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amais, jamais, jamais nous ne nous lasserons d'offenser les imbéciles ! Jamais, jamais, jamais nous ne nous désintéresserons tout à fait de ces faces rondes, éclatantes de sécurité, de contentement de soi, d'égoïsme candide, de bêtise tranquille et confortable, qui nous prêchent — à leur insu — la nécessité des vertus héroïques, la parfaite convenance, l'opportunité — que dis-je !... l'exceptionnelle urgence de toutes les folies de l'honneur.
Chères têtes rondes ! Chers regards désapprobateurs, et si touchants, si pathétiques parce que leur gravité n'est que feinte et que nous trouvons, nous — mon Dieu! — sous tant de dignité glacée, une terreur ingénue de la vie, tous les rêves de l'enfance morts sans baptême — l'enfance, vous dis-je ! l'enfance sublime. Quelle tristesse ! Tant de gens qui n'ont jamais osé franchir l'adolescence pour entrer tout entiers dans l'âge mûr, avec la part noble de leur être, et qui ont choisi d'être stériles, par crainte d'embarras ultérieurs ou de perte de temps. Perte de temps ! Ils ont perdu leur vie.
L'aventure de la jeunesse, ce don de Dieu à chacun de nous — l'invention, l'inspiration magistrale de Dieu, qui est comme le thème révélé de la symphonie, l'image augurale de notre destin particulier — magnifique aventure! — ils l'ont laissée exprès, elle les menait trop loin, ils n'ont pas voulu courir le risque de la sincérité, de la simplicité, de la grandeur, ils tombent dans le médiocre sans comprendre que la plus extraordinaire, la plus hasardeuse, la plus fantastique entreprise, c'est encore de subsister en imbéciles dans un univers ruisselant de beauté.
Mais nous ! mais nous ! nous qu'on croit si téméraires, et même un peu fols, voilà que nous avons pris la route la plus sûre, nous avons été les plus malins, nous sommes désormais peinards : c'est moi qui vous le dis. Entre tant de fesse-mathieux qui rognent la vie comme un écu, tant d'avares, nous avons choisi d'être prodigues, simplement. Nous ne faisons grâce à notre vie d'homme d'aucun des rêves de l'enfance, et les plus beaux, les plus hardis, les plus avides... Vive l’honneur et vive l'honneur français !
Vous me direz : où veut-on en venir ? Parbleu ! vous savez où je vais. A qui crie vive l'honneur en notre langage, l'écho répond vive le Roi, l'écho en a l'habitude. Il ne l'a jamais perdue : c'est une admirable histoire, qui donne envie de rire ou de pleurer. Pauvres petits garçons français, mis à la torture par les fabricants de morale civique, et qui n'auraient connu d'autre image de la France qu'un cuistre barbu qui parle de l'égalité devant la Loi, si le bonhomme Perrault— disons saint Perrault puisqu'il est sûrement dans le Paradis ! — n'avait offert aux rois et aux reines exilés l'asile doré de ses contes, les châteaux du Bois-Dormant. Quel symbole ! Les cuistres du siècle des cuistres poursuivant la majesté royale — les sabots à la main pour courir plus vite, les imbéciles — et la majesté royale déjà était à l'abri dans un pan de la robe des Fées. Le petit homme français, abruti de physicochimie, n'avait qu'à ouvrir le bouquin sublime, et dès la première page, il pourfendait les géants, il réveillait d'un baiser les princesses, il était amoureux de la reine. Songez donc ! ces Rois chassés des livres de classe qui entraient de plain-pied dans la légende, comme chez eux. Quelle introduction à l'histoire de Jeanne d'Arc ! Oui, nos princes étaient à Goritz, à Londres, à Rome, que sais-je, ou sur les sentiers du désert. Mais l'imagination nationale restait pleine d'eux à son insu. Je connais un jeune Lorrain de quatre ans qui, à ma demande : «Qu'est-ce qu'un roi ? », m'a répondu : « Un homme à cheval qui n'a pas peur ! » Son papa est républicain. N'importe ! Oui, garçon, un homme à cheval. Tant pis pour la couleur locale et les usages de la guerre moderne et des cours ! Un homme à cheval, et de jeunes Français derrière qui aiment le danger et y périssent selon la parole des Saints Livres et les goûts du peuple français...
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Joyeux Noël à la Maison de France ! C'est notre maison. Hâtons-nous de suspendre au dernier chevron du faîtage le gui reverdissant! Les uns en firent jadis un temple de la gloire, d'autres un musée, enfin je ne sais quel monument austère, et pourtant c'est notre maison. Celle de la galette des Rois, des crêpes de la Chandeleur, des bassines à confiture, des jeux et des rêves, familière et vénérable, paternelle — la Maison paternelle. Oui la France prodigue a reconnu la maison héréditaire, et sitôt franchi le seuil sacré, elle a senti sa peine remise et ses péchés pardonnés. Vive le Roi ! Vive la Reine ! Vive Monseigneur le Dauphin ! Les cuistres mélancoliques qui nourrissent leur mélancolie des livres poussiéreux de M. Durkheim vont, ici, crier au scandale. Ils nous tiennent pour des maniaques non moins mélancoliques qu'eux-mêmes, des gens à thèse et à baralipton, et nous ne nous sommes jamais sentis si jeunes, si chantants, si amoureux, un brin de laurier au coin des lèvres, et dispos pour toute entreprise périlleuse, pourvu qu'elle soit de peu de profit et de beaucoup d'honneur. Joyeux Noël à la Maison de France ! Nous l'aimons comme elle mérite d'être aimée, avec un rien de folie. Nous l'aimons comme notre jeunesse exactement. Nous l'aimons comme notre honneur.