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24 décembre 2009 4 24 /12 /décembre /2009 13:42
Effel Noël
 

La rédaction de la Revue critique des idées et des livres souhaite à Monseigneur le Comte de Paris, à la Famille de France et à tous ses lecteurs un joyeux Noël.

 
Joyeux Noël à la Maison de France
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J

 amais, jamais, jamais nous ne nous lasserons d'offenser les imbéciles ! Jamais, jamais, jamais nous ne nous désintéresserons tout à fait de ces faces rondes, éclatantes de sécurité, de contentement de soi, d'égoïsme candide, de bêtise tranquille et confortable, qui nous prêchent — à leur insu — la nécessité des vertus héroïques, la parfaite convenance, l'opportunité — que dis-je !... l'exceptionnelle urgence de toutes les folies de l'honneur.

Chères têtes rondes ! Chers regards désapprobateurs, et si touchants, si pathétiques parce que leur gravité n'est que feinte et que nous trouvons, nous — mon Dieu! — sous tant de dignité glacée, une terreur ingénue de la vie, tous les rêves de l'enfance morts sans baptême — l'enfance, vous dis-je ! l'enfance sublime. Quelle tristesse ! Tant de gens qui n'ont jamais osé franchir l'adolescence pour entrer tout entiers dans l'âge mûr, avec la part noble de leur être, et qui ont choisi d'être stériles, par crainte d'embarras ultérieurs ou de perte de temps. Perte de temps ! Ils ont perdu leur vie.

L'aventure de la jeunesse, ce don de Dieu à chacun de nous — l'invention, l'inspiration magistrale de Dieu, qui est comme le thème révélé de la symphonie, l'image augurale de notre destin particulier — magnifique aventure! — ils l'ont laissée exprès, elle les menait trop loin, ils n'ont pas voulu courir le risque de la sincérité, de la simplicité, de la grandeur, ils tombent dans le médiocre sans comprendre que la plus extraordinaire, la plus hasardeuse, la plus fantastique entreprise, c'est encore de subsister en imbéciles dans un univers ruisselant de beauté.

Mais nous ! mais nous ! nous qu'on croit si téméraires, et même un peu fols, voilà que nous avons pris la route la plus sûre, nous avons été les plus malins, nous sommes désormais peinards : c'est moi qui vous le dis. Entre tant de fesse-mathieux qui rognent la vie comme un écu, tant d'avares, nous avons choisi d'être prodigues, simplement. Nous ne faisons grâce à notre vie d'homme d'aucun des rêves de l'enfance, et les plus beaux, les plus hardis, les plus avides... Vive l’honneur et vive l'honneur français !

Vous me direz : où veut-on en venir ? Parbleu ! vous savez où je vais. A qui crie vive l'honneur en notre langage, l'écho répond vive le Roi, l'écho en a l'habitude. Il ne l'a jamais perdue : c'est une admirable histoire, qui donne envie de rire ou de pleurer. Pauvres petits garçons français, mis à la torture par les fabricants de morale civique, et qui n'auraient connu d'autre image de la France qu'un cuistre barbu qui parle de l'égalité devant la Loi, si le bonhomme Perrault— disons saint Perrault puisqu'il est sûrement dans le Paradis ! — n'avait offert aux rois et aux reines exilés l'asile doré de ses contes, les châteaux du Bois-Dormant. Quel symbole ! Les cuistres du siècle des cuistres poursuivant la majesté royale — les sabots à la main pour courir plus vite, les imbéciles — et la majesté royale déjà était à l'abri dans un pan de la robe des Fées. Le petit homme français, abruti de physicochimie, n'avait qu'à ouvrir le bouquin sublime, et dès la première page, il pourfendait les géants, il réveillait d'un baiser les princesses, il était amoureux de la reine. Songez donc ! ces Rois chassés des livres de classe qui entraient de plain-pied dans la légende, comme chez eux. Quelle introduction à l'histoire de Jeanne d'Arc ! Oui, nos princes étaient à Goritz, à Londres, à Rome, que sais-je, ou sur les sentiers du désert. Mais l'imagination nationale restait pleine d'eux à son insu. Je connais un jeune Lorrain de quatre ans qui, à ma demande : «Qu'est-ce qu'un roi ? », m'a répondu : « Un homme à cheval qui n'a pas peur ! » Son papa est républicain. N'importe ! Oui, garçon, un homme à cheval. Tant pis pour la couleur locale et les usages de la guerre moderne et des cours ! Un homme à cheval, et de jeunes Français derrière qui aiment le danger et y périssent selon la parole des Saints Livres et les goûts du peuple français...

 

***

 

Joyeux Noël à la Maison de France ! C'est notre maison. Hâtons-nous de suspendre au dernier chevron du faîtage le gui reverdissant! Les uns en firent jadis un temple de la gloire, d'autres un musée, enfin je ne sais quel monument austère, et pourtant c'est notre maison. Celle de la galette des Rois, des crêpes de la Chandeleur, des bassines à confiture, des jeux et des rêves, familière et vénérable, paternelle — la Maison paternelle.  Oui la France prodigue a reconnu la maison héréditaire, et sitôt franchi le seuil sacré, elle a senti sa peine remise et ses péchés pardonnés. Vive le Roi ! Vive la Reine ! Vive Monseigneur le Dauphin ! Les cuistres mélancoliques qui nourrissent leur mélancolie des livres poussiéreux de M. Durkheim vont, ici, crier au scandale. Ils nous tiennent pour des maniaques non moins mélancoliques qu'eux-mêmes, des gens à thèse et à baralipton, et nous ne nous sommes jamais sentis si jeunes, si chantants, si amoureux, un brin de laurier au coin des lèvres, et dispos pour toute entreprise périlleuse, pourvu qu'elle soit de peu de profit et de beaucoup d'honneur. Joyeux Noël à la Maison de France ! Nous l'aimons comme elle mérite d'être aimée, avec un rien de folie. Nous l'aimons comme notre jeunesse exactement. Nous l'aimons comme notre honneur.

georges bernanos. [1].
 

[1]. Georges Bernanos, Noël à la maison de France, in Guirlande à la Maison de France, La Revue Fédéraliste, 106e cahier, 1928.
 
Effel Noël 2
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23 décembre 2009 3 23 /12 /décembre /2009 23:00
Les affaires
sont les affaires                        

 

                  
     



mirbeau.jpg


La troupe du Français donne, au Vieux Colombier, les affaires sont les affaires d'Octave Mirbeau. Ce n'est pas franchement la meilleure pièce du répertoire et elle vit même très au-dessus de ses moyens. On sait que Mirbeau voulait faire une comédie de caractère sur les milieux financiers du début du siècle dernier. Il arriva tout juste à en tirer une farce, et une farce assez brouillonne. La pièce repose entièrement sur les épaules du personnage principal, Isidore Lechat, petit brasseur d'affaires louches, bourgeois arrivé et content de lui, insatiable lorsqu'il s'agit d'argent et d'un cynisme absolu, venimeux à l'endroit de la religion et de tout ce qui touche à l'esprit. Un curieux mélange de promoteur véreux et de bourgeois gentilhomme, tout enfiévré de ses passions de nouveau riche.

L'homme n'est d'ailleurs pas sans intérêt, et Mirbeau, en creusant un peu, aurait pu en faire mieux qu'une caricature. Lechat, dans un même mouvement, déclare son mépris des pauvres et du peuple, parce qu'il en vient ("les pauvres, ils n'ont qu'à travailler, ils seront moins pauvres"), son amour de la démocratie parce qu'elle le sert, son "socialisme" parce que l'Etat est à lui et sa conviction que le génie de quelques uns fera le bonheur de tous parce qu'il fait partie des happy few. Lechat n'est pas le financier d'envergure, le grand aigrefin, le prince du marché, plein de fiel et de morgue, avec lequel Mirbeau aurait voulu se mesurer. Il est l'ébauche d'un autre caractère, celui de l'agioteur radical-socialiste, moins brillant mais plus répandu qu'on ne le pense, surtout par les temps qui courent, y compris dans les allées du pouvoir et sur les bancs du Parlement. Dommage que Mirbeau n'ait pas su lui donner toute sa dimension.

C'est également dommage qu'il n'ait pas mieux soigné le reste de sa pièce. Les autres personnages - femme, fille, fils, voisins, associés ou domestiques -  disparaissent derrière Lechat, qui les écrase de sa démesure et de sa véhémence. Ils sont d'ailleurs à peine esquissés. L'action elle-même est confuse et l'on passe d'une scène à l'autre sans lien évident entre les évènements. Tous ces défauts peuvent disparaître si la pièce est jouée sur le ton qu'il convient, celui de la farce un peu exubérante, du premier degré, en cherchant à faire rire, comme on peut rire d'une comédie de Feydeau lorsque les personnages semblent pris dans un vent de folie.

Mais ce n'est malheureusement pas le parti qu'a pris le Vieux colombier et le metteur en scène, Marc Paquien. Celui ci a fait le choix d'insister sur le sérieux de l'oeuvre et sur son actualité. "Cette pièce, dit-il, nous surprend peut être encore davantage aujourd'hui qu'hier, tant elle semble pointer du doigt les chocs et les abus qui ont récemment fait ployer notre monde. De nos jours, la figure d'Isidore Lechat se rencontre partout. Patrons de multinationales, hommes d'affaires, spéculateurs et financiers : le pouvoir est définitivement passé entre les mains de ces nouveaux maîtres du monde." Le décalage entre ces nobles ambitions et ce que l'on peut réellement tirer de l'oeuvre apparaît très vite : les caractères, mis à vif, sont plus schématiques encore, la trame plus approximative, l'atmosphère, très noire, jure avec les dialogues faits pour le rire. Mirbeau, auteur bourgeois malgré lui, n'est ni Brecht, ni Armand Gatti.

Ce qui sauve en définitive le spectacle - et qui nous conduit malgré tout à le recommander - c'est l'excellence de l'interprétation. Gérard Giroudon (Lechat) - prodigieux de force et, in fine, d'émotion - occupe tout l'espace. Michel Favory (le Marquis de Porcellet) joue avec beaucoup de justesse l'aristocrate ruiné, victime sans illusions des manigances de Lechat. Claude Mathieu (Mme Lechat) et Gilles David (l'associé) tiennent leurs textes à la perfection. Une mention particulière pour Françoise Gillard (Germaine Lechat), qui redonne à plusieurs reprises de la couleur aux dialogues, en jouant avec conviction et naturel son rôle de fille révoltée et insoumise.

Jacques du Fresnois.


Octave Mirbeau, Les affaires sont les affaires. - Mise en scène de Marc Paquin. Avec Gérard Giroudon, Claude Mathieu, Michel Favory, Françoise Gillard, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu-Léger, Adrien Gamba-Gontard, Gilles David et Chloé Schmutz. - Théâtre du Vieux Colombier, Paris 6e (Métro Saint-Sulpice). - Jusqu'au 3 janvier 2009.

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23 décembre 2009 3 23 /12 /décembre /2009 11:00
Le débat jusqu'à la lie ?... Chiche !

Les Français, qui ont le nez fin, n'aiment pas la tournure que prend le débat sur l'identité nationale. Ils en sentent le caractère artificiel, ostentatoire, les aspects politiciens, voire franchement flicards. Ils n'aiment pas les têtes d'épiciers des Besson, des Copé, des Estrosi et autres Hortefeux,  lorsqu'ils se frottent les mains sur leur petite affaire ou lorsqu'ils sortent leurs carnets pour refaire le compte des immigrés ou des sans papiers. Tout celà ne passe plus, ni les débalages nauséeux dans les préfectures, ni les discours convenus au Parlement, ni les tribunes dans la presse rédigées par l'énarque de service. Selon un sondage CSA, paru hier dans le Parisien, les Français sont un majorité à souhaiter que ce cirque cesse, parce qu'ils ne s'y reconnaissent pas. Une forme de honte salutaire est en train de saisir le pays,  honte non pas vis à vis de la France mais vis à vis des politiciens qui la salisse et de l'image qu'ils en donnent. Certains d'ailleurs, sentant le vent tourner, commencent à se désolidariser de la manoeuvre sarkozyste. Juppé, Villepin, après Bayrou, retrouvent des accents gaullistes. Qu'à celà ne tienne, nous dit ce soir Besson. Puisque les Français répugnent à devenir des Suisses, du moins boiront-ils jusqu'à la lie la mauvaise piquette  qu'on leur a préparée. "Le débat durera jusqu'à fin 2010, bien  au-delà des élections régionales", annonce le Ministre avec des airs de père fouettard. Gageons que, lui, ne durera pas jusque là !

En attendant, nous offrons, comme promis, à nos lecteurs le beau texte que le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, donna il y a quelques semaines au Monde, comme contribution au débat.  "Un des esprits les plus fins et les plus français de notre temps", disions-nous à propos du rabbin Bernheim. Nous aurons besoin à l'avenir de ces esprits là.

  Paul Gilbert.


La nation par les rêves.

L'identité, qu'elle soit française ou juive,
est projet et pas seulement héritage

S'interroger sur une identité, écrivait Emmanuel Levinas, c'est déjà l'avoir perdue. Qu'est-ce que l'identité ? La question, beaucoup agitée ces derniers temps, est celle d'une "identité nationale". Question moderne, narcissique, liée aux pratiques de l'image comme autant de récapitulations au crépuscule.

Depuis des décennies, les décideurs et faiseurs d'opinion de tous niveaux ont clamé sur tous les tons, à propos de tous les sujets, qu'il fallait "changer" ; ils ont à l'envi pratiqué l'autodérision ou l'autoflagellation. Comment, brusquement, s'aviser d'être fidèles à une idée nationale, après avoir invité à se fondre dans un grand ensemble vague dont les frontières varient tous les jours, et après avoir stigmatisé comme "repliement frileux" toute réticence à cette perspective incertaine ? Il est facile d'ironiser et de prévoir paisiblement la catastrophe.

Reste que nous sommes embarqués sur l'esquif dans la tempête et ne pouvons, comme Jonas, nous désintéresser du salut commun. Reste que chacun comprend bien l'affolante perte de repères dont on veut parler, quelles que soient les arrière-pensées conjoncturelles, quand on se soucie d'un déficit d'identité nationale. Certains aujourd'hui interrogent le judaïsme et le peuple juif comme incarnant un modèle de persévérance dans son identité, un modèle de permanence. Le judaïsme, qui a traversé les siècles et les millénaires dans la fidélité à son message universel, qui a témoigné d'une incontestable compétence dans la transmission de l'identité, peut sans doute participer à renseigner notre société sur la question de la permanence et des fondements de l'identité.

L'identité, qui implique répétition, relie un passé à un présent et les projette dans l'avenir. Ce qui rattache au passé et que l'école enseigne : l'histoire, la géographie, la langue, les mythes collectifs. D'où la question de la possibilité d'intégration de ceux, chaque jour plus nombreux dans le corps national, qui n'ont pas les mêmes références. Le Livre biblique de Ruth montre la démarche de celle ou celui qui désire, à titre personnel, se joindre à un autre peuple et en assumer à son tour l'héritage. Il y eut l'assentiment du coeur et de l'âme de celle qui a dit : "Ton peuple sera mon peuple." Il est bien sûr utopique de transposer une telle attitude au niveau collectif ou bien lorsqu'il s'agit de populations entières. Il est néanmoins possible de tirer des enseignements à partir de modèles individuels, qu'ils soient bibliques ou non.

Toutes les communautés juives, si pauvres et menacées fussent-elles, ont entretenu une école et des maîtres comme une priorité absolue. L'école est le lieu décisif de la formation d'un esprit collectif. Le judaïsme a toujours érigé pour les adultes la nécessité de l'étude quotidienne des textes, le devoir d'instruction et de formation.

L'histoire. L'éducation nationale en a sans cesse réduit les horaires au profit des matières plus techniques. Les juifs, quant à eux, ne cessent de commémorer les grandes étapes de leur histoire. Non pas avec orgueil et complaisance, mais dans le souci de rendre grâce pour ce destin unique, d'approfondir les significations et de prendre conscience de leur attachement à cette histoire qui les a faits ce qu'ils sont. De manière analogue, osons dire que non seulement l'histoire de France ne peut pas être réduite sans dommage au ressassement morbide et unilatéral des pages noires de l'histoire contemporaine, mais qu'elle doit aussi enseigner à estimer et à aimer.

S'il faut évidemment dire que la France, battue et envahie en 1940, eut alors un gouvernement antisémite et faible ou complaisant devant l'occupant et que des juifs sous uniforme français en 1914-1918 furent déportés par d'autres Français vers les camps nazis, il ne faut pas oublier de dire que les combattants de l'intérieur et les Français libres furent héroïques et qu'une majorité des juifs de notre pays a échappé aux nazis grâce à des Français. Tout ce qui peut contribuer à une forme d'identification positive à une origine et à une destinée commune doit aussi être dit.

Mais le point de vue narratif doit toujours favoriser une capacité d'identification pour que des hommes venus d'ailleurs trouvent leur place ici. Nous voyons à cet égard des évolutions évidentes et heureuses. S'agissant de l'histoire des musulmans, ils étaient naguère des ennemis lointains, aux confins des programmes (bataille de Poitiers, croisades, chute de Constantinople et menace ottomane à l'âge moderne), ou sujets coloniaux. Ils partagent aujourd'hui une histoire commune pour avoir non seulement transmis, mais encore fait progresser la pensée et la science grecques que redécouvrit l'Occident médiéval. Pour avoir eu leur lot de misère et d'héroïsme dans les guerres mondiales.

La langue. Chacun connaît le nom de Theodor Herzl. Un autre nom n'est pas moindre dans l'histoire du sionisme : Eliezer Ben Yehuda, lexicographe de l'hébreu, un "illuminé" qui prétendait ne s'exprimer qu'en hébreu alors que cet idiome était depuis longtemps confiné aux travaux savants, aux études sacrées et à la poésie. Cet illuminé a eu raison contre toute raison. On peut tout espérer de l'intégration par la langue.

Toute langue donne le monde à ceux qui la parlent ; d'où la gravité du manquement qu'il y aurait à ne pas assurer à tous la parfaite maîtrise d'une langue. A l'école, au collège ou au lycée de donner à la grammaire et aux lettres le temps qu'il faut, éveiller l'amour des mots et des textes, développer le scrupule du terme et de la tournure justes qui expriment la pensée juste. Naturellement, l'école, ce n'est pas un monde clos.

Que pourront les maîtres s'ils doivent aller à contre-courant de l'information, de la publicité, du discours officiel et forcer une indifférence générale ? Si la France redoute, non sans raison, de perdre ses valeurs décisives, elle doit se regrouper autour de son école et honorer ses maîtres. Autre enseignement du judaïsme : on peut être le tenant indéfectible d'une fidélité lointaine, tout en étant loyal envers un sol sur lequel on n'est pas né. Les juifs en Occident ont fait la preuve que l'on peut être à la fois bon citoyen, plus que cela, attaché à son pays, et conserver le souvenir vivace et le respect d'une origine plus lointaine.

Mais l'identité n'est pas qu'un héritage. Celui-ci ne vaut que pour autant qu'il nourrit un projet. Il n'y a pas d'identité française sans projet français : être d'un peuple qui se fait gloire d'avoir souvent parlé et pensé juste, qui en sa longue histoire s'est montré brave et fécond en inventions, qui a porté haut de grands principes qui ont éclairé le monde, qui continue d'offrir un refuge relatif contre bien des misères et des violences, tout en s'efforçant de se gouverner selon le droit plutôt que selon l'arbitraire. Ce projet français peut être, pour les jeunes, un programme exaltant s'il est sans relâche expliqué et illustré.

Et puis ne faut-il pas se demander si l'Occidental en général, ou le Français en particulier, réputé "cérébral", ne s'est pris pour un pur esprit ? Renoncement délibéré aux grands rites citoyens, aux cérémonies et aux formes. Et par ailleurs une prétendue lucidité critique qui s'exprime sans égard aux circonstances et au public. Tout cela alimente un climat désabusé et le dénigrement de tout par tous, ce fameux "mal français". Il faut donner à l'imagination sa part. L'homme a besoin de cérémonies, de symboles, et même du ressassement des évidences. Pour le juif, la loi et les rites publics ou familiaux pourvoient à cela. Le citoyen n'a pas moins besoin de symboles forts, de décorum, de gravité, d'une pédagogie du respect. La nation est portée par ses rêves.

 

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22 décembre 2009 2 22 /12 /décembre /2009 11:30
Le dérèglement du monde      


de Amin Maalouf
Mis en ligne : [21-12-2009]
Domaine : Idées

Amin-Maalouf.gif

Amin Maalouf, né en 1949, est romancier. Son oeuvre est marquée par la culture de l'orient, les échanges entre civilisations, ainsi que par les expériences douloureuses de la guerre civile libanaise et de l'immigration. Il a publié : Léon l'Africain (Lattès, 1986), Samarcande (Lattès, 1988), Les Jardins de lumière (Lattès, 1991), Le premier siècle après Béatrice (Grasset, 1992), Le Rocher de Tanios (Grasset, Prix Goncourt 1993), Les Identités meurtrières (Grasset, 1998), Origines (Grasset, 2004)


Amin Maalouf, Le dérèglement du monde, Paris, Grasset, mars 2009, 314 pages.


Présentation de l'éditeur.
En ces premières années du XXIe siècle, le monde présente de nombreux signes de dérèglement. Dérèglement intellectuel, caractérisé par un déchaînement des affirmations identitaires qui rend difficiles toute coexistence harmonieuse et tout véritable débat. Dérèglement économique et financier, qui entraîne la planète entière dans une zone de turbulences aux conséquences imprévisibles, et qui est lui-même le symptôme d'une perturbation de notre système de valeurs. Dérèglement climatique, qui résulte d'une longue pratique de l'irresponsabilité... L'humanité aurait-elle atteint son " seuil d'incompétence morale " ? Dans cet essai ample, l'auteur cherche à comprendre comment on en est arrivé là et comment on pourrait s'en sortir. Pour lui, le dérèglement du monde tient moins à une "guerre des civilisations " qu'à l'épuisement simultané de toutes nos civilisations, et notamment des deux ensembles culturels dont il se réclame lui-même, à savoir l'Occident et le Monde arabe. Le premier, peu fidèle à ses propres valeurs ; le second, enfermé dans une impasse historique. Un diagnostic inquiétant, mais qui débouche sur une note d'espoir: la période tumultueuse où nous entrons pourrait nous amener à élaborer une vision enfin adulte de nos appartenances, de nos croyances, de nos différences, et du destin de la planète qui nous est commune.

Recension de Henri Madelin. - Etudes, juillet-août 2009..
Cet essai pose avec lucidité de vraies questions sur le devenir de notre humanité. L'auteur continue de réfléchir dans la ligne de son ouvrage sur Les Identités meurtrières. Croyant au progrès, ce fils des Lumières se méfie des débordements incontrôlés des fanatismes religieux. Il avoue ne pouvoir "savourer les fruits de la modernité en toute quiétude", car il craint que les générations à venir ne puissent en faire autant. A bon droit, il se demande si l'humanité n'a pas atteint désormais son "seuil d'incompétence morale". Nous sommes en sursis dans un monde où le temps n'est pas notre allié mais notre juge. De victoires pompeuses en certitudes imaginaires, en passant par des légitimités égarées, l'auteur fait le procès des pays riches infidèles aux valeurs dont ils se réclament. Dans les pays démunis, les désillusions grandissent au sein de peuples humiliés et muselés. Réfléchissant sur l'islam et les pays arabes, qu'il connaît de l'intérieur de par son origine libanaise, Amin Maalouf parle d'identités meurtries et devenus meurtrières. L'histoire de l'Egypte depuis Nasser, les échecs répétés dans les pays du Moyen-Orient, la tragédie de l'Irak, les attentats du 11 septembre et leurs suites en sont une illustration inquiétante. Dans ces pays, c'est moins la morsure de la pauvreté qui prévaut que celle "de l'humiliation et de l'insignifiance" au sein du monde présent. Les thèses de S. Hutchinson sur les conflits futurs sont donc relativisées. Elles n'expliquent pas toutes les causes des violences potentielles ou actuels. "L'humanité, conclue-t-il, ne peut qu'imploser ou se métamorphoser". P. Teilhard de Chardin n'est jamais cité. Il s'inscrit pourtant sur le même horizon et manie lui aussi avec éclat la langue française.

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21 décembre 2009 1 21 /12 /décembre /2009 14:40
 

Au nom du développement durable

L'échec du sommet de Copenhague donne lieu à des commentaires exagérément alarmistes, certains franchement hallucinants. Que les dirigeants écologistes hurlent à la fin prochaine de l'humanité, rien de plus normal, cela fait partie de leur fonds de commerce. Mais on est frappé par le nombre d'esprits d'ordinaire plus mesurés qui leur emboîtent le pas. Au point que l'on peut se demander si le monde n'est pas en train de revivre une de ces séquences millénaristes qui plonge brusquement l'humanité dans les transes. Le discours vert se fait lui-même plus inquisitorial et plus inquiétant; il passe insensiblement de la décroissance au malthusianisme et du malthusianisme à l'idée que c'est l'existence humaine qui est la cause du dérèglement de la nature. Sur le blog de l'hebdomadaire Marianne [1], un certain Malakine avait mis il y a quelques mois ces raisonnements en équation et son article a aujourd'hui quelque chose de prophétique :

Pour stigmatiser les effets déflationnistes du libre-échange, Emmanuel Todd indique souvent avec ironie qu’il attend avec impatience le jour où un homme politique ou un économiste dirait qu’il fallait réduire le nombre de Français ! C’est maintenant chose faite. Le député vert Yves Cochet s’est illustré récemment à l’occasion d’un colloque sur la crise économique et écologique, par une proposition assez étonnante : « La grève des ventres! ». Il faudrait selon lui instaurer une dégressivité des allocations familiales afin de décourager la natalité car chaque européen a un coût écologique « comparable à 620 aller-retour Paris New York ».  Cette position n’a en réalité rien de neuf chez les Verts qui sont anti-natalistes depuis toujours, mais elle éclaire d’un jour nouveau les théories de la décroissance qui connaissent en cette période de crise un inquiétant développement. L’écologie radicale est en train de devenir le nouvel extrémisme qui apporte « de mauvaises réponses a de bonnes questions » Elle risque fort d’être au XXIème siècle ce qu’auront été le communisme et le fascisme au XXème. Portée par de nouveaux fanatiques bon chic bon genre, ces théories pourraient bien, à la faveur de la crise, engendrer un nouveau totalitarisme fondé sur une haine de l’espèce humaine et une irrationnelle pulsion d’autodestruction. 

Au coeur des dérives de l'écologie politique, on trouve en effet la notion de décroissance. Le Monde diplomatique [2] consacrait en août dernier un dossier à cette "idée qui chemine sous la récession", et qui rassemble aujourd'hui des intérêts plus que divers. Qui y a t-il de commun en effet entre ceux, comme le chercheur Paul Ariès, qui se réclament d'une vraie tradition, celle de la gauche antiproductiviste, et des bateleurs d'estrade, comme Nicolas Hulot ou comme le photographe Yann Artus-Bertrand, qui instrumentent le concept au profit de leurs entreprises médiatiques ?  Et comment ne pas flairer dans les prises de position sans nuance de certains des pionniers du mouvement, comme Serge Latouche, ou  de ses idéologues, comme Yves Cochet,  les relents de discours totalitaires, où la catastrophe sociale est appelée à la rescousse du raisonnement :

Certains partisans de la décroissance sont convaincus que la crise actuelle constitue une formidable opportunité pour leur cause. « Que la crise s’aggrave ! », s’exclame Latouche, reprenant le titre d’un ouvrage du banquier repenti François Partant. « C’est une bonne nouvelle : la crise est enfin arrivée, et c’est l’occasion pour l’humanité de se ressaisir », explique ce tenant de la « pédagogie des catastrophes » jadis développée par l’écrivain Denis de Rougemont. Sans aller aussi loin, M. Cochet estime que c’est en butant sur les limites de la biosphère que l’humanité sera contrainte de devenir raisonnable. « Il n’y aura plus de croissance pour des raisons objectives. La décroissance est notre destin obligé », prévient le député écologiste, « géologue politique et profond matérialiste ». Ne reste alors qu’à espérer que la crise accélère les prises de conscience, et à « préparer la décroissance afin qu’elle soit démocratique et équitable » [2].

Dans un pareil bouillon de culture idéologique, on ne s'étonnera pas de retrouver quelques vieilles connaissances ou de vieux réflexes qui ne sont pas vraiment là pour nous rassurer sur le contenu des idées "décroissantes" :

Si cette mouvance est majoritairement ancrée à gauche, sa critique radicale du productivisme peut nourrir des interprétations d’inspirations très différentes. Politiquement, comme le reconnaît Cheynet, cela va « de l’extrême droite à l’extrême gauche ». Le penseur de la Nouvelle Droite, Alain de Benoist, a ainsi publié en 2007 un ouvrage intitulé Demain, la décroissance ! Penser l’écologie jusqu’au bout (e/dite, Paris). Le rapport à la démocratie divise également. Tout oppose ceux qui veulent investir les institutions et se présenter aux élections, comme Cheynet, à ceux qui privilégient la démocratie directe ou le mandat impératif. « La méfiance envers la démocratie représentative est très forte dans ces milieux », observe le chercheur Fabrice Flipo. « On a besoin d’un renforcement de la démocratie directe, mais aussi de la démocratie représentative », nuance Ariès. Latouche exprime autrement cette ambiguïté. « Je me crois profondément démocrate », affirme-t-il, avant, toutefois, d’ajouter aussitôt : « Je ne sais pas très bien ce que c’est, la démocratie.  [2]»

Bel exemple de confusion intellectuelle ! Là où les choses se corsent, c'est lorsque ce type de discours est repris sans précaution par les institutions internationales. Dans un article paru  il y a quelques semaines dans le Monde et intitulé "la tentation du retour au malthusianisme" [3] , Frédéric Lemaître montrait comment l'ONU couvrait de son autorité scientifique cette forme d'argumentation délirante :

Bien qu'elle s'en défende, une agence de l'ONU a estimé nécessaire, à trois semaines du sommet de Copenhague, de revenir sur le sujet, constatant que "la crainte de paraître favorable à une régulation de la démographie a jusqu'à une date récente fait éviter toute mention de la "population" dans le débat sur le climat". Pourtant, note l'ONU, "chaque naissance entraîne non seulement les émissions imputables à ce nouvel être durant tout le cours de sa vie mais aussi les émissions produites par tous ses descendants". Bien sûr, les modes de vie ont aussi une influence sur le climat - certains spécialistes jugent par exemple qu'en réduisant le nombre d'habitants par foyer, un divorce a plus d'impact sur le réchauffement qu'une naissance -, néanmoins la question démographique est centrale. L'ONU semble faire sien ce constat énoncé dès 1992 par l'Académie des sciences aux Etats-Unis : "De solides programmes de planification familiale sont conformes à l'intérêt de tous les pays sur le plan des émissions de gaz à effet de serre aussi bien que sur celui du bien-être social."

Et ces directives sont exposées avec le plus grand sérieux, alors même que la plupart des démographes convergent pour dire que les perspectives  d'évolution non maîtrisée de la population mondiale font partie des fantasmes des années 60, que le nombre d'êtres humains sur cette terre devrait vraisemblablement plafonner autour de 9 milliards dans la seconde moitié de notre siècle pour diminuer par la suite et que le problème aujourd'hui est davantage celui de l'accroissement des inégalités sociales, y compris dans l'accès à la nourriture ou à l'eau, qu'une poursuite des politiques de planning familial : 

Changer nos comportements alimentaires sera d'autant plus impérieux qu'il est vain de vouloir réguler la population. Dans un petit essai très pédagogique, Vie et mort de la population mondiale (Editions Le Pommier/Cité des sciences et de l'industrie, 2009), le démographe Hervé Le Bras note que "l'invocation de la population mondiale donne l'illusion qu'on peut la modifier mais il n'existe aucune institution capable d'imposer une législation destinée à limiter la croissance démographique (ou à l'encourager)". L'aspiration des femmes à plus d'égalité et les espoirs d'ascension sociale de leurs enfants par l'éducation sont, selon lui, les deux moteurs de la baisse de la fécondité. La parité et l'égalité des chances constitueraient-elles deux piliers du développement durable ? Ce serait en tout cas la meilleure réponse à apporter à Malthus qui, lui, n'envisageait pas que les pauvres puissent bénéficier de la moindre ascension sociale.

On le voit bien, l'équilibre entre l'homme et la nature réside moins dans la norme, l'interdit et l'anathème - qui sont généralement des formes d'impuissance à comprendre et à changer le monde - que par l'éducation et l'appel à l'intelligence. Et pourtant, la nouvelle doxia du développement durable, et la race d'imprécateurs qui la véhiculent, envahissent chaque jour davantage l'espace public. C'est l'expérience qu'a faite récemment le sociologue Jean-Pierre Le Goff en étudiant sur plusieurs années l'évolution du discours des responsables du parc naturel régional du Lubéron. Il raconte pour la revue Le Débat (septembre-octobre) [4] comment les idées et les actions d'une communauté humaine, pourtant adossée aux fortes réalités du monde rural, sont peu à peu prises en main  par la nouvelle morale et la bureaucratie qui lui sert de support. Édifiant ! Et Jean-Pierre Le Goff de conclure :

Au nom du développement durable, une nouvelle avant-garde militante et bureaucratique s'est mise en place qui entend façonner les générations nouvelles selon sa propre conception du bien. La notion ambiguë et fourre-tout de développement durable s'affirme comme la solution la solution enfin trouvée pour que le monde ne coure pas à la catastrophe. A dire vrai, le parc naturel régional du Lubéron n'a rien inventé. Il n'est en fait qu'une des parties visibles d'un mouvement général qui depuis plus de trente ans entraîne les sociétés démocratiques européennes dans un angélisme moralisateur dont les effets sont délétères. Celui-ci creuse  toujours un peu plus la "fracture sociale" et le fossé entre gouvernants et gouvernés. Dans le domaine de l'environnement comme dans les autres, la crise actuelle constitue à sa façon une épreuve du réel dont on pourrait espérer qu'elle débouche sur une réorientation des politiques publiques en rupture avec le nouveau désordre écologique qui s'est instauré au nom du développement durable.

Décroissance punitive, malthusianisme, pseudo-scientisme, moralisme totalisant, haine de l'humanité... voilà les signes de ce que Le Goff intitule assez plaisamment "le nouveau désordre écologique". Prenons garde, ce désordre établi tend partout à se faire passer pour l'ordre, à prendre possession des consciences, des tribunes et des lieux du pouvoir. Il appelle une vigilance de tous les instants, à  une renaissance de l'esprit critique comme à un renouveau de l'esprit public. Faute de quoi, nous n'aurons tiré aucun enseignement des drames produits par d'autres religions séculières dans le siècle précédent.

Paul Gilbert.

 


[1]. Marianne2.fr, L'écologie radicale, nouvelle peste verte.

[2]. Eric Dupin, La décroissance, une idée qui chemine sous la récession, Le Monde diplomatique, août 2009.

[3]. Frédéric Lemaître, La tentation du retour du malthusianisme, Le Monde, 26 novembre 2009.

[4]. Jean-Pierre Le Goff, Au nom du développement durable, Le Débat, septembre-octobre 2009.


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20 décembre 2009 7 20 /12 /décembre /2009 10:00
L'hiver

L'Air paraît tout obscur ; la clarté diminue ;
Les arbres sont tous nus ; les ruisseaux tous glacés
Et les rochers affreux, sur leurs fronts hérissés,
Reçoivent cet amas, qui tombe de la Nue.

Tout le Ciel fond en eau ; la grêle continue ;
Des vents impétueux, les toits sont renversés ;
Et Neptune en fureur, aux Vaisseaux dispersés,
Fait sentir du Trident, la force trop connue :

Un froid âpre et cuisant, a saisi tous les corps ;
Le Soleil contre lui, fait de faibles efforts ;
Et cet Astre blafard, n'a chaleur, ni lumière :

L'Univers désolé, n'a plus herbes ni fleurs ;
Mais on le doit revoir, dans sa beauté première,

Et l'orage éternel, ne se voit qu'en mes pleurs.


l'hiver
Georges de Scudéry, 1601-1667. Poésies diverses(1649)

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18 décembre 2009 5 18 /12 /décembre /2009 19:42
Présence de
Vincent d'Indy                     
d-indy-photo.jpg
 

Les amateurs de musique française ont été à nouveau comblés en 2009. Nous reviendrons sur les excellentes éditions de Poulenc, Roussel, Milhaud, Séverac, Debussy ou Canteloube mais aussi de Dutilleux ou de Dusapin qui ont jalonné toute cette année, et qui sont autant de cadeaux à offrir ou à se faire offrir dans cette période de fêtes. Rendons tout de suite hommage à Vincent d'Indy, que des affinités vivaroises nous conduisent à distinguer du lot. D'Indy, injustement tombé dans l'oubli, fait un retour signalé à la devanture de nos disquaires  Pas moins de quatre  rééditions en 2008 - parmi lesquels un superbe petit album de musique de chambre (suite en ré, chanson et danses, quintette, suite) commercialisé par Timpani[1] -, presque autant en 2009.  Parmi les titres publiés cette année, on signalera tout particulièrement le deuxième volume des oeuvres pour orchestre publié par Chandos et interprété par l'orchestre symphonique d'Islande[2]. On y découvrira avec plaisir la symphonie n°2 en si bémol majeur, moins connue, plus ambitieuse et plus cérébrale que la symphonie cévenole, étonnant mélange de classicisme et d'innovation où l'on retrouve à plusieurs reprises l'empreinte du Debussy de Pélléas. L'album comprend également  les fameux Tableaux de voyage, conçus pour l'orchestre en 1892 à partir de treize petites pièces pour piano seul datant de 1889, qui évoquent avec émotion les randonnées de d'Indy en Forêt Noire et dans le Tyrol. Signalons également la sortie chez Hypérion d'une somptueuse interprétation de deux poèmes symphoniques de d'Indy, Wallenstein et Saugefleurie, par l'orchestre national du Pays de Galles[3].

Andre Lalo.

 


[1]. Vincent d'Indy, Musique de chambre, François Kerdoncuff et les solistes de l'orchestre philarmonique du Luxembourg. Orchestre. (Timpani, 2008, 1 CD)

[2]. Vincent d'Indy, Orchestral works, volume 2, Orchestre symphonique d'Islande sous la direction de Rumon Gamba. (Chandos, avril 2009, 1 CD)

[3]. Vincent d'Indy, Wallenstein, Saugefleurie, Lied, Choral varié, Orchestre national du Pays de Galles sous la direction de Thierry Fischer(Hypérion, février 2009, 1CD)

 

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16 décembre 2009 3 16 /12 /décembre /2009 23:40
Fin d'une imposture

On ne touche pas impunément à la Nation et à son identité. C'est ce que le Président de la République, MM. Besson, Guaino, Copé et Hortefeux sont en train d'apprendre à leur dépens. Le fameux débat sur l'identité nationale, lancé il y a un mois à grand renfort de trompes médiatiques, s'est achevé la semaine dernière dans une série de pantalonnades. Mardi 8 décembre, c'était M. Sarkozy qui livrait dans une tribune libre du Monde son absence de vision du sujet : un texte à peu près vide, mal écrit, sans hauteur,  où l'on retrouvait derrière chaque mot les duperies et les cuistreries de M. Guaino. Les âmes un peu chatouilleuses sur le chapitre du patriotisme  s'éviteront la lecture de la première partie de cette tribune qui risque de provoquer chez elles des poussées de rage et des envies de destitution. Quant aux autres, elles pourront juger par l'extrait qui suit jusqu'où le pouvoir est prêt à pousser l'art du cynisme et de la provocation :         

Ce qui vient de se passer [ndlr : le référendum suisse sur les minarets] me rappelle comment fut accueilli le rejet de la Constitution européenne en 2005. Je me souviens des paroles parfois blessantes qui ont été proférées contre cette majorité de Français qui avait choisi de dire non. C'était opposer irréductiblement la France du oui et celle du non, ouvrir une fracture qui, si elle avait dû se creuser davantage, n'aurait jamais permis à la France de reprendre sa place en Europe. Pour réconcilier la France du oui et celle du non, il fallait d'abord essayer de comprendre ce qu'avaient voulu exprimer les Français. Il fallait admettre que cette majorité que cette majorité ne s'était pas égarée, mais qu'elle avait, comme la majorité des Irlandais ou la majorité des Néerlandais, exprimé ce qu'elle ressentait et rejeté en toute connaissance de cause une Europe dont elle ne voulait plus parce qu'elle donnait le sentiment d'être de plus en plus indifférente aux aspirations des peuples. Ne pouvant changer les peuples, il fallait changer d'Europe. La France du non a commencé à se réconcilier avec celle du oui à partir du moment où, au lieu de la juger, on a cherché à la comprendre. C'est alors que, dépassant ce qui la divisait, la France a pu prendre la tête du combat pour changer l'Europe.[1].

Écoeurant ! Il n'y a pas d'autre mot pour désigner ce passage où chaque pensée, chaque phrase, presque chaque terme est frappé au sceau de la fausseté, du mensonge et de la tartufferie! Mais laissons la parole à Bertrand Renouvin qui a su si bien traduire sur son blog,  l'indignation, la colère, la révolte qu'ont suscité ces paroles présidentielles chez tant d'anciens partisans du non : 

    Ces affirmations sont sidérantes. Le choix exprimé par référendum n’a pas été respecté : le peuple français avait rejeté l’ensemble du « Traité constitutionnel » et c’est l’ensemble de ce texte qui a été repris, à quelques détails près, dans le traité de Lisbonne. Ce qu’on nous a jeté à la figure, le 9 décembre, c’est un récit fictif, fabriqué pour couvrir le viol de la Constitution. Je sais que cette dernière phrase est dépourvue de sens pour Nicolas Sarkozy : en parfait cynique, il pense que la vérité c’est la communication qui marche. Si ça ne marche plus, on change de vérité. Mais son conseiller spécial, Henri Guaino, naguère gaulliste rigoureux, ne peut être dupe de ce qu’il a écrit ou laissé écrire. Nous n’avons pas changé d’Europe. La désignation du nouveau président du Conseil européen et de la personne chargée des affaires étrangères de l’Union a indigné les européistes les plus convaincus. Nous verrons dans les prochains mois que l’usine à gaz de Lisbonne ne fonctionne pas mieux que celle de Nice, d’Amsterdam, de Maastricht. Et la politique de rigueur que la Commission européenne veut imposer à la Grèce, à l’Irlande, à l’Espagne et au Portugal ne contribuera pas à rendre l’Europe moins indifférente aux aspirations des peuples. Il n’y a pas eu de réconciliation entre les défenseurs du Oui et les partisans du Non – je parle évidemment des hommes et des femmes de conviction, non de Laurent Fabius et de François Hollande. Les adversaires de l’ultralibéralisme sont aujourd’hui d’autant plus offensifs que la crise économique et financière à démontré les effets catastrophiques du libre-échange. Cette réconciliation est impossible car le traité de Lisbonne reprend, dans les mêmes termes, les affirmations idéologiques récusées par le suffrage universel en 2005 : concurrence « libre et non faussée », économie de marché « favorisant une allocation efficace de ressources », libre circulation des capitaux… Partisans du Non, nous ne sommes pas seulement trahis. Auprès des lecteurs du « Monde », le chef de l’UMP et son scribe se donnent le beau rôle : nous aurions été reconnus, écoutés et compris. Mais c’est pour mieux nous effacer de l’histoire en affirmant que nous avons rejoint le bon combat « pour changer l’Europe ». Autrement dit, nous nous serions ralliés à MM. Sarkozy, Guaino et leurs amis. C’est un énorme mensonge. Mais l’effet est manqué : au lieu de déconcerter, il provoque une colère à la mesure de l’énormité de ce qui est proféré. 

Pouvait-il d'ailleurs en être autrement ? Et l'intervention du président pouvait-elle déboucher sur autre chose qu'un immense éclat de rire ? Qui pouvait sérieusement lire ces lignes sans se souvenir que celui qui parle, celui qui nous parle et qui prétend nous faire la leçon sur la France, c'est Sarkozy, l'homme de Lisbonne, l'homme de l'OTAN, l'homme de Bush et de son Amérique caserne, l'homme de nos échecs en Afrique, l'homme de nos futurs échecs en Afghanistan, l'homme de notre armée démoralisée, de notre diplomatie rabaissée, de nos intérêts partout compromis.  Pour parler de la France, il faut d'abord penser en français et agir en français. C'est une gymnastique qui n'est visiblement pas naturelle au chef de l'Etat.

Mais ce texte est révélateur de quelque chose de plus grave. Il reflète l'incapacité  dans laquelle sont aujourd'hui la plupart de nos hommes politiques, de nos entrepreneurs et plus généralement des élites françaises à parler de la France autrement qu'en termes creux, communicants, standardisés. Ceux qui ont assisté à la parodie de débat qui s'est tenu, mercredi  8 décembre à l'Assemblée  autour de l'identité nationale auront ressenti ce profond malaise. Dans un hémicycle au trois quart vide, M. Besson et une petite vingtaine d'orateurs ont fait assaut pendant plus de trois heures de clichés, de niaiseries et de citations empruntées aux mêmes auteurs - Braudel, renan, Michelet - qu'aucun d'entre eux n'aura lu sérieusement. Rien de plus pitoyable que cette discussion sans enjeux, que cette  démarche qui tourne sur elle-même, qui ne produit rien, parce que les acteurs qui sont sur scène ne croient pas à leur texte.

Quand à ceux qui, le lendemain 9 décembre, ont prété l'oreille aux vitupérations de l'opposition, aux incantations sur la France laïque, sur "La France, c'est d'abord la république. Liberté, Egalité, Fraternité", ils auront vite compris que la vacuité de l'esprit, le néant de la pensée ne régnaient pas que d'un côté de l'échiquier politique. La France de Mme Aubry n'est guère plus engageante que celle de M. Besson ou de M. Copé et elle en parle aussi mal qu'eux. Leurs discours sont d'ailleurs rédigés par les mêmes énarques.

Au fond, il n'y a pas à chercher bien loin les causes de notre malaise.  Et les raisons qui font que ce débat ne peut être au mieux qu'une bouffonnerie et au pire qu'un piège à c.... Tout simplement parce que ceux qui en ont choisi les termes, la forme comme le fond ne s'intéressent plus, depuis longtemps, à la France. Qu'ils sont le reflet d'une bourgeoisie qui n'a plus de française que le nom, qu'ils sont les rejetons de ces classes dirigeantes qui ont choisi, depuis trois générations, l'Allemagne contre la France,  l'Amérique contre la France, l'Europe contre la France, et aujourd'hui le fric contre la France. Qu'attendre de ces hommes et de ces femmes, sinon des discours creux, des idées fausses, des pensées toutes faites.

A tous ceux là, il sera peu pardonné. A ceux qui, à droite, ont sciemment choisi le mélange des genres, l'identité nationale contre l'immigration, les chrétiens contre les musulmans, les pauvres contre de plus pauvres encore, ceux qui cherchent à marginaliser ces millions de bons Français ou d'amis étrangers, originaires d'Afrique, musulmans pour beaucoup, qui ont choisi de partager notre destin et qui sont, eux aussi, l'avenir de ce pays. A ceux qui, à gauche, n'ont rien appris, rien compris depuis 1793, dont les lois, les règlements, les circulaires n'ont jamais intégré ou assimilé qui que ce soit et qui attisent, eux aussi, sous couvert de laïcité et en usant de pratiques parfaitement sectaires, les différences de religion et de culture, en premier lieu à l'école.

Depuis quelques jours, le débat tourne au règlement de compte. L'opposition accuse le chef de l'Etat et le gouvernement "d'alimenter les préjugés", l'Ump s'inquiète d'une démarche qui n'est plus sous contrôle et qui pourrait bien finir par réveiller les chiens endormis du Front National. On décommande les colloques, les causeries, les conférences, les forums, les table rondes aussi vite qu'ont les avait organisés. Le cirque Besson éteint ses lumières. Tristement. Place aux choses sérieuses, les régionales ne sont plus si loin !

Au final, beaucoup de bruit pour rien. Et un bruit qui aurait pu nous faire passer à côté de l'essentiel. L'essentiel, c'est cette tribune donnée par le Grand rabbin de France, Gilles Bernheim,[2] qui est une belle leçon de philosophie politique, en même temps qu'une vraie déclaration d'amour pour la France. La nation par les rêves et non par la haine, nous dit le rabbin Berheim, l'identité française comme projet autant que comme héritage, la nation par la langue... Et pour conclure, cette superbe phrase pleine de clairvoyance et d'espérance :  "osons dire que non seulement l'histoire de France ne peut pas être réduite sans dommage au ressassement morbide et unilatéral des pages noires de l'histoire contemporaine, mais qu'elle doit aussi enseigner à estimer et à aimer". Nous publierons prochainement l'intégralité de ce beau texte, issu d'un de nos esprits les plus fins et les plus français.

Paul Gilbert.

 


[1]. Le Monde, mercredi 9 décembre 2009.

[2]. Le Monde, dimanche 29 et lundi 30 novembre 2009.

 

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15 décembre 2009 2 15 /12 /décembre /2009 11:00
L'écologie rend fou

N'en déplaise au regretté Pierre Poujade, il n'y a pas que les polytechniciens qui soient abrutis par les mathématiques, il y a aussi les écologistes, ou du moins certains de leurs chefs. Celui qui nous intéresse s'appelle Yves Cochet, il est député vert du Val d'Oise, chercheur patenté en mathématiques et célébrissime auteur  d'une thèse sur l'algébricité des classes de certaines congruences définies sur le monoïde libre. Si l'on ajoute à ces éminents titres de noblesse universitaire une immunité parlementaire chèrement acquise et une dévotion sans faille aux dogmes climatosectaires, Cochet fait partie de ces gens qui disposent aujourd'hui du droit imprescriptible de dire à peu près n'importe quoi. Et notre homme d'en user plus que de raison. Ses dernières déclarations sur la malédiction de faire des enfants en période de rechauffement climatique ont relégué Malthus et ses épigones au rang de doux réveurs gauchistes. Elles ont eu en tout cas le mérite de faire vivement réagir Jacques de Guillebon qui nous dit, dans le dernier numéro de La Nef (décembre 2009), tout le mal qu'il faut penser des mauvais écologistes, et en tout premier lieu du  Capitaine Cochet.

"Mais le plus grave, c’est qu’il existe de surcroît le très mauvais écolo. Celui-là est mauvais à un point que vous ne pouvez pas imaginer. En général, il s’appelle Yves Cochet. C’est une variété de député Vert qui, parce qu’il a fait un peu de maths dans sa jeunesse, croit pouvoir vous expliquer la vie par une règle de trois. Aussi rusé sur la question démographique que Claude Allègre sur le problème du réchauffement climatique. En fait, c’est le Capitaine Crochet qui, parce qu’il a enlevé une lettre à son nom, croit qu’on ne va pas le reconnaître. Il s’était camouflé tel le père de Lili la tigresse, mais moi, j’ai bien vu que c’était lui à ceci que son principal problème, c’est qu’il n’aime pas les enfants. Forcément, si vous n’avez pas revu récemment Peter Pan, vous ne pouvez pas comprendre de quoi je parle. C’est le premier avantage d’avoir des enfants qu’ignore notre pirate de pacotille. Figurez-vous donc que ce benêt de premier ordre qui n’a décidément rien d’autre à faire que des calculs imbéciles (où va l’argent du contribuable ? Je vous le demande) s’était préoccupé dans un premier temps de s’apercevoir qu’un enfant occidental (un riche ou un pauvre ? de l’est ou de l’ouest ? l’histoire ne le dit pas) avait, je cite, « un coût écologique comparable à 620 trajets Paris-New York ». Là, vous pas bêtes, vous vous dites devant le résultat crucial de cette équation qui ferait rougir Thalès de Millet : palsambleu, supprimons les 620 vols Paris-New York ! Et lui, très con, de répondre : que non, supprimons les enfants occidentaux ! Je sais, dit comme ça, de manière assez peu élégante de surcroît, on peine à y croire. Alors que non seulement c’est vrai, mais qu’en plus il récidive. Il ose tout le Capitaine Cochet, c’est même à ça qu’on le reconnaît : il tient pour la « grève du troisième ventre » ! C’est-à-dire qu’il prône, pas loin du regrettable successeur du Grand Timonier, que l’on supprime les allocations des lapins occidentaux qui auraient commis la scélératesse de se reproduire trois fois. Vous, je ne sais pas, mais autant vous dire tout de go que si la loi était rétroactive, ma famille devrait sans doute rembourser une somme approchant le montant de la dette extérieure des États-Unis (puisqu’on parlait de New York). Mais Capitaine Cochet se chargera bien de nous calculer ça, quand il aura fini sa campagne occidentale de stérilisation. Quand on lui objecte qu’il y a des retraites à payer, tout ça, il répond que pas grave, on importera quelques rejetons des bonobos du Sud qui s’escriment à avoir, eux, plein d’enfants qui coûtent seulement des vols N’Djamena-Libreville. Autant dire rien. Et encore, faudrait être sûrs qu’ils sachent ce que c’est qu’un avion. On les importera donc, comme cette vulgaire marchandise qu’ils n’ont jamais cessé d’être dans la tête des hommes de gauche, négriers de naissance. Et si notre Capitaine Cochet ne se demande pas une seconde si cette progéniture de remplacement, par hasard ne se mettrait pas à se comporter comme nos propres enfants, c’est-à-dire à prendre l’avion pour New York aller-retour tous les jours, quand elle se sera acclimatée, c’est, rassurez-vous, simplement parce que Cochet se moque éperdument de ce qui se passera après. En attendant, je vous souhaite un saint Noël, que vienne l’Enfant que nul ne pourra nous enlever.

 

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14 décembre 2009 1 14 /12 /décembre /2009 11:30
Le Club des Incorrigibles Optimistes     


de Jean-Michel Guenassia
Mis en ligne : [14-12-2009]
Domaine : Lettres

guenassia

Jean-Michel Guenassia est né en 1950 à AlgerLe Club des Incorrigibles Optimistes est son premier roman.


Jean-Michel Guenassia, Le Club des Incorrigibles Optimistes, Paris, Albin Michel, août 2009, 756 pages.


Présentation de l'éditeur.
Michel Marini avait douze ans en 1959. C'était l'époque du rock'n'roll et de la guerre d'Algérie. Lui, il était photographe amateur, lecteur compulsif et joueur de baby-foot au Balto de Denfert-Rochereau. Dans l'arrière-salle du bistrot, il a rencontré Igor, Léonid, Sacha, Imré et les autres. Ces hommes avaient passé le Rideau de Fer pour sauver leur peau. Ils avaient abandonné leurs amours, leur famille, trahi leurs idéaux et tout ce qu'ils étaient. Ils s'étaient retrouvés à Paris dans ce club d'échecs d'arrière-salle que fréquentaient aussi Kessel et Sartre. Et ils étaient liés par un terrible secret que Michel finirait par découvrir. Cette rencontre bouleversa définitivement la vie du jeune garçon. Parce qu'ils étaient tous d'incorrigibles optimistes. Portrait de génération, reconstitution minutieuse d'une époque, chronique douce-amère d'une adolescence : Jean-Michel Guenassia réussit un premier roman étonnant tant par l'ampleur du projet que par l'authenticité qui souffle sur ces pages.

Critique de Jean-Pierre Amette. - Le Point, 31 août 2009..
Guenassia et le bistrot des illusions perdues. Dans les années 60, à Denfert-Rochereau, il y avait un café, le Balto, tenu par un Auvergnat. Des jeunes viennent y faire des parties de baby-foot. Notamment un charmant lycéen, Michel Marini, qui avait 13 ans en 1960 et une passion, la photographie. Mais si on observe ce café, il comporte une discrète arrière-salle. Elle abrite un club de joueurs d'échecs qui ressemblent à des conspirateurs. Ses membres sont des réfugiés politiques : Russes blancs ou anciens communistes, Polonais, Tchèques, Hongrois, Grecs, Roumains ou Allemands de l'Est. Ils s'appellent Sacha, Igor, Vladimir, Werner, Tibor, Imré ou Léonid. Ils ont parfois un passé héroïque, comme l'antinazi Werner, projectionniste dans un cinéma de la rue Champollion, ou bien Léonid, qui fut un héros dans l'aviation de l'Union soviétique. Tous victimes de la guerre froide, du rideau de fer, du stalinisme et de la terreur policière. On les découvre grâce au jeune Michel, qui, par sa gentillesse, est adopté par ces naufragés. Par ailleurs, quand il rentre chez ses parents (commerçants dans l'électroménager vers les Gobelins), Michel retrouve son tendre père, d'origine italienne, fanatique de Verdi, une mère autoritaire et organisatrice, un grand frère, Franck, inscrit aux Jeunesses communistes, une soeur, Juliette, vrai moulin à paroles, et Vermont, le copain de Franck, qui, lui, rêve de faire la révolution en France en exterminant les opposants, se prenant pour Saint-Just et annonçant les maoïstes ou les trotskistes de Mai-68. Subtilement, avec rapidité, virtuosité et fluidité, l'auteur place ses personnages, nous offre des tranches de vie. L'opposition entre la vie familiale petite-bourgeoise de Michel le lycéen et l'arrière-plan tragique du stalinisme donne à ce roman une singularité, une originalité totales. Le Paris de l'époque est magnifiquement suggéré, entre la place Monge, la Contrescarpe et le boulevard Raspail. L'auteur, Jean-Michel Guenassia, né à Alger en 1950, a longtemps travaillé sur des scénarios de télévision. Il manifeste un naturel épatant pour développer une dispute à table, nous faire partager les discussions entre un Russe communiste et un Hongrois antistalinien. Il y a de l'allant dans ce feuilleton, une douceur dans la narration, des alliances réussies entre les truquages politiques de l'époque et l'innocence d'un lycéen. Et puis, Sartre vient s'installer au 222 du boulevard Raspail. Entre les victimes du stalinisme et l'arrivée de notre grand existentialiste, le raccourci est percutant. Enfin, le plaisir de retrouver la France grise du commissaire Bourrel et les verres en cristal de Baccarat mis sur la nappe le dimanche, les accords d'Évian (décidément, les eaux minérales ne réussissent pas à l'histoire de France), le procès de Marie Besnard, la mort de Camus, cette France bagnoleuse des week-ends en Normandie, de liquidation coloniale, de rêves à crédit et de plastiquages OAS. Il a fallu six ans à l'auteur pour venir à bout de ce roman-fleuve, commencé en mai 2002, achevé en décembre 2008. Il affirme qu'il est né d'une image. "Vers 1961-1962, dit-il, j'ai vu Kessel et Sartre jouer aux échecs dans un café du boulevard Raspail. Je n'avais rien lu d'eux. Souvent, quand j'en parlais, on me répondait : "Ce n'est pas possible, ces deux-là ne peuvent pas être copains." Et dans ce bistrot, il y avait deux Hongrois et deux, trois Allemands de l'Est." Étrange comment, à partir d'un bistrot, un livre se développe par ondes pour recomposer une époque. En tout cas, le chagrin et la pitié sonnent dans ce beau livre.

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N°1 - 2009/01
 
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