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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 23:08
Benghazi
 
A l'heure où ces lignes sont écrites, on ne connaît pas encore précisément les conditions de l'intervention militaire de la France et de ses alliés en Libye. "Nous sommes prêts", déclarait simplement, hier soir, M. Juppé. Il semble que les choses ne se mettront réellement en marche qu'après le sommet qui réunit aujourd'hui à Paris l'Europe, la Ligue Arabe et l'Union Africaine. On sait, par ailleurs, que la planification militaire est lancée depuis mercredi, mais qu'elle nécessite toujours un certain temps. L'heure est à l'attente. Une attente pesante pour nous. Une attente terrible pour les insurgés de Benghazi.
Il faut en effet tenir compte, et même très largement compte, de l'espoir que nous avons suscité en Cyrénaïque, dans l'ensemble de la Libye et sans doute même au-delà. Les images qui circulaient en boucle hier soir sur toutes les chaînes de télévision du monde, les rues de Benghazi en liesse après le vote de la résolution de l'ONU, ces drapeaux français, brandis partout, côte à côte avec ceux de la monarchie libyenne, tout cela nous oblige. Rien ne serait pire que de décevoir ce peuple qui a placé ses espoirs dans la parole de la France. Tous les yeux sont maintenant braqués vers le ciel et nos avions sont attendus avec impatience. Nos avions doivent arriver, vite.
Comme toutes les opérations militaires, celle-là n'est évidemment pas sans risques. Nous prétendons que ces risques sont acceptables pour la France. D'abord parce que la bataille de Benghazi est loin d'être perdue et qu'on peut être sûre qu'une intervention française ciblée, bien menée, ravivera la flamme des insurgés et répandra le doute et l'inquiétude dans le camp adverse. Depuis hier, on voit bien que le pouvoir à Tripoli tergiverse, qu'il est en proie à toutes sortes de mouvements, contradictoires. C'est le moment idéal pour frapper. En outre, comme semblent le confirmer les informations que nous recevons - certes au compte goutte - la plupart des villes "libérées" ces jours derniers par le régime restent des foyers sous très haute tension. Il y faut peu de choses pour que le vent de la révolte souffle à nouveau très vite. Une défaite du régime à Benghazi, à Ajdabiya, à Misratah, rallumera partout la flamme de l'insurrection.
Dans l'attente des évènements qui se prépare, il n'est pas sans intérêt d'analyser les premières conséquences - diplomatiques et politiques - du vote du Conseil de sécurité. Elles sont de trois natures.
Les abstentions de la Chine, de la Russie, de l'Inde et du Brésil désolent la presse libérale et globaliste. "Le monde émergent n'est pas au rendez-vous. Les puissances qui sont censées être les grands de ce siècle commençant ne veulent pas prendre de risque", se lamentait hier soir l'éditorialiste du Monde. Rien de plus vrai. Non pas que ces puissances n'aient pas, tout comme nous, une conscience aigüe de la liberté et de l'honneur. Mais elles sont aussi des nations, qui raisonnent comme des nations, avec la sagesse, la mesure, la prudence qui caractérisent le comportement des nations. Tripoli est loin de Moscou et de Delhi, plus loin encore de Pékin et de Rio, alors que Tripoli est à nos portes et que nous partageons avec la Libye deux mille ans de civilisation romaine, d'échanges commerciaux, d'histoire coloniale. N'en déplaise aux consciences suisses, le monde du XXIe siècle n'est plus celui des idéologies, de leurs nuées et de leurs "bonnes consciences". il s'appuie à nouveau sur des réalités historiques et humaines qu'un petit siècle de libéralisme ou de marxisme n'a pas réussi à effacer. 
La deuxième leçon du vote de jeudi soir, c'est la défaite diplomatique et l'isolement de l'Allemagne. Mme Merkel a mal joué cette manche. Elle pensait, comme dans les épisodes précédents, enfermer la France dans la machine européenne et empêcher toute coalition d'intérêts franco-britannique au nom du sacro-saint "axe franco-allemand". C'est cet axe que nous avons vu exploser sous nos yeux. En cherchant par tous les moyens à imposer ses vues, à ne mettre en avant que ses intérêts propres ou ses propres contraintes politiques, diplomatiques ou militaires, l'Allemagne a fini par se mettre le reste de l'Europe à dos. Son "terrorisme" financier lui avait déjà aliéné la sympathie de la plupart des pays européens du sud. C'est maintenant Londres et Paris qui viennent de se dégager de la tutelle allemande. L'Allemagne a perdu son image de "conscience de l'Europe". Elle apparaît, aux yeux des peuples, pour ce qu'elle est vraiment: une nation sur le retour d'âge, qui cherche à jouer son va-tout. Bonne nouvelle, excellente nouvelle.
Quand à l'Union européenne, elle a brillé, une fois encore, par son absence, par son vide sidéral. Où était jeudi soir M. Van Rompuy, le mauvais cuisinier des mauvais compromis européen ? Où étaient MM. Juncker et Trichet, les deux syndics de faillite de l'euro ? Où était Lady Ashton et son "usine à gaz" diplomatique ? Dans quelle tournée lointaine est parti le cirque Barroso ? C'est tout le bric à brac européiste qui apparaît brusquement démonétisé. Tous ces personnages sont dépassés, hors jeu, objets inutiles d'une scène désertée. Le vote de New York les a placés en dehors de l'histoire. Leur Europe est cliniquement morte. Encore une bonne, encore une excellente nouvelle.
Le ciel de Benghazi est celui d'un monde qui change. D'un monde plus ouvert, où nous aurons à nouveau la place qui nous revient. C'est pour cela aussi qu'on attend avec impatience l'arrivée de nos avions.
   François Renié. 
 
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15 mars 2011 2 15 /03 /mars /2011 00:21
La France qui se bat
 
Mardi 1er février
- Après la mise en liquidation du groupe Vogica, sa filiale Manuest de Châtenois (Vosges) est reprise par le groupe d'ameublement alsacien Weber Industries. Le repreneur assure le maintien de 135 salariés sur le site de Manuest (qui en comptait près de 400 à l'été 2009). 
Vendredi 4 février
- Ouverture du comité confédéral national de la CGT. Le secrétaire général, Bernard Thibault, dément à nouveau les rumeurs de départ anticipé. Il appelle les fédérations de la centrale à accélérer leur réorganisation et plaide pour une relance de l'intersyndicale, mise en sommeil après la fin du conflit sur les retraites.
La société TES Electronic Solutions, basée à Langon (Ille-et-Vilaine), vient d'être placé en redressement judiciaire. Le groupe, qui emploie 320 salariés est spécialisé dans la sous-traitance électronique. Il fabrique des cartes pour de grands groupes, mais aussi des sous-ensembles électroniques de hautes technologies.
L'usine Schering-Plough d'Hérouville-Saint-Clair (Calvados), amputée de 100 postes. Cette usine qui emploie  426 salariés dans la fabrication de produits anticancéreux, antiviraux, antibiotiques, est l’une de celles qui seront touchées dans le cadre de la fusion entre les deux groupes américains Merck Sharp & Dohme et Schering-Plough.
Lundi 7 février
Danival, leader français de la conserve Bio, implanté à Andiran (Lot-et-Garonne), vient d’être absorbé par Lima,  filiale belge du groupe américain Hain Celestial. Fondé il y a vingt et un ans par des agriculteurs bio, Danival emploie aujourd’hui 80 salariés.L’entreprise distribue ses produits (220 références) dans le réseau des magasins bio. 
Mardi 8 février
-  Inquiétude pour l'avenir du site d'Eureneo à Bergerac. La filiale de la SNPE serait menacée par le transfert d'une partie de ses activités sur le site de l'entreprise Nexter, autre sous traitant  du ministère de la défense, situé dans le Cher. Eureneo emploie 126 salariés en Dordogne.
-  Le plan social de Fralib est jugé illégal par le tribunal de grande instance de Marseille. Les 182 salariés de l'usine de conditionnement des thés Lipton et Elephant remportent ainsi leur première grande victoire contre leur ancien employeur, le groupe multinational Unilever. L'ensemble des procédures conditionnant le plan social et la fermeture de Fralib doivent être reprises à zéro. 
Mercredi 9 février
-  Concurrencée par les produits à bas prix asiatiques, le faïencier HB-Henriot de Quimper est placé en redressement judiciaire. La direction table sur une période de 6 mois pour retrouver un repreneur. Quelques 50 personnes travaillent encore dans l'atelier d'Henriot. 
Jeudi 10 février
- Le groupe FagorBrandt, repreneur des marques Moulinex et Brandt, veut externaliser son site de Gerland (Rhône). L'usine, qui ne produit plus que des lave-linge, emploie encore 560 salariés. Les syndicats dénonce une délocalisation au profit du site polonais du groupe qui regroupe déjà l'essentiel de la production.
- Jean-Claude Mailly (FO) se pose en défenseur de la "république sociale". Il sera sans aucun doute réelu à la tête de la centrale lors du 22e congrès de FO qui se tient du 14 au 18 février à Montpellier.
Lundi 14 février
L’entreprise pharmaceutique Girex-Mazal de Quimper (Finistère), filiale du groupe indien Wockhard, est placée en redressement judiciaire. Une solution de reprise est activement recherché par les 170 salariés.
Vendredi 18 février
Selon les syndicats,  Alstom Power pourrait délocaliser une partie de sa production au Mexique, dans le cadre de son plan de suppression de 4 000 postes dans le monde. La direction du groupe se refuse à tout commentaire. L'atelier Alstom Power systems de Belfort pourrait fermer. Une centaine d’emplois est menacée. 
Samedi 19 février
- Le président de la Fonderie Messier à Arudy (Pyrénées-atlantiques), retenu depuis le 17 février par des salariés en colère, a été libéré dans la nuit. les salariés demandent des hausses salariales et l'interruption d'une procédure contre un délégué syndical.
Dimanche 20 février
- Ports : le patronat des ports de l'Etat et la CGT sont proches d'un accord sur la retraite de la main oeuvre. La pénibilité du travail sera prise en compte dans le calcul de l'âge de départ à la retraite de 6000 dockers et de plus de 2000 grutiers.
Lundi 21 février
Metaltemple, qui emploie 264 salariés dans les pièces de fonderie de précision pour l’automobile à Saint-Michel-de-Maurienne (Savoie), vient d'annoncer son intention de supprimer 65 postes. Cette mesure inquiète les salariés car elle s'inscrit dans une succession de plans sociaux qui ont supprimé près de 200 postes en quatre ans. 
Mardi 22 février
- Lusine de cartons Norampac Avot-Vallée de Blendecques (Pas-de-Calais), filiale du groupe papetier canadien Cascades, est cédé à  OpenGate Capital, un fonds d’investissement américain, basé à Los Angeles et à Paris. L’annonce du rachat suscite des  inquiétudes parmi les 160 salariés.
-  Les 316 salariés de Cooper Standard Automotive à Bolbec (Seine-Maritime), filiale de l'américain Cooper ont obtenu que la fermeture de leur site soit repoussée au 31 juillet prochain. Les employés bénéficieront de primes de licenciement significative et de la mise en place d'une cellule de conversion.
Vendredi 25 février
Alcan Softal, fabricant de profilés en aluminium pour l’automobile et le bâtiment, implantée à Ham (somme),  annonce la suppression de 100 postes sur les 200 que compte l’usine picarde et la mutation de 27 personnes. Le personnel a vivement réagi à la nouvelle, organisant aussitôt un mouvement de grève.
Samedi 26 février
Le fonds de pension Axa Private Equity va céder sa participation dans le fabricant de revêtements pour sols Gerflor à un autre fonds d'investissement international, ICG. Gerflor emploie près de 2000 personnes en France.
Henri Valois.

 
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13 mars 2011 7 13 /03 /mars /2011 23:00
Parménide                             
 
de Martin Heidegger
Mis en ligne : [14-03-2011]
Domaine :  Idées  
Heidegger Parménide

 

Martin Heidegger (1889, 1976). Dernières traductions en français :  Hegel, la négativité (2007, Gallimard), La logique comme question en quête de la pleine essence du langage (2008,  Gallimard), Interprétation de la Deuxième considération intempestive de Nietzsche (2009, Gallimard), Séminaires de Zurich (2010,  Gallimard).
 

Martin Heidegger, Parménide. Paris, Gallimard, janvier 2011, 290 pages.


Présentation de l'éditeur.
"Notre pensée d'aujourd'hui a pour tâche de penser de manière encore plus grecque ce qui fut pensé de manière grecque", confiait Heidegger dans son dialogue avec un interlocuteur japonais. Cet effort livre à l'ensemble de ce cours sur Parménide son itinéraire propre, au fil d'une méditation de la pensée grecque qui fait appel autant à Homère, Hésiode, Pindare, Sophocle et Platon qu'au Poème de Parménide. Réaccomplissant le voyage du penseur jusqu'à la demeure de la déesse qui l'accueille, au seuil du Poème, il introduit en même temps à ce qui forme le coeur de la pensée de Heidegger, c'est-à-dire le rapport de l'être à l'homme et de l'homme à l'être. "Le dialogue avec Parménide ne prend pas fin", notait Heidegger au terme du texte consacré au penseur grec dans les Essais et conférences, " non seulement parce que, dans les fragments conservés de son Poème, maintes choses demeurent obscures, mais aussi parce que ce qu'il dit mérite toujours d'être pensé. Mais que le dialogue soit sans fin n'est nullement un défaut. C'est le signe de l'illimité qui préserve, en lui-même et pour la pensée qui revient vers lui, la possibilité d'une mutation du destin."
 
L'article de Patrice Bollon. Le Magazine littéraire,janvier 2011.
Et Heidegger refit parler Parmédide.
Dans les manuels, Parménide (né à la fin du VIe siècle av. J.-C. dans la colonie grecque italienne d’Élée, et mort au milieu du Ve siècle), l’auteur du célèbre Poème didactique en fragments, qu’évoque un tout aussi célèbre dialogue de Platon , est invariablement classé parmi les présocratiques. Cette façon de le présenter comme le prédécesseur d’un autre penseur, bien qu’indéniable d’un point de vue chronologique (Socrate, né vers 470 av. J.-C., avait 20 ans, Parménide 65, quand ils se seraient rencontrés à Athènes), occulte ou menace d’occulter la singularité de sa propre pensée. Elle la « rabat » sur une pensée - en l’occurrence celle de Platon - qui, certes, en dérive, mais ne lui est pas forcément identique. Du moins la question doit-elle être posée. Cette interrogation devient essentielle si l’on considère la pensée de Platon non seulement comme un commencement - celui de la métaphysique occidentale - mais aussi comme la fin, en forme tout à la fois de synthèse et d’inflexion par rapport à cette synthèse, d’une époque antérieure et de la manière d’être au monde que cette époque avait développée. Si tel est le cas, on entrevoit ce que l’on risque de perdre à faire de Parménide un simple présocratique, un socratique en devenir, en quelque sorte non encore « abouti ». Retrouver sa parole singulière sous le recouvrement qu’en a effectué une autre parole peut même sembler vital, si l’on pense que s’est perdu dans cette évolution ce qui donnait à notre pensée sa valeur la plus insigne - autrement dit : si l’on pense que Parménide était au sens propre du terme un penseur « initial », proche de l’« essence », depuis barrée ou oubliée, de notre manière d’être la plus profonde ou authentique. Tel est le parti pris adopté par Heidegger quand, durant le semestre d’hiver 1942-1943, il entreprend de mener à l’université de Fribourg-en-Brisgau une longue réflexion - dont la traduction paraît aujourd’hui en France sous le titre de Parménide - sur dix vers du Poèmede Parménide, et même seulement sur deux ou trois expressions contenues dans ces vers. Des expressions, il est vrai, essentielles dans notre philosophie, puisqu’elles ne se réfèrent à rien de moins qu’à une de ses notions cardinales, sinon la plus centrale de toutes : ce que nous nommons « vérité ». Or le premier constat que fait Heidegger - et sur lequel il reviendra plusieurs fois - est que ce que nous avons décidé d’appeler « vérité », selon la racine latine veritas, n’entretient qu’un lointain rapport avec ce que les Grecs d’avant Platon nommaient, eux, alèthéia. Là où la veritas latine se définit positivement comme une correspondance, uneadequaetio , des mots aux choses, et une conformité, une certitudo, par rapport à la raison, l’ alèthéia évoquée par Parménide s’annonce d’emblée, par sa formation sémantique (« a-lèthéia », avec un a privatif, suppose une opposition avec la « lèthé »ainsi désignée), comme de nature conflictuelle, « adversative ». Littéralement,alèthéia se traduit par le « hors retrait ». Mais, si l’on tient ici un équivalent sémantique du mot, reste à comprendre de quelle épreuve il rend compte et en quoi cette épreuve diffère de la nôtre. Tout le mouvement du cours de Heidegger consistera à tenter de se défaire de notre expérience moderne des choses afin d’entrevoir s’il n’en est pas une plus originelle, que nous aurions délaissée et dont nous nous serions même, à la longue, « coupés » plus ou moins sans retour. Si la tâche est difficile, c’est que nous avons ainsi à comprendre une expérience du monde avec des mots, nos mots, qui résultent d’une expérience différente, la contiennent de part en part et sans cesse nous ramènent à elle. C’est toute la question, épineuse, de la traduction : comment faire en sorte qu’elle ne soit pas une simple projection de notre propre univers sur un autre ? Ce qui impose un long examen dont rien ne garantit qu’il réussisse. De fait, on aura compris que Heidegger chemine ici vers ce qui est au coeur de son oeuvre, la notion d’« oubli de l’être » ; mais, ce qui est passionnant dans ce cours, c’est que Heidegger ne fait justement pas de cette antienne une « notion » au sens doctrinal du terme, mais l’épreuve d’un autre rapport au monde. Réussit-il, au bout du compte, à définir cette attitude ? C’est selon. Parce que l’on se trouve ici en présence d’un cours, c’est-à-dire d’une exploration lente, malaisée et répétitive, on perçoit mieux à la fois la grandeur et les impasses de la tentative. Cette tentative est admirable par son exigence de rigueur et sa définition du travail philosophique non comme un savoir mais comme une méditation acharnée à modifier - ce qu’il est de plus difficile à faire dans la pensée, mais est peut-être justement la pensée même - notre « regard » sur les choses. Son exploration n’évite en même temps qu’à grand-peine le raisonnement circulaire, du type : l’ alèthéia est une autre expérience du monde, parce qu’elle est différente de la nôtre... À partir de ce constat, il serait loisible de tirer la conclusion, souvent faite, que Heidegger s’annonce ici plus comme une sorte de « gourou » qu’un penseur au sens rationnel du terme. Ce serait aller vite en besogne et très injuste. D’abord, parce qu’il y a tout ce que Heidegger établit en chemin - sur la question de la traduction, sur la définition de la philosophie, etc. -, les interrogations qu’il nous amène à soulever sur l’évolution de notre pensée, sur ce avec quoi elle a rompu à notre désavantage mais aussi, indirectement et à l’encontre de ses propres positions, à notre avantage. La seconde raison est que ce cours peut se lire comme une formidable réflexion sur la difficulté de comprendre, à partir de nous, ce qui se meut dans un autre champ d’expérience. Or il s’agit là d’une interrogation tout autre que théorique ou nostalgique. C’est au contraire un de nos enjeux les plus contemporains, dans un monde devenu ontologiquement pluriel, un monde dont nous n’occupons plus le centre, mais, au mieux, un des centres. Bref, Heidegger nous met ici sur la voie d’une « méthode » pour envisager ce que pourrait être un véritable « dialogue » entre les peuples. Enfin, il ne faudrait pas oublier le plaisir esthétique que diffuse un texte par instants d’une grande beauté littéraire. Pour toutes ces raisons, le Parménide de Heidegger est l’une des lectures les plus urgentes en ce début d’année.
 
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13 mars 2011 7 13 /03 /mars /2011 11:00
Les UMP malades de la peste
 
                                                  Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés...
                                                                                               La Fontaine.  
 
On savait que l’UMP n’aimait pas les pauvres, on découvre aujourd’hui qu’elle n’aime pas non plus les musulmans, surtout lorsqu’ils sont français. Cette aversion vient même de faire une première victime : le conseiller pour l’intégration de M. Sarkozy, remercié vendredi soir par un simple coup de fil pour avoir dit ce qu’il pensait du prochain « débat sur l’islam ». En lâchant « l’UMP de Copé, c’est la peste pour les musulmans » lors d’une réunion de responsables associatifs jeudi dernier à la mosquée de Paris, M. Abderrahmane Dahmane s’est pourtant contenté d’exprimer ce que des milliers de nos concitoyens de confession ou d’origine musulmane pensent aujourd’hui tout bas. En rajoutant que le débat sur l’islam est instrumentalisé au sein même de l’UMP par « une bande de néonazis », il n’a fait que reprendre des rumeurs qui trainent depuis des semaines dans les salles de presse. M. Dahmane est victime de sa bonne foi. Mais il est aussi la victime de sa trop grande confiance envers M. Sarkozy. Persuadé que ses fonctions à l’Elysée lui donnaient le droit de parler sans fard à ses coreligionnaires, il découvre un peu tard le vrai rôle qu’on voulait lui faire jouer : celui de l’alibi, du « bon arabe », du supplétif, de la caution d’un débat sordide mené par des gens ignobles. Honteux et confus, M. Dahmane assure qu’il fera campagne contre l’UMP aux prochaines cantonales et « pour toutes les élections qui suivront ». Gageons qu’il sera accueilli à bras ouvert sur le terrain, et pas seulement par les Français musulmans.
L’autre grande victime de cette affaire, c’est le « peuple UMP » lui-même. S’il existe, comme partout, en son sein des racistes, des antisémites et des imbéciles, on y trouve également des milliers de militants et des millions d’électeurs héritiers du gaullisme, de la démocratie chrétienne ou de la tradition libérale qui ne mangent pas et qui n’ont jamais mangé de ce pain là. Contrairement à l’oligarchie crapoteuse qui occupe les premiers rangs du parti, ces milliers de militants, ces millions d’électeurs ont parfaitement conscience  que les questions sociales, que les problèmes d’insécurité ne se résoudront pas en dressant les habitants de ce pays les uns contre les autres et en cherchant des boucs émissaires. Témoins au quotidien de ce qui se passe dans nos rues, dans nos quartiers, responsables associatifs, élus de base, militants syndicaux, commerçants ou petits patrons, ils constatent qu’à quelques exceptions près, nos concitoyens musulmans n’aspirent qu’à vivre en paix chez nous, qu’ils sont souvent les premières victimes de la crise, des inégalités et de l’insécurité qui minent la société française et que leurs pratiques religieuses ne comportent ni haine, ni violence à l’endroit des autres traditions qui composent la nation française.
Ces militants, ces électeurs sont, avec raison et comme l’immense majorité des Français, pour une immigration mieux contrôlée, parce qu’il y va de notre souveraineté nationale et parce que nous n’avons rien à gagner à entretenir sur le territoire des poches de ségrégation urbaine et d’hyper-chômage, potentiellement à risque. Mais, dans le même temps, et tous les sondages confirment,  ils affirment l’apport positif de cette immigration dans un pays qui a toujours fondé son essor sur la diversité et la richesse des populations qui le composent. Qui pourrait mettre en doute aujourd’hui la contribution  bénéfique des jeunes générations nées de l’immigration à notre dynamisme économique, entrepreneuriale et culturelle ? Et qui pourrait contester, à l’exception de quelques laïcards bornés ou de quelques intégristes égarés de peurs et de mythes, l’apport que peut prendre l’islam, qu’il joue d’ailleurs déjà, dans le débat intellectuel et spirituel français ?
Ce constat est-il de nature à infléchir la ligne du parti présidentiel ? Rien n’est moins sûr. M. Copé a confirmé il y a quelques jours que la convention sur l’islam, prévue le 5 avril prochain, se tiendrait quoi qu’il en coûte.  La peur s’est emparée de l’état-major de l’UMP et on sait qu’elle est mauvaise conseillère. Peur que les prochaines échéances électorales tournent au désastre, peur de tout perdre - privilèges, positions et postes -  peur de la montée du Front National, peur plus prégnante encore qu’une partie des Français cherchent à tirer vengeance du sarkozysme et de ceux qui l’ont soutenu. Cette peur, elle est comme la peste qui étreint les animaux de La Fontaine. Le silence règne sur la ménagerie, les plus forts imposent définitivement leurs lois, le peuple militant se réfugie dans les comportements moutonniers, on cherche partout des traitres et des boucs émissaires. Le musulman, surtout lorsqu’il est proche, surtout lorsqu’il est pauvre, est la cible rêvée pour jouer ce rôle. Quand à ceux, aux quelques courageux, qui chercheront à s’opposer au mouvement, on les moquera, on les marginalisera, en attendant de les exclure. Voilà la ligne que défendront jusqu’au bout, jusqu’à leur échec de 2012 – car celui-ci, au moins, est inscrit dans les astres -  les Copé, les Jacob, les Novelli, les Hortefeux, Morano et autres Gaudin. Parce qu’ils ont la peur au ventre, parce qu’ils ont la peste au corps et que rien ne compte plus aujourd’hui pour eux que la frayeur du désastre annoncé. Au risque de dévoyer définitivement les valeurs qui furent longtemps celle de la droite française – le courage, la noblesse et la générosité, l’affirmation des traditions, la défense de la spiritualité – et de jeter leurs militants et leurs électeurs dans les bras des histrions, des sectaires et des fanatiques.
Qui aura le courage de s’opposer, même en vain, à cette conjuration des imbéciles ? Qui cherchera à sauver, sinon l’honneur, du moins la dignité d’une partie du corps politique français ? C’est du côté des héritiers du gaullisme que les regards se portent aujourd’hui et l’on verra bien dans ce débat ce que valent réellement MM. de Villepin, Juppé ou Fillon, s’ils sont capables d’indépendance d’esprit ou s’ils sont définitivement à ranger dans le camp des imposteurs. C’est aussi du côté des catholiques que l’attente est vive. Il faut que des esprits indépendants se lèvent de ce côté-là, qu’ils dénoncent derrière le débat sur l’islam l’offensive menée contre les religions dans leur ensemble par les tenants du laïcisme le plus sectaire et de la société du fric, qu’ils proclament avec Péguy, avec Bernanos, avec Léon Bloy, qu’en s’attaquant au musulman, à l’arabe, c’est en réalité au pauvre, au paria, au frère qu’on s’attaque, à cette fraternité que l’on proclame chez nous aux frontons des mairies mais qu’on pratique d’abord dans le chœur sacré des églises.
Paul Gilbert.
 
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11 mars 2011 5 11 /03 /mars /2011 11:52

La bonne musique

d'Albert Vidalie              

                       
VIDALIE--Albert-.png


Il y a un effet Vidalie. Oh, un tout petit effet ! Rien qui puisse inquiéter Olivier Adam, ni Christine Angot, ni Valérie Nothomb ni même Michel Houellebecq (de gaz) ! Qu'ils se rassurent, leurs piles de livres sont toujours en tête de gondole des supermarchés de la littérature et les critiques de Elle, du Nouvel Observateur, de l'Express ou des Inrockuptibles leur tressent toujours les mêmes couronnes. Vidalie, lui, n'a jamais mangé de ce pain là. Il a quitté ce monde il y a trente ans, juste à temps pour ne connaître ni la critique tarifée, ni la littérature aux hormones. S'il nous revient aujourd'hui, c'est doucement, discrètement, d'un pas tranquille. C'est un écrivain artisan qui ne s'adresse qu'aux artisans lecteurs. A ceux qui considèrent qu'un bon livre ne se lit pas, vite fait, dans une rame de métro ou sur le siège d'un coiffeur, mais confortablement assis, dans un bon fauteuil, un verre de fine ou d'Armagnac à portée de main, sans compter ses heures, ni son plaisir. Vidalie, c'est une musique, une petite musique, une de ces ritournelles des années 50 qui ne payent pas de mine mais qui vous reste indéfiniment au creux de l'oreille. La France de Vidalie, c'est cette France aimable, ni riche, ni pauvre, heureuse de vivre, parfois mélancolique, si proche de nous et qui nous a quittés, un jour, sans demander son reste.

D'où vient donc cet effet Vidalie ? D'une initiative toute simple et parfaitement heureuse: les éditions du Dilettante, qui ont décidément un flair à toute épreuve, viennent de remettre à flots onze nouvelles de l'auteur des Bijoutiers du clair de lune, parues dans diverses gazettes entre 1946 et 1964 [1]. Assez peu de choses finalement. Mais suffisamment pour faire ressurgir le fantôme d'un écrivain plus connu par ses amitiés et ses frasques à Saint-Germain-des-Près que par une oeuvre dont les titres se comptent sur les doigts de la main. Car le nom d'Albert Vidalie fut longtemps et presque uniquement associé aux équipées de la bande du Bar-Bac, cette phalange de copains qui sévissait dans les années 60, entre rue de Seine et  rue de Buci, sous la conduite titubante mais magnifique d'Antoine Blondin. On se souvient des rôles de composition de Vidalie dans Monsieur Jadis ou l'école du soir, de la célèbre scène où, sous l'effet du vin de Loire, il transforme en champ de bataille le bistrot de Madame Blanche et bat la charge d'Austerlitz devant un parterre médusé. A cette époque, comme l'indique Blondin, Vidalie ne se souciait déjà plus beaucoup de l'avenir "sinon comme un champ promis à la célébration rétrospective de l'instant présent, qu'il s'ingéniait à rendre mémorable". De son passé, de sa jeunesse sans le sou à faire mille petits métiers, de ses cinq années de Stalag, il ne voulait plus tirer que des images pour ces moments d'amitié débordantes. Il avait déjà la quasi totalité de son oeuvre romanesque derrière lui. A commencer par ces Bijoutiers du clair de lune qui devaient lui valoir une petite célébrité, surtout après leur adaptation au cinéma par Vadim en 1958. Quelques nouvelles, quelques chansons pour Reggiani, Montand ou Greco, et voilà que les pas de Vidalie se perdent dans le gris des petits matins. Il disparaît au début des années 70, dans un Paris qui n'est plus vraiment le sien.

Le mérite du petit recueil du Dilettante, c'est de nous resservir toute une époque, dorée sur tranche. Car Vidalie est un fabuleux conteur et il sait jouer sur une palette extrêmement large. Il est chez lui dans le Paris des années 50, avec ses bougnats, ses poivrots héroïques, ses employés de bureau et ses boulevards extérieurs. Il raconte à merveille la banlieue, son populo au grand coeur, ses gamins qui jouent dans les flaques et dans les cours, ses trains enfumés, ses gares de triage et ses usines à gaz. Il est également à l'aise dans des histoires plus rurales, avec des sous-bois à l'automne, des feuilles qui craquent sous les pieds, de belles plaines fumantes comme celles du Hurepoix qui fut pendant un temps son décor familier. On l'attend moins dans le récit historique ou fantastique ou dans la fable poétique, et pourtant il y excelle. Il faut lire "L'Aimable-Julie", la nouvelle qui donne son titre au recueil, une histoire de marine à voile racontée à la façon de Florian ou de Bernardin de Saint-Pierre, avec ses côtes de Louisiane, ses Caraïbes, ses officiers de marine en dentelle et ses bals chez le gouverneur de Port au Prince. Il faut lire "Les amants bizarres", pastiche réussi d'un Dumas tourmenté ou d'un Barbey indulgent. Et on ne laissera pas de côté "Le petit chat d'Uzés", chronique moderne d'un couple qui s'aime. Chaque fois, Vidalie sait prendre le ton qu'il faut. Il passe en un tour de main de l'argot le plus cru au beau langage. Sa langue est riche, son récit jamais surchargé, la poésie vient s'y installer naturellement, comme chez elle, en bout de table.

Il y a un aussi un autre Vidalie, celui du Stalag et de la fraternité des prisonniers. On sent qu'Albert n'a pas facilement digéré son expérience allemande. Ses histoire de camps de travail, de troufions embarbelés, de caporaux épinglés et de shupos ne respirent pas la gaieté, la rigolade et la débrouillardise comme celles de Jacques Perret. Tout y est triste et pluvieux, les hommes y vivent mal, loin de chez eux, dans l'humiliation et la misère. Le boche en uniforme y est un boche en uniforme, braillard, hystérique, mauvais. On lui met son poing dans la gueule, quand c'est possible, chaque fois que l'on peut. Le civil allemand est plus humain, surtout lorsqu'il est du peuple et qu'il est paysan. Lisez "la Frontière", la dernière nouvelle du recueil, un récit d'évasion, une variante de la Vache et du Prisonnier, mais en solitaire, sans vache et qui tournerait très mal. En un peu moins de vingt pages, Vidalie en dit plus long sur le courage, le sens de l'honneur et la souffrance humaine que tout Céline, les grossièretés gratuites en moins. On ne peut pas s'empêcher de penser à Berger, le soldat fidèle de Vialatte, tourmenté par la faim, le froid et la honte de la défaite.

Soldats humiliés, purotins, bistrots, bandits de grands chemins, employés du gaz ou officiers de marine, voilà le petit monde d'Albert Vidalie. Les voix sont diverses, les époques sont différentes, mais c'est finalement la même France populaire qu'il met en scène en scène, joyeuse quand le soleil  brille, triste quand il y pleut, fière, courageuse, fraternelle. La France de nos livres d'histoire, celle des récits de brigands, et, plus près de nous, des photos de Doisneau ou de Cartier-Bresson. Est-ce parce que cette France nous manque, parce qu'elle a disparu trop vite de nos écrans que le petit recueil de Vidalie est salué un peu partout avec enthousiasme ? Du Parisien à l'Express, de Valeurs Actuelles à Service Littéraire [2], les critiques sont bonnes, excellentes, sympathiques au sens premier du mot. Seuls le Monde et Libération manquent à l'appel, mais on ne le regrettera pas. L'air qu'on respire chez Vidalie est trop pur, il aurait pu leur tourner la tête !

Eugène Charles.

 


[1]. Albert Vidalie, L'Aimable-Julie, Monsieur Charlot et consorts, Le dilettante, 256 pages.

[2]. On lira notamment avec plaisir la critique d'Olivier Bailly ("Bonnes nouvelles d'Albert Vidalie", Le Parisien Libéré du 18 octobre 2010) et celle de Gérard Puissey ("Le Hussard du Hurepoix", Service Littéraire, septembre 2010).

    

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7 mars 2011 1 07 /03 /mars /2011 11:30
Pise 1951           
 
de Dominique Fernandez                                                        
Mis en ligne : [7-03-2011]
Domaine : Lettres 
Dominique-Fernandez.gif

 

Né en 1929, Dominique Fernandez est romancier et essayiste.  Prix Médicis 1974 pour Porporino ou les mystères de Naples, prix Goncourt 1982 pour Dans la main de l'ange, il a été reçu en 2007 par l'Académie française. Il a récemment publié :  Dictionnaire amoureux de l'Italie. (Plon, 2008), Ramon. (Grasset, 2009), Avec Tolstoï. (Grasset, 2010), Villa Médicis. (Philippe Rey, 2010).

  


Dominique Fernandez, Pise 1951, Paris, Grasset, janvier 2011, 332 pages.


Présentation de l'éditeur.
En octobre 1951, Octave et Robert, deux étudiants français, arrivent à Pise où ils vont passer une année d'études. Ils découvrent une Italie à peine sortie de la guerre, archaïque, pittoresque et accueillante. Tous deux vont faire la connaissance d'une jeune fille qui vit un peu à l'écart de la ville, dans la villa splendide mais délabrée de ses parents, aristocrates ruinés. Les deux garçons tombent amoureux de la jeune fille, chacun à sa façon. Le roman raconte comment, à cette époque où une jeune italienne n'a ni le droit ni la possibilité de rester en tête-à-tête avec un garçon, l'amour naissait chez des êtres qui se connaissaient à peine. Il raconte aussi les hésitations de la jeune fille, partagée entre Octave et Robert.Ce roman fait revivre une Italie révolue, dont le charme invite à un voyage nostalgique dans le passé.

 
Article de Aliocha Wald Lasowski
, Le magazine littéraire. - janvier 2011

La divine Italie de Fernandez. Dominique Fernandez est italien comme Stendhal était milanais. On le savait : Pise 1951, son dernier roman, le confirme, comme un tampon sur un passeport. Le 15 septembre 1951, au matin, le narrateur et son ami Octave, deux jeunes parisiens, arrivent donc en gare de Pise. Le charme de l'Italie - "le velouté de l'air, le parfum des arbustes, la douceur de la brise", les palazzi somptueux et le chic de la mode - suscite excitation et enchantement. Le lecteur à son tour oublie l'heure et le temps, transporté par Dominique Fernandez sur les rives de l'Arno, débouchant sur la piazza dei Cavalieri au côté de ses héros, séjournant avec eux dans l'ancien palais des chevaliers de Malte. Le romancier nous plonge dans l'Italie de l'après-guerre. Ses personnages sont reçus en audience au Vatican par sa Sainteté Pie XII, dans la salle capitolina, conduits par l'aumônier de l'école. Là, ils s'enflamment dans des conversations sur l'art. Comment choisir entre Florence, l'austère cité, et Pise, où tout n'est que "négligence et poésie" ? On  lit chaque matin un chant de La Divine Comédie, on s'enchante de la cuisine italienne, "nette, simple, pure", avec ses légumes al dente et son merveilleux San Daniele. On participe aux discussions politiques sur la démocratie et les rêves de justice sociale, on se réunit dans l'arrière-salle du café Gambero rosso, tenu par un militant communiste, Arnaldo, fidèle d'Antonio Gramsci : "Plan Marshall, ONU, Otan agitaient aussi furieusement les esprits que la rivalité du pape et de l'empereur au Moyen Âge." L'Italie de Fernandez mêle sans cesse le passé et le présent, le sacré et le profane, les vivants et les morts. Les couloirs de l'école bourdonnent encore des rumeurs provoquées par le suicide de Cesare Pavese, en août 1950. Garçons et filles s'interpellent chez Gigi, le glacier près du pont. Espace de liberté, lieu de l'initiation : avec ses bordels des villas élégantes - "double perron, marquise de fer forgé, lionne de bronze en guise de heurtoir" -, avec ses longues promenades dans la campagne, Pise est pour l'écrivain ce qu'est Rome pour Fellini. Et voilà que les deux héros tombent amoureux. L'un de Renata, paysanne du Frioul, "c'était ce que j'appelle une vraie italienne. formes rebondies et simplicité animale, comme sont les reines d'opéra". L'autre d'Iavanka, "très pâle, une apparition", issue de la plus ancienne noblesse de Pise... L'Italie triomphe jusque dans le corps de ces filles. Avec ce retour à sa terre d'élection, aux saveurs, aux parfums, aux paysages qu'il aime, Fernandez prouve indubitablement que le romanesque est italien. 


Autres critiques : Guillaume de Sardes, "Octave et Robert", Service littéraire, février 2011. 


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28 février 2011 1 28 /02 /février /2011 13:00
Devenir de Gaulle                   
1939-1943
 
de Jean-Luc Barré
Mis en ligne : [28-02-2011]
Domaine : Histoire
Devenir-de-Gaulle.gif

  

Auteur de nombreuses biographies, Jean-Luc Barré dirige la collection « Témoignages pour l’Histoire » aux éditions Fayard ainsi que la collection « Bouquins », aux éditions Robert Laffont.  Il a récemment publié  :  Philippe Berthelot (Plon, 1998) , Dominique de Roux, le provocateur (Fayard, 2005), Mauriac, biographie intime (Fayard, 2009 et 2010). 


Jean-Luc Barré, Devenir de Gaulle, 1939-1943. Paris, Editions Tempus/Perrin, septembre 2009, 601 pages.


Présentation de l'éditeur.
La destinée de Charles de Gaulle se joue entre le 17 juin 1940, quand il décide d'entrer en rébellion, et le 9 novembre 1943, quand il parvient à s'imposer, contre Giraud et les Alliés, à la tête du premier gouvernement de libération nationale. Entreprise improbable dont Jean-Luc Barré relate et analyse chaque péripétie en s'appuyant sur des données jusqu'ici méconnues. Il est en effet le premier à avoir eu accès aux archives privées du général de Gaulle et aux manuscrits des Mémoires de guerre. Autant de sources inédites qui modifient profondément la connaissance et surtout l'appréciation des principales étapes fondatrices de l'épopée gaullienne. Ces documents apportent des éclaircissements saisissants sur des épisodes aussi controversés que l'affaire de Dakar, à l'automne 1940, ou celle de Syrie au printemps 1941. Ils conduisent à reconsidérer sous un jour inattendu un dossier aussi complexe que celui de l'assassinat de l'amiral Darlan. Ils fournissent des indications précieuses sur les relations entre le Général et la Résistance, notamment après la mort de Jean Moulin, et les tractations avec les communistes. Ils aident surtout à mieux comprendre comment l'homme du 18 Juin a conquis sa légitimité, inventé son mythe et son personnage, intégré peu à peu le rôle auquel il s'est toujours cru destiné pour véritablement devenir de Gaulle.
 
Critique de Daniel Rondeau. - L'Express.
Inépuisable de Gaulle. Il s'est arrangé pour que l'Histoire l'attrape par un pan de sa veste. Et l'on n'en finit pas de raconter comment l'affaire s'est passée. (...). Certains s'interrogent. Après Jean Lacouture, Alain Peyrefitte, Eric Roussel et tant d'autres, y a-t-il encore quelque chose à découvrir? Oui, répond avec raison Jean-Luc Barré, qui est le premier à avoir eu accès aux archives privées du Général et aux manuscrits des Mémoires de guerre. Barré rappelle aussi son talent à s'envelopper de mystère et de ruse. On peut prédire avec lui que de Gaulle n'a pas fini de s'abandonner à ce que Nimier appelait la «publicité des siècles» (mais il parlait de César). Si le héros de la France libre est devenu si vite un personnage inépuisable (et insaisissable), c'est sans doute parce qu'il eut l'audace d'écrire sa vie sur l'étoffe des songes, de la poésie et de la guerre, qui sont autant d'abîmes tournés vers l'inconnu. Les songes étaient ceux qu'avait évoqués autrefois Chateaubriand. C'est en rêvant que de Gaulle entrait en relation avec les Français pour les mener vers les plus hautes marches d'eux-mêmes. Sa poésie n'était pas seulement celle d'un «saint langage». C'était aussi une attitude: silence, chagrins cachés, gloire des royaumes intérieurs, tourments d'orgueil et de solitude. Sa guerre fut une guerre de libération, et son armée des va-nu-pieds. Son uniforme était cousu d'humiliations et de souffrances. Il finit en vainqueur, mais se garda bien d'oublier qu'il n'y a jamais de victoire. D'ailleurs, Londres, Kenmare (Irlande) ou Colombey, il y avait toujours un exil qui l'attendait.  Ces vies parallèles, mises en perspective par lui-même, ont créé du légendaire et aiguisé l'appétit des historiens. Jean-Luc Barré cite Malraux: «Tout grand créateur devient un mythe suscité par ses propres œuvres.» Barré n'entend pas faire un portrait de l'homme en pied, mais il s'attache à comprendre sa métamorphose décisive.  De l'entrée en rébellion d'un général quasi inconnu des Français au sacre d'Alger, quand il n'y a plus de Charles, seulement un homme qui s'identifie à la France. Fidèlement, Barré reconstitue ce parcours de quatre ans. La faillite de l'élite, l'adoubement de Mandel, le départ pour Londres, «sans romantisme ni difficulté», puis cette lutte au couteau, au bluff et au quotidien, pour rendre à la liberté française son feu et ses épines. Oui, dit-il, il y a bien eu négociations avec les Britanniques avant l'appel du 18 juin. Oui, de Gaulle était opposé à une deuxième tentative de débarquement à Dakar, après le désastre du 24 septembre. Non, l'Angleterre, avide de pétrole et voulant tenir la route des Indes, n'entendait à aucun prix laisser les mains libres aux Français en Syrie et au Liban. Oui, la question d'Orient pèse tellement sur ses relations avec les Anglais qu'il se décide à faire des avances aux Américains, etc. Tous les fidèles de l'histoire gaullienne liront Barré avec profit.

 

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28 février 2011 1 28 /02 /février /2011 00:43
Jean-Marc Bernard
(1881-1915)
 

Jean-Marc Bernard est né à Valence le 4 décembre 1881. Après une enfance et une jeunesse passée en Allemagne, en Angleterre, en Belgique et en Suisse, il s’installe à Saint-Rambert-d’Albon, dans la maison paternelle. C’est là qu’il compose son œuvre poétique tout en publiant, avec son ami Raoul Monier, la revue poétique, satirique et monarchiste Les Guêpes où il accueille Paul-Jean Toulet et Francis Carco et à laquelle collaborèrent Maurice de Noisay, Henri Martineau, Eugène Marsan, Henri Clouard, Louis Thomas etc… Avec ses amis  Tristan Derème, Jean Pellerin, Robert de la Vaissière, Léon Vérane, Georges Fourest et Franc-Nohain, il participe à l’aventure intellectuelle de l’Ecole fantaisiste. Proche de l’Action française, il collabore régulièrement à la Revue critique des idées et des livres, où il tient la chronique littéraire.  Incorporé dans l'infanterie au début du premier conflit mondial, il est tué au front le 5 juillet 1915. Ses Œuvres complètes paraissent en deux tomes en 1923.

Comme le signale, Robert Sabatier, « quelques-uns des plus beaux poèmes fantaisistes figurent dans ses œuvres, et surtout dans son recueil Sub tegmine fagi où rôde le souvenir de La Fontaine, où des quatrains d’Omar Khayyam sont librement adaptés, où les paysages de la vallée du Rhône s’accompagnent de chants d’amour et d’amitié. »

 

L’homme et le Sphynx (Valence, Jules Céas et fils, 1904), La mort de Narcisse (Valence, A. Ducros, 1905), Le banquet ridicule (Valence, Ed. des Guêpes, 1909), Quelques poèmes (Nouvelle librairie nationale, 1910), Sub tegmine fagi (Ed. du temps présent, 1913), Œuvres complètes (Le Divan, 1923). 

Bibliographie : Henri Clouard, Histoire de la littérature française, du symbolisme à nos jours (Albin Michel, 1947). – Robert Sabatier, Histoire de la poésie française, la poésie du XXe siècle (Albin Michel, 1982). 
 
 
Programme
 
Jetons les livres allemands,
Par les fenêtres, à brassées.
Foin des cuistres et des pédants,
Et vivent les claires pensées!

Mieux vaut, couché sur le gazon,
Relire, loin des philologues,
Catulle, Horace, Anacréon
Et le Virgile des Eglogues.

Car l'antiquité nous instruit.
Chacun de ses auteurs répète :
Le temps irréparable fuit...
Cueille le jour, dit le poète.

Ah! Contentons-nous désormais
De ces vérités éternelles
Que nous méditerons en paix
Sous les raisins de nos tonnelles.

Puisque se lamenter est vain,
Ne pleurons point la mort des choses :
Versons ces roses en ce vin,
En ce bon vin versons ces roses.

Goûtons la joie et le chagrin
Que, tour à tour, chaque heure apporte;
Car la Mort, pourrait bien, demain,
Frapper du poing à notre porte.
 
     
 
Jean-Marc Bernard (1881-1915). Sub tegmine fagi (1913).
 
 
Lentus in ombra
 
A Charles Maurras
Presque à plat ventre dans l'herbe
Qu'ombrage un fin peuplier,
Je regarde scintiller
Les eaux du Rhône superbe.

Arbres et collines font,
De l'autre côté du fleuve,
Une image toujours neuve
Sur l'immobile horizon.

Ce paysage tranquille
Sait emplir de sa douceur
L'intelligence et le coeur
Comme un beau vers de Virgile.

Pourrai-je dire comment
Il ravit mon indolence ?
Mieux vaut goûter son silence
Et me taire également...
 
     
 
Jean-Marc Bernard (1881-1915). Sub tegmine fagi (1913). 
 
 
La chanson de France
 
O mon Dieu, quel farouche amour :
Meurtres, mauvais-oeil et folie !
On voit bien que nous partons pour
Le chaud pays de l'Italie.

La Chanson de Naples, c'est elle
Qui s'envole de ces feuillets
Elle a, cette chanson si belle,
Le parfum poivré des oeillets.

L'amour, chez nous, est plus discret;
On ne meurt pas quand il s'achève.
Il ne laisse que le regret
Emouvant d'une heure trop brève.

J'aime mieux la "chanson de France",
Au printemps clair, sous les lilas...
Faut-il donner tant d'importance
A des choses qui n'en ont pas ?
 
     
 
Jean-Marc Bernard (1881-1915). Sub tegmine fagi (1913).
 
 

corbeille de fruits

 
 
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27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 13:00
Dans un cocktail couleur tango
                                                                                                 
Dans un cocktail couleur tango
je buvais les yeux de ma belle :
l’un est vert l’autre mirabelle,
je buvais les yeux de Margot.
 
Margot mon rêve, au pas d’un tango,
a piétiné l’image frêle,
ses yeux aux couleurs rebelles
troublés par mon chalumeau.

Le divin cocktail de mes larmes,
par un beau soir à Monaco,
Ô fées Méditerranéennes,
Je l’ai bu au son d’un tango.
cocktail-copie-1.jpg
 
Robert Desnos. (1900-1945). Prospectus. (1918). 
 
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26 février 2011 6 26 /02 /février /2011 04:48
Les conditions du renouveau
 
Les éditions L’Harmattan viennent de rééditer deux ouvrages majeurs de Georges Sorel (Introduction à l’économie moderne [1], La décomposition du marxisme [2]) que nous ne saurions trop recommander à ceux de nos lecteurs qui désirent se familiariser avec l’œuvre du grand philosophe social.
L’Introduction à une économie moderne (1903) donne un aperçu assez complet des idées de Sorel sur l'évolution des sociétés industrielles. Dans le prolongement des thèses de Proudhon, il émet l’intuition que c’est l’innovation, l’esprit technique et donc l’intelligence humaine qui sont désormais au cœur du process de production, et non plus les facteurs de production classiques que sont le capital et la quantité de travail. L’ouvrier, le technicien, l’ingénieur, l’apporteur d’innovation, l’artiste sont les composantes d’une nouvelle classe de producteurs à qui l’avenir appartient. La lutte des classes n’est plus simplement l’expression d’une guerre entre dominants bourgeois et dominés prolétariens, ni la conséquence – comme le pensait certains marxistes orthodoxes – des contradictions du capitalisme. C’est un conflit entre la classe montante, celle qui est la mieux à même  de faire fructifier la production - du point de vue économique mais aussi de son utilité sociale - et la classe possédante, qui n’envisage la production que du strict point de vue du capital qu’elle y a investi. Sorel trouve ici l'occasion de développer et d'actualiser les concepts d’aristocratie ouvrière et de producteurs libres, chers à Proudhon.
On y trouve également de premiers développements autour de l’idée de "mythe" révolutionnaire. Sorel, toujours préoccupé du passage de l’idée à l’action, s’interroge sur la meilleure façon d’entrainer les classes productives vers le socialisme. Les théories les plus savantes, les modèles les plus séduisants n’ont que peu d’emprise sur le mouvement social. Marx lui-même n’a-t-il pas créé de toutes pièces sa vision catastrophiste de l’histoire – schéma simple, presque simpliste de l’avenir – pour aiguillonner les esprits et provoquer un ralliement massif aux thèses de la révolution ? Sorel fait sur ce point le parallèle avec ce que dit Vico de la vieille sagesse populaire : elle exprime souvent, par le conte, le mythe ou la tradition, des vérités qui ne s’imposeront scientifiquement que beaucoup plus tard, lorsque les concepts pour les comprendre auront été trouvés. On sait que Sorel proposera quelques années plus tard de faire de la grève générale ce mythe capable de mettre en mouvement les classes productives.
Il y a enfin dans l’Introduction à une économie moderne quelques belles pages sur l’Etat et sur la démocratie. On connait les préventions de Sorel, rejoignant là encore son maître Proudhon, vis-à-vis de l’étatisme et du jacobinisme. A l’Etat « idéaliste », volontariste, éducateur, qui intervient de façon tatillonne et très souvent inefficace dans le champ de l’économie et de l’organisation sociale, Sorel préfère un Etat « fonctionnel », arbitre, indépendant, qui veille aux équilibres sociaux et à l'élimination des obstacles au progrès. C’est aux syndicats de producteurs, organisés par groupes d’entreprises, branches ou filières, de prendre l’initiative en matière économique et de gérer les instruments de la solidarité sociale. C’est aux régions et aux communautés territoriales de veiller à ce que la production trouve les conditions favorables à son épanouissement sur l’ensemble du territoire. Sorel manifeste ici sa méfiance vis-à-vis de la démocratie, d’une politisation de l’Etat par les partis qui porte atteinte à la probité des fonctionnaires et favorise le népotisme. Des remarques qui conservent aujourd’hui leur pleine actualité.
Quant à la Décomposition du marxisme, publiée en 1908, la même année que les Réflexions sur la Violence, elle met en ordre l’ensemble des critiques adressées par Sorel, moins d’ailleurs à Marx lui-même dont il soutiendra jusqu’au bout les intuitions, qu’aux épigones français et allemands de Marx. Plus datée que l’ouvrage précédent, notamment parce qu’elle rentre dans le détail des débats qui agitaient les milieux socialistes en ce début de siècle, la Décomposition du marxisme a le mérite de présenter les arguments de Sorel contre ceux, Jaurès en tête, qui cherchaient à rallier le socialisme à la démocratie bourgeoise et à le transformer en parti politique. « L’expérience nous apprend que la démocratie peut travailler efficacement à empêcher le progrès du socialisme, en orientant la pensée ouvrière vers un trade-unionisme protégé par le gouvernement. », dit Sorel. Il ne serait sans doute pas autrement surpris de voir ce que les héritiers de Jaurès ont fait de l’idée socialiste en France, sous sa forme social-démocrate comme sous sa forme communiste.
Cette longue digression sur ces deux livres nous donne l’occasion de répondre sur le fond au billet publié il y a quelques semaines par nos amis du Lyon Royal, sous le titre « Révolution syndicaliste, autogestion et en attendant… ». Pour la clarté de la discussion, ce texte est redonné en fin de notre article.
Le texte du Lyon Royal tire le bilan des grèves de l’automne et il lance un certain nombre de pistes théoriques et pratiques pour l’action à mener en 2011. Disons d’emblée que cette contribution nous a fortement réjouis. On aura compris pourquoi à la lecture de ce qui précède et on le comprendra mieux encore à l’aune de ce qui va suivre :
 
1.    Nos amis du Lyon Royal ont raison d’affirmer que les grèves de cet automne ont marqué plus qu’une méfiance vis-à-vis de l’Etat et de l’idée que l’Etat devait être au cœur du processus de transformation. Nous pensons même que ce mouvement s’est constitué contre les initiatives intempestives de l’Etat dans le champ social. Un grand nombre de Français considèrent aujourd’hui que la question des retraites devrait relever exclusivement des partenaires sociaux et, en premier lieu, des syndicats de travailleurs. Les promesses faites par M. Fillon et M. Sarkozy de respecter scrupuleusement le dialogue social et ses résultats n’ont pas été tenues. Pire encore, le texte sur les retraites n’a donné lieu à aucune discussion sérieuse, organisée avec les représentants des salariés. C’est cette main mise du pouvoir sur la société que les Français n’acceptent plus. Et c’est d’abord pour cela que beaucoup d’entre eux sont descendus dans la rue en octobre dernier.
2.    Cette remarque vaut aussi et plus largement pour l’ensemble des dispositifs relevant de l’organisation du travail ou de la solidarité. Nous avons cru, nous aussi, que des réformes législatives pourraient durablement changer la vie des plus modestes, notamment en matière de réduction du temps de travail. Force est de constater que ces textes législatifs, mal montés, mal concertés, politisés à l’extrême dans un sens comme dans un autre, sont largement passés à côté de leur cible. Que l’on prenne l’exemple de nos voisins, et notamment de ceux qui présentent des modèles sociaux plus avancés que le nôtre, on constatera que, chaque fois, le consensus s’est construit par la volonté des partenaires ou par le rapport de force social, l’Etat jouant le rôle de facilitateur, jamais de promoteur. Notre soit-disante « démocratie sociale » ne fonctionne pas parce qu’elle n’a rien de sociale et qu’elle cumule par contre toutes les tares de la démocratie politique.
3.    Le Lyon royal a également raison de dire que la remise en marche de la société passe par une révolution dans le syndicalisme. Rien ne sera possible tant que le rapport de force actuel existera entre monde du travail et détenteurs du capital. Il est illusoire de penser qu’on peut faire significativement bouger la société dans le sens d’un meilleur partage des richesses et des responsabilités sans un syndicalisme fort. C’est-à-dire un syndicalisme rassemblé, et non plus émietté en une poussière d’appareils qui ne représentent plus, pour certains, qu’eux-mêmes. Un syndicalisme modernisé, offensif, constructif et pragmatique, force de propositions dans l’ensemble du champ économique et social, qui ne se cantonne plus à la défensive, à l’obstruction et à la protestation. Un syndicalisme puissant, largement représentatif des salariés dans leurs filières et leurs métiers, enraciné territorialement. Ce qui suppose très certainement d’instaurer en France, comme c’est déjà le cas dans des pays socialement plus avancés, l’obligation de se syndiquer.
4.  Enfin nous faisons complètement nôtre l’idée que la révolution sociale doit être autogestionnaire et entrepreneuriale. Ce qui signifie qu’elle doit s’adresser à l’ensemble des producteurs, ouvriers, employés, agriculteurs, ingénieurs, innovateurs, artistes, avec la conviction que c’est le travail, l’intelligence humaine, l’esprit d’innovation et d’organisation qui fait la richesse des nations. Ce qui signifie également que la question du capital financier, du drainage de l’épargne nationale, de la propriété publique (ou collective) du crédit doit être d’urgence reposée, de même que celle d’un contrôle efficace du capital étranger. Ce qui signifie enfin que l’organisation du travail, c'est-à-dire le statut de l’entreprise elle-même, doit profondément évoluer et s’inspirer du modèle coopératif qui permet au producteur de tirer de son travail le meilleur de lui-même.  
5.    C’est ce projet, syndicaliste, autogestionnaire et fédéraliste, que nous appelons nous aussi de nos vœux. L’équipe de la Revue critique est prête à y travailler avec d’autres, dans le cadre, pourquoi pas, d’Etats généraux du peuple de France.
Henri Valois.
 
 
Révolution syndicaliste, autogestion, et en attendant ...

  Depuis trop longtemps l'idée de révolution a été réduite à la main mise sur l'Etat et de l'Etat au risque de ne plus voir que le cœur du pouvoir réside dans l'économie qui entraine la machine sociale, hiérarchise la société et met en œuvre la violence sociale dans le travaille logement, se paie en chômeurs aussi bien qu'en profit.
C'est lorsque apparaisse par la grève des remises en cause de cette mécanique d'exploitation que l'Etat menace ou met en œuvre la violence des gens d'armes: réquisition, intervention des forces armées viennent briser les grèves qui entravent les affaires.
Ainsi trompé par des discours opportunistes, par des politiciens dont l'opinion fluctue au gré des marchés, nous avons pu croire que des réformes législatives pourraient contribuer à changer durablement la vie des populations modestes, à l'amélioration des conditions de vie des salariés. Santé, éducation, réduction du temps de travail (35 Heures et retraites).
Aujourd'hui nous faisons le terrible constat de ces illusions perdues, les réformes législatives peinent à assurer le bien être de plus d'une génération, l'économie que nous avons cru pouvoir faire d'une révolution de l'organisation industrielle et financière, des rapports sociaux et des institutions se paie d'un retour de la misère, du chômage de masse, de la précarité grandissante de nos vies.    
La révolution sociale à laquelle nous devons aspirer doit être autogestionnaire et entrepreneuriale, visant à la reconstitution du tissu industriel et agricole mis à mal par la spéculation, la révolution sociale à laquelle nous devons nous préparer ainsi que nos organisations syndicales. Voilà quelques uns des principes que je voudrais défendre sur ce blog dans les mois à venir.
Le principe d'une révolution populaire qui viendra s'articuler avec la convocation d'Etats généraux du peuple de France, voilà le projet du Lyon Royal actualisé en ce début d'année 2011. 

Le Lyon Royal du 3 janvier 2011.


[1]. Georges Sorel, Introduction à l’économie moderne. (L’Harmattan, novembre 2010, 385 p.)
[2]. Georges Sorel, La décomposition du marxisme. (L’Harmattan, novembre 2010, 67 p.)

 

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N°1 - 2009/01
 
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