Amateurs de jardins, réjouissez vous !
Nos lecteurs connaissent bien les Éditions du Sandre, cette brave maison de livres qui exhume régulièrement du passé quelque trésor englouti. On y découvrait récemment les meilleurs pamphlets du Cardinal de Retz, un introuvable d'Ernest Raynaud, Baudelaire ou la religion du dandysme, ainsi qu'une réédition des oeuvres de Chamfort, parfaitement commentée par Lionel Dax. On y trouve désormais la revue Jardins [1], petite merveille sortie de l'imagination de l'historien Marco Martella et d'une phalange d'amateurs d'horticulture littéraire et poétique. Le manifeste en restitue parfaitement le projet :
Le jardin, qu'il soit ancien ou moderne, princier ou ouvrier, utilitaire ou d'agrément, caché ou public, est un laboratoire. Depuis toujours, les hommes qui expérimentent des manières d'être sur terre, entre nature et culture. Autrefois, il condensait des rêves de beauté idéale ou des cosmogonies. Désormais, il est peut-être avant tout un enclos de résistance. Parce qu'il échappe au marché [...]. Parce qu'on ne peut le consommer et qu'il nous met toujours en présence d'un lieu. Explorer le jardin comme espace poétique et existentiel, telle est l'ambition de cette revue.
Le thème de ce premier numéro est le Génie du lieu, ce genius loci des Romains qui habite chacun de nos espaces et dont il faut, pour bien vivre, gagner les faveurs. Si le jardinier en est, la plupart du temps, le dépositaire, ce genius loci peut revêtir des formes très diverses. Il peut s'agir d'un poète, auquel cas il faut oeuvrer avec délicatesse, comme l'explique Michel Farris, jardinier en chef des jardins Albert Khan :
On essaie de rester fidèle à l'esprit que le lieu incarne. J'essaie d'expliquer à nos jardiniers que c'est la technique qui doit s'adapter au jardin et non pas l'inverse. Je les pousse à comprendre l'histoire du site et l'esprit du jardin japonais mais aussi celui des autres entités. on s'intéresse avant tout au personnage d'Albert Khan. Parfois j'ai l'impression qu'on parle de lui comme s'il était parmi nous.
Il peut s'agir aussi d'un lieu sacré, demeure éternelle des dieux, comme ce jardin d'Agrigente évoquée par Edith de la Héronière, ce bois sacré de Toscane, où le peintre américain Sheppard Craige fait son jardin depuis 1995, ou encore ce jardin chinois, où le maître Nan Shan transmet son art à des disciples choisis.
Sans oublier ces jardins vénitiens du XVIe siècle, sièges de la conversation, des femmes et de la musique, ces abords de Port-Royal, où veillent délicatement les ombres de Racine, de Boileau et de La Fontaine, ou encore ce beau parc français, dont le maître des lieux dort, tranquille, près de la Loire, aux confins du Berry et de la Sologne.
Et voici les jardins dans leur variété - pierreux, ombreux, clos, ouverts ou morts - ; ils sont à l'image des hommes qui les font, les défont, les aiment ou les négligent. Marie Rouanet nous en donne une série de portraits, dont ce verger à l'été, qui semble sortir d'une toile de Poussin :
En contrepartie du verger mort un verger tout neuf descend en pente douce vers l'eau, à l'endroit où la route s'écarte un peu de la rivière. Sous les pêchers, pommiers, poiriers le sol est net. En ce mois d'août des pêches de vignes écarlates sont tombées au sol et dessinent des ombres roses au pied de jeunes arbres. Dans dix ans, il y aura là un lieu de délices. Rien ne sera plus propice aux murmures amoureux que ce verger au printemps. Quelques remuements d'oiseaux entrant dans leur repos, des arbres qui dérobent les silhouettes, les flûtes délicates des crapauds, les odeurs de fleurs, de fruit et d'eau, la respiration des feuillages, le champ du courant au bord du chemin exalteront le corps et le coeur ou les inviteront au repos. En attendant, le maître du jardin donne, à qui le veut, des leçons de taille.
Tout est décidément parfait dans cette première livraison de Jardins, que nos lecteurs parcoureront avec volupté. Nous garderons, quant à nous, l'oeil ouvert dans cette direction où semblent se tramer des choses pleines d'intérêt.
eugène charles.
[1]. Jardins, Revue fondée par Marco Martella, n° 1, Année 2010. (Les Editions du Sandre, 57 rue du docteur Blanche, Paris 16e.)