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3 novembre 2010 3 03 /11 /novembre /2010 19:42
Cartographie             d'une France morte  
michel houellebecq

 

La carte et le territoire, de Michel Houellebecq  [1], s’ouvre sur une page ambiguë ; et cette ambiguïté est le sujet même du roman. Il s’agit d’une conversation entre Jeff Koons et Damien Hirst : « Jeff Koons venait de se lever de son siège, les bras lancés en avant dans un élan d’enthousiasme. Assis en face de lui sur un canapé de cuir blanc partiellement recouvert de soieries, un peu tassé sur lui-même, Damien Hirst semblait sur le point d’émettre une objection. » On a compris que ce qui est décrit n’est pas une scène réelle : « Le front de Jeff Koons était légèrement luisant : Jed l’estompa à la brosse, se recula de trois pas. »

Le lecteur qui a hésité sur le sens de cette scène, avant de comprendre qu’il s’agissait de la description d’une toile, est dans la même situation que Jed Martin, l’auteur du tableau, et Michel Houellebecq, le créateur de Jed Martin : comment l’art et la littérature d’aujourd’hui, s’ils cherchent à être réalistes sans être véristes, vraisemblables sans être académiques, peuvent-ils donner au lecteur, au spectateur, « une vision juste de la société » [2] ? – Toutes les questions posées par ce livre, que les créateurs se posent depuis toujours, sont livrées dès cette première scène.

 

*

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Jed Martin est le petit-fils d’un photographe et le fils d’un architecte ; mais, s’il s’inscrit au moins en apparence dans une filiation de créateurs, il est le seul à devenir un artiste : son grand-père et son père n’y sont jamais parvenus. Le premier vivait dans la Creuse et n’a jamais dépassé l’artisanat, le second est devenu entrepreneur et s’est installé au Raincy. Tous les deux se sont élevés socialement, mais ils ont dû renoncer à donner à leur ambition une dimension vraiment esthétique : les nécessités matérielles les ont obligés à se spécialiser, dans les mariages et les communions pour l’un, dans les constructions balnéaires pour l’autre.

Seul Jed, donc, qui n’a plus la Creuse et le Raincy pour ancrage, pour perspective, est un artiste, qui se sert d’ailleurs des disciplines de ses devanciers pour créer. C’est l’exposition d’un travail photographique à partir de cartes routières Michelin qui va le lancer : « Dans la salle proprement dite, sur de grands portants mobiles, Jed avait accroché une trentaine d’agrandissements photographiques – tous empruntés aux cartes Michelin “Départements”, mais choisis dans les zones géographiques les plus variées, de la haute montagne au littoral breton, des zones bocagères de la Manche aux plaines céréalières de l’Eure-et-Loir. »

Ces cartes d’une France rurale, d’une France passée, morte et mise au tombeau, Houellebecq les décrit avec suffisamment de précision pour nous en faire sentir l’étrange beauté plastique ; et c’est précisément la question (très abstraite) qui court tout du long de ce livre (si concret) : d’où vient la beauté qui émane de ces cartes qui montrent en quelque sorte la France sans la France, i.e. la stylisation, plane et colorée, de ses montagnes, de ses forêts, de ses cours d’eau, – de tout ce qui a servi aux peintres et aux écrivains pour représenter la beauté ? Est-ce encore la France ? Est-ce encore un art ? La réponse à ces questions est la clef de la réflexion que mènent Jed Martin, et Michel Houellebecq, sur la représentation du monde, sur le but de l’art aujourd’hui, sur la volonté de donner « une vision juste de la société ».

La carte Michelin est donc la métaphore d’une réalité moins véridique et moins belle que sa représentation : le « littoral breton », les « zones bocagères de la Manche », les « plaines céréalières de l’Eure-et-Loir » ont désormais infiniment moins de valeur esthétique que leur visualisation sur une carte. On doit ce paradoxe au fait que la France, dont les paysages, le terroir, la cuisine, sont désormais le bien le plus précieux, la principale ressource, la seule industrie viable, et finalement l’unique chance de survie économique, n’est plus qu’une firme touristique, une usine de retraitement de déchets touristiques : la plus petite commune de la région la plus reculée est à présent le siège, la cible, la proie du tourisme. Cette évolution ne va pas sans dégâts, bien entendu, et, si l’on en croit cette description d’une commune rurale muséifiée, Houellebecq en a la claire conscience : « Le village en lui-même lui avait fait très mauvaise impression : les maisons blanches aux bardeaux noirs, d’une propreté impeccable, l’église impitoyablement restaurée, les panneaux d’information prétendument ludiques, tout donnait l’impression d’un décor, d’un village faux, reconstitué pour les besoins d’une série télévisée. Il n’avait, du reste, croisé aucun habitant. »

Cette France « impitoyablement restaurée », et donc vidée de ses indigènes, ce pays-simulacre, Jed a l’intuition que sa représentation cartographique lui est indiscutablement supérieure. Le titre de son exposition est d’ailleurs : « La carte est plus intéressante que le territoire » ; ce qui pourrait aussi se dire avec les mots de Guy Debord : dans le monde réellement inversé, la beauté est un moment du faux.

On note également que, par rapport aux disciplines pratiquées par son grand-père et son père (la photographie et l’architecture), l’art de Jed (au moins dans cette étape de son travail dite des « cartes Michelin ») est paradoxalement plus visuel et moins réel, au plus près de la réalité sans en être la reproduction fidèle. – Et peut-être est-ce la voie que le romancier assigne à la création d’aujourd’hui.

 

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Cette France finie, fantomatique, qui n’a plus de valeur esthétique que dans son simulacre, et de valeur économique que dans son tourisme, Jed Martin (et Michel Houellebecq si l’on en croit certaines de ses interviews) n’éprouve pour elle aucune nostalgie, et d’abord parce qu’il ne la connaît pas : « De la France Olga ne connaissait au fond que Paris, se dit Jed en feuilletant le guide French Touch ; et lui-même, à vrai dire, guère davantage. À travers l’ouvrage la France apparaissait comme un pays enchanté, une mosaïque de terroirs superbes constellés de châteaux et de manoirs, d’une stupéfiante diversité mais où, partout, il faisait bon vivre. »

Ne connaissant pas le pays où il est né, il ne peut pas regretter sa perte. On entend d’ailleurs dans le nom de ce héros l’éloignement du pays originel, Martin renvoyant au patronyme français par excellence, et Jed à l’itinéraire international, anglo-saxon, du créateur [3].

Si Jed regarde cette agonie sans mélancolie, c’est aussi parce qu’il se défie de la nature : l’homme, dit-il, n’en fait pas partie, il s’est élevé au-dessus d’elle et s’en est rendu maître : il n’y a donc aucune raison de la trouver admirable, de lui vouer un culte ; et l’artiste de trouver même impie que l’on disperse les cendres d’un homme « dans les prairies, les rivières ou la mer » : un homme est « une conscience unique, individuelle et irremplaçable », dont le passage terrestre doit trouver sa marque dans « un monument, une stèle, au moins une inscription ». Ainsi, puisque se trouve apparemment enterrée la part lyrique de l’art d’autrefois, autant que la nature serve de produit touristique.

Aucune tristesse, chez Jed Martin, pour ce monde qui meurt, et pas davantage sans doute chez Michel Houellebecq, pour cette France crevant sous l’industrie touristique. Lorsque le plasticien se lance dans ses premiers tableaux (« la série des métiers simples »), où il peint des représentants de professions en voie d’extinction (« Ferdinand Desroches, boucher chevalin », « Claude Vorilhon [4], gérant de bar-tabac »), ce n’est pas la mélancolie qui le pousse, mais la volonté de « fixer leur image sur la toile pendant qu’il [est] encore temps ». (C’est ce qui distingue Jed de Jean-Pierre Pernaut [5], celui-ci figurant dans le récit la raréfaction de la France rurale, paysanne et artisanale.)

C’est sans doute ce désir de décrire, objectivement, comme un primatologue étudierait des gorilles menacés de disparation, un monde qui meurt, avec un autre qui naît, qui sert de principe à l’auteur de Plateforme lui-même : « Le regard que Jed Martin porte sur la société de son temps (...) est celui d’un ethnologue bien plus que d’un commentateur politique », écrit Houellebecq (qui apparaît comme personnage dans le roman). Gageons qu’il s’agit là de l’ambition de Houellebecq lui-même (l’écrivain, cette fois-ci) : dire ce qu’il voit, et uniquement ce qu’il voit, à l’heure où tant d’artistes offusquent le réel, et l’art conséquemment [6].

C’est d’ailleurs sa description objective du monde qui fait souvent passer ce romancier pour un provocateur [7] : c’est un contresens, – à moins de considérer, et ce n’est pas sans fondement, la peinture de la réalité, d’une réalité que l’on s’obstine à cacher sous le tapis, comme une provocation [8]. Houellebecq, comme Jed Martin, est essentiellement un ethnologue.

 

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Ce roman où la fin d’un pays et d’une civilisation n’est pas l’objet d’une émotion particulière n’en est pas moins un roman nostalgique ; seulement la mélancolie ne s’attache ni aux êtres ni aux paysages mais, c’est un des aspects originaux du livre, à des objets manufacturés (vêtements, automobile, par exemple), auxquels est accrochée l’image d’un produit parfait, qui ne sont plus fabriqués, et pour lesquels Houellebecq éprouve le sentiment d’une perte irrémédiable. La mélancolie moderne va désormais aux objets plus qu’aux êtres.

On ne sera d’ailleurs pas étonné de trouver, associée à l’idée du bonheur, un bonheur tel que l’imagine Houellebecq, c’est-à-dire un bonheur par défaut, une ataraxie, l’absence de douleur donc, une automobile chaude, confortable, où protéger sa solitude : « A la hauteur de Melun-Sud l’atmosphère s’emplit d’une brume blanchâtre, la progression des voitures ralentit encore, ils roulèrent au pas pendant plus de cinq kilomètres (...). [Jed] se rendit compte qu’il allait maintenant quitter ce monde dont il n’avait jamais véritablement fait partie (...), il serait dans la vie comme il était à présent dans l’habitacle à la finition parfaite de son Audi Allroad A6, paisible et sans joie, définitivement neutre. »

Telle est la France de Jed Martin et de Michel Houellebecq, la France où nous vivons : « paisible », « sans joie », « définitivement neutre », – aussi morte que Fenouille, la paroisse décrite par Bernanos dans Monsieur Ouine.

Bruno Lafourcade.



[1]. Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire (Flammarion, 2010).

[2]. C’est le mérite que se reconnaît d’ailleurs Houellebecq, si l’on en croit ce qu’il fait dire de lui-même par le père de Jed : « C’est un bon auteur, il me semble. C’est agréable à lire, et il a une vision assez juste de la société. »

[3]. Les prénoms et les noms des personnages (Marylin Prigent, l’attachée de presse ; Forestier, le Directeur de Michelin ; Pépita Bourguignon, la critique d’art du Monde) mériteraient un long commentaire ; on se contentera de souligner qu’ils vont souvent de l’allégorie au sarcasme.

[4]. On n’oublie pas qu’il s’agit du fondateur de la secte de Raël, que Houellebecq a approché, notamment pour un de ses romans.

[5]. Dans un article, récent et rempli de contresens, sur lequel reviendra une autre note, on pouvait lire : « Jean-Pierre Pernaut, longuement moqué dans le roman... » Or, à aucun moment, bien entendu, on ne se « moque » de ce journaliste ; il n’y a aucun second degré dans le portrait que Houellebecq fait de ce présentateur de journal télévisé.

[6]. Puisque La carte et le territoire s’ouvre sur Jeff Koons (et son « apparence de vendeur de décapotables Chevrolet », écrit drôlement Houellebecq), dont on a vu récemment les lapins et les homards à Versailles, au moment même où l’on montrait des tags et des graffitis au Grand-Palais, il est opportun de se demander quelle réalité et quel art ces salauds et leurs salauderies nous cachent, puisque le seul rôle de ces salisseurs et de leurs salissures n’est pas de faire voir, mais d’empêcher de voir Versailles et le Grand-Palais, c’est-à-dire d’offusquer l’art, de le recouvrir, de le détruire.

[7]. Très récemment, c’était encore le cas dans l’article (« Michel Houellebecq peut-il encore rater le Goncourt ? ») publié dans Le Figaro littéraire du 27 octobre. Selon les auteurs de cet texte, l’écrivain en aurait fini avec les « les rodomontades » puisque dans son nouveau livre on ne trouverait « plus d’érotisme glauque, ni de considérations douteuses sur l’islam, les femmes, l’eugénisme, etc. » Or il n’y a pas de « rodomontades » dans les idées, les descriptions ou les propos de Houellebecq, il n’y a que le constat général de l’état du monde ; et cette façon que l’on a de ramener l’écrivain à de la provocation facile n’est qu’une façon de diminuer son point de vue, d’en réduire la portée, – quand la qualité essentielle de l’auteur de Lanzarote est au contraire la lucidité.

[8]. On pense par exemple aux passages où sont décrites les mutations à venir dans certaines banlieues aisées (Le Raincy, dans le roman) : « ... son père qui refusait de quitter obstinément cette maison bourgeoise, entourée d’un vaste parc, que les mouvements de population avaient progressivement reléguée au cœur d’une zone de plus en plus dangereuse, depuis peu à vrai dire entièrement contrôlée par les gangs. » Quand on connaît la vigilance idéologique sans faille des milieux médiatiques en règne – LesInrockuptibles, notamment –, on se demande comment Michel Houellebecq échappe à leurs fourches caudines ; et obtient même leur fidèle soutien.

 

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2 novembre 2010 2 02 /11 /novembre /2010 09:47

La France qui se bat

 

L'actualité sociale d'octobre a été presque exclusivement marquée par la bataille des retraites et par la mobilisation qui s'est exprimée à cette occasion. L'opinion publique continue d'ailleurs de soutenir  très largement  le mouvement et les niveaux de popularité du gouvernement et du chef de l'Etat n'ont jamais été aussi bas. Mais le succès des  grandes manifestations parisiennes et des défilés impressionnants de Lyon, de Saint Etienne, de Marseille, de Lille, de Poitiers ou de La Rochelle ne s'explique pas seulement par l'opposition à la loi Woerth. Il  prend  également  appui sur les conflits  qui agitent un peu partout le tissu social.  Les salariés du privé, et en premier lieu ceux qui se trouvent confrontés à la fermeture de leur usine, à des plans sociaux drastiques, aux délocalisations d'activité ou au chantage à l'emploi, ont voulu dire leur inquiétude et leur détermination à se battre.  Mais aussi leur ras le bol vis à vis des agissements des groupes multinationaux qui licencient à tour de bras, tout en bénéficiant de l'indulgence, et même parfois de la complicité des pouvoirs publics. L'affaire la plus scandaleuse concerne l'équipementier américain Molex, qui refuse sans scrupule de payer les indemnités dues à ses salariés licenciés alors qu'il est sous le coup de quatre décisions de justice. Le gouvernement dispose pourtant de tous les moyens de faire rendre gorge à ce groupe de voyous internationaux, en commençant par saisir ses actifs et par bloquer ses comptes en France. Mais il préfère atermoyer, au nom sans doute de notre "image dans le monde". Alors on s'agite, on fait des moulinets - comme M. Estrosi qui enjoint PSA et Renault de prendre des mesures de rétorsion vis à vis Molex ! - et on finit par annoncer que c'est l'Etat, c'est à dire le contribuable français, qui paiera le plan social en lieu et place des yankees défaillants !  De la même façon, est-il acceptable que  l'Etat tolère l'attitude de groupes étrangers qui se livrent à de véritables chantages, en imposant des baisses de salaires contre d'illusoires promesses de maintien de l'emploi ? Est-il normal qu'il y prête la main, en désignant, comme chez Continental Automotive, un médiateur chargé d'inciter les syndicats à signer de tels accords ?  N'est-il pas scandaleux à l'inverse, alors que la justice annule régulièrement des plans sociaux - comme  elle vient encore de le faire à l'encontre du groupe autrichien Palmers, propriétaire de Lejaby - que l'Etat ne joue pas son rôle de protection du travail français, en forçant les actionnaires de ces groupes à revoir rapidement et complètement leur copie ? Que l'on ne s'étonne pas dans ces conditions de trouver les Français de plus en plus rétifs à une mondialisation qui ne fonctionne qu'au bénéfice des plus forts et à une Europe qui ne protège rien, sinon le capitalisme apatride? Et que l'on ne s'étonne pas non plus qu'ils finissent par rejeter en bloc un régime, aujourd'hui à droite, demain à gauche, qui ne les défend plus en rien. Qui a dit que la République en France, c'était le règne de l'étranger ?

H. V.


Mercredi 13 octobre
- Ambiance très tendue dans l'usine Fralib (thés Lipton et Eléphant) de Gémenos où travaille 182 salariés et dont le géant américain Unilever a annoncé la fermeture. Alors que syndicats et direction devaient discuter du plan social, une centaine de salariés ont retenu le directeur du site et le DRH. Des débrayages sont prévus dans les prochains jours.  
Vendredi 15 octobre 
- L'Etat a nommé un médiateur chez Continental Automotive pour tenter d'obtenir l'accord des syndicats majoritaires (CGT et CFDT) sur un plan de maintien de l'emploi qui impose une réduction de 8% de la masse salariale. 52% des 2500 salariés des établissements Continental de Toulouse et Boussens s'étaient prononcés en septembre dernier en faveur du plan de la direction. Les syndicats s'y opposent en faisant valoir que Continental est un groupe bénéficiaire qui ne cherche qu'à élargir ses profits et à pratiquer le management par la peur. Le dirigeant  français de Continental semble leur donner raison en prévenant "qu'un miller d'emplois seront menacés si le plan n'est pas accepté.
Mardi 19 octobre
- Le groupe américain Molex refuse de revenir sur sa décision  de ne plus financer le plan social pour les salariés de son usine de Villemur-sur-Tarn (Haute-Garonne) si la plainte déposée par  le personnel aux Prudhommes n'est pas retiré. "Nous sommes ouverts à un dialogue, dit la direction de Molex France, mais il faudrait au préalable que les 188 plaintes soient retirées".
Jeudi 21 octobre
- Le tribunal de grande instance de Lyon a annulé le plan social lancé par le fabricant de  lingerie feminine Lejaby, en estimant que la direction avait "fait preuve d'un comportement déloyal". La justice reproche au groupe autrichien Palmers, le propriétaire de Lejaby, d'avoir caché au personnel son contentieux avec l'ancien propriétaire de Lejaby, l'américain Warnaco. Le plan social prévoit 193 suppressions d'emplois et la fermeture de Lejaby.
Samedi 23 octobre
- Tout en présentant un bénéfice bien supérieur aux attentes, le groupe finlandais Nokia, principal fabricant mondial de téléphones mobiles a annoncé la suppression de 1800 postes de travail. Cette annonce a été saluée par la canaille boursière sur toutes les places du monde.
Lundi 25 octobre
- Après 45 jours de grève, suivie par 94% des salariés du service commercial, la direction d’Educatel à Rouen a été obligée de revoir les objectifs commerciaux qu’elle leur imposait et qui obligeaient les salariés à plus de 60 heures supplémentaires non payées par mois pour atteindre le Smic.
Mardi 26 octobre
- L'Etat va s'associer à une plainte contre l'équipementier américain Molex pour le forcer à payer  le plan social de son usine de Villemur-sur-Tarn (Haute Garonne) fermée de octobre 2009. Cette fermeture avait occasionnée la perte de 283 salariés.
Samedi 30 octobre
- Les syndicats de Continental Automotive France et une partie des personnels des sites de Boussens et de Foix continuent à s'opposer sur la proposition "emploi contre salaire" présentée fin septembre par la direction du groupe allemand. "Nous avons été élus dans la légitimité du droit du travail", affirme le responsable local de la CGT, "il n'est pas question de nous démettre". 
Henri Valois.
   
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1 novembre 2010 1 01 /11 /novembre /2010 13:00
Lapérouse                                   
 
de Anne Pons
Mis en ligne : [1-11-2010]
Domaine : Histoire
Laperouse-copie-1.gif

  

Anne Pons est romancière et essayiste. On doit à ses origines irlandaises La Villa irlandaise (Grasset, 1985) et Dark Rosaleen (Grasset, 1991) ainsi que Constance ou l'Irlande, une biographie de la comtesse Markievicz (Nil, 1997). Sa passion pour la mer se développe en écrivant avec Alain Pons Lady Hamilton (Perrin, 2002), prix Chateaubriand, puis Nelson contre Napoléon (Perrin, 2005) et Franklin, l'homme qui mangea ses bottes (Fayard, 2009), grand Prix de l'essai de la Société des gens de lettres, prix de la mer .


Anne Pons, Lapérouse. Paris, Gallimard/Folio biographies,  octobre 2010, 304 pages.


Présentation de l'éditeur.
En ce siècle des Lumières où la science commande et où les nouveaux instruments de mesure rendent plus sûrs les voyages au long cours, Jean-François de Galaup, comte de La Pérouse (1741-1788?), entré dans la marine à quinze ans, consacre sa vie à la navigation. Commencée sur les côtes françaises, son épopée s'achève une trentaine d'années plus tard, au large des îles Salomon. Auparavant, il aura navigué de l'île de France aux Indes, participé à la guerre d'Indépendance américaine et aux combats contre les Britanniques aux Antilles. S'appuyant sur la lecture de son Journal de bord, ses lettres, ses notes, ses comptes rendus, ses Mémoires, et les recherches les plus contemporaines, Anne Pons tente de percer le mystère de l'homme qui ne semble avoir vécu que pour tourner autour du monde. Louis XVI, qui avait commandé la fatale expédition, ne saura jamais que ses marins avaient péri, ni Lapérouse que son roi était mort décapité.
 
Recension de Jean-Michel Barrault. - Lire, octobre 2010.
Un remarquable portrait du navigateur, accompagné des dernières découvertes liées au naufrage. La tragique disparition des navires de l'expédition confiée au Comte de Lapérouse a connu une nouvelle actualité avec les recherches menées à Vanikoro à l'initiative de l'association Salomon et la découverte des épaves de l'Astrolabe et de la Boussole. Une exposition remarquable a été organisée au musée national de la Marine. Le visiteur pouvait y admirer une multitudes de témoignages, manuscrits, lettres, journaux de bord, et surtout les objets recueillis par les plongeurs, vaiselle, couverts, instruments de navigation, en particulier un sextant, et, très émouvant, le crâne de l'un des naufragés dont les services anthropométriques ont reconstitué le visage. De nombreux travaux ont été consacrés à Lapérouse, notamment la biographie écrite par l'amiral de Brossard, et les ouvrages rédigés par l'amiral Bellec qui a participé à deux campagnes de fouilles. anne pons, avec son talent de journaliste, revient sur ce drame dans un récit riche d'une abondante documentation, au ton agréable et efficace. Elle évoque la personnalité de l'officier de marine embarqué dès l'âge de quinze ans, héros de la guerre d'Amérique, à qui a été confié le voyage de découverte entrepris à la demande de Louis XVI. Légende ou réalité, le souverain aurait demandé, au pied de l'échafaud : "A-t-on des nouvelles de M. de Lapérouse? " Après ses ouvrages consacrés à Franklin, à Nelson, à Lady Hamilton, la petite-fille de Paul Chack confirme son attrait pour les héros de l'histoire maritime. Les cinquante dernières pages du livre, sans doute les plus originales, traitent des recherches entreprises dès les premières inquiétudes, celles, vaines et mal menées, de d'Entrecasteaux, puis de Bougainville jusqu'aux initiatives contemporaines.

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28 octobre 2010 4 28 /10 /octobre /2010 12:42
Actualité
de Bernanos                       
BERNANOS Georges 3-copie-1 
  
On notera plusieurs publications et évènements importants dans l'actualité bernanosienne de ces prochaines semaines :
- Un très bel article publié dans la dernière livraison de la revue XXI (14 octobre), signé Phil Casoar et Ariel Amacho et intitulé "Le petit phalangiste" : "Tout part d'une lettre de la philosophe Simone Weil retrouvée dans le portefeuille de Georges Bernanos à sa mort. Elle y raconte la mort d'un "petit héros" dont elle porte le souvenir. Un adolescent de seize ans engagé dans les rangs franquistes et fusillé par les "rouges". Qui était cet oublié de l'histoire? En Espagne, la mémoire brule encore. "
- Le spectacle de Valérie Aubert et Samir Ciad "Compagnons inconnus", d'après les Ecrits de combat de Bernanos. Programmé du 3 au 8 décembre 2010  au théâtre MC 93 de Bobigny (il n'y a que 6 représentations, pensez à réserver ici auprès de MC 93). Splendide spectacle.
- La publication en novembre du livre "Sous le soleil de Bernanos" aux éditions Empreinte temps présent : le romancier turc Tahsin Yücel, auteur de "L'imaginaire de Bernanos" paru en 1969 à Istambul, parcourt les paysages de l'Artois dans les traces du grand Georges et y raconte son émotion, les coïncidences, les liens tissés entre deux vies. Livre réalisé par l'écrivain Timour Muhidine et le photographe Philippe Dupuich. Rencontre avec les auteurs le 13 novembre prochain à 15h à la salle des fêtes de Fressin. Nous reviendrons sur ce livre important.
Source:  georgesbernanos.fr   
(site de l'Association internationale des amis de Georges Bernanos)
 
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27 octobre 2010 3 27 /10 /octobre /2010 00:34
Comédie policière
 
Barbouzes, policiers et toutes vos équipes,
Régimistes payés, nous fouaillerons vos tripes !
Gaullards, plongez dans l'ombre avant qu'on vous agrippe...[1]
                                         (Air connu de notre belle jeunesse)
 
Le pouvoir vient de subir une rude épreuve. Ce n’est pas avant quinze jours que nous saurons si l’orage est réellement passé ou s’il peut éclater à nouveau, voire dégénérer en quelque chose d’encore plus redoutable. Mais ce qui est sûr, c’est que M. Sarkozy doit ce passage de cap difficile à deux hommes et à deux hommes seulement, Brice Hortefeux et Claude Guéant. Nous avions bien senti que les évènements de cet été (discours de Grenoble, expulsion des Roms...) annonçaient un durcissement du régime, un changement de méthode, d’équipe et de ligne politique. Le chef de l’Etat, qui sort très affaibli de deux  années de crise et de mauvais résultats, a visiblement fait le choix de revenir à ses fondamentaux : la fermeté et la sécurité. Et qui sont les mieux à même d’incarner ces valeurs auprès de lui, sinon le ministre de l’intérieur qui dirige la police et le secrétaire général de l’Elysée qui tient entre ses mains le réseau des préfets ? C’est ce tandem qui est désormais aux commandes de l’Etat. Il a toutes les chances d’y rester jusqu’à la fin du mandat, quel que soit le nom du successeur de M. Fillon.
Ce duo est plus qu’un duo, disions nous en septembre [2]. C’est un système à deux têtes. La police dans sa version politique, avec ses conciliabules feutrés, ses visiteurs du soir, ses hauts fonctionnaires, ses réseaux d’influence. Mais aussi la basse police, celle qui manœuvre les CRS, les gardes mobiles, celle qui salarie les barbouzes et les officines de désinformation, celle qui fabrique les fichiers occultes et qui pose les écoutes téléphoniques. Ceux qui ont suivi de près l’histoire de ces six semaines de conflit social conviendront que nous étions dans le vrai en dénonçant la dérive policière du régime. Peut-être même un peu en dessous de la réalité. Incontestablement, MM. Hortefeux et Guéant ont du savoir-faire. Ils ont été, l’un comme l’autre, formés à bonne école, celle d’une République qui sait se défendre, à défaut de savoir gouverner. L’héritage des Malvy, des Frot et, plus près de nous, des Frey, Marcellin, Poniatowski ou Joxe n’a pas été perdu pour tout le monde. Cette équipe connaît son affaire sur le bout des doigts. Elle vient de nous le démontrer en déminant rondement le conflit des retraites. En cinq actes, dans la plus pure tradition des comédies classiques.
Premier acte : la temporisation. Prudence, doigté et diplomatie, ce sont des domaines dans lesquels M. Guéant excelle. Il est payé pour être l'ami de tout le monde et d'abord des leaders syndicaux avec lesquels il entretient les meilleures relations. En particulier avec M. Thibault,  qui est, tout comme lui, un homme d'ordre. L’Elysée a tout de suite su faire passer son message sur les retraites : le droit de grève et la contestation sociale sont légitimes, ils seront tolérés dans des limites raisonnables mais ils ne changeront rien à la détermination du gouvernement d'aller au bout de sa réforme. Message reçu fort et clair aussi bien par la CGT que par la CFDT. L’une comme l’autre entendaient bien d'ailleurs en rester aux figures imposées : on manifesterait pour le principe, dans la légalité et sans débordements. A charge pour le pouvoir de lacher un peu de lest au Parlement s'il fallait faire tomber la pression. Dans ce schéma, le gouvernement pensait en finir avec l'encombrante réforme des retraites à la mi octobre. Ce qui permettait d'embrayer dès l’automne sur d'autres sujets, comme les questions sécuritaires si chères au cœur du Président et de sa majorité.
C'était compter sans la profondeur du mécontentement populaire. Qui pouvait prévoir que la base se prendrait au jeu et que les cortèges syndicaux rassembleraient dès le départ des foules énormes et inattendues ? Tous ceux qui ont assisté aux manifestations parisiennes ou provinciales ont bien vu que les appareils étaient très vite débordés. Les dirigeants, pris à parti, houspillés par des manifestants déterminés et prêts à en découdre, ont fini par ouvrir les yeux. C’est le 8 octobre que l'intersyndicale commence à percevoir la puissance du mouvement et qu’elle décide de durcir le ton. La journée d'action du 12 octobre marque un tournant, avec l'entrée en scène du secteur privé qui manifeste et commence à débrayer en Ile de France, à Marseille, à Toulouse et dans la plupart des bassins industriels en restructuration. L'autre élément qui brouille les cartes, c'est l'arrivée des jeunes et d'abord des lycéens qui bloquent près de 400 établissements en quelques jours et font masse dans les cortèges à partir du 15 octobre.
 C'est là que s’ouvre le deuxième acte de notre comédie policière : celui de l’intimidation. M. Hortefeux et ses limiers de la place Beauvau sont en piste. On met ouvertement en garde les étudiants, les parents et les enseignants contre les risques de violence. L’heure est aux compagnies de CRS, déployées dès huit heures du matin devant les lycées bloqués, qui vont intervenir très vite, aux limites de la provocation. C’est aussi l’heure des casseurs. Les premières bandes qui interviennent le 18 octobre à Nanterre n’ont aucun lien avec le mouvement lycéen; les affrontements, assez violents mais sporadiques, sont le fait de petites équipes rapidement circonscrites. Même chose en Seine Saint Denis, où l’on annonçait pourtant un embrasement des banlieues. La surprise vient de Lyon, qui est, plusieurs jours de suite, le théâtre d’affrontements de grande ampleur entre plus d’un millier d’énergumènes et les forces de l’ordre. Les évènements lyonnais, largement relayés par les médias et que le ministre de l’Intérieur s’efforcera d’exploiter habilement, sont particulièrement troublants : ils se déroulent à proximité immédiate des cortèges lycéens et étudiants qu’ils perturbent et cherchent à décrédibiliser ; ils sont le fait d’équipes « professionnelles », coordonnées, très mobiles, dont les chefs n’ont rien de jeunes gens. Le Monde, l’Humanité et Libération signalent que les gamins interpellés les 18 et 20 octobre sont pour l’essentiel de pauvres « lampistes » et que les vrais meneurs restent introuvables. A Paris, c’est le service d’ordre de la CGT qui donnera la chasse – de façon d’ailleurs très efficace - aux quelques groupes de casseurs qui agissent en marge des cortèges, sans que la police ne cherche vraiment à intervenir… [3]
Troisième acte : la médiatisation. C’est à nouveau M. Hortefeux qui est à la manœuvre. Le service de presse du ministère de l’Intérieur prend très vite un petit air de Propagandastaffel, à l'image de ce qu'il était en mai 1968. Nous n’évoquerons que pour mémoire les "unes" des feuilles gouvernementales, Figaro, Echos, Tribune, Parisien et autre Aujourd’hui  [4] qui firent, une fois de plus, la honte de la profession. Il est vrai que le gouvernement s’était donné le mot. Chaque ministre étant commis d’office pour remplir les colonnes de la bonne presse de tribunes libres et d'articles de bourrage de crâne. Plus grave fut l’attitude des grands médias télévisés et radiodiffusés. On a pu croire pendant quelques jours, entre le 16 et le 22 octobre, que l’ORTF s’était remise à émettre ! Le passage en boucle des conférences de presse de Brice Hortefeux et des interviews du petit Chatel avait quelque chose d’hallucinant. On laissa même le ministre de l’intérieur lire en direct à l’antenne une déclaration pour dénoncer les grèves et inciter les parents à garder leurs lycéens sous clé ! Depuis Michel Debré, en 1962, on n’avait rien vu d’aussi délibérément « décalé » ! décalé mais diablement efficace puisque, le soir même, les "usagers exaspérés" de l’UMP faisaient entendre sur toutes les chaînes leurs lamentations calculées. Du grand art pour le ministre qu’on était tenté d’applaudir ! Du moins grand art en revanche pour ceux des journalistes qui avaient choisi de « servir la soupe ». Gageons que certains d’entre eux ne passeront pas la prochaine Libération sans perdre quelques cheveux !
Quatrième acte : la mise en tension du pays. Nous retrouvons, là encore, notre tandem de choc, chacun dans sa partie. M. Guéant, qui prend sa mine des mauvais jours et glisse en confidence aux journalistes qu’il y a des risques de pénurie d’essence, malgré les précautions prises par le gouvernement. M. Hortefeux, en battle dress, montre les dents et fait des moulinets. Les bruits les plus fous commencent à courir. Les journaux télévisés laissent entendre, le soir même, que la moitié des stations est à sec (alors que les défauts d’approvisionnement toucheront au maximum un distributeur sur cinq), que l’activité des aéroports va se ralentir et que les vacances de la Toussaint risquent d'être compromises. Mme Lagarde et M. Bussereau, qui cherchaient au contraire à calmer le jeu, ne savent plus à quels saints se vouer et finissent par disparaître des écrans. Il n’est plus question que de réunions de crise à Matignon et à l’Elysée et de bruits de bottes devant les dépôts et les raffineries. Les préfets signent des arrêtés de réquisition et convoquent points presse sur point presse. Dans la nuit du 20 au 21 octobre, les dépôts pétroliers de Donges, près de Saint Nazaire, du Mans et de La Rochelle sont dégagés par les forces de l’ordre. Celui de Caen est pris et réoccupé à plusieurs reprises dans la journée du 22, les organisations syndicales répliquant point à point aux provocations policières, sous l’œil avide des caméras de TF1. La tension atteint son maximum avec l’assaut donné, dans la nuit du 23, à la raffinerie de Grandpuit (Seine et Marne) qui commande l’approvisionnement de la région parisienne. Les gendarmes mobiles y sont reçus comme il convient par une équipe de gros bras de la CGT, qui fait front pendant plusieurs heures et obtient de se retirer sans interpellation. D’une façon générale, ces journées sont sévères pour la police qui découvre, chaque fois à ses dépens, qu’il est plus facile de matraquer les jeunes que de subir la colère des travailleurs. Il n’empêche ! Le battage médiatique a fait son œuvre, les premiers sondages tombent qui confirment la lassitude du pays et l’intersyndicale donne des signes de faiblesse. Avec le vote de la loi le 27 octobre, le mouvement social perd de sa pugnacité et le pouvoir retrouve le sourire. Il revient de loin. Son obstination l’aura emporté mais à quel prix pour l’économie française !
« Il faut profiter de la victoire pour forcer ses avantages », disait Bonaparte. MM. Guéant et Hortefeux connaissent l’adage et le pratiqueront sans retenu. Les inquiétudes du pouvoir se déplacent de la rue aux prétoires, où l’affaire Woerth-Bettencourt fait à nouveau des siennes. Qu’à cela ne tienne, on redéploie les troupes victorieuses vers ce nouveau front. Voici l’acte cinq sur lequel s’achève notre comédie et qui pourrait s’intituler : la normalisation. Comme son nom l’indique, il ne s'y passe plus rien de très exaltant. On y fiche les journalistes et leurs informateurs, on met tout ce petit monde sur écoute aux frais des services de renseignements, qui n’ont – c’est bien connu – rien de plus utile à faire, on suit d’un œil les vols de documents, on surveille les magistrats au cas où ils prendraient des initiatives intempestives et surtout, surtout, on endort la galerie. « Normalisons, normalisons », semble dire notre duo de choc, « la France vient de se payer un printemps à l’automne, elle a besoin d’une période de calme ». Avant quelle tempête ?
Hubert de Marans.


[1]. Que nos amis gaullistes se rassurent, nous n’avons rien contre eux, bien au contraire ! Il faut remettre cet air innocent dans son contexte, celui de mai 68, où les officines barbouzardes pullulaient. Le Canard Enchainé parlait joliment des « gens de SAC et de corde » ! Nous les appelions plus simplement les « gaullards ». Il faut bien que jeunesse se passe !
[2]. Hubert de Marans, La police politique, RCIL du 25 septembre 2010.
[3]. La question des "faux casseurs" et des provocations policières alimente la polémique depuis quelques jours. Depuis que des chaines étrangères, comme l'agence Reuters, ont fait circuler des vidéos plus que troublantes. Le ministère, comme les syndicats de police, ne contestent plus la présence "d'hambourgeois" au sein même des cortèges. En assez grand nombre, semble-t-il. Dans ces conditions, toutes les provocations sont possibles.
[4]. Sans parler de celles des « gratuits », pas gratuits pour tout le monde ! Il faudra organiser un jour le boycott de ces saloperies patronales.

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25 octobre 2010 1 25 /10 /octobre /2010 10:30
La Russie             
entre deux mondes          
 
de Hélène Carrère d'Encausse
Mis en ligne : [25-10-2010]
Domaine :  Idées  
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Historienne, grande spécialiste de la Russie, Hélène Carrère d'Encausse est depuis 1999 le Secrétaire perpétuel de l'Académie française.  Elle a récemment publié Alexandre II, le printemps de la Russie (Fayard, 2005), Russie, la transition manquée (Fayard, 2005), L'Empire d'Eurasie (Fayard, 2005), La  deuxième mort de Staline (Editions complexes, 2006).  

  


Hélène Carrère d'Encausse, La Russie entre deux mondes. Paris, Fayard, avril 2010, 323 pages.


Présentation de l'éditeur.
1991 : liquidant de son propre chef l'Empire soviétique et le système communiste, Boris Eltsine croit avoir payé le prix de la modernité et attend que l'Europe l'accueille à bras ouverts. Vingt ans plus tard, que reste-t-il de cette illusion ? Hélène Carrère d'Encausse montre ici la somme des malentendus, soupçons, épreuves de force, occasions manquées entre le pouvoir russe - auquel Poutine a rendu puissance extérieure et fierté intérieure - et les Occidentaux. Sa grande originalité est de ne pas se contenter de nous présenter la Russie " entre deux mondes ", mais aussi " le monde vu de Russie ". Une Russie confrontée à des problèmes immenses - démographie en chute, corruption galopante, terrorisme... - qui mise sur sa force extérieure. Mais elle rencontre partout la puissance américaine, acharnée à l'écarter du " grand jeu énergétique et à la remplacer dans sa " zone d'intérêts ". Quelle vision sous-tend aujourd'hui la stratégie russe ? Asiatique ? Démocratique et européenne ? Ou passerelle entre les deux mondes ?


Recension de François Euvé. Etudes - juillet-août 2010.
Il existe un malentendu entre la Russie et les Occidentaux. On s’inter­roge toujours sur cet étrange pays. Qu’est-ce que la Russie, cette mosaïque de peuples, de langues et de religions ? Est-elle vraiment sortie de la logique impériale du communisme ? Ce dernier n’était-il pas lui-même un phénomène typiquement russe ? Cette plongée dans la Russie actuelle vue de l’intérieur commence par un rappel de l’histoire à partir de la disparition de l’Union sovié­tique : les hésitations des années Boris Eltsine puis le retour de la puissance avec Vladimir Poutine. Les chapitres suivants offrent un tour du monde géo­politique, commençant par « l’étranger proche » (les pays issus du démembre­ment de l’Union soviétique, en particu­lier ceux intégrés dans la « Communauté des Etats Indépendants »). Les essais frustrés d’ouverture à l’Ouest se ren­versent en affirmation de puissance et en rapprochement avec la Chine. Mais les discours des responsables montrent que l’on conserve la conscience de l’identité européenne de la Russie. Elle s’enrichit d’un rapport particulier à l’is­lam dans la mesure où la Russie reste un grand pays musulman. Le dernier chapitre fait une analyse détaillée du cas géorgien. Le propos reste équilibré sans cacher toutefois ni la nostalgie impériale des uns, ni l’autoritarisme et les manoeuvres des autres. L’auteur garde une certaine sympathie pour la Russie, qu’elle s’efforce de com­prendre. D’où l’intérêt de mieux se connaître pour échapper aux jugements péremptoires. Mais la Russie a encore un long chemin à faire avant d’accéder au statut de puissance à la fois moderne et morale.
 
Entretien avec Gérald Olivier. Le Spectacle du Monde - juin 2010.
A l’occasion de la venue en France du Premier ministre russe, Vladimir Poutine, le 12 juin, et du voyage à Saint-Pétersbourg de Nicolas Sarkozy, le 19, Hélène Carrère d’Encausse répond à nos questions. Historienne, spécialiste de la Russie, elle avait annoncé l’effondrement de l’URSS, dès 1978, dans son livre l’Empire éclaté. Elle publie aujourd’hui la Russie entre deux mondes, étude sur l’évolution de cet immense pays depuis qu’il n’est plus un empire.
 
Votre dernier ouvrage s’intitule la Russie entre deux mondes. Quel est le sens de ce titre? La Russie, qui a toujours considéré qu’elle était un pays d’Europe, s’est aperçue, à l’effondrement du système soviétique, qu’elle était aussi un pays d’Asie. Elle s’est aussi aperçue que cette position pouvait favoriser la reconnaissance qu’elle cherche auprès du monde. Comme le centre de gravité de ce monde glisse vers l’Asie, elle a tourné son regard vers le continent asiatique. Il en résulte un pays tiraillé entre sa vocation européenne et les opportunités que lui offre l’Asie. Mon livre raconte l’histoire de ce tiraillement.
La question que vous posez est-elle celle de l’identité russe ? C’est une question qui torture les Russes. Depuis des siècles, ils se demandent non pas tant qui ils sont, mais quelle voie ils doivent suivre. Imiter totalement l’Europe? Ou tenir compte de leurs spécificités pour construire leur propre modèle de société? Pendant cinq siècles, la Russie a été un empire. Même sous son habillage soviétique, l’Empire russe demeurait en filigrane. Et puis, en 1990, cet empire a été liquidé. Du jour au lendemain. Les dirigeants n’ayant rien à proposer pour le remplacer, l’idée eurasienne a fait son chemin comme identité de substitution. La Russie est désormais face à une décision fondamentale: choisir entre se sentir vraiment asiatique, ou jouer la carte asiatique tout en restant européenne.
La tentation de l’Asie est donc une option récente ? Les Russes ont évidemment toujours su qu’ils étaient sur un continent qu’on appelle l’Eurasie. J’ai d’ailleurs écrit un livre, il y a plusieurs années, qui s’appelait l’Empire d’Eurasie parce que, dès le XVIe siècle, cet empire s’étendait sur l’Asie. Mais l’idée d’être asiatique n’a jamais séduit les Russes. Leur orientation actuelle est purement opportuniste. En agitant deux identités, en présentant deux visages, ils peuvent jouer dans toutes les cours.
Est-ce plus une attraction asiatique, ou un rejet de l’Occident ? C’est les deux à la fois. Les Russes de la rue ont aussi été choqués de remarquer, à partir de 1990, que, malgré la chute du communisme, malgré l’ouverture à la démocratie et à l’économie de marché, ils restaient aux yeux du monde un « pays bizarre », un peuple étranger, comme du temps du marquis de Custine. Parallèlement, les diplomaties occidentalesse refusaient désormais à les traiter avec les égards dus à leur rang. La seule prérogative qui restait à la Russie après 1990 était son siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Or, une décision aussi fondamentale que celle de bombarder la Serbie, a été prise en contournant le Conseil, donc sans la consulter. Cette négation même de son existence a été vécue comme une humiliation. Elle explique à la fois le tournant asiatique et la volonté acharnée de Vladimir Poutine de rendre son rang à la Russie.
Comment qualifieriez-vous le régime russe ? Peut-on réellement parler de « démocratie» même si on est loin du totalitarisme soviétique ? Le régime totalitaire a, en effet, disparu mais certains aspects déplaisants demeurent: un autoritarisme considérable, une centralisation constante. Mais soixante-quinze ans d’enfermement dans un système totalitaire, cela ne se défait pas facilement. Beaucoup de gens ont été façonnés par ce système. Cette société ne sait pas ce qu’est la démocratie. Celle-ci est donc partielle. On peut critiquer la mainmise d’un parti sur les élections mais elles ont lieu et il existe une opposition. Il faut aussi garder à l’esprit la dimension du pays, qui reste immense même amputée d’un cinquième de son territoire et de cent millions d’habitants.
Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir en 1999. Il a la possibilité d’y rester jusqu’à 2020, au moins, soit l’équivalent de trois septennats. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Le signal fondamental, c’est que celui qui est au sommet du système ne s’y accroche plus. En 2008, la popularité de Poutine était énorme et tout le monde l’encourageait à modifier la Constitution, qui interdit plus de deux mandats présidentiels consécutifs, afin de rester en place. Il a refusé. Précisément pour renforcer la confiance dans les institutions. C’est un pas considérable dans le développement d’un Etat démocratique. Poutine est l’homme de la centralisation. Ce n’est pas un dictateur, mais quelqu’un qui envisage la démocratie à la russe. Il a donc choisi de désigner quelqu’un pour lui garder la place. Mais il a fait ce choix en sachant que ce quelqu’un pouvait prendre goût au pouvoir. La situation qui se dessine est d’ailleurs celle où les deux hommes risquent de se retrouver face à face…
Est-ce à dire que Medvedev sera candidat à la présidence contre Poutine en 2012 ? Poutine voudrait briguer la présidence en 2012. Il me l’a dit à moi et à d’autres. Medvedev, de son côté, dit sa volonté de se présenter et vient de le répéter. Il existe politiquement, il a une clientèle électorale, les moins de quarante ans, c'est-à-dire la génération de demain, avec qui il a un lien privilégié via Internet, et il a sa propre vision quant à la modernisation du pays. De plus, Medvedev est persuadé d’être, en quelque sorte, un Obama russe…
La vie politique russe reste malgré tout marquée par une absence de liberté des médias et la mise à l’écart des gens qui dérangent, opposants ou journalistes, de façon parfois radicale, c'est-à-dire par l’assassinat… Ne jetons pas la pierre trop vite. Où sont les démocraties parfaites ? S’il est vrai que la télévision est dans l’ensemble muselée, il existe une radio totalement libre à Moscou. Quant à la Toile, elle échappe au système. Or, tout le monde se connecte, désormais, sur Internet. C’est ça la nouveauté. Les gens n’achètent pas forcément les journaux, mais leur contenu est véhiculé par la Toile. La société grandit et les instances d’une société civile grandissent avec elle.
Que pensez-vous du sort fait à Mikhaïl Khodorkovski, cet oligarque, ancien patron de Ioukos, dont la société pétrolière a été démantelée et qui est aujourd’hui dans une prison sibérienne ? En 2001, j’ai eu un très long entretien avec Vladimir Poutine. Il m’avait dit alors : « Je ne reprendrai pas l’argent de ceux qui l’ont volé. Mais si, avec cet argent, acquis malhonnêtement, ils veulent faire de la politique, alors je les casserai. » Et il l’a fait. Cet argent provenait du pillage de l’Etat. Il faut le rappeler. Dès lors que faire ? Arrêter tous les milliardaires ? Leur reprendre cet argent ? C’était illusoire, et ça n’a été fait que dans un seul domaine, celui de l’énergie, parce qu’il s’agissait là des richesses de la nation. Ce qui explique le sort réservé à Khodorkovski. Je ne crois pas, du reste, qu’il soit « cassé ». Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’a pas cherché à fuir. Il aurait pu. Il avait un avion privé, comme tous les oligarques. C’est un personnage digne de la littérature russe. Persuadé qu’il sera un jour président, il est resté, fidèle à son credo : « ils peuvent me tuer, mais je ne mourrai pas parce que j’incarne ce dont la Russie a besoin. »
Pour intégrer, comme elle le souhaite, le XXIe siècle, la Russie va devoir affronter de nombreux défis, économiques, politiques, démographiques, etc. Quelle est sa priorité ? Il y a un défi qui n’est pas gagnable, c’est le défi démographique. Le déclin de la population russe a commencé au début des années 1960 et s’est poursuivi jusqu’à la fin de l’ère soviétique. Sans qu’on n’en parle jamais. A l’heure actuelle, il semble s’atténuer, parce que, depuis 1990 et jusqu’en 2015, on rencontre un excédent de femmes en âge de procréer. Les Russes des anciennes Républiques soviétiques sont également rentrés au pays depuis que celles-ci sont devenues indépendantes. On a donc eu récemment deux apports de population. Mais cette amélioration est passagère, la tendance profonde va se poursuivre parce que les femmes en âge de procréer procréent peu. De plus, l’espérance de vie est basse : pour les hommes, cinquante-six ans en province et soixante-six ans à Moscou. Les mesures natalistes engagées par Poutine ne peuvent pas grand-chose. On ne rattrape pas en quelques mois des décennies de recul démographique. Or, la Russie a besoin d’une force de travail. La question est donc : quelle sorte d’immigration va-t-elle accueillir ?
Dans un tel contexte, le retour de la Russie à son statut antérieur de grande puissance est-il vraisemblable ? Poutine est un réaliste. Il est conscient que l’Empire russe, c’est fini. Il n’est donc pas dans son intention de le reconstituer. Lorsqu’il a qualifié l’effondrement de l’URSS de « plus grande catastrophe du XXe siècle », il a ajouté : « Ceux qui ne regrettent pas l’Union soviétique n’ont pas de coeur, mais ceux qui la regrettent n’ont pas de cervelle ». Il a ainsi voulu dire qu’il regrettait l’Etat puissant et respecté qu’était l’Union soviétique, mais qu’il ne regrettait pas le système soviétique. Sa politique consiste donc à rétablir ce respect dans le contexte d’aujourd’hui. Regardez ce qui vient de se passer avec la Pologne, peuple jadis martyrisé par la Russie : l’aveu russe concernant l’épisode de Katyn est d’une portée considérable. Parce qu’il suppose que, sur un sujet extrêmement sensible, l’on puisse, côté russe, aller jusqu’au bout de la vérité. C’est inédit. Or, c’est Poutine qui a personnellement négocié ce rapprochement, et qui a autorisé la déclassification d’un nombre considérable de documents. C’est un signal fort.
Moscou considère néanmoins avoir une sorte de « droit de regard » sur ce qu’il appelle «l’étranger proche ». Alliant géographie et sentiment, La notion d’étranger proche concerne les pays de la première couronne, devenus des pays « étrangers ». A l’époque, Eltsine avait invoqué « la famille des peuples », une notion totalement mensongère héritée de l’Union soviétique. La mentalité soviétique entretenait en effet l’idée que la société était une grande famille mue par l’amour; que l’Union des Républiques était sentimentale et pas politique. Rien n’était plus faux, mais cela a entretenu un sentimentalisme que l’on retrouve dans le désarroi des Russes d’aujourd’hui. Ils disent tout le temps : « on ne nous aime pas. » Mais depuis quand l’amour fait-il partie de la politique?
La Russie n’a pas non plus apprécié que ces pays se précipitent dans les bras de ses anciens adversaires… Vu de Moscou, tous les pays n’ont pas la même importance. Le vrai problème, c’est l’Ukraine. La Sainte Russie est née à Kiev. D’importantes populations russes vivent en Ukraine. Les Russes y avaient des datchas. Aujourd’hui, on ne peut plus contester son indépendance. L’identité ukrainienne est en pleine renaissance. Ainsi MmeTimochenko, l’ex-Premier ministre, qui n’avait rien d’une Ukrainienne, s’est créé une tête de paysanne et a cultivé la langue et la culture ukrainiennes pour en faire sa marque politique, démontrant que l’on peut devenir ukrainien. De plus, l’Ukraine a entraîné dans son indépendance une part capitale de la Russie, la Crimée. Outre l’importance stratégique que revêt la base navale de Sébastopol, il faut se rappeler que, historiquement, il y a eu deux grands pôles d’ambitions et de conquêtes en Russie : la Baltique avec Pierre le Grand et la Crimée avec Catherine II. D’où un ressentiment russe, et une méfiance d’une partie des Ukrainiens à l’égard de Moscou.
La politique européenne à l’égard de la Russie a-t-elle contribué à entretenir ce ressentiment russe ? Ce qu’on a appelé, la « nouvelle Europe », les anciens pays de l’Est qui ont rejoint l’Union européenne ou l’Otan – ou les deux –, s’est constituée comme un bloc fermé à la Russie, créée pour s’en protéger. Les frontières de la guerre froide, qui passaient par le milieu de l’Allemagne, se sont vues repoussées à la frontière russo-polonaise. Les Russes se sont sentis rejetés, confinés, et l’ont très mal vécu. Ils n’ont jamais envisagé d’entrer dans l’Union européenne, même si d’un point de vue civilisationnel, ils pouvaient y prétendre. Mais ils ont eu l’impression que l’Europe ne jouait pas le jeu. Aujourd’hui, ils voient une Union divisée entre, d’une part, une Europe occidentale lointaine, et, de l’autre, une Europe centrale sous influence allemande, avec la Pologne comme tête de pont. C’est cette dernière carte qu’ils ont décidé de jouer. Du coup, la France s’est retrouvée isolée aux confins du continent. Ce dont notre diplomatie a mis du temps à se rendre compte.
Qu’en est-il de la relation avec les Etats-Unis ? Le début des années 2000 avait vu se profiler « une alliance occidentale de Vancouver à Vladivostok », puis plus rien. Pourquoi ? Les Etats-Unis, c’est l’autre. La Russie vit encore dans le souvenir des deux blocs antagonistes de l’époque soviétique. En 1992, ils ont pensé qu’ils continueraient à participer à une certaine forme de gouvernance mondiale. Au lieu de ça, la planète s’est organisée autour des seuls Etats-Unis. En 2001, à cause du 11-Septembre, les Russes ont cru qu’ils pourraient se faire entendre et occuper une position incontournable. Ils ont tendu la main, mais ont eu le sentiment d’être rejetés : d’où leur conviction que les Etats- Unis allaient continuer d’organiser le monde en fonction de leurs seuls intérêts et qu’on en revenait, de fait, à la guerre froide. Ce qui explique aussi ce basculement vers l’Asie dont je parle dans mon livre.
Dans sa vision du monde, la Russie, puissance continentale, a toujours dénoncé les tentatives d’encerclement des puissances maritimes, l’Angleterre, puis les Etats-Unis; cette vision stratégique domine-t-elle toujours au Kremlin ? Moscou estime que la suprématie des Etats-Unis sur le monde touche à sa fin. D’autres puissances émergent et c’est sur elles que la Russie entend s’appuyer. Parallèlement, la Russie est désormais convaincue qu’il ne peut y avoir de guerre froide. Elle ne se sent plus vulnérable. Il peut y avoir des guerres locales, et des problèmes liés au désarmement, ou au nucléaire iranien, mais, depuis la guerre de Géorgie, la Russie a réaffirmé sa présence.
Considérez-vous que ce conflit fut la plus grande victoire de Poutine ? En tout cas, ce fut un tournant. Jusqu’alors, les Russes étaient persuadés de leur faiblesse et considéraient que le reste du monde en abusait. La finalité de cette guerre aura été de tracer la frontière. De définir le monde tel que la Russie le voit. De réaffirmer la place qu’elle entend y occuper. Or, cette guerre comportait des risques. Les Russes gardent sur la conscience l’invasion de la Tchécoslovaquie. L’image de leurs chars envahissant un pays voisin pouvait apparaître terrible. Mais l’opération de Géorgie a été vendue comme une opération punitive, justifiée par l’attitude du président Saakachvili qui leur a offert un prétexte en or. Du coup, ils en ont fait une démonstration de force face à un monde qui était en train de se solidifier contre eux. La Géorgie n’est pas l’Ukraine. Elle compte cinq millions d’habitants, contre trente-cinq en Ukraine. Toucher à cette dernière n’était pas envisageable. Mais donner une leçon à l’une pour envoyer un message à l’autre l’était. C’est ce qui s’est passé. Depuis, la Russie se sent à nouveau respectée, c’est ce qu’elle demandait.
En une phrase, vous nous dites, en fait, qu’il ne faut plus la craindre. Ce qu’il faut craindre, c’est que la Russie ne trouve pas son chemin. La Russie a restauré sa puissance et est sereine. Mais elle continue de s’interroger. Derrière le tandem Medvedev-Poutine, il y a deux chemins possibles. La transition d’avec l’Union soviétique est achevée. Sa transformation, pas encore.

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22 octobre 2010 5 22 /10 /octobre /2010 18:42

Ce Dieu fugace...                        

 

gabriel-matzneff.jpg

Les Émiles de Gab la Rafale [1] s’ouvre sur une dédicace à Cambuzat, « dont la vie et la mort furent celles d’un homme libre » ; et se referme sur le suicide du fameux diététicien : « Je suis détruit par la tristesse. Mon ami Christian Cambuzat s’est donné la mort ce matin. »

Chez Gabriel Matzneff, chaque nouveau livre resserre l’ensemble de l’œuvre. La correspondance électronique, plutôt enlevée et souvent tonique, qu’il vient de publier, n’y échappe pas, où l’on retrouve ses fameuses idées fixes : la présence du suicide [2] on vient de le voir, l’enracinement orthodoxe, l’héliotropisme, la passion amoureuse, l’artiste inutile en société petite-bourgeoise, le voyage qui crève sous le tourisme, et finalement la quête du bonheur, ce « dieu fugace », qui clôt le livre.

Cependant, plutôt que sur les figures classiques de l’auteur de L’Archimandrite, on s’attardera sur le sentiment crépusculaire, qui court tout du long, fondé sur un double échec, celui de la vie amoureuse, celui de la vie sociale.

 

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Entre une Gilda qu’il trouve soûlante (et que nous n’arrivons pas à ne pas trouver attachante), et une Marie-Agnès qui le captive (et que nous n’arrivons pas à ne pas trouver incolore), entre celle-ci, jeune, belle, aimante, qu’il néglige, et celle-là, dont il devient le « bouche-trou », le « jouet dérisoire », le fiasco est total qui nous ramène à une des plus vieilles lois humaines, plus universelle que la gravité, plus éprouvée que la pression d’un corps plongé dans l’eau : il entre dans certaines de nos amours une faiblesse stupide, et coupable ; le goût incompréhensible pour notre propre malheur.

C’est pourtant cette faiblesse qui nous vaut le passage le plus poignant (ou le plus pathétique, selon le point de vue que l’on adopte), de ce recueil, une lettre qui voit le vieux séducteur contraint d’abdiquer : « “Nous ferions mieux de rompre, la situation serait plus claire...” Si c’est tout ce que tu as à me dire, si ce sont les seuls mots que nos amours t’inspirent, que puis-je te répondre, moi, l’écrivain vieillissant, fauché, qui n’ai pas à t’offrir le tiers du quart de ce que t’offre l’autre, le gros bourgeois respectable, installé, tout ce que je ne suis pas et ne serai jamais. » 

 

*

*  *

 

Humilié dans sa vie amoureuse, Matzneff ne l’est pas moins dans la vie sociale. « Casanova vieillissant », il « n’a même pas un prince de Ligne ou un comte de Waldstein pour lui venir en aide », car l’écrivain sort défait de la mêlée littéraire, ce « nid de glacials serpents » : les prix lui passent sous le nez, il est tenu pour un paria, et du côté d’Antoine Gallimard on est avec lui le dernier des goujats : les services juridiques repoussent la parution de ses livres, la petite mensualité qu’on lui verse depuis 1984, son unique versement régulier, qui « en vingt-quatre ans (...) n’a pas augmenté d’un centime », est supprimée du jour au lendemain, – and so on.

(Dans la cuisine littéraire, qui ne forme pas la part la moins intéressante de ce livre, il faut compter la place invraisemblable que les avocats occupent désormais dans l’inégalable corporation de froussards que forment les éditeurs, pour qui chaque phrase, chaque nom, chaque lieu de chaque livre doit être passé au tamis du risque de procès : « Ces derniers jours, écrit Matzneff, j’ai eu beaucoup de soucis avec le service juridique de Gallimard (...) : les épreuves étaient corrigées (avec le plus grand soin), j’avais signé le bon à tirer, et soudain le dit service juridique a tout bloqué, scribouillant des observations sur les épreuves, exigeant de moi des suppressions de dernière minute, le résultat étant que les épreuves qui vont repartir chez l’imprimeur, avec ces scribouillages et ces modifications (que j’ai dû faire à la hâte sur un coin de bureau [...]) griffonnées dans les marges, le pauvre imprimeur n’y pigera rien... »  – Plus généralement, les éditeurs ne sortent pas grandis de ces Émiles. Quand ce n’est pas Gallimard, c’est Albin Michel : ainsi voit-on l’éditeur de Guy Hocquenghem refuser de donner un centime pour un colloque en hommage à l’auteur de La Colère de l’Agneau [3].)

   

*

*  *

 

« Vieillissant, fauché », Matzneff, Dieu merci, trouve qu’il reste l’« un des plus fameux écrivains français de [sa] génération » ; et que, « d’une manière générale, [il peut être] content de [ses] personnages féminins... » D’une manière générale, c’est de lui, évidemment, qu’il n’est pas mécontent. Quand il donne l’impression de sombrer dans la modestie, ce qui lui arrive assez peu, il se reprend très vite : comme un de ses articles polémiques tarde à paraître dans une revue, l’écrivain s’inquiète que ses lignes ne soient bientôt plus d’actualité ; une note en bas de page nous rassure aussitôt : finalement, notre homme trouve son texte « meilleur, plus vrai, plus actuel » que lorsqu’il l’a écrit.

(Matzneff appartient à ce type d’écrivain capable de dire : « J’étais considéré [à l’époque de Combat, dans les années soixante] comme l’un des plus redoutables polémistes de ma génération » ; « Le Carnet arabe (...) s’est avéré d’une justesse et d’une vérité prophétiques » ; « Les honneurs [qui lui seront attribués], innombrables j’en suis sûr, seront posthumes » ; « Je pense sincèrement que, quand ils seront intégralement publiés, mes Carnets noirs seront un grand livre » ; etc. – On sourit d’abord de cette naïve vanité ; elle finit par lasser.)

Cependant, comme Matzneff peut aussi être amusant, sa fatuité peut lui servir de ressort comique ; ainsi ce message : « L’entreprise *** envoie demain après-midi un plombier réparer la fuite d’eau, mais je n’ai reçu encore aucune nouvelle touchant le trou que les ouvriers travaillant au numéro *** de la rue *** ont fait dans ma cuisine. Je vous demande d’agir afin que cette réparation soit effectuée dans les meilleurs délais. Je suis l’écrivain Gabriel Matzneff, je ne suis pas un personnage de mon confrère Zola, et je n’ai pas l’habitude de vivre dans des appartements avec des trous aux murs. »

 

*

*  *

 

On voit que le livre peut être drôle, comme il est, par la concision stylisée propre aux outils de communication modernes, enlevé et rapide ; mais il est surtout sombre tant le séducteur y est repoussé, et l’écrivain rejeté.

Si une bonne part de ces Émiles est ainsi dominée par le sentiment d’une injustice fondamentale, celui-ci devient, à l’heure du bilan, une déception essentielle : « Quand je parle de l’échec qu’est ma vie, je fais allusion aux incohérences (...) qui ont fait de ma vie amoureuse une aventure chaotique, avec de continuelles brisures et déchirures ; je fais allusion à une inconscience qui (...) fait de ma vie sociale (à un âge – soixante-dix ans – qui devrait être celui de l’aisance, des honneurs, des consécrations) un désert, un néant, une incertitude financière permanente. »

Et pourtant le désespoir n’est jamais loin du bonheur : on tourne la page, et on tombe sur les plaisirs d’un foie de veau poêlé et d’un vin de paille, les joies d’une amitié et d’un amour durables, la beauté vivifiante de Pâques. Il y aura toujours la vie ; car si c’est un livre où l’on désespère, où l’on meurt, où l’on se tue, on n’y arrête pas pour autant sa course absurde derrière le bonheur, – ce « dieu fugace ». 

Bruno Lafourcade.

(Une première version de cet article a
été publiée sur le site hodie.over-blog.org)

 


[1]. Gabriel Matzneff, Les Emiles de Gab La Rafale. (Editions Léo Scheer, septembre 2010, 360 p.). Ce titre pour initiés demande une explication. « Émile » est le nom que Matzneff s’amuse à donner à l’e-mail, un mot qu’il n’aime pas, pas plus qu’il n’apprécie courriel. (J’ajoute d’ailleurs que celui-ci, formé à partir de « courrier », est fautif : un « courrier », après avoir signifié l’employé triant et convoyant les dépêches, désigne par métonymie un ensemble de lettres, et non une seule lettre.)

Quant à « Gab la Rafale », c’est le surnom que l’auteur avait reçu, en raison de sa précision au fusil-mitrailleur, de ses camarades de régiment.

[2] Cette obsession était là dès le début : on se rappelle « Le suicide chez les Romains » (écrit en 1959 et publié en 1965), un essai que Montherlant disait lire inlassablement.

[3] A la même époque, Plon montrait, à l’égard des livres de Bernanos, tant de constance dans l’indifférence que Gilles Bernanos retirait à cet éditeur la responsabilité de l’œuvre de son grand-père ; pour la confier au Castor Astral. (Si l’on en croit son catalogue, Plon préfère Djamel & Mégane : même pas peur !, de Mimie Mathy, à l’un des plus puissants génies du patrimoine littéraire français.) – Dans un article publié le 12 mars 2009 dans Le Monde, Antoine Gallimard mettait en garde le lecteur contre le prédateur Google, à qui il opposait la vaillante chaîne traditionnelle du livre ; celle-ci (à laquelle appartient, on imagine, Gallimard) essaie de survivre quand celui-là tente de s’approprier des centaines de milliers d’ouvrages pour les « numériser ». Évidemment, on se doute que le but de Google n’est pas exactement philanthropique ; mais on se tromperait lourdement en croyant que celui de Gallimard, d’Albin Michel ou de Plon, l’est davantage. Les livres de Matzneff, de Hocquenghem ou de Bernanos – quelles que soient les différences de nature entre ces trois écrivains – ont été traités avec un mépris et une désinvolture à peine croyables : ici on coupe les vivres, là on ne réédite pas, ailleurs on se vend au plus offrant. Voilà la fameuse chaîne traditionnelle du livre, voilà ce qu’on appelle des éditeurs dévoués. Le dévouement est d’ailleurs une vertu qui va à ces gens comme un tutu à un boxeur ; ils ne valent pas mieux que Google, dont le cynisme a au moins le mérite d’être affiché.


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21 octobre 2010 4 21 /10 /octobre /2010 12:42
Français,
encore un effort...                         
Jean de France 

«  Vous êtes Royaliste ? Sérieusement ? », me demande-t-on parfois. A l’évidence, mon interlocuteur préfèrerait que ce soit une blague. Non, nous n’avons pas tous été guillotinés sous la Terreur. Nous redressons même la tête, défiant une des plus grandes tentatives de castration nationale. Bien qu’elle soit persuadée du contraire, la France ne s’est jamais pardonnée d’avoir tranché la tête de Louis XVI. Le souvenir de ce parricide hante son histoire et l’emprisonne dans une névrose où la mélancolie alterne avec l’espoir de « l’homme providentiel » [1]. Cet espoir est toujours déçu car il repose sur des répliques chimériques d’un roi refoulé. Il serait temps de s’intéresser à l’original plutôt qu’à ses copies.

 Le comte de Chambord, dernier descendant de la branche aînée des Bourbons, est mort en 1883. Avant de disparaître, « il a bien marqué que, dans la tradition française, la famille d’Orléans représentait dorénavant la dynastie capétienne en France : "Les Orléans sont mes fils", a-t-il dit ». Jean de France est aujourd’hui descendant de cette famille. C’est donc lui qui sera appelé à régner lorsque les Français auront décidé de se réconcilier avec eux-mêmes. Cette mission, Jean de France s’y prépare avec sérieux. Il pose ses premiers jalons dans un livre d’entretiens accordés à Fabrice Madouas : Un prince français  [2].

Etre roi des Français suppose de savoir détecter, en se réglant sur une longueur d’onde historique en adéquation avec l’actualité, ce qui favorise en chacun l’impulsion créatrice – source de bonheur. A l’évidence, Jean de France possède cette faculté. Qu’il s’agisse d’éducation, de justice, d’économie, de culture, de politique étrangère ou bien de défense, Un prince français offre sur tous ces sujets une approche pertinente et originale : « Aujourd’hui, je ne regarde presque plus la télévision et je ne m’en porte pas plus mal. Il faut savoir se détacher des écrans : l’image, en sollicitant nos émotions, interdit la réflexion et favorise les conformismes. J’ai appris à m’en méfier. ».

Ces profondeurs de vue sont la conséquence d’une histoire personnelle que Jean de France aborde dans ces entretiens : son enfance, son parcours professionnel, ses goûts artistiques y sont détaillés. J’abonde dans son sens lorsqu’il cite Fénelon : « Quand un prince aime les lettres, il se forme pendant son règne beaucoup de grands hommes. Ses récompenses et son estime excitent une noble émulation ; le goût se perfectionne. » Pas étonnant que nous n’ayons, aujourd’hui, que de petits hommes : « Les "normaliens sachant écrire" ont cédé le pas aux gestionnaires et aux "communicants". Nos gouvernants n’ont plus l’amour des lettres, mais celui des petites phrases. »

Les hommes politiques ? « Pour se faire élire, l’homme politique succombe nécessairement à la tentation de la séduction. D’où ce show permanent, ce mouvement perpétuel qui ne laisse jamais à l’opinion le temps de la réflexion : on saute d’un problème à l’autre, sans s’assurer que le précédent a bien été réglé. » Des décisions sont ajournées, des projets avortent parce que personne, au-dessus des partis, n’en est le garant : « Un roi peut se consacrer à l’essentiel, car il n’a pas besoin de créer chaque jour l’évènement pour exister. Il est plus serein pour s’occuper, en profondeur, des affaires du pays – étant entendu qu’il agit dans le cadre de la Constitution. » Car rétablir une monarchie absolue serait absurde : la royauté doit être réinventée, notamment en s’inspirant du règne de Louis-Philippe qui « a tenté de trouver un arrangement entre la tradition capétienne et les innovations de la Révolution ». On ne refait pas l’histoire, 1789 a bien eu lieu : « La Révolution a laissé l’homme seul, sans défense face à l’Etat, "le plus froid de tous les monstres froids", disait Nietzsche [3]. Nous payons encore aujourd’hui le prix de cet aveuglement idéologique qui est d’abord un péché d’orgueil. »

Cet Etat est aujourd’hui omniprésent, maternant, étouffant : « Je crois en effet que l’Etat doit se tenir en réserve. Il n’a pas pour vocation de s’occuper de tout, mais de favoriser la prospérité des familles et du pays en définissant un cadre législatif et réglementaire propice à leur réussite. Le bonheur est une œuvre de liberté. » Un philosophe contemporain de la Révolution française, qu’il convient de ne pas bouder, aurait ajouté : « Je conviens que l’on ne peut pas faire autant de lois qu’il y a d’hommes ; mais les lois peuvent être si douces, en si petit nombre, que tous les hommes, de quelque caractère qu’ils soient, puissent facilement s’y plier. […] Faisons peu de lois, mais qu’elles soient bonnes. »

   Le bonheur est une œuvre de liberté… Français, encore un effort si vous voulez être républicains… Redevenez Royalistes !

Gilles Monplaisir. 



[1]. Gilles Monplaisir, La France masochiste, Royaliste N° 965.
[2]. Jean de France, Un prince français, Ed. Pygmalion, 2009. 
[3]. Trouvez-moi un homme politique qui, aujourd’hui, cite Friedrich Nietzsche…
 
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18 octobre 2010 1 18 /10 /octobre /2010 10:30
L'administration                       
de la peur        
 
de Paul Virilio
Mis en ligne : [18-10-2010]
Domaine :  Idées  
Paul Virilio

 

Né en 1932, Paul Virilio est urbaniste et philosophe. Fondateur du groupe "Architecture principe" avec l'architecte Claude Parent, il est professeur émérite au sein de l'Ecole spéciale d'architecture. Compagnon de route d'Eric Rohmer, de Gilles Deleuze, de Félix Guattari, de Jean Baudrillard, d'Ivan Illitch et bien d'autres, il a livré de nombreux essais visionnaires sur la technique et la vitesse, et sur la réalité issue de leur rencontre, la dromosphère. Il a récemment publié : L'Art à perte de vue. (Galilée, 2005), L'Université du Désastre. (Galilée, 2007), Le Futurisme de l’instant. (Galilée, 2009), Accident de tempo in Regards sur la crise.Réflexions pour comprendre la crise… et en sortir, ouvrage collectif dirigé par Antoine Mercier avec Alain Badiou, Miguel Benasayag, Rémi Brague, Dany-Robert Dufour, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay… (Hermann, 2010), Le Grand Accélérateur, (Galilée, 2010).

  


Paul Virilio – L’administration de la peur, entretien avec Bertrand Richard. Paris, Textuel, mai 2010, 96 pages. 

 

Présentation de l’éditeur

Chaos climatique, paniques boursières, crise économique, périls techno-scientifiques, menaces pandémiques, suicides « professionnels »... L'énumération des peurs contemporaines est sans fin. Effet de loupe médiatique ? Construction paranoïque ? Fantasme ? Pour Paul Virilio, il y a bien de quoi avoir peur. Car le monde est plein comme un oeuf, qu'on y accélère toujours plus les flux en y contractant l'espace et que la peur devient l'objet d'une véritable gestion politique, les États étant tentés de substituer un globalitarisme sécuritaire à la traditionnelle protection des individus contre les risques de la vie.

 

Article de Nicolas Truong. – Le Monde, 4 septembre 2010

Architecte et philosophe, Paul Virilio est un enfant de la guerre. Pendant l'été 1940, il vécut à Nantes la débâcle de son pays en un éclair. Un matin, les informations indiquèrent que les Allemands étaient à Orléans. A midi, ils paradaient dans sa ville. La guerre qui opposait les belligérants lors d'interminables conflits n'était qu'un lointain souvenir.

Cette fulgurante occupation fut pour les hommes de sa génération une sidération. Et devint pour lui une constante préoccupation. Il ne cessa de chercher à comprendre cette "insécurité du territoire" qui articule politique et vitesse au cours de notre histoire. Depuis la "guerre éclair" (blitzkrieg), la peur ferait partie des données immédiates de notre conscience, explique-t-il dans un livre d'entretien avec Bertrand Richard. Autrefois circonscrite aux épidémies ou aux conflits, elle serait devenue notre environnement quotidien dans un monde saturé d'événements, de virus, de phobies, de prises d'otage, de paniques ou de suicides en série.

La peur a certes toujours existé, mais la voici aujourd'hui administrée, orchestrée, politisée. Ce sentiment est dû à une hypermodernité qui abolit les distances, pollue l'espace et plonge les sujets connectés à l'actualité dans un live permanent. Nous ne vivons pas la fin de l'histoire, mais la "fin de la géographie", assure-t-il.

Et à l'ancienne utopie collectiviste a succédé un "communisme des affects" qui synchronise les émotions de milliers d'individus réunis virtuellement devant leur écran pour assister aux attentats terroristes ou aux éclats sportifs en temps réel. Mais ce monde du mouvement permanent est aussi celui des communautarismes et du repli sur soi, effets collatéraux d'un monde rendu inhabitable par cette constante compression du temps.

Certaines analogies susciteront quelques allergies. Le rapport entre la rapidité de la blitzkrieg et l'ubiquité des nouvelles technologies de l'information et de la communication paraîtra aux yeux de certains comme un abus de langage. D'autres seront sceptiques devant une pensée qui semblerait nostalgique d'un monde d'hier rythmé par les saisons et les moissons.

Pourtant, Paul Virilio refuse le catastrophisme comme le rétropédalage. Et pense simplement, comme la philosophe Hannah Arendt, que "la terreur est l'accomplissement de la loi du mouvement". A la suite de la richesse, la vitesse, que les technologies accélèrent sans cesse, est donc pour lui la nouvelle économie politique à penser dans nos sociétés numérisées.

Car ce n'est pas l'histoire qui accélère, comme l'évolution rapide des techniques pourrait le laisser croire (où l'on passe du cheval au chemin de fer, puis du train à l'avion), mais bien le réel qui s'emballe à tel point qu'il sidère l'esprit humain, incapable de s'orienter dans ce changement permanent.

Chrétien convaincu, notamment parce que le christianisme s'oppose à cette tyrannie de l'immédiateté et à une certaine démiurgie technoscientifique, Paul Virilio considère même que notre début de XXIe siècle serait placé sous le signe des mythes bibliques : la chute des Twin Towers (Babel), les tsunamis (le Déluge) ou les réfugiés climatiques (l'Exode).

Intellectuel "révélationnaire" et non plus révolutionnaire, il souhaite révéler les dégâts de cette vie accélérée sans prétendre élaborer un programme ou délivrer de sésame. Tout juste suggère-t-il de créer un "ministère du temps" ainsi qu'une "université du désastre" qui permettrait de l'étudier afin de mieux le conjurer.

 

Extraits du livre

A vous écouter, la peur est à la fois le produit de la vitesse, qui stresse par abolition de l'espace, mais elle est également amplifiée et vectorisée par elle. Oui, la vitesse angoisse par abolition de l'espace, ou plutôt par défaillance de pensée collective sur l'espace réel car la relativité n'a jamais été vraiment comprise, sécularisée. C'est pourquoi Francis Fukuyama se trompe lorsqu'il pronostique la fin de l'histoire. Premièrement car il y a quelque chose d'inutilement apocalyptique dans ce pronostic; deuxièmement parce que l'histoire continue bel et bien avec la marche du temps et l'action des hommes; et troisièmement parce que Fukuyama nous égare et nous fait perdre du temps! En effet, ce n'est pas de fin de l'histoire qu'il s'agit mais bien davantage de fin de la géographie. Mon travail sur la vitesse et la relativité m'a conduit, dès 1992, à l'occasion du sommet de Rio sur l'environnement à évoquer la notion d'"écologie grise". Pourquoi grise? Au-delà de la référence à l'ontologie grise d'Hegel, il s'agissait pour moi de dire que si l'écologie verte c'est la pollution de la faune, de la flore et de l'atmosphère, c'est-à-dire en fait de la Nature et de la Substance, l'écologie grise s'intéressait quant à elle à la pollution de la distance, à la pollution de la grandeur nature des lieux et des délais. Près de vingt ans plus tard, je crains que nous n'ayons guère avancé sur la compréhension de cette pollution et donc sur les moyens de la résorber.

Parleriez-vous d'escamotage du réel, et rejoignez-vous en ce sens la pensée de Baudrillard, et sa théorie du simulacre. Davantage que Baudrillard, dont je ne partageais pas les conclusions sur le simulacre, je souhaiterais rappeler l'existence du livre de Daniel Halevy, paru en 1947, et intitulé Essai sur l'accélération de l'histoire. Il me semble que nous sommes sortis aujourd'hui de l'accélération de l'histoire pour entrer dans la sphère de l'accélération du réel. Quand on dit le live, le temps réel, on parle de l'accélération de la réalité, et non pas de l'accélération de l'histoire.  L'accélération de l'histoire, fort classiquement, c'est le passage du cheval au train, du train à l'avion à hélice et de ce dernier au jet. On est à l'intérieur de vitesses qui sont contrôlées et contrôlables. Qui peuvent être politiquement gérées de sorte que les concernant il peut y avoir une économie politique qui s'instaure et les gouverne. Le temps présent est marqué par l'accélération du réel : nous atteignons les limites de l'instantanéité, la limite de la réflexion et du temps proprement humain.

A l'oubli des lieux s'ajouterait donc l'oubli du corps ? Oui, et l'homme est obligé de transférer son pouvoir de décision à des répondeurs automatiques qui eux, peuvent fonctionner à la vitesse de l'instantanéité. L'accélération du réel est une mutation considérable de l'Histoire. Considérons par exemple l'économie. Le krach économique que nous avons vécu en 2007-2008 est un krach systémique qui a une histoire. Une histoire qui remonte au début des années 1980, lorsque les bourses mondiales furent interconnectées en temps réel. Cette interconnexion, baptisée "Program Trading" a également une deuxième appellation, hautement suggestive, le "Big Bang" boursier. Un premier krach, en 1987, entérina et concrétisera l'impossibilité de gestion de cette vitesse. Le krach de 2008, quant à lui, est lié en partie, au "flash trading", c'est-à-dire à des cotations ultrarapides opérées par des ordinateurs qui sont ceux-là même de la défense nationale. On parvient dès lors à des délits d'initiés dans le temps court. En effet, le temps commun de l'information financière n'existe plus, supplanté par la rapidité des outils informatiques, dans un temps qui n'est pus partageable par tout le monde et donc qui ne permet plus la concurrence réelle entre les opérateurs. [...] Alors, la régulation devient impossible car on a fui dans l'accélération du réel. On voit bien à quel point l'absence d'une économie politique de la vitesse est donc littéralement en train de faire exploser non pas le capitalisme, mais le turbo-capitalisme car celui-ci est pris à la limite de l'accélération du réel. Je suis conscient bien sûr que le krach systémique actuel, avec l'éclatement de la bulle immobilière en 2007, est plus complexe et entraîne à repenser le rapport à la valeur et aux normes comptables, néanmoins le court-termisme est une évidence. Mais le drame, c'est que la science elle-même est touchée, frappée de plein fouet. Millisecondes, picosecondes, femtosecondes, des milliardièmes de secondes, voilà désormais notre réalité devenue inhabitable.

Cette peur, n'est-ce pas la crainte d'être dépossédé du réel et donc de toute emprise sur lui ? La déréalisation est le résultat du progrès, ni plus moins. [...] Cet accroissement continu de la vitesse a entraîné le développement d'une mégaloscopie qui a conduit à une véritable infirmité puisqu'elle a réduit le champ de vision. Plus on va vite, plus on se projette au loin pour anticiper et plus on perd la latéralisation. Les écrans sont l'équivalent du pare-brise de la voiture : nous perdons, avec la vitesse, le sens de la latéralisation, ce qui est un élément d'infirmité de l'être-au-monde, de sa richesse, de son relief, de sa profondeur de champ. [...] Ce que l'on dit là n'est pas fatal. Ce qui le serait, c'est que l'on ne s'en préoccupe pas et que la vitesse continue à ne pas être prise en compte avec la richesse. [...] D'économie politique de la vitesse nous sommes dépourvus. Je ne suis pas économiste mais une chose est certaine, c'est que l'on ne pourra pas s'en passer, sous peine de basculer dans le globalitarisme, à savoir le "totalitarisme des totalitarismes". Je rappelle pour que la chose soit claire que, pour moi, la maîtrise du pouvoir est liée à celle de la vitesse. Un monde de l'immédiateté et de la simultanéité serait un monde absolument inhabitable et invivable.


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17 octobre 2010 7 17 /10 /octobre /2010 09:00
L'oréade 
 
De la fière Artémis je suivais la fortune
Dans la forêt épaisse et solitaire où bruit
En un souffle éternel la vigilante nuit;
Je fleurissais mon front du croissant de la lune;
 
Mon pied léger peuplait les bois; j'aimais bondir

Avec l'écho, sur les rochers, au creux des sources,

Et parfois je rêvais de chasser les deux Ourses

Dont je voyais, le soir, l'oeil fauve resplendir.

 
Quelquefois immobile à la plus haute cime,
Le monde des vivants et le monde des morts

Me semblaient ne former ensemble qu'un seul corps,

Merveille dont j'étais le principe sublime.

 
Un nouveau ciel naissait de mon sein lumineux,
Mon lait ambroisien, tel qu'une fine cendre,
A travers l'Univers s'en allait se répandre,
Plus riche de soleils que vos stériles cieux.
 
Au feu qui dévorait maintenant ma poitrine,
Aux brasiers en mes yeux allumés, je sentais
Ce que je cessais d'être et ce qu'enfin j'étais,
Moins déesse que femme et deux fois plus divine.
 
Ce n'est pas en voleur que tu vins me saisir,
Amour ! Je n'ai pas fui ta flèche redoutée :
Toute livrée aux vents et par eux emportée,
Moi-même je n'étais qu'un frémissant désir.
 
Et telle, ô Cythérée, ai-je vu tes colombes

Poindre ainsi qu'une aurore au-dessus de la mer,

Aphrodite, Vénus, dont chaque nom m'est cher,
Cypris, qui fais s'ouvrir des roses sur les tombes...

 
Comme, en rêve, on entend murmurer une voix,

La plus mélodieuse aux oreilles humaines,
Du silence des lacs troublé par les fontaines,
Un appel musical s'élevait dans les bois;
 
Et j'écoutais gémir ces paroles confuses
Que le sombre aquilon pleure dans les roseaux,
Plainte dont l'horreur siffle à la face des eaux
Et devient harmonie à la coupe des Muses...

 

MOREAU (Gustave) Nymphe

 

Raymond de la Tailhède, (1867-1938). Les Poésies.(1926) 

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N°1 - 2009/01
 
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