La Revue Critique des idées et des livres |
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La bonne musique d'Albert Vidalie | |
Il y a un effet Vidalie. Oh, un tout petit effet ! Rien qui puisse inquiéter Olivier Adam, ni Christine Angot, ni Valérie Nothomb ni même Michel Houellebecq (de gaz) ! Qu'ils se rassurent, leurs piles de livres sont toujours en tête de gondole des supermarchés de la littérature et les critiques de Elle, du Nouvel Observateur, de l'Express ou des Inrockuptibles leur tressent toujours les mêmes couronnes. Vidalie, lui, n'a jamais mangé de ce pain là. Il a quitté ce monde il y a trente ans, juste à temps pour ne connaître ni la critique tarifée, ni la littérature aux hormones. S'il nous revient aujourd'hui, c'est doucement, discrètement, d'un pas tranquille. C'est un écrivain artisan qui ne s'adresse qu'aux artisans lecteurs. A ceux qui considèrent qu'un bon livre ne se lit pas, vite fait, dans une rame de métro ou sur le siège d'un coiffeur, mais confortablement assis, dans un bon fauteuil, un verre de fine ou d'Armagnac à portée de main, sans compter ses heures, ni son plaisir. Vidalie, c'est une musique, une petite musique, une de ces ritournelles des années 50 qui ne payent pas de mine mais qui vous reste indéfiniment au creux de l'oreille. La France de Vidalie, c'est cette France aimable, ni riche, ni pauvre, heureuse de vivre, parfois mélancolique, si proche de nous et qui nous a quittés, un jour, sans demander son reste.
D'où vient donc cet effet Vidalie ? D'une initiative toute simple et parfaitement heureuse: les éditions du Dilettante, qui ont décidément un flair à toute épreuve, viennent de remettre à flots onze nouvelles de l'auteur des Bijoutiers du clair de lune, parues dans diverses gazettes entre 1946 et 1964 [1]. Assez peu de choses finalement. Mais suffisamment pour faire ressurgir le fantôme d'un écrivain plus connu par ses amitiés et ses frasques à Saint-Germain-des-Près que par une oeuvre dont les titres se comptent sur les doigts de la main. Car le nom d'Albert Vidalie fut longtemps et presque uniquement associé aux équipées de la bande du Bar-Bac, cette phalange de copains qui sévissait dans les années 60, entre rue de Seine et rue de Buci, sous la conduite titubante mais magnifique d'Antoine Blondin. On se souvient des rôles de composition de Vidalie dans Monsieur Jadis ou l'école du soir, de la célèbre scène où, sous l'effet du vin de Loire, il transforme en champ de bataille le bistrot de Madame Blanche et bat la charge d'Austerlitz devant un parterre médusé. A cette époque, comme l'indique Blondin, Vidalie ne se souciait déjà plus beaucoup de l'avenir "sinon comme un champ promis à la célébration rétrospective de l'instant présent, qu'il s'ingéniait à rendre mémorable". De son passé, de sa jeunesse sans le sou à faire mille petits métiers, de ses cinq années de Stalag, il ne voulait plus tirer que des images pour ces moments d'amitié débordantes. Il avait déjà la quasi totalité de son oeuvre romanesque derrière lui. A commencer par ces Bijoutiers du clair de lune qui devaient lui valoir une petite célébrité, surtout après leur adaptation au cinéma par Vadim en 1958. Quelques nouvelles, quelques chansons pour Reggiani, Montand ou Greco, et voilà que les pas de Vidalie se perdent dans le gris des petits matins. Il disparaît au début des années 70, dans un Paris qui n'est plus vraiment le sien.
Le mérite du petit recueil du Dilettante, c'est de nous resservir toute une époque, dorée sur tranche. Car Vidalie est un fabuleux conteur et il sait jouer sur une palette extrêmement large. Il est chez lui dans le Paris des années 50, avec ses bougnats, ses poivrots héroïques, ses employés de bureau et ses boulevards extérieurs. Il raconte à merveille la banlieue, son populo au grand coeur, ses gamins qui jouent dans les flaques et dans les cours, ses trains enfumés, ses gares de triage et ses usines à gaz. Il est également à l'aise dans des histoires plus rurales, avec des sous-bois à l'automne, des feuilles qui craquent sous les pieds, de belles plaines fumantes comme celles du Hurepoix qui fut pendant un temps son décor familier. On l'attend moins dans le récit historique ou fantastique ou dans la fable poétique, et pourtant il y excelle. Il faut lire "L'Aimable-Julie", la nouvelle qui donne son titre au recueil, une histoire de marine à voile racontée à la façon de Florian ou de Bernardin de Saint-Pierre, avec ses côtes de Louisiane, ses Caraïbes, ses officiers de marine en dentelle et ses bals chez le gouverneur de Port au Prince. Il faut lire "Les amants bizarres", pastiche réussi d'un Dumas tourmenté ou d'un Barbey indulgent. Et on ne laissera pas de côté "Le petit chat d'Uzés", chronique moderne d'un couple qui s'aime. Chaque fois, Vidalie sait prendre le ton qu'il faut. Il passe en un tour de main de l'argot le plus cru au beau langage. Sa langue est riche, son récit jamais surchargé, la poésie vient s'y installer naturellement, comme chez elle, en bout de table.
Il y a un aussi un autre Vidalie, celui du Stalag et de la fraternité des prisonniers. On sent qu'Albert n'a pas facilement digéré son expérience allemande. Ses histoire de camps de travail, de troufions embarbelés, de caporaux épinglés et de shupos ne respirent pas la gaieté, la rigolade et la débrouillardise comme celles de Jacques Perret. Tout y est triste et pluvieux, les hommes y vivent mal, loin de chez eux, dans l'humiliation et la misère. Le boche en uniforme y est un boche en uniforme, braillard, hystérique, mauvais. On lui met son poing dans la gueule, quand c'est possible, chaque fois que l'on peut. Le civil allemand est plus humain, surtout lorsqu'il est du peuple et qu'il est paysan. Lisez "la Frontière", la dernière nouvelle du recueil, un récit d'évasion, une variante de la Vache et du Prisonnier, mais en solitaire, sans vache et qui tournerait très mal. En un peu moins de vingt pages, Vidalie en dit plus long sur le courage, le sens de l'honneur et la souffrance humaine que tout Céline, les grossièretés gratuites en moins. On ne peut pas s'empêcher de penser à Berger, le soldat fidèle de Vialatte, tourmenté par la faim, le froid et la honte de la défaite.
Soldats humiliés, purotins, bistrots, bandits de grands chemins, employés du gaz ou officiers de marine, voilà le petit monde d'Albert Vidalie. Les voix sont diverses, les époques sont différentes, mais c'est finalement la même France populaire qu'il met en scène en scène, joyeuse quand le soleil brille, triste quand il y pleut, fière, courageuse, fraternelle. La France de nos livres d'histoire, celle des récits de brigands, et, plus près de nous, des photos de Doisneau ou de Cartier-Bresson. Est-ce parce que cette France nous manque, parce qu'elle a disparu trop vite de nos écrans que le petit recueil de Vidalie est salué un peu partout avec enthousiasme ? Du Parisien à l'Express, de Valeurs Actuelles à Service Littéraire [2], les critiques sont bonnes, excellentes, sympathiques au sens premier du mot. Seuls le Monde et Libération manquent à l'appel, mais on ne le regrettera pas. L'air qu'on respire chez Vidalie est trop pur, il aurait pu leur tourner la tête !
Eugène Charles.
[1]. Albert Vidalie, L'Aimable-Julie, Monsieur Charlot et consorts, Le dilettante, 256 pages.
[2]. On lira notamment avec plaisir la critique d'Olivier Bailly ("Bonnes nouvelles d'Albert Vidalie", Le Parisien Libéré du 18 octobre 2010) et celle de Gérard Puissey ("Le Hussard du Hurepoix", Service Littéraire, septembre 2010).
Pise 1951 de Dominique Fernandez Mis en ligne : [7-03-2011] Domaine : Lettres | |
La divine Italie de Fernandez. Dominique Fernandez est italien comme Stendhal était milanais. On le savait : Pise 1951, son dernier roman, le confirme, comme un tampon sur un passeport. Le 15 septembre 1951, au matin, le narrateur et son ami Octave, deux jeunes parisiens, arrivent donc en gare de Pise. Le charme de l'Italie - "le velouté de l'air, le parfum des arbustes, la douceur de la brise", les palazzi somptueux et le chic de la mode - suscite excitation et enchantement. Le lecteur à son tour oublie l'heure et le temps, transporté par Dominique Fernandez sur les rives de l'Arno, débouchant sur la piazza dei Cavalieri au côté de ses héros, séjournant avec eux dans l'ancien palais des chevaliers de Malte. Le romancier nous plonge dans l'Italie de l'après-guerre. Ses personnages sont reçus en audience au Vatican par sa Sainteté Pie XII, dans la salle capitolina, conduits par l'aumônier de l'école. Là, ils s'enflamment dans des conversations sur l'art. Comment choisir entre Florence, l'austère cité, et Pise, où tout n'est que "négligence et poésie" ? On lit chaque matin un chant de La Divine Comédie, on s'enchante de la cuisine italienne, "nette, simple, pure", avec ses légumes al dente et son merveilleux San Daniele. On participe aux discussions politiques sur la démocratie et les rêves de justice sociale, on se réunit dans l'arrière-salle du café Gambero rosso, tenu par un militant communiste, Arnaldo, fidèle d'Antonio Gramsci : "Plan Marshall, ONU, Otan agitaient aussi furieusement les esprits que la rivalité du pape et de l'empereur au Moyen Âge." L'Italie de Fernandez mêle sans cesse le passé et le présent, le sacré et le profane, les vivants et les morts. Les couloirs de l'école bourdonnent encore des rumeurs provoquées par le suicide de Cesare Pavese, en août 1950. Garçons et filles s'interpellent chez Gigi, le glacier près du pont. Espace de liberté, lieu de l'initiation : avec ses bordels des villas élégantes - "double perron, marquise de fer forgé, lionne de bronze en guise de heurtoir" -, avec ses longues promenades dans la campagne, Pise est pour l'écrivain ce qu'est Rome pour Fellini. Et voilà que les deux héros tombent amoureux. L'un de Renata, paysanne du Frioul, "c'était ce que j'appelle une vraie italienne. formes rebondies et simplicité animale, comme sont les reines d'opéra". L'autre d'Iavanka, "très pâle, une apparition", issue de la plus ancienne noblesse de Pise... L'Italie triomphe jusque dans le corps de ces filles. Avec ce retour à sa terre d'élection, aux saveurs, aux parfums, aux paysages qu'il aime, Fernandez prouve indubitablement que le romanesque est italien.
Autres critiques : Guillaume de Sardes, "Octave et Robert", Service littéraire, février 2011.
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Jean-Marc Bernard est né à Valence le 4 décembre 1881. Après une enfance et une jeunesse passée en Allemagne, en Angleterre, en Belgique et en Suisse, il s’installe à Saint-Rambert-d’Albon, dans la maison paternelle. C’est là qu’il compose son œuvre poétique tout en publiant, avec son ami Raoul Monier, la revue poétique, satirique et monarchiste Les Guêpes où il accueille Paul-Jean Toulet et Francis Carco et à laquelle collaborèrent Maurice de Noisay, Henri Martineau, Eugène Marsan, Henri Clouard, Louis Thomas etc… Avec ses amis Tristan Derème, Jean Pellerin, Robert de la Vaissière, Léon Vérane, Georges Fourest et Franc-Nohain, il participe à l’aventure intellectuelle de l’Ecole fantaisiste. Proche de l’Action française, il collabore régulièrement à la Revue critique des idées et des livres, où il tient la chronique littéraire. Incorporé dans l'infanterie au début du premier conflit mondial, il est tué au front le 5 juillet 1915. Ses Œuvres complètes paraissent en deux tomes en 1923.
Comme le signale, Robert Sabatier, « quelques-uns des plus beaux poèmes fantaisistes figurent dans ses œuvres, et surtout dans son recueil Sub tegmine fagi où rôde le souvenir de La Fontaine, où des quatrains d’Omar Khayyam sont librement adaptés, où les paysages de la vallée du Rhône s’accompagnent de chants d’amour et d’amitié. »
L’homme et le Sphynx (Valence, Jules Céas et fils, 1904), La mort de Narcisse (Valence, A. Ducros, 1905), Le banquet ridicule (Valence, Ed. des Guêpes, 1909), Quelques poèmes (Nouvelle librairie nationale, 1910), Sub tegmine fagi (Ed. du temps présent, 1913), Œuvres complètes (Le Divan, 1923).
Programme
Jetons les livres allemands,
Par les fenêtres, à brassées. Foin des cuistres et des pédants, Et vivent les claires pensées! Mieux vaut, couché sur le gazon, Relire, loin des philologues, Catulle, Horace, Anacréon Et le Virgile des Eglogues. Car l'antiquité nous instruit. Chacun de ses auteurs répète : Le temps irréparable fuit... Cueille le jour, dit le poète. Ah! Contentons-nous désormais De ces vérités éternelles Que nous méditerons en paix Sous les raisins de nos tonnelles. Puisque se lamenter est vain, Ne pleurons point la mort des choses : Versons ces roses en ce vin, En ce bon vin versons ces roses. Goûtons la joie et le chagrin Que, tour à tour, chaque heure apporte; Car la Mort, pourrait bien, demain, Frapper du poing à notre porte. |
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Jean-Marc Bernard (1881-1915). Sub tegmine fagi (1913).
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Lentus in ombra
A Charles Maurras
Presque à plat ventre dans l'herbe
Qu'ombrage un fin peuplier, Je regarde scintiller Les eaux du Rhône superbe. Arbres et collines font, De l'autre côté du fleuve, Une image toujours neuve Sur l'immobile horizon. Ce paysage tranquille Sait emplir de sa douceur L'intelligence et le coeur Comme un beau vers de Virgile. Pourrai-je dire comment Il ravit mon indolence ? Mieux vaut goûter son silence Et me taire également... |
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Jean-Marc Bernard (1881-1915). Sub tegmine fagi (1913).
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La chanson de France
O mon Dieu, quel farouche amour :
Meurtres, mauvais-oeil et folie ! On voit bien que nous partons pour Le chaud pays de l'Italie. La Chanson de Naples, c'est elle Qui s'envole de ces feuillets Elle a, cette chanson si belle, Le parfum poivré des oeillets. L'amour, chez nous, est plus discret; On ne meurt pas quand il s'achève. Il ne laisse que le regret Emouvant d'une heure trop brève. J'aime mieux la "chanson de France", Au printemps clair, sous les lilas... Faut-il donner tant d'importance A des choses qui n'en ont pas ? |
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Jean-Marc Bernard (1881-1915). Sub tegmine fagi (1913).
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Dans un cocktail couleur tango | |
Dans un cocktail couleur tango je buvais les yeux de ma belle : l’un est vert l’autre mirabelle, je buvais les yeux de Margot. Margot mon rêve, au pas d’un tango, a piétiné l’image frêle, ses yeux aux couleurs rebelles troublés par mon chalumeau. Le divin cocktail de mes larmes, par un beau soir à Monaco, Ô fées Méditerranéennes, Je l’ai bu au son d’un tango. | |
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Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01 |
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