blessé et fait prisonnier » Ainsi tous, bourgeois, chevaliers, évêques, unis dans un même sentiment, concourent à la défense du territoire.
Seul de l'armée impériale combattait encore désespérément Renaud de Boulogne, vassal révolté de Philippe Auguste. Enfin des soldats de pied réussirent à le désarçonner ; et le baron félon fut fait prisonnier et conduit devant le roi.
 
*
*  *
 
Le soir tombait. A l'extrême chaleur, au bruit du combat, succédait un peu de fraîcheur et de calme. L'armée française, épuisée de fatigue, mais glorieuse de ses trophées, se rassembla autour de son chef. Un mouvement général d'enthousiasme souleva les populations lorsque l'armée, avec ses prisonniers si nombreux qu'elle en était presque embarrassée, reprit le chemin de Paris :
 
Qui pourrait raconter, écrit le chroniqueur Guillaume le Breton, s'imaginer, tracer avec la plume sur un parchemin ou des tablettes, les joyeux applaudissements, les hymnes de triomphe, les innombrables danses des gens du peuple, les doux chants des clercs, les sons harmonieux des cloches dans les églises, les sanctuaires parés au dedans comme au dehors, les rues, les maisons, les routes, dans tous les villages et dans toutes les villes, tendues de courtines et d'étoffes de soie, tapissées de fleurs, d'herbes et de feuillage vert ; les habitants de toutes classes, de tout sexe et de tout âge accourant de toutes parts pour voir un si grand triomphe ; les paysans et les moissonneurs interrompant leurs travaux, suspendant à leur cou leurs faux et leurs hoyaux (car c'était le temps de la moisson), et se précipitant pour voir enchaîné ce Ferrand dont peu auparavant ils redoutaient tant les armes... Toute la route se passa ainsi jusqu'à ce qu'on fût arrivé à Paris. Les bourgeois parisiens, et par-dessus tout la multitude des étudiants, le clergé et le peuple, allant au-devant du Roi en chantant des hymnes et des cantiques, témoignèrent par leur geste quelle joie remplissait leur âme. Ce jour-là ne leur suffit pas pour se livrer à l'allégresse : ils prolongèrent leur plaisir dans la nuit, et même durant sept nuits de suite ils illuminèrent, de sorte qu'on y voyait comme en plein jour. Les étudiants surtout ne cessaient de festoyer, dansant et chantant sans s'arrêter.
 
En souvenir de la bataille, Philippe Auguste fit construire près de Senlis, dont Frère Guérin était évêque, l'abbaye de la Victoire dont on voit encore les belles ruines dans un site verdoyant au bord de la Nonette. La légende, qui vient toujours embellir l'histoire, voulut par la suite qu'en cet endroit même se soient rencontrés les courriers annonçant la victoire de la Roche-au-Moine et celle de Bouvines qui auraient eu lieu le même jour.

Les conséquences de la bataille de Bouvines furent considérables. Elle ruinait la cause d'Othon IV en Allemagne et assurait le triomphe de Frédéric II de Hohenstaufen, le protégé du pape et du roi. Jean sans Terre dut abandonner ses prétentions sur la Normandie, l'Anjou et le Poitou ; retiré en Angleterre, ses barons lui arrachèrent la Grande Charte qui était une diminution de son autorité. Quant à Philippe Auguste, il se voyait assurée la possession définitive de la Normandie, de la Bretagne, de l'Anjou, du Maine, de la Touraine et du Poitou ; son domaine était quadruplé, sa domination s'étendait jusqu'au midi de la France. La Monarchie française sortait grandie de l'épreuve ; autour d'elle une idée commune s'était affirmée : le sentiment national était né dans le danger.

Jean Longnon.
(Revue critique des idées et des livres, 25 juin 1914)


[1]. Guillaume le Breton, la Philippide.
[2]. On en peut fixer le nombre, ainsi qu'en conclut Delpech (La Tactique en France au XIIIe siècle), à 80.000 hommes contre 25.000 Français.
[3]. Le P. Delattre (le Trait d'union, avril 1914) pense que ces paroles sont plutôt adressées à Dieu. Je ne saurais me ranger à cette opinion, suivant laquelle on ne pourrait expliquer les mots : « Or chevauchez ! » D'après le contexte, il semble bien que ces paroles s'adressent aux barons.
 
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25 juillet 2010 7 25 /07 /juillet /2010 23:09
Cette révolution qui vient lentement…
 
Les analyses de Marcel Gauchet ne laissent jamais indifférents. Celle qu’il a livrée dimanche dernier au Monde sur l’affaire Woerth/Bettencourt retiendra tout particulièrement l’attention de nos lecteurs [1]. Oui nous sommes en présence de quelque chose qui va bien au-delà du banal fait divers politique et qui ébranle tout le système sarkozien. Comme le dit Gauchet, avec les mots justes, le chef de l’Etat « paye la facture de la crise » et des errements qui nous ont conduits en moins d’un an du « travailler plus pour gagner plus » à l’austérité et au gel des salaires. La désaffection de l’opinion est profonde, d’autant plus profonde que tout cela se stratifie avec d’autres affaires, celle de l’EPAD, celle du bouclier fiscal, celle de la récente loi sur l’autorisation des jeux en ligne… « Tout prend en masse », confirme Gauchet, « de la nuit du Fouquet’s aux diverses affaires qui ont émaillé la vie du gouvernement ces derniers mois, comme s’il s’agissait d’une seule et même chose. La manipulation des images est beaucoup plus dangereuse qu’elle n’en a l’air. Ce que nous voyons à l’œuvre, c’est l’adaptation d’une maxime évangélique «  Qui se sert de l’image périra par l’image. » » Sarkozy périra par là où il a pêché.
Mais ce n’est pas au seul chef de l’Etat qu’est imputable cette désillusion, même s’il est le révélateur de tout un système. Comme le décrit parfaitement le rédacteur en chef du Débat, « l’épisode réactive un contentieux larvé entre le peuple et les élites. (…) En France, les élites (un mot que je n’aime pas mais il n’y en a pas d’autres) ont une haute opinion d’elles-mêmes et ne se rendent pas compte du fossé qui les sépare de la population. Elles entretiennent à son égard un mépris bienveillant. Elles veulent son bien, mais elles estiment que leurs mérites éminents doivent être récompensés ». Cette France des abus et des privilèges indus ne connaît pas de frontières, elle sévit dans le public comme dans le privé, elle est aussi bien de droite que de gauche, même si, comme le rappelle Gauchet « il y a plus de connivences avec les puissances d’argent à droite et plus de systèmes de distribution de postes à gauche ». Différence qui a d’ailleurs tendance à s’estomper : depuis Mitterrand, notre oligarchie a pris l’habitude de prendre et les postes et l’argent.
Comment qualifier l’état de l’opinion ? « Il y a une révolte sourde et un sentiment de distance radicale à l’égard du personnel dirigeant » analyse Gauchet. Le climat moral de la société française est dépressif et blasé. Une France fatiguée, presque assommée par une crise qui prend la suite de tant d’autres, pronostiquait il y a quelques mois, dans un rapport remarqué, M. Delevoye, le médiateur de la République. Une France qui n’a pas non plus en tête de solutions toutes faites, d’alternatives face à une crise économique, politique et morale dont elle perçoit la profondeur. Pour autant, conclut Gauchet, le climat de la société française n’est pas révolutionnaire : « Pour qu’il y ait révolution, il faut qu’il y ait un programme révolutionnaire », affirme-t-il avec Lénine. Or, ce programme pour l’instant n’existe pas.
« Pas si sûr !», rétorque sur son blog notre ami Bertrand Renouvin [2]. S’il partage complètement les analyses de Marcel Gauchet, il ne se retrouve pas dans sa conclusion pessimiste. Renouvin exprime au contraire le sentiment qu’un programme révolutionnaire existe. Ou du moins qu’il commence à prendre forme. Les propositions convergentes d’économistes, de sociologues et d’historiens comme Emmanuel Todd, Jean-Luc Gréau ou Jacques Sapir dessinent les bases d’une « nouvelle école » dont la voix se met à porter à l’université et dans les médias. Cette nouvelle école n’est pas seulement française. Elle se nourrit du renouveau de la pensée critique qui s’est fait jour depuis une dizaine d’années aux Etats Unis et en Europe et sert de support aux mouvements altermondialistes et anticapitalistes qui fleurissent un peu partout dans le monde. Pour Renouvin, le manifeste qu’a publié, il y a quelques semaines, Jacques Sapir sur Marianne 2 [3] , contient tous les ingrédients d’un changement de cap radical. La question n’est plus de savoir où sont les idées à défendre mais qui est capable de les imposer.
A notre tour de dire que nous ne partageons pas le point de vue, trop optimiste, de Renouvin. Et cela pour trois raisons.
Les idées de Jacques Sapir, aussi séduisantes et justes qu’elles soient, ne suffisent pas à faire un programme révolutionnaire. Les mécanismes régulateurs qu’il propose, et en premier lieu la mise en place de barrières protectionnistes « intelligentes » aux frontières de l’Europe, ouvriront certainement une période de pause qui peut permettre l’érection d’un autre modèle économique et social, tant il est vrai que l’on ne construit pas sous un bombardement. Mais quel modèle ? Il manque au programme de Sapir une réflexion sur le travail, sur les modes de production, sur le type de croissance qu’il faudrait privilégier, sur les conditions d’émergence d’une société fondée sur le savoir, sur la création, sur l’innovation. Il manque également à ce programme une dimension sociale ; aucun progrès social ne sera durable sans une politique de salaires élevés, sans de nouveaux rapports de force entre salariés et patronat c'est-à-dire sans un syndicalisme de masse, sans une volonté « d’aérer » la société par l’éducation permanente, la promotion de nouvelles classes sociales, la régionalisation, la modernisation en profondeur de nos services publics. Il manque enfin au programme de Sapir une dimension politique : la question de l’Etat n’y est qu’effleuré alors qu’elle est centrale et qu’on ne fera pas l’économie de la question d’un autre Etat et d’une autre démocratie ; la question du projet européen n’apparait qu’en filigrane, alors qu’elle est, elle aussi, essentielle. Sur tous ces sujets, la copie reste à écrire, beaucoup de choix stratégiques sont encore à faire, même s’il est vrai que les principaux ingrédients sont disponibles.
Quand bien même le programme serait-il écrit, qui peut sérieusement penser que ce sont les idées seules qui font les révolutions ? Les hommes doivent y prendre toute leur part, même si Gauchet a raison de dire « qu’on se met en route au nom d’une espérance, d’une vision de l’avenir, d’un sentiment que d’autres solutions sont à portée de main ». Ces hommes, ce sont les Français d’aujourd’hui. Mais quels Français ? La société dépressive, révoltée, sans certitude que nous décrit Marcel Gauchet et qui correspond sans nul doute à une part de réalité ? Ou ces Français qui se battent avec ténacité, avec courage, parfois avec violence, lorsqu’on licencie sans cause, lorsqu’on ferme ou qu’on délocalise leurs usines, lorsque la lie d’un certain patronat multinational ne paye plus les salaires, méprise le droit, part avec la caisse. Le niveau de conscience politique, syndical a incontestablement atteint un point très bas en 2007 avec l’élection de Sarkozy. Ce niveau remonte. On sent depuis quelques mois que la mobilisation des salariés se fait plus forte à l’occasion de grandes causes sociales comme les retraites ou lorsque des échéances électorales se présentent. Le climat est-il pour autant révolutionnaire ? Non, pas encore.
On ne vendra pas aux Français n’importe quelle révolution. Tout dépendra des idées, de leur justesse, de leur réalisme, mais aussi de leur générosité, de leur humanité. Si la France se montre aujourd’hui aussi hésitante, aussi peu sûre d’elle-même dans les choix qui conditionnent son avenir, c’est sans doute parce que le XXe siècle l’a vacciné contre les grands soirs qui ne débouchent sur rien, sinon sur plus de misère et sur plus de larmes. Qu’on se le dise, les Français d’aujourd’hui ne sont prêts à aucune aventure totalitaire, aucun populisme rouge, brun ou noir, aucune nuit des longs couteaux, aucune guerre des uns contre les autres. Leur révolution, si révolution il y a, ressemblera plus à mai qu’à octobre ; elle balayera des pensées mortes, des idées fausses, elle abattra des structures vermoulues, mais le pays en sortira intact et même plus fort. Tout dépendra aussi des hommes et en premier lieu de ceux qui seront à la tête du mouvement. Force est de constater qu’ils ne sont pas encore sur nos écrans de contrôle. On n’y trouve pour le moment que quelques imposteurs : Villepin, Bayrou, Melenchon, Besancenot, Chevènement…  Ce n’est pas avec cette fausse monnaie des vieux partis républicains que l’on construira demain quoi que ce soit de fort et de nouveau. L’heure des grands hommes n’a pas encore sonné.
Non, cher Bertrand Renouvin, le fond de l’air n’est pas encore révolutionnaire. Beaucoup de chemin reste à faire, des idées sont à développer, à enrichir, des projets sont à construire. La mort du sarkozysme, que Marcel Gauchet prévoit implicitement en 2012, ne sera sans doute qu’une étape de la renaissance française que nous appelons de nos vœux. Selon le mot de Churchill, ce n’est sans doute ni la fin, ni même le commencement de la fin. Mais peut-être la fin du commencent.  Et pour reprendre une formule d’un vieux penseur, léniniste à ses heures, que nous avons beaucoup pratiqué dans notre jeunesse folle, l’heure n’est pas encore à l’émeute, elle est à la discussion, mais elle est maintenant aussi à l’organisation. Organisons nous.
Paul Gilbert.
 

[1]. Entretien avec Marcel Gauchet, « L’affaire Bettencourt réactive le contentieux entre le peuple et les élites », Le Monde des 18 et 19 juillet 2010.
 
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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 07:47
Sorel et notre temps
 
Dans une période où la démocratie crapote, où la pensée ronronne souvent autour des mêmes vieilles thèses, quelle cure d'altitude que la lecture de Georges Sorel ! Il a décidemment tout vu et les fulgurances parfois un peu obscures de son maître, Proudhon, sont - retranscrites par lui - d'une clarté parfaite. Qu'on en juge par les quelques extraits qui suivent, où Sorel règle ses comptes avec ses ennemis intimes, la démocratie bourgeoise, le jacobinisme et la ploutocratie.

"Le régime républicain révé par Proudhon ne sera peut-être jamais réalisé; mais il est bien vraisemblable que le suffrage populaire cesserait d'être une malédiction si les citoyens étaient animés d'un esprit vraiment républicain, c'est-à-dire s'ils règlaient leurs relations économiques suivant des modes regardés comme équitables, au moins en gros, s'ils avaient une longue pratique des libertés politiques et s'il n'existait plus chez eux d'idée de conquête; aucune raison ne nous porte à supposer qu'une telle nation aurait du être éduquée par des démocrates. Dans la Justice, Proudhon a reconnu que la monarchie constitutionnelle peut présider à l'évolution d'une société vers un état de droit et de liberté; bien qu'il est souvent dénoncé les vices de la démocratie, toujours hallucinée par la vision de la raison d'Etat, il lui aurait été extrêmement pénible d'avouer qu'il avait eu tort d'espérer si longtemps une transmutation républicaine de la vie démocratique; c'est, je crois à cause de cela qu'il n'osa point achever ses Considérations politiques où cet aveu redoutable est maintes fois sous-entendu.  Dans le fragment publié après sa mort, Proudhon signale l'extrême fragilité avec laquelle on passe de la démocratie au despotisme et réciproquement ; "et chose désolante, ... ajoute-t il, on a remarqué que les plus fougueux démocrates sont d'ordinaire les plus prompts à s'accomoder du despotisme et réciproquement que les courtisans du pouvoir absolue deviennent à l'occasion les plus enragés démagogues."; dès lors, comment espérer que la démocratie nous amène à la république?" [1]
"Le plus grave grief que j'ai peut-être contre la démocratie est qu'elle travaille à tourner la tête de l'homme du peuple, depuis son enfance, dans le sens d'une soumission aux demi-lettrés. Une révolution conduite par des chefs fait retomber les masses sous des dictatures souvent plus dures et presque toujours moins nobles que n'étaient les gouvernements qu'ils ont renversés." [2]
"Je confondais ici l'utopie philosophique de la démocratie, qui a enivré l'âme de nos pères, avec la réalité du régime démocratique, qui est un gouvernement de démagogues; ceux-ci ont intérêt à célébrer l'utopie, afin de dissimuler aux yeux du peuple la véritable nature de leur activité. Ils arrivent d'autant plus facilement à créer des illusions favorables à leur tyrannie qu'ils font passer dans le droit quelques formules assez analogues à celles de l'utopie. Les réformes juridiques leur sont utiles pour ruiner les anciennes structures qui favorisèrent le prestige des autorités sociales, dont les démagogues veulent à tout prix se débarrasser." [3]. Pour Sorel, le concept d'autorités sociales, emprunté à Le Play, visent les associations et collectivités qui devraient structurer la vie sociale du pays, mais aussi et surtout les syndicats. 
" De tous les gouvernements, le plus mauvais est celui où la richesse et les capacités se partagent le pouvoir. Les préjugés de la plupart de nos historiens contre la noblesse leur ont fait fermer les yeux sur les vices des constitutions ploutocratiques. Dans ce régime, l'orgueil de la race n'existe plus: il faut arriver (...) Le succès justifie tout : pas une idée morale."[4]. Belle définition de la classe politique qui nous dirige !


[1]. G. Sorel, Matériaux d'une théorie du prolétariat. (Rivière, 1921)
[2]. G. Sorel, Lettre à Mario Missiroli du 6 mai 1910, in Da Proudhon a Lenin (Ed. di storia et letteratura, 1973).
[3]. G. Sorel, Matériaux d'une théorie du prolétariat. (Rivière, 1921)
[4]. Georges Sorel, Le Procès de Socrate. (Alcan, 1889)
 
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20 juillet 2010 2 20 /07 /juillet /2010 18:42
Un ouvrage rafraîchissant                                        

 

Michea.jpg

 

Qu’il nous parle du libéralisme[1] ou de George Orwell [2] - cet écrivain dont les œuvres complètes s’empilent probablement sur sa table de chevet - Jean-Claude Michéa, bien que féroce, est toujours un auteur d’une très agréable compagnie. Et ce n’est certainement pas la lecture de son ouvrage consacré au ballon rond, fraîchement réédité [3], qui nous fera changer d’avis. En effet, une fois le livre refermé, la réflexion qui nous vient naturellement est bien la même qu’à l’accoutumée : que n’a-t-on lu plus tôt les pages que nous venons tout juste de dévorer, presque d’une traite !

De quoi est-il question dans ce qui, vraisemblablement, se veut plus une préface à un livre de référence d’Eduardo Galeano [4], suivie de délicieux extraits dudit ouvrage, qu’un essai au sens strict du terme ? Pour l’essentiel, du mépris du « public qui s’estime cultivé »  pour la « grande messe païenne » (Eduardo Galeano) que constitue le football. Bref, de « la haine des intellectuels dès lors qu’il est question de ce jeu ».

Pourquoi ceux-ci le vouerait-il autant aux gémonies ? A lire Michéa, particulièrement convaincant, parce que ce dernier incarne « le sport populaire par excellence », qui n’a pas eu « le bon goût de s’éloigner de ces origines compromettantes ». Parce que nos modernes bien-pensants ne comprennent pas l’inutilité qui, aux origines, lui était consubstantielle. Parce qu’ils ne comprennent rien au peuple, qu’ils ne méprisent jamais mieux qu’en se gaussant de ces « beaufs » et de ces « Deschiens », qu’ils prennent, à tort, pour sa quintessence.

Est-ce « cette incapacité viscérale des intellectuels à comprendre de l’intérieur une passion populaire » qui interdit à ces mêmes intellectuels « de critiquer avec toute la radicalité requise les monstrueuses dérives du football contemporain » ? Sur ce point, comme sur les autres, la conviction de Michéa, on ne peut plus trempée, méthodiquement forgée, est formulée sans fioritures. Et si d’aventure certains de nos lecteurs désiraient la connaître, on ne saurait trop leur recommander, surtout en cette période estivale, la lecture proprement rafraîchissante de ce bel ouvrage.

Leon Degraeve.

 


[1]. Jean-Claude Michéa, Impasse Adam Smith. Brève remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche. (Climats, coll. « Sisyphe », 2002),  Jean-Claude Michéa, L’empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale. (Flammarion, coll. « Champs essais », (2007 2010), Jean-Claude Michéa, La double pensée. Retour sur la question libérale. (Flammarion, coll. « Champs essais », 2008).
[2]. Jean-Claude
Michéa, La société décente. (Climats, coll. « Sisyphe », 1999), Jean-Claude Michéa, Orwell, anarchiste tory, (Climats, coll. « Sisyphe », 2000), Jean-Claude Michéa, Orwell éducateur. (Climats, 2003).

[3]. Jean-Claude Michéa, Les intellectuels, le peuple et le ballon rond. A propos d’un livre d’Eduardo Galeano. (Climats, (1998) 2010)

[4]. Eduardo Galeano, Football, ombre et lumière. (Climats, 1997).
   

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