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28 novembre 2009 6 28 /11 /novembre /2009 11:50
Quelques livres              
sur Proudhon
                

     






L'année Proudhon s'achève et elle n'apportera pas la moisson que nous avions espérée. Quelques colloques intéressants - dont celui de Besançon qui livra de fort belles contributions -, un petit nombre d'articles, quelques livres. Fallait-il s'attendre à mieux et Proudhon est-il moins bien loti que tel ou tel de ses contemporains ? Oui, certainement. Ne parlons pas de Marx, qui bénéficie toujours de l'image positive des révolutions de la fin du XIXe et du début du XXe siècle et qui - malgré Staline, malgré Lénine, malgré Trotsky, malgré toute l'abjection communiste qui nous revient par la Chine, le Cambodge, le Vietnam ou la Corée - conserve son image de génie espiègle de la contestation anticapitaliste. Prenons plutôt Tocqueville qui, dans le sillage de Raymond Aron, de François Furet, d'André Jardin et aujourd'hui de Pierre Manent ou de Pierre Rosanvallon, fait une sorte de seconde carrière. Prenons Guizot, que plusieurs belles biographies ont permis de redécouvrir, prenons Michelet, éternel sujet de commentaires, prenons Comte, véritable vache à lait des éditeurs universitaires, prenons Renan, oui même Renan est moins injustement traité que notre Proudhon.

Dans un article paru en janvier dernier dans le Monde diplomatique, et intitulé "l'infréquentable Pierre-Joseph Proudhon", Edward Castleton nous livre peut-être la clé de cet étonnante marginalisation : Proudhon déconcerte, il inquiète, il peut même effrayer les esprits médiatiques de ce temps parce que sa pensée s'exerce dans d'autres cadres que les leurs. Ne parlons pas de la bourgeoisie conservatrice qui a pris à la lettre le fameux "la propriété, c'est le vol!" et ne s'en est jamais complètement remis. Elle a toutes les raisons de continuer à snober Proudhon qui ne sera pas de sitôt enseigné dans les écoles de commerce. Ne parlons pas non plus de la gauche marxiste, pour qui Proudhon reste une sorte de penseur dévoyé, un petit bourgeois mécontent balayé par le vent de l'Histoire. Mais les autres, tous les autres... le peu qu'ils connaissent de Proudhon renvoie l'image d'un penseur paradoxal, confus, imprévisible. Pensez donc ! Un révolutionnaire qui prône une rupture radicale, mais pacifique, un socialiste qui s'insurge contre l'Etat et trouve des vertus à la propriété, un ennemi de la religion que le christianisme fascine, un démocrate qui ne méconnaît aucune des tares de la démocratie, ni aucune des qualités de la monarchie légitime. Dans le monde qui est le nôtre, Proudhon a du mal à se trouver une place : inclassable, inqualifiable, il devient effectivement très vite infréquentable.

Raison de plus pour repêcher les quelques ouvrages de qualité qui émergent de cet océan d'indifférence.

Le premier d'entre eux remonte a plusieurs mois et il a mis du temps à frayer son chemin vers les pages critiques des revues. Il s'agit d'un ensemble de textes de Proudhon, recueillis sous le beau titre Liberté, partout et toujours[1], et que Vincent Valentin a choisi, ordonné et abondamment commenté. M. Valentin est maitre de conférence à Paris-I, il connait son Proudhon sur le bout des doigts. Il sait aussi dans quel oubli il risque de tomber si on n'y prend pas garde : "La marginalisation politique et intellectuelle de l'anarchisme pourrait cependant laisser penser que l'oeuvre de Proudhon est la trace d'un moment de l'histoire politique terminé, qu'elle exprime sans doute une juste révolte et un bel espoir, mais qu'elle n'a plus rien à nous dire." Ce n'est pas le cas, rétorque M. Valentin, la pensée de Proudhon reste incontournable pour tous ceux qui s'interroge sur l'Etat, sur l'autorité et sur les conditions qui peuvent permettre à l'homme de donner le meilleur de lui-même, de poursuivre l'oeuvre de civilisation.

Encore faut-il prendre le temps de revenir à la source de textes auxquels le lecteur contemporain n'a toujours facilement accès. C'est le mérite du travail de M. Valentin  de nous restituer cette pensée riche et foisonnante dont la liberté est le fil conducteur. Proudhon fut un esprit complet, à la fois un démolisseur et un reconstructeur. Le démolisseur n'y a jamais été par quatre chemins et sa critique de la démocratie bourgeoise, de l'Etat jacobin et de la société du profit a laissé derrière elle un véritable champ de ruines. L'Ancien Régime y retrouverait même quelques mérites et Proudhon n'hésite pas à rappeler " qu'avant la Révolution, chaque province avait ses Etats particuliers; la convocation par le roi de ces Etats divers en assemblée générale formait ce que l'on appelait les Etats généraux.[...] Là venaient s'exprimer et se fondre toutes les pensées locales. De toutes ces pensées se formait la pensée du pays, la vraie pensée française. Aujourd'hui ce système a presque disparu: il n'y a plus d'idée locale, partant plus d'idée nationale". Quant au reconstructeur, la société qu'il suggère, fédéraliste et mutuelliste, est aux antipodes des utopies de Charles Fourier ou d'Etienne Cabet. Souple, dessinée dans ses grandes lignes, elle se veut un système ouvert et, en aucun cas, une nouvelle religion. Là encore, Vincent Valentin, nous montre, textes à l'appui, Proudhon  là où on ne l'attend pas : en défenseur de la propriété individuelle, parce qu'elle peut constituer un rempart efficace à l'autoritarisme, en défenseur de l'autorité et de l'ordre, lorsqu'ils garantissent l'exercice de la justice et un certain équilibre dans le jeu des forces sociales.

L'autre bonne surprise de cette année bien peu proudhonienne, c'est la biographie qu'Anne-Sophie Chambost consacre à notre philosophe bisontin, sous le titre Proudhon, l'enfant terrible du socialisme[2]. Mme Chambost nous fournit, elle aussi, un portrait décalé. Non, Proudhon n'était pas cet esprit désordonné et dilettante que décrivent Marx et ses successeurs, il travaillait au contraire énormément, lisant, corrigeant, reprenant inlassablement ses livres à l'aune d'une idée nouvelle ou d'un fait mal analysé. Non, Proudhon n'avait rien de l'exalté ou du prophète, il tenait beaucoup au contraire du paysan rusé et réfléchi qui sait discerner, derrière la poussière des évènements et des passions, les vrais mouvements de la nature et de l'histoire. Une pensée toute tournée vers l'avenir, à laquelle Albert Thibaudet rendait hommage : "Après la lecture de Proudhon, le sol de la vie sociale apparaît non pas labouré à la charrue, avec des sillons étroits, comme par les grands réformateurs idéalistes, non pas pioché et défoncé avec les coups éclatants du génie, comme par Montesquieu et Tocqueville, mais vraiment retourné en détail, à la bêche, ameubli de manière continue". C'est cette vie debout, "au grand air" que nous fait revivre Mme Chambost. Proudhon, à chaque instant y paye de sa personne et son courage force l'admiration. Ce grand vivant pouvait être aussi un grand mélancolique et c'est l'humour - encore une qualité que l'on ne met pas assez en valeur chez Proudhon - qui, bien souvent, lui permis de retrouver le chemin du bon sens et de la raison. A cet égard, on ne saurait trop féliciter Mme Chambost d'avoir fait une large utilisation de la correspondance de Proudhon, qui contient des papiers d'anthologie. Les "vacheries" pleines d'alacrité qu'il y distille sur la démocratie, sur le suffrage universel, les milieux  socialistes ou les lectures de ses contemporains éclairent d'un jour nouveau une oeuvre beaucoup plus forte et originale qu'il n'y parait.

Signalons pour terminer la sortie au Livre de Poche d'une nouvelle édition de Qu'est-ce que la propriété ?[3], abondamment annotée et commentée par Robert Damien et Edward Castleton. La longue introduction que signe ce dernier est particulièrement réussie.

Vincent Maire.


[1]. Pierre-Joseph Proudhon, Liberté, partout et toujours. Recueil de textes choisis par Vincent Valentin. (Les Belles Lettres, janvier 2009, 366 p.).

[2]. Anne-Sophie Chambost, Proudhon, l'enfant terrible du socialime. (Armond Colin, octobre 2009, 288 p.).

[3]. Proudhon, Qu'est-ce qur la propriété (Le Livre de Poche, juin 2009, 448 p.).


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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 19:42
Main basse sur le nucléaire
 

M. Proglio n'a aucun état d'âme et pourquoi d'ailleurs en aurait-il ? En prenant mercredi dernier la direction d'EDF, il a mis toutes ses cartes sur la table, en veillant à bien cibler chacune de ses annonces. Aux cadres du groupe, demandeurs de changement, il a promis du sang neuf à la tête de l'état major d'EDF, où l'on s'attend à l'arrivée de transfuges du privé (et bien évidemment de Véolia). Aux syndicats, et en premier lieu à la CGT dont il s'est assuré la neutralité, il a promis un plan d'embauche et une grande vigilance sur l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, ce qui ne constitue au demeurant  qu'un demi-engagement, dans la mesure où ces décisions relèvent de Bruxelles et de l'Etat. En direction de l'Elysée et des actionnaires, il a confirmé sa  volonté d'oeuvrer à un rapprochement EDF-Veolia, même si ce chantier a été prudemment relégué dans les perspectives à long terme. "Je ne veux pas qu'on s'imagine que je suis allé chez EDF pour cela..." s'est empressé de préciser M. Proglio. Qui donc pourrait avoir d'aussi noires pensées ?

Mais ce sont surtout ses déclarations sur le nucléaire qui ont retenu l'attention. Là encore, M. Proglio n'y va pas par quatre chemins. Selon lui, le nucléaire c'est d'abord un marché, et un marché porteur, où la France n'occupe pas toute sa place. Parce qu'EDF, rajoute-il, n'y joue pas suffisamment son rôle de leader mondial et qu'on a eu tort de confier le pilotage de la filière française à un industriel spécialisé, Areva. Le débat n'est pas neuf et l'histoire du nucléaire français est faite depuis vingt ans d'une suite de batailles entre le groupe électricien et les industriels, désormais regroupés derrière Mme Lauvergeon et son entreprise. Il est logique que M. Proglio reprenne dans ce domaine les postures de ses prédécesseurs, comme il est logique qu'Areva défende la stratégie qui a présidé à sa création.

Il est toutefois permis de penser que les arguments de M. Proglio ne sont pas les meilleurs, et qu'ils relèvent même d'une vision dépassée des grands marchés d'équipement: quel pays, désireux de s'équiper en nucléaire, accepterait aujourd'hui de mettre tous ses oeufs dans le panier d'EDF ? à peu près aucun. On peut également penser que le rôle premier d'EDF n'est plus de jouer les "champions" nationaux, mais de fournir aux Français l'électricité dont ils ont besoin, à un prix raisonnable, dans de bonnes conditions de fiabilité et de sûreté, et en développant autant que possible les énergies renouvelables. Ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.

Mais les motivations de M. Proglio sont-elles vraiment celles là ? Ne sont elles pas plutôt à rechercher, comme le suggéraient certains commentateurs économiques, du côté de GdF-Suez ? On sait en effet que le concurrent historique de Véolia pèse maintenant d'un certain poids sur le marché de l'énergie et qu'il a de sérieuses ambitions dans le nucléaire, en France et en Europe. D'ici à voir dans l'attitude de M. Proglio le souci de protéger son pré carré et d'éliminer un concurrent dangereux pour le futur attelage EDF-Véolia, il n'y a qu'un pas. Tout cela ne serait donc qu'une nouvelle querelle des "marchands d'eau" ? Après tout, pourquoi pas. Dans le paysage industriel sarkozien, le pire est souvent le plus sûr.

Le gouvernement cherche à éviter que le conflit EDF-Aréva ne s'envenime. Le Premier ministre, en visite jeudi sur le chantier de l'EPR de Flamanville, en présence des deux protagonistes, Mme Lauvergeon et M. Proglio, a rappelé que le leader naturel de la filière nucléaire française, c'était l'Etat. Quant à Mme Lagarde, qui ne porte pas dans son coeur M. Proglio, elle a martelé, sous forme de rappel à l'ordre, qu'EDF devait d'abord s'occuper de ses affaires et en premier lieu de la sûreté et la performance de ses installations. Il y a toutefois fort à parier que le nouveau président d'EDF n'en restera pas là et qu'il repartira en campagne. Ses ambitions ne se limitent pas à une sage gestion d'EDF. Il y a dans le contrôle du nucléaire français des jeux de pouvoir qui vont très loin, bien au delà des intérêts du service public et de ceux de la la Nation. L'affaire Proglio ne fait que commencer et le pouvoir actuel peut y jouer son avenir.


Hubert de Marans.


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26 novembre 2009 4 26 /11 /novembre /2009 11:00
Un régime sans histoire

"La République, c'est le gouvernement des imbéciles", lâchait souvent avec malice le regretté Léon Daudet. Formule rapide ? Sans aucun doute. Injuste ? Pas tant que cela si l'on se réfère aux mille histoires qui nous remontent chaque jour du gouvernement, du Parlement, de la presse ou des médias et qui nous font, selon le moment, rire aux larmes, pleurer de rage, mourir de honte ou sombrer dans la consternation. De quoi nourrir en tous cas une petite rubrique où nous publierons régulièrement les meilleures (c'est à dire souvent les pires) nouvelles de la tribu des Mariannides.

Voici le premier de ces échos et il est particulièrement affligeant. Dans une lettre adressée à Bertrand Renouvin et publiée sur le blog de celui-ci, l'économiste Jacques Sapir dénonce la suppression prochaine de l'enseignement de l'Histoire et de la Géographie en terminale scientifique. Il faut faire une large diffusion de cette information qui illustre, une fois encore, la conception de l'éducation et de "l'identité nationale" qui est celle du sarkozysme et des minus habens qui nous gouvernent.

Paul Gilbert.

 

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25 novembre 2009 3 25 /11 /novembre /2009 11:40
Deux mauvais choix

Michel Rocard a tous les défauts du monde mais il ne manque pas de flair. Lorsqu'il déclare vendredi dernier sur France Inter que la nomination du premier ministre belge, Herman Van Rompuy, à la tête du Conseil européen et de Mme Ashton, comme haut représentant de l'Union, sont "de mauvaises décisions, qu'il regrette profondément", on sent qu'il est dans le vrai. "M. Van Rompuy est probablement un homme charmant, tout ce qu'on dit de lui est complètement délicieux mais le président de l'Europe doit être quelqu'un qu'on a vu au travail depuis quinze à vingt ans et qu'on connaît. Un petit nouveau, même s'il est bien, il va lui manquer ce ressort", distille M. Rocard. Et voilà notre petit belge habillé pour l'hiver. 

"Quant à l'idée de confier la diplomatie de l'Europe à l'Angleterre, c'est-à-dire à un pays qui ne veut de diplomatie européenne en aucun cas, là on est dans la caricature". Et même dans la double caricature si l'on ajoute que Mme Ashton, parfaite inconnue du grand public, obscure commissaire européenne au commerce, nommée à ce poste par les subtiles arrangements entre conservateurs et sociaux-démocrates européens, n'a strictement aucune expérience des questions diplomatiques. Economiste de formation, c'est une pure apparatchik travailliste, passée en peu de temps des bancs du Parlement à ceux du Gouvernement britannique, puis à Bruxelles. Seuls signes positifs, elle a un temps dirigé une oeuvre caritative du Prince Charles et elle a été annoblie en 1999, sous le titre de baronne Ashton of Upholland.

Michel Rocard vit en réalité le drame de toutes les personnalités européistes. Lisbonne l'avait fait rêver d'un George Washington de l'Europe et d'un Metternich, et voici que sa montagne  préférée accouche de deux souris grises !  Naturellement, à ses yeux, ce n'est pas la mécanique européenne qui est en cause. La faute en revient aux Etats membres, ces pelés, ces galeux accusés "de vouloir préserver leurs territoires et empêcher que l'Europe devienne une entité capable de faire de la politique à leur place." Complot, il y a complot des Etats, fulmine Rocard. Et peut être n'a t'il pas complètement tort, même si l'intrigue n'est sans doute pas là où il la place.

M. Van Rompuy, pour commencer par lui, n'est pas inconnu pour tout le monde. Il est depuis l'origine le candidat préféré de l'Allemagne. C'est par pure duplicité que Mme Merkel a feint quelques instants de se rallier à la candidature Blair, pour mettre dans son jeu un Sarkozy, plus petit garçon que d'habitude, flatté de faire partie de la conspiration, et que la notoriété médiatique de l'ex premier britannique a toujours fasciné. Mais pour la chancelière allemande, pour la droite allemande, le patronat allemand, la diplomatie allemande, il n'y a jamais eu l'ombre d'un doute : Herman Van Rompuy a toujours été the right man in the right place. Sa modestie, sa roublardise et son manque de charisme sont autant de qualités pour Berlin, de même que sa culture flamande, sa parfaite immersion dans les multiples réseaux de la démocratie chrétienne européenne et son fédéralisme assumé. Il sera le promoteur zélé de la vision de l'Europe qui prévaut outre Rhin, efficace, libérale quand il le faut, technocratique quand il convient de l'être, et naturellement atlantiste. On peut être sûr par avance que ceux qui l'ont fait roi n'auront pas lieu de regretter leur choix.

Atlantiste, Mme Ashton l'est, elle aussi, sur toute la ligne. Avec ce haut représentant là, finis les états d'âme sur l'Irak, sur l'Iran ou sur la politique répressive d'Israël en Palestine.  Et contrairement aux craintes exprimées par Michel Rocard, il y aura sans doute, sous son impulsion, une politique étrangère commune de l'Union, mais qui ressemblera comme deux gouttes d'eau à celle de Londres et de Washington. Et ce d'autant que Mme Ashton aura les moyens de sa politique. Elle sera secondée, certains disent même pilotée,  par une  administration européenne de plus de 5000 postes, le nouveau service d'action extérieure de l'Union, qui disposera sur le terrain d'un reseau serré de correspondants et de "représentations". Gageons que ce "quai d'Orsay bruxellois" n'aura de cesse, sous couvert de coordination, d'imposer ses propres politiques, ses propres vues. Il y a là, à terme, un véritable danger pour les Etats européens qui entendent garder une certaine liberté de jeu dans le monde, au premier rang duquel figure la France. Les premiers pas de Mme Ashton seront donc à suivre de près.

Au final Michel Rocard n'a pas tort lorsqu'il parle de choix détestable. Les désignations de Mme Ashton et de M. Van Rompuy ont en effet un sens; elles reflètent, qu'on le veuille ou non, le double parrainage autour duquel se construit aujourd'hui l'Europe, celui de l'économie dominante, dont le centre se situe à Berlin, et celui de l'imperium politique, dont les sources d'impulsion sont à Washington et à Londres. Choix effectivement détestable et qui ne fait pas les affaires de la France.

François Renié.


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24 novembre 2009 2 24 /11 /novembre /2009 19:30
Le paradoxe persan                
un carnet iranien               


de Jean-François Colosimo
Mis en ligne : [22-11-2009]

Domaine : Idées

 


Né en 1960, Jean-François Colosimo est essayiste, philosophe, historien des religions. il enseigne la philosophie à l'Institut Saint Serge. Il a récemment publié Dieu est américain (Fayard, 2006) et l'Apocalypse russe (Fayard, 2008).


Jean-François Colosimo, Le paradoxe persan. Un carnet iranien, Paris, Fayard, Juillet 2009, 286 pages.


Présentation de l'éditeur.
Aujourd'hui comme hier, l'avenir du monde se joue dans les rues de Téhéran. Cent ans après sa révolution constitutionnelle, cinquante ans après sa révolution anticolonialiste, trente ans après sa révolution islamique, l'Iran s'impose plus que jamais comme un pays de paradoxes : Occident et Orient, démocratie et islam, modernité et tradition, religion et sécularisation, globalisation et nationalisme, pétrole et nucléaire... Cette enquête, menée en Iran, aux Etats-Unis, en Israël, retrace un siècle de quête d'identité, d'indépendance et de puissance. C'est ce drame planétaire que racontent ici ses grands acteurs au cours d'entretiens exclusifs conduits à Téhéran, à Qom, à Washington, à Harvard, à Tel Aviv ou à Paris. Une plongée fulgurante dans l'histoire telle qu'elle se fabrique, sous nos yeux.

Recension d'Alexis Lacroix. - Le magazine littéraire, septembre  2009.

Nul ne peut prédire à ce jour si le "printemps de Téhéran aura un avenir. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que la fissure interne de la mollahcratie iranienne, révélée par la fraude électorale des partisans d'Ahmadinejad en juin dernier, ne restera pas sans conséquences. Comme le montre Jean-François Colosimo dans son dernier essai, un bouillonnement culturel et civique a saisi depuis plusieurs années le pays. Pour ce spécialisre du fait religieux, l'avenir du monde se joue depuis quelques mois dans les rue de Téhéran. Au terme de trois ans d'enquête menée en Iran, mais aussi aux Etats-Unis et en Israël, Colosimo bouscule les lieux communs. Et propose, avec  une  érudition virtuose, un pari théorique convaincant: celui d'une Perse qui, par-delà une révolution khomeyniste aujourd'hui épuisée, par-delà aussi la tentation de l'épreuve de force nucléaire, a toutes chances de s'affirmer dans les années qui viennent comme un " pays laboratoire", capable de conjoindre islam et démocratie.


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22 novembre 2009 7 22 /11 /novembre /2009 10:00
Pantomime

Pierrot qui n'a rien d'un Clitandre
Vide un flacon sans plus attendre
Et, pratique, entame un pâté.

Cassandre, au fond de l'avenue,
Verse une larme méconnue
Sur son neveu déshérité.

Ce faquin d'Arlequin combine
L'enlèvement de Colombine
Et pirouette quatre fois.

Colombine rêve, surprise
De sentir un coeur dans la brise
Et d'entendre en son coeur des voix


Paul Verlaine, 1844-1896
. Fêtes galantes (1869).


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20 novembre 2009 5 20 /11 /novembre /2009 19:42
Ces écrivains
qui nous gouvernent                       

 

Stéphane Giocanti transforme en or tout ce qu'il touche. Après le beau Maurras [1] qui nous a enchanté en 2006, après Kamikaze d'été [2] que nous classons parmi les meilleurs romans récents, voilà qu'il nous apporte une rafraichissante histoire politique de la littérature [3]. Dans quel pays sinon en France voit-on des rois caresser la muse, des cardinaux fonder des académies, des écrivains ratés devenir empereur, des Premiers ministres publier des anthologies, des ambassadeurs s'enflammer pour le théâtre ou pour la poésie ? C'est bien connu : nos littérateurs ont la politique dans le sang et le rêve de tous nos politiques est de finir à l'Académie. Voilà encore un de ces traits qui nous distingue du reste du monde. Pour le meilleur et pour le pire.

Pour rendre compte de ce phénomène, les historiens ont souvent remué ciel et terre, décompté les écrivains engagés, ils les ont rangé par affinités politiques, par chapelles ou par sous chapelles. Fastidieux et peu probant, nous répond Giocanti. Il propose un autre  critère de classement qui a le mérite de sortir des sentiers battus: la proximité entre écrivains se décelerait moins dans les attaches idéologiques que dans l'attitude qu'ils peuvent prendre vis à vis de la politique, la façon dont ils l'intègrent à leur oeuvre, leurs formes d'engagements. Et Giocanti de nous soumettre une typologie  originale des écrivains en politique : "il y a les auteurs engagés et les tours d'ivoire, les écrivains courtisans et les schizophrènes; à côté des prophètes et des mystiques se dressent les pamphlétaires et les maudits, tandis que les idéologues se tiennent face aux sceptiques." On y trouve aussi quelques vaillants, une légion de prudents, un fort contingent de littérateurs égarés en politique : ceux qu'il appelle plaisamment les "plantés".

Mais  le travail de Giocanti ne consiste pas seulement à bouleverser les catégories de la psychologie et de l'histoire littéraire.  Non content de disposer ses personnages dans de nouvelles boites, il les animent, il les met en scène, il provoque entre eux des discussions animées, parfois véhémentes.  Prenons l'exemple des courtisans : aucun d'entre eux ne revendique cette épithète, bien au contraire. Et pourtant, un sixième sens nous les fait reconnaître à dix lieues. Si Claudel en est une sorte d'archétype, Mauriac et sa gaullâtrerie ridicule en marque la forme dégénérée. Comme le dit assez drolement Jacques Laurent dans Mauriac sous de Gaulle : "le gaullisme est une maladie qui m'inspire de la terreur. Voilà ce qu'il a fait de l'un des écrivains les plus doués de sa génération: une dupe". Autour de ces grandes figures de la flatterie gravitent des personnalités  plus mineures, certaines parfaitement oubliées comme Julien Benda, petit maître à penser de la IIIe République, d'autres bien vivantes comme Denis Tillinac ou Erik Orsenna, incontournables hagiographes de Chirac et de Mitterrand. Giocanti note toutefois que la vraie courtisanerie comme la vraie noblesse se font plus rares. Il va même  jusqu'à prédire son extinction prochaine, faute de grands hommes à caresser.

  Il serait vain de chercher à résumer en quelques phrases ce livre bourré d'érudition, où éclatent à chaque chapitre trouvailles, cocasseries et traits parfaitement ajustés. Ainsi ce portrait de Sartre, plus vrai que nature : " Si Sartre théorise l'engagement et qu'il en fait un outil de terreur intellectuelle, ce n'est pas seulement pour dominer son temps, c'est aussi pour construire à rebours une identité d'écrivain résistant. Son jusqu'au-boutisme moralisateur ou moraliste (dénonciation du colonialisme, du capitalisme et, dans un premier temps, du communisme) découle d'une conscience coupable et d'une tentative de rattrapage. Souillé, Sartre doit poursuivre toutes sortes d'adversaires et débusquer les coupables, dans un interminable  processus d'autoacquittement."  Aragon et Drieu, frères ennemies de la littérature, en prennent également pour leurs grades, tout comme Céline et Rebatet, dont Giocanti retrace les visages de parfaits salauds.

Il est malgré tout assez difficile de faire un aussi long voyage dans la littérature française sans éprouver une sorte de tendresse pour tous ces hommes de lettres, y compris pour les moins fréquentables. Giocanti n'échappe pas à la règle au terme de son enquête. Il regrette que la tribu des écrivains encartés, des prophètes, des inquiets, des mystiques et des pamphlétaires ne trouve plus sa place dans la France actuelle. Il n'accepte pas "qu'un monde de prétendus adultes supporte que des journalistes et des publicitaires établissent le règne consensuel de la porcherie langagière". Il appelle de ces voeux un royaume de la langue littéraire, où Chateaubriand, Hugo, Maurras, Camus, Barrès, Claudel et Aragon se trouveraient réconciliés dans une pure lumière. Nous le suivrions assez volontiers dans son rêve.


Eugène Charles.

 

P.S : Dans le Monde littéraire du 13 novembre, un certain Jean-Louis Jeannelle instruit un véritable procès à charge contre Stéphane Giocanti et son ouvrage. M. Jeannelle n'aime pas Maurras, ce qui est son droit, et lui préfère Aragon et Sartre, ce qui est également son droit. Ces inclinations et cette inimitié ne lui donne en revanche aucun droit à mentir. Dire, parmi dix autres contre-vérités, que Giocanti ne place dans sa catégorie des "plantés" que des auteurs de gauche est archi faux: il suffit d'ouvrir le livre pour y trouver en bonne place, aux côtés d'Aragon et de Sartre, les noms de Claudel, de Montherlant, ou de Céline qui ne sont pas des modèles d'écrivains prolétariens. Ce qui semble géner Jeannelle, c'est le perseverare diabolicum d'Aragon et de Sartre, leur aveuglement maladif, leur endurcissement dans l'erreur, leur foi incurable dans l'abjection communiste. Hélas, les écrits restent et les faits sont tétus.



[1]. Stéphane Giocanti, Charles Maurras, le chaos et l'ordre (Flammarion, 2006).

[2]. Stéphane Giocanti, Kamikaze d'été (Editions du Rocher, 2008).

[3]. Stéphane Giocanti, Une histoire politique de la littérature (Flammarion, 2009).


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16 novembre 2009 1 16 /11 /novembre /2009 19:30
Journal                                     


de Valéry Larbaud
Mis en ligne : [16-11-2009]

Domaine : Lettres



Valéry Larbaud (1881, 1957), romancier, poète, traducteur, journaliste et grand voyageur est l'auteur de Fermina Marquez (1911), Barnabooth (1913), Enfantines (1918), Beauté mon beau souci ... (1920), Amants, heureux amants (1921), Jaune Bleu Blanc (1927), Aux couleurs de Rome (1938).


Valéry Larbaud, Journal, Paris, Gallimard, juin 2009, 1601 pages.


Présentation de l'éditeur.
Voici la nouvelle édition, très attendue, du Journal de Valéry Larbaud. La première, parue en 1954 et 1955 de son vivant, ne représentait qu'à peine la moitié du texte retrouvé et publié aujourd'hui. Plutôt que d'un journal, il faudrait parler de différents journaux, de celui de Paris en 1901 à celui d'Albanie en 1935. Bien sûr, l'oeuvre de l'écrivain est omniprésente. On la voit qui s'élabore, disparaît, reparaît. La vie aussi. Le Journal dévoile Larbaud au quotidien, avec ses manies, sa santé fragile, ses voyages, sa passion pour les langues et les littératures étrangères, sa gourmandise, son observation attentive de la beauté des femmes. Ce nouveau Journal a de quoi enchanter les fervents de Larbaud et leur apporter d'infinies découvertes.

La critique de Emmanuelle de Boysson. - Service littéraire, juillet-août 2009.

L'autre Valéry. La première édition du Journal de Valéry Larbaud ne représentait qu'à peine la moitié des journaux retrouvés et publiés aujourd'hui (1901-1935). De longs passages sont en anglais (on aurait aimé une traduction), d'autres ont été reconstitués à partir de fragments, de pages arrachées. Dans "son cher exutoire", Larbaud dévoile sa vie au quotidien avec ses manies, ses tics, ses obsessions : ses horaires, l'itinéraire de ses promenades avec son chien, ses visites au médecin. Cet enfant unique, surprotégé par sa mère, souffre de rhumatisme articulaire et des séquelles d'un paludisme contracté à Saint-Yorre où son père était propriétaire des sources. D'où une hyperexcitabilité cérébrale, des crises de Mood qui le poussent à s'isoler et le portent à la création. Fin gourmet, il partage avec son ami Léon-Paul Fargue (avec qui il fonde la revue "Commerce") des repas fins. Larbaud n'a jamais quitté l'enfance; il continue à collectionner des figurines de plom, apprécie la compagnie des petites filles, jusqu'à sa rencontre avec Maria, la femme de sa vie. D'une grande sensibilité artistique, il écume les musées en Angleterre ou en Italie. Lecteur boulimique, traducteur scrupuleux (de Ramon Gomez de la Serna, Butler...), ce dandy polyglotte qui ne cesse de lutter contre son mal, se fatigue autant des femmes que de la médiocrité de la littérature. Les négociations de boutiquiers à propos de Fermina Marquez, entre Fasquelle et Gaston Gallimard, le dépassent. Il est outré quand Malraux lui vole la vedette en lançant Faulkner à sa place. Entre les arrivés et les ratés, il n'y a qu'un pas. Fou d'"Ulysse", il co-traduit le roman de Joyce qui paraît en 1929. En 1934, il craint de rencontrer Sylvia Beach, l'éditrice : "Comment (Joyce) n'a -t-il pas pu voir à quel point la B(each) et l'autre (Adrienne Monnier), l'ont exploité, bafoué, dénigré". Atteint d'hémiplégie et d'aphasie en 1935, il passe les vingt-deux dernières années de sa vie cloué dans un fauteil. Avant de mourir, il se redressa et s'écria : "Adieu, les choses d'ici-bas".


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15 novembre 2009 7 15 /11 /novembre /2009 10:00
Par lui-même

Accidents du mystère et fautes de calculs
Célestes, j'ai profité d'eux, je l'avoue.
Toute ma poésie est là : Je décalque
L'invisible (invisible à vous).
J'ai dit : "Inutile de crier, haut les mains !"
Au crime déguisé en costume inhumain ;
J'ai donné le contour à des charmes informes ;
Des ruses de la mort la trahison m'informe ;
J'ai fait voir en versant mon encre bleue en eux,
Des fantômes soudain devenus arbres bleus.

Dire que l'entreprise est simple ou sans danger
Serait fou. Déranger les anges !
Découvrir le hasard apprenant à tricher
Et des statues en train d'essayer de marcher.
Sur le belvédère des villes que l'on voit
Vides, et d'où l'on ne distingue plus que les voix
Des coqs, les écoles, les trompes d'automobile,
(Ces bruits étant les seuls qui montent d'une ville)
J'ai entendu descendre les faubourgs du ciel,
Etonnantes rumeurs, cris d'une autre Marseille.


Jean Cocteau, 1889-1963
. Opéra (1925-1927).


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14 novembre 2009 6 14 /11 /novembre /2009 19:42
Silence d'Etat
 

La nomination de M. Proglio comme PDG d'EDF suit son petit bonhomme de chemin, dans un  silence quasi assourdissant. Alors que les manigances de l'Elysée sont sur la place publique depuis plus d'un mois, il a fallu attendre le 5 novembre, date d'intronisation de Proglio comme  administrateur d'EDF pour que les premières questions gênantes lui soient posées. Ni par la presse, ni par le monde politique, encore moins par la Justice, mais par de petits porteurs d'EDF inquiets des risques de conflit d'intérêts que cette désignation comportait. "Vous serez informé en temps voulu", leur aurait jeté celui qui est encore président de Véolia et qui entend bien le rester. Cette belle réponse, suffisante et maladroite à souhait, a fini par provoquer quelques bulles dans le microcosme médiatique. Les premières.

Côté politique, les réactions sont plus qu'embarrassées. Mme Lagarde, dont le choix, dit-on, ne s'était pas spontanément porté sur Proglio, déclare vouloir juger sur pièces, sans nous dire sur quelles pièces se forgera son jugement. Bayrou a donné de la voix, mais elle porte décidément trop peu. Quant à Martine Aubry, elle s'est fendue mercredi d'un communiqué minimaliste qui ne fait référence qu'aux problèmes de cumul de rémunération. Comme s'il n'y avait que ça ! Comme si les menaces de privatisation ou de dépeçage qui pèsent sur un des fleurons de notre industrie, les risques de voir notre indépendance énergétique hypothéquée par des manoeuvres de cours de bourse, valaient moins chers que quelques jetons de présence ! Décidément, le moralisme stupide, qui a dénaturé l'affaire de l'Epad, continue à faire des ravages. Mme Aubry et ses amis demandent à corps et à cri des commissions d'enquête parlementaires sur quelques sondages de l'Elysée, ni pire ni meilleurs que ceux que commanditait Mitterrand, mais lorsqu'il s'agit de l'avenir du pays et de ses services publics, plus personne.

Les prises de position des organisations syndicales sont à peine plus brillantes. Bernard Thibault, assure n'être pour rien dans le choix de M. Proglio. Mais on sait que ce dernier est passé maître dans l'art d'amadouer la CGT. Celle ci jouera en réalité, comme elle l'a toujours fait à EDF, la carte de la cogestion avec le pouvoir. Et dans ce jeu de rôle, elle préfère mille fois le profil affairiste et roublard de M. Proglio plutôt que celui de l'intègre Gadonneix. Mêmes sons de cloche à la CFDT et à FO. Seul SUD Energie fait entendre une voix discordante et dénonce la collusion entre le gouvernement et les marchands d'eau qui entrent à EDF, après s'être payé GDF. Dommage, là encore, que ceux qui voient juste pèsent aussi peu !

La désignation de M. Proglio comme PDG d'EDF devrait intervenir début décembre, ce qui laisse un temps tout à fait suffisant pour ameuter l'opinion et inquiéter le pouvoir. Mais la gauche française a-t-elle encore envie de se battre sur autre chose que des faux semblants ?

Hubert de Marans.


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