La journée de Bouvines | |
27 juillet 1214. Pour la première fois, toute l'Europe est en face de la France. Avec l'éclatante victoire de Bouvines, fruit de l'alliance d'un roi et de son peuple, commence la partie la plus brillante de l'aventure capétienne. Après les fondateurs, voici les conquérants, puis viendront les grands administrateurs. L'article ci-dessous, que le jeune historien Jean Longnon consacre à Bouvines dans la Revue critique du 25 juin 1914, a quelque chose d'émouvant et de terrible. Dans l'ouragan qui allait emporter quelques semaines plus tard toute l'Europe, et mettre à nouveau la France aux prises avec l'empire allemand, que manque-t-il à cette jeunesse combattante, sinon la présence d'un prince français ?
François renié.
Bouvines
Cette année est aux grands centenaires de notre histoire : en février, l'on fêtait le souvenir de la campagne de France ; ces jours-ci, à Bouvines, on commémore la bataille où pour la première fois dans nos annales le sentiment national s'est glorieusement manifesté. Le septième centenaire de Bouvines suit de trois mois à peine celui de la naissance de saint Louis : lorsque le petit prince Louis naquit au château de Poissy, le 25 mars 1214, son père était aux bords de Loire à contenir l'armée de Jean sans Terre, tandis que son grand-père rassemblait ses troupes dans le nord pour marcher contre l'Empereur. C'est en ce double danger que vint au monde celui qui devait être saint Louis. Rencontre digne de remarque : comme l'a dit notre collaborateur et ami M. de Roux en un récent discours, la couronne qui fut sauvegardée à Bouvines est celle de ce petit enfant sans force et sans voix, celle que, par sa vie admirable, il devait ennoblir à tout jamais.
Philippe Auguste, poursuivant la lutte de ses prédécesseurs contre les rois d'Angleterre qui, dominant des deux côtés de la Manche, et par les fiefs de la maison de Plantagenets et le mariage d'Aliénor de Guyenne possédant la moitié occidentale de la France, constituaient un danger perpétuel pour la monarchie française naissante, avait successivement conquis sur Jean sans Terre la Bretagne, l'Anjou, le Maine, la Touraine, une partie du Poitou et la Normandie. Jean sans Terre résolut de prendre sa revanche en 1213 : il ligua contre le roi de France l'empereur Othon IV, les barons de Lorraine et de Hollande, le comte de Flandre et le comte de Boulogne. De Guyenne, il devait pénétrer dans les Etats de Philippe par le Poitou et, passant la Loire, marcher sur Paris, tandis que l'Empereur avec les coalisés s'avancerait par le nord.
Jamais Philippe Auguste, jamais même les Capétiens ne s'étaient trouvés dans un danger pareil ; mais en ce péril la France se resserra autour du Roi et éprouva plus fort encore ce sentiment qu'elle avait déjà eu sous Louis VI lors d'une menace de l'Empereur sur les frontières de la France. Le Roi recueillit alors les fruits de l'œuvre d'ordre et de paix que lui et ses prédécesseurs avaient faite dans le royaume. Les premiers Capétiens, en faisant la bonne police et en exerçant une droite justice sur le pays qui formait la France proprement dite, c'est-à-dire le centre du royaume, d'Orléans à Beauvais et de Dreux à Reims, avaient su gagner à leur affection le peuple des communes et discipliner la petite féodalité. Chacun dans la petite France sentait peser sur lui la main du Roi, la main de justice qui est son symbole, ferme et droite, mais aussi la douce main d'un père affectueux, la main tutélaire d'un protecteur. Etant plus assurés dans leur personne et dans leurs biens, tous, sujets du même roi, sentaient qu'ils avaient quelque chose de commun entre eux, ce même sentiment d'attachement à la terre de leurs pères, sauvegardée par leur prince. Ainsi, dans la paix créée par les grandes chevauchées de justice des premiers Capétiens, s'éveillait confusément le sentiment de la patrie. A l'heure où une menace apparaît, les sujets du roi comprendront qu'ils ont une chose commune à défendre qui est la condition même de leur tranquillité particulière : c'est ce que l'on vit devant la coalition de 1213.
A la première nouvelle de l'entrée en campagne de Jean sans Terre, Philippe Auguste fond sur lui et le force à rentrer en Guyenne ; puis, retournant vers le nord, il se prépare à faire face à l'empereur d'Allemagne, laissant à son fils Louis le soin de contenir Jean sans Terre. Aussitôt après le départ de Philippe, Jean traverse le Poitou et vient assiéger le château de la Roche-au-Moine. Le prince Louis, qui avait affaire à une armée trois fois supérieure à la sienne, n'osait attaquer. Mais son père lui en donne l'ordre. Le 2 juillet 1214, Louis s'avançait vers la Roche-au-Moine, lorsqu’à cette nouvelle l'armée assiégeante abandonne ses bagages et ses machines de guerre, et en désordre repasse la Loire sans avoir affronté le combat. Cette étonnante déroute termina la campagne du roi d'Angleterre.
Cependant Philippe Auguste avait rassemblé ses troupes à Péronne. Toute la France du centre s'était levée : bourgeois des villes du domaine royal et des communes de Compiègne, de Beauvais, d'Amiens et d'Arras, seigneurs ecclésiastiques et vassaux des pays voisins de l'Ile-de-France, chevaliers de Bourgogne, de Champagne et de Normandie, tous unis sous l'oriflamme rouge de Saint-Denis, et que commandait un des plus curieux personnages de ce temps, frère Guérin, évêque de Senlis. Frère Guérin était un ancien hospitalier, plié aux stratagèmes des guerres d'Orient et qui, revenu en France, avait pendant vingt ans rempli l'office de chancelier de France sans en porter le titre. Cette sorte d'Eminence grise, qui se trouvait aussi bien à la tête d'hommes d'armes que des scribes de la chancellerie, qui connaissait aussi bien les principes de la stratégie que les formules des actes et était à sa place sur un champ de bataille comme au chapitre de la cathédrale, était l'homme de confiance du Roi et le méritait : ce fut lui le principal artisan de la victoire de Bouvines.
Par une décision hardie, Philippe Auguste s'avança à marches forcées vers le nord pour couper l'Empereur des secours d'Angleterre. Ce mouvement n'était pas sans péril. Les Impériaux le virent et se crurent déjà vainqueurs. Déjà ils se chargeaient de cordes pour enchaîner les Français et ils se partageaient d'avance le royaume. L'empereur Othon, l'ennemi du pape, rassemblait les principaux chefs de l'armée coalisée et leur déclarait :
C'est contre le roi de France qu'il convient de diriger nos efforts ; c'est lui qu'il faut tuer le premier de tous, lui seul qui oppose une barrière à nos succès, qui seul nous résiste et se fait notre ennemi en toutes choses. Aussitôt qu'il sera mort, vous pourrez à votre gré enchaîner tous les autres, soumettre le royaume à notre joug et le partager de cette sorte : que toi, Renaud (de Boulogne), tu t'empares de Péronne et de tout le Vermandois ; toi, Ferrand (de Flandre), nous te concédons Paris ; que Hugues (de Boves) possède Beauvais ; que le héros de Salisbury (Guillaume Longue-Epée) prenne Dreux ; que Gérard (de Randerath) prenne Château-Landon et le Gâtinais ; que Conrad (de Dortmund) possède Mantes avec le Vexin... Quant aux hommes du clergé et aux moines, que Philippe exalte tellement, qu'il aime, protège et défend de toute la vivacité de son cœur, il faut, ou que nous les mettions à mort, ou que nous les déportions, de telle sorte qu'ils ne soient plus qu'un petit nombre, que leurs ressources soient réduites, et qu'ils se suffisent du produit des offrandes.
Si le roi tombait dans la bataille, on voit quel bouleversement se préparait pour la France.
*
* *
Le 27 juillet 1214, Philippe Auguste, quittant un pays marécageux favorable à la formidable armée de pied d'Othon pour la plaine découverte propice aux chevaliers français, se retirait de Tournai vers Lille ; l'armée marchait en bon ordre, prête au combat, protégée par une forte arrière-garde en contact avec le gros des troupes. Les coalisés, croyant Philippe en fuite, s'avancent en complet désordre contre l'armée royale, « comme s'ils couraient une proie ».
La chaleur était extrême : vers midi, Philippe Auguste, ayant quitté son armure, prenait un peu de repos à l'ombre d'un frêne près de l'église de Bouvines et mangeait dans une coupe d'or du pain trempé dans du vin, lorsqu'il voit accourir à toutes brides frère Guérin qui, étant allé en reconnaissance du côté de Tournai, lui apprend l'approche de l'ennemi. Le roi aussitôt entre dans l'Eglise pour implorer l'assistance divine ; puis il s'arme, s'élance sur son cheval et donne les ordres pour la bataille.
L'Empereur, qui s'attendait à tomber sur l'arrière-garde démunie, trouve l'armée française qui a fait volte-face, disposée en bataille, le dos tourné au soleil et prête à affronter le combat. Frère Guérin va de rang en rang, « encourageant les uns et les autres à veiller chacun à la défense publique, à combattre vigoureusement pour l'honneur de la patrie et du roi, à se souvenir de leur race qui, victorieuse dans tous les combats, a toujours détruit les ennemis ; sur toutes choses à prendre garde que l'ennemi plus nombreux, prolongeant les ailes, ne cherche à les envelopper ; que sa ligne ne s'étende jamais plus que leur propre ligne ; qu'aucun chevalier ne serve jamais de bouclier à un autre, mais plutôt que chacun se présente volontairement pour faire face à un ennemi. [1] » Les deux armées forment ainsi deux lignes parallèles, mais les soldats d'Othon, de beaucoup les plus nombreux [2], ont une profondeur triple. Au centre, le Roi, entouré des chevaliers de sa maison et précédé des milices des communes et des villes royales, a en face de lui l'Empereur avec la cavalerie allemande, couvert par l'imposante infanterie flamande. A l'aile droite, les chevaliers champenois avec le duc de Bourgogne, le comte de Saint-Pol et les sergents à cheval de l'abbé de Saint-Médard de Soissons, s'opposent à la cavalerie flamande du comte Ferrand. L'aile gauche, moins forte et composée de la cavalerie et des milices du Ponthieu avec le comte de Dreux et son frère l'évêque de Beauvais, a en face d'elle Hugues de Boves, le comte de Boulogne et Salisbury, le frère du roi Jean, avec le contingent anglais. Au moment d'affronter le combat, Philippe Auguste s'adresse à ses barons [3] et les harangue : « Seigneurs, je ne suis qu'un homme, mais je suis roi de France : vous devez me garder sans défaillir. Vous faites bien en me gardant, car par moi vous ne perdrez rien. Or chevauchez ! Je vous suivrai et partout après vous j'irai. » La grandeur simple de la monarchie française et son rôle tutélaire se découvrent en ces paroles suprêmes où Philippe Auguste se dépouille de la majesté royale pour ne songer qu'aux charges de son office. Puis le Roi embrassa les plus vaillants de ses compagnons d'armes et, à la demande des chevaliers, il éleva les mains pour demander la bénédiction divine. Alors les trompettes retentirent, et la bataille s'engagea. div
Jusqu'au XIVe siècle, la cavalerie seule faisait le fond des armées, les soldats de pied n'existant qu'en fonction des chevaliers qu'ils aidaient. La lutte consistait à renverser par une charge les lourdes masses de fer qu'étaient les chevaliers armés ; alors les hommes de pied accouraient et faisaient prisonniers les chevaliers désarçonnés ou les égorgeaient. Les charges de la cavalerie décidaient ainsi de la victoire. On a souvent attribué le gain de la bataille de Bouvines aux milices communales. Leur rôle, en réalité, fut secondaire. Éloignées du champ de bataille au moment où l'action s'engagea, elles arrivèrent en hâte se placer devant le roi autour de l'oriflamme de Saint-Denis. Ces bons bourgeois étaient tout essoufflés et ne purent supporter le choc de l'infanterie flamande quatre fois plus nombreuse. Mais ils firent leur devoir, sentant bien qu'en ce jouir, ils défendaient leur patrimoine, leur pays et leurs libertés, dans la personne de leur roi.
Les batailles manquaient souvent d'unité et se composaient d'un certain nombre de combats séparés, de corps à corps, parfois d'homme à homme. C'est ainsi qu'à Bouvines, il y eut trois batailles : à l'aile droite, au centre et à l'aile gauche.
Le combat commença à l'aile droite, qui, formant auparavant l'arrière-garde, avait été la première touchée par l'ennemi. Ferrand de Flandre avait tenté un mouvement vers le centre pour appuyer Othon ; mais il est arrêté par les chevaliers de Champagne. Alors le comte de Saint-Pol, avec les sergents à cheval de l'abbé de Saint-Médard, s'élance au milieu des chevaliers flamands, culbutant tout sur son passage ; puis, ayant traversé leurs rangs, il retourne, charge par derrière et fait une nouvelle trouée. Cette manœuvre, renouvelée plusieurs fois, jette le plus grand désordre parmi les Flamands : dans leurs rangs tombent Eustache de Macheleu qui hurlait : « Mort aux Français ! » et Buridan de Furne comme il s'écriait : « Que chacun maintenant se souvienne de sa mie ! »
Alors le duc de Bourgogne Eudes III entre en ligne avec de nouveaux chevaliers de l'aile droite. Eudes « très corpulent et de complexion flegmatique », tombe avec son cheval ; on lui en donne un autre et, furieux, il s'élance au milieu des Flamands.
Au bout de trois heures, les Français parviennent jusqu'au centre de l'aile ennemie. Ferrand se défend avec courage ; mais blessé et désarçonné, il finit par se rendre. Sa capture achève la déroute des Flamands ; l'armée française, victorieuse à l'aile droite, peut prendre de flanc le centre allemand et chercher à lui couper la retraite.
Au centre, où l'action avait commencé plus tard, le combat avait eu plus de péripéties. L'infanterie impériale se forme en coin et pénètre dans les rangs des milices qu'elle défonce; Othon avec ses chevaliers la suit et marche sur Philippe Auguste. Alors un des plus vaillants chevaliers français, Guillaume des Barres, avec une partie de la Maison du roi, par un mouvement tournant prend l'infanterie impériale à revers et charge sur Othon.
Philippe Auguste, en les suivant, est arrêté et enveloppé par les fantassins d'Othon qui tentent, avec le crochet de leurs piques, de le désarçonner. Ils y parviennent, en effet, et, cherchant le défaut de l'armure, veulent l'égorger. Mais l'armure est bonne, et quelques chevaliers restés autour lui le défendent : Pierre Tristan, descendu de cheval, se jette au-devant des coups, cependant que Galon de Montigny, qui porte l'oriflamme, l'agite pour signaler le péril. Enfin Guillaume des Barres aperçoit le signal et, abandonnant Othon, passe sur le corps des fantassins allemands avec ses compagnons et vient délivrer le Roi.
Le Roi remonte à cheval et charge le corps d'Othon avec ses chevaliers. Guillaume des Barres, Gérard La Truie et Pierre Mauvoisin arrivent à atteindre l'empereur. Mauvoisin saisit son cheval par la bride, tandis que La Truie essaie de frapper Othon, mais blesse seulement le cheval qui se cabre et s'abat. Comme on lui avait donné un autre cheval, Guillaume des Barres saisit Othon par le cou, mais il est entouré, isolé, son cheval tué. Othon en profite pour s'enfuir jusqu'à Valenciennes. « Nous ne verrons plus sa figure d'aujourd'hui, » dit Philippe Auguste.
Le combat cependant se poursuit entre Impériaux et Français. La chaleur était torride et la poussière telle que les combattants avaient peine à se reconnaître. Enfin ici encore les Français restèrent maîtres du champ de bataille : le dragon et l'aigle impériaux tombés entre leurs mains étaient portés en trophées à Philippe Auguste.
A l'aile gauche, le combat continuait toujours. Un instant Salisbury, repoussant les milices du Ponthieu, avaient menacé de couper la retraite aux Français. Là se trouvait l'évêque de Beauvais, Philippe de Dreux, ancien chevalier croisé, héros des guerres d'Orient. Les règles canoniques lui interdisaient de verser le sang, et jusque-là il n'avait pas pris part au combat, se contentant, comme frère Guérin, de diriger ses troupes. A la vue du péril, sa générosité, le sentiment du pays menacé, l'emportent : il s'élance à la tête des soldats, portant une masse d'armes, — car il avait promis de ne plus porter l'épée, — et d'un seul coup il renverse à terre Salisbury. Tandis que l'on s'empare du prince anglais, l'évêque de Beauvais, réfléchissant à la gravité de son acte, dit à ceux qui l'entourent : « Emportez-le ; vous direz que c'est vous qui l'avez blessé et fait prisonnier » Ainsi tous, bourgeois, chevaliers, évêques, unis dans un même sentiment, concourent à la défense du territoire.
Seul de l'armée impériale combattait encore désespérément Renaud de Boulogne, vassal révolté de Philippe Auguste. Enfin des soldats de pied réussirent à le désarçonner ; et le baron félon fut fait prisonnier et conduit devant le roi.
*
* *
Le soir tombait. A l'extrême chaleur, au bruit du combat, succédait un peu de fraîcheur et de calme. L'armée française, épuisée de fatigue, mais glorieuse de ses trophées, se rassembla autour de son chef. Un mouvement général d'enthousiasme souleva les populations lorsque l'armée, avec ses prisonniers si nombreux qu'elle en était presque embarrassée, reprit le chemin de Paris :
Qui pourrait raconter, écrit le chroniqueur Guillaume le Breton, s'imaginer, tracer avec la plume sur un parchemin ou des tablettes, les joyeux applaudissements, les hymnes de triomphe, les innombrables danses des gens du peuple, les doux chants des clercs, les sons harmonieux des cloches dans les églises, les sanctuaires parés au dedans comme au dehors, les rues, les maisons, les routes, dans tous les villages et dans toutes les villes, tendues de courtines et d'étoffes de soie, tapissées de fleurs, d'herbes et de feuillage vert ; les habitants de toutes classes, de tout sexe et de tout âge accourant de toutes parts pour voir un si grand triomphe ; les paysans et les moissonneurs interrompant leurs travaux, suspendant à leur cou leurs faux et leurs hoyaux (car c'était le temps de la moisson), et se précipitant pour voir enchaîné ce Ferrand dont peu auparavant ils redoutaient tant les armes... Toute la route se passa ainsi jusqu'à ce qu'on fût arrivé à Paris. Les bourgeois parisiens, et par-dessus tout la multitude des étudiants, le clergé et le peuple, allant au-devant du Roi en chantant des hymnes et des cantiques, témoignèrent par leur geste quelle joie remplissait leur âme. Ce jour-là ne leur suffit pas pour se livrer à l'allégresse : ils prolongèrent leur plaisir dans la nuit, et même durant sept nuits de suite ils illuminèrent, de sorte qu'on y voyait comme en plein jour. Les étudiants surtout ne cessaient de festoyer, dansant et chantant sans s'arrêter.
En souvenir de la bataille, Philippe Auguste fit construire près de Senlis, dont Frère Guérin était évêque, l'abbaye de la Victoire dont on voit encore les belles ruines dans un site verdoyant au bord de la Nonette. La légende, qui vient toujours embellir l'histoire, voulut par la suite qu'en cet endroit même se soient rencontrés les courriers annonçant la victoire de la Roche-au-Moine et celle de Bouvines qui auraient eu lieu le même jour.
Les conséquences de la bataille de Bouvines furent considérables. Elle ruinait la cause d'Othon IV en Allemagne et assurait le triomphe de Frédéric II de Hohenstaufen, le protégé du pape et du roi. Jean sans Terre dut abandonner ses prétentions sur la Normandie, l'Anjou et le Poitou ; retiré en Angleterre, ses barons lui arrachèrent la Grande Charte qui était une diminution de son autorité. Quant à Philippe Auguste, il se voyait assurée la possession définitive de la Normandie, de la Bretagne, de l'Anjou, du Maine, de la Touraine et du Poitou ; son domaine était quadruplé, sa domination s'étendait jusqu'au midi de la France. La Monarchie française sortait grandie de l'épreuve ; autour d'elle une idée commune s'était affirmée : le sentiment national était né dans le danger.
Jean Longnon. (Revue critique des idées et des livres, 25 juin 1914)
[1]. Guillaume le Breton, la Philippide. [2]. On en peut fixer le nombre, ainsi qu'en conclut Delpech (La Tactique en France au XIIIe siècle), à 80.000 hommes contre 25.000 Français. [3]. Le P. Delattre (le Trait d'union, avril 1914) pense que ces paroles sont plutôt adressées à Dieu. Je ne saurais me ranger à cette opinion, suivant laquelle on ne pourrait expliquer les mots : « Or chevauchez ! » D'après le contexte, il semble bien que ces paroles s'adressent aux barons.