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29 septembre 2009 2 29 /09 /septembre /2009 21:55
Échéances

Nous avons coutume de dire que la République gouverne mal mais qu'elle se défend bien. Il en est de même, hélas, de l'Union Européenne. Malgré les claques que les peuples d'Europe lui ont allègrement distribué depuis 2005 (référendums français, hollandais, irlandais, désaffection massive aux dernières élections européennes...), la machine européiste est toujours en état de marche; elle brinquebale, elle cahote, elle marche au jugé, elle avance avec difficultés, mais elle est toujours debout. On sait que les prochaines semaines seront décisives pour le traité de Lisbonne et pour l'orientation du processus européen. On saura à leur issue si le vieux modèle supranational et libéral est réellement touché à mort ou s'il n'a connu qu'un accès de faiblesse. D'ici là, nous sommes condamnés à interpréter des signes assez largement contradictoires.

Le premier de ces signes, peu engageant, est la réélection de M. Barroso. On nous avait promis un scrutin très disputé. Ses opposants, notamment français, jouaient des muscles, de l'ineffable Cohn-Bendit aux élus du Modem. No pasaran! criaient-ils, comme dans les faubourgs de Madrid. Et pourtant il est passé, et bien passé. Un résultat sans appel : 382 voix pour, soit la majorité absolue, 219 contre et 117 abstentions. La défaite est cuisante pour ceux qui ont cru, ou voulu nous faire croire, qu'une autre majorité était possible au sein du Parlement européen. C'est par troupeaux entiers que les conservateurs et les libéraux de tous poils ont été voter Barroso, suivi de près par une petite cohorte de dissidents socialistes qui allaient délibérément à la soupe. Le reste de la troupe social-démocrate s'abstenait piteusement, assurant par là même l'élection du président sortant  dans un fauteuil de sénateur. La tartufferie des élus du PSE, trahissant leurs électeurs de juin  et leurs alliés traditionnels de la gauche européenne, faisait peine à voir. Il est vrai que Barroso avait arrosé large, promettant de faire plus pour le social, la régulation, l'écologie... et multipliant surtout les promesses de postes de commissaires en direction des libéraux et des socialistes. Dans ces conditions, on comprend que toute résistance ait été impossible ! Que ceux qui, il y a encore quelques semaines, nous vantaient l'assemblée européenne comme un modèle de démocratie avancée veuillent bien regarder avec sérieux ce qui s'est passé à Strasbourg ce 16 septembre et les jours précédents : partout des conciliabules saumâtres, des réunions troubles, des déjeuners de traîtres, des dîners de ralliés, des soupers de vendus... Les eurodéputés nous ont donné le spectacle du parlementarisme le plus nauséabond. On se serait cru sous la IVe République, aux heures délicieuses où René Pleven, Georges Bidault et Henri Queuille nous concoctaient leurs bons gouvernements ! 

  Le second signal vient d'Allemagne, et il est, lui aussi, peu encourageant.  On s'était réjoui  de l'arrêt rendu le 30 juin dernier par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, qui enjoignait au Bundestag de renforcer ses pouvoirs de contrôle sur les décisions européennes, et notamment celles qui prévoyaient de nouveaux transferts de souveraineté. En y ajoutant la perspective des élections législatives allemandes de septembre et l'attitude de plus en plus eurosceptique de la CSU bavaroise, allié traditionnel de Mme Merkel, on pouvait s'attendre à un report de plusieurs mois de l'approbation du traité par Berlin. Mais, là encore, force est de constater que le lobby européiste, qui sait disposer de puissants appuis dans tous les partis allemands, a été redoutablement efficace. Le Bundestag a approuvé dans des délais records, début septembre,  les dispositions conservatoires demandées par la Cour constitutionnelle, suivi quelques jours plus tard par le Bundesrat et le président Horst Köhler vient de ratifier le texte.  On se consolera à peu de frais en prenant connaissance de la loi votée, qui donne au Parlement allemand de réels pouvoirs de surveillance du process européen. Inutile de dire que rien n'équivalent n'est prévu en France, où les pouvoirs exécutifs et législatifs ont l'habitude  de se coucher au premier diktat de Bruxelles. Vérité d'un côté du Rhin, mensonge en deçà !

Quant à l'Irlande, elle se prépare à revoter le 2 octobre prochain, dans un climat d'assez grande tension. Toute l'eurocratie, Barroso en tête, s'est projeté à Dublin, en cherchant à faire monter la température. N'a-t-on pas été jusqu'à menacer nos pauvres amis irlandais, en cas de nouveau vote négatif, de les priver de poste de commissaire européen. On imagine  l'effet que ces arguments de Père Fouettard ont pu avoir sur les fiers citoyens de la libre Irlande ! Plus sérieusement, les analystes politiques s'attendent à un scrutin serré. Le gouvernement de M. Cowen, qui fait subir au pays une purge d'austérité  comme  les aime M. Trichet, atteint des sommets d'impopularité, ce qui ne sera pas sans conséquence sur les votes. A l'inverse, toutes les congrégations économiques d'Irlande - banquiers, brasseurs, industriels, et milieux de la presse - s'emploient à tromper l'électeur, en faisant campagne sur le thème de l'aggravation de la récession, si le traité n'était pas voté. Quel lien entre le traité et le fait que l'Irlande ait besoin - ou non - de l'Europe ?, s'exclame l'homme de la rue, que l'on ne bernera pas aussi facilement. Pour ce qui est des sondages, M. Cowen n'a aucun scrupule: seules les enquêtes favorables au "oui" ont droit de cité et on les diffuse en boucle sur radios et télévisions. Faut-il rappeler qu'une semaine avant le précédent référendum, l'ensemble des enquêtes d'opinion donnait le "oui" en tête? Tout reste donc possible.

Reste la Pologne et la République Tchéque. Sur cette partie du front, le climat est assez calme. Le président polonais Lech Kaczynski a vaguement promis aux allemands qu'il reconsidérerait sa position sur Lisbonne si l'Irlande approuvait le traité, mais, visiblement cette promesse n'engage que celui qui l'a reçue. Quant à Vaclav Klaus, le chef d'Etat tchèque, il garde le calme des vieilles troupes et ne prend aucun engagement. Il est vrai que la situation politique à Prague est particulièrement tendue et que les tchèques ont d'autres chats à fouetter que les traités européens. Et puis, comme le dit avec un large sourire notre ami Vaclav, il y a la Grande Bretagne. David Cameron ne va faire qu'une bouchée des travaillistes de Gordon Brown, dont le pouvoir ne tient plus qu'à un fil. Et il est si bien ce petit Cameron et vraiment excellente son idée de consulter les Anglais par référendum sur Lisbonne! Un Anglais face à un traité européen, c'est comme un taureau devant la muleta. Rien à craindre de ce côté là. Croyez moi, dit l'excellent Vaclav en rallumant son énorme cigare, ils n'en ont pas encore fini avec Lisbonne.

  Vincent Lebreton.
 
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28 septembre 2009 1 28 /09 /septembre /2009 19:29
Louis II de Bavière                   


de Jacques Bainville

Mis en ligne : [29-09-2009]

Domaine : Histoire



Jacques Bainville (1879 - 1936) fut l'un des plus grands historiens français du XXe siècle. Il tint pendant près d'un quart de siècle la chronique de politique étrangère du quotidien  l'Action française et publia en 1920 Les conséquences politiques de la paix, exposé lumineux sur le traité de Versailles et ses conséquences sur l'équilibre des forces en Europe. Parmi ses autres oeuvres capitales : Histoire de deux peuples (1915), Histoire de France (1924), Napoléon (1931), La Troisième République (1935).


Jacques Bainville, Louis II de Bavière, Préface de Dominique Decherf - Paris, Bartillat, avril 2009, 310 pages.


Présentation de l'éditeur

Louis II de Bavière (1845-1886), figure plus complexe que l'image laissée par sa légende, a frappé les imaginations. Le mérite de cette biographie écrite par le jeune Jacques Bainville est de restituer le personnage dans son ampleur et de comprendre les arcanes de son caractère. Louis II portait une immense admiration à Richard Wagner, qu'il aidera à mener à bien nombre de projets à commencer par l'opéra de Bayreuth. Emporté par la musique wagnérienne, alors révolutionnaire, Louis II s'est fait l'un des plus ardents mécènes du compositeur. De lui, la postérité a également retenu la construction de ses châteaux féériques dans les Alpes: Neuschwanstein, Linderhof et Herrenchiemsee. La démesure de ses projets le fera bientôt passer pour fou. Cependant, Louis II avait bien conscience des enjeux politiques de son temps et participa aux côtés de Bismarck à l'édification de l'Empire allemand autour de la Prusse. Avec son style précis et élégant, Bainville retrace cette vie énigmatique en la dégageant de l'imagerie laissée par un romantisme excessif.


Critique de Jérôme Besnard. - Royaliste, n°949 du 1er juin 2009.

Et Bainville devint royaliste... Signe de l’intérêt de ses écrits, les livres de l’historien et académicien Jacques Bainville sont de nouveau réédités en poche. Ce fut le cas de son Histoire de France[1] et c’est maintenant au tour de sa biographie de Louis II de Bavière. Un ouvrage remarquable dont la profondeur d’analyse surprend chez un historien de 20 ans, puisque ce livre est paru originellement en 1900 chez Perrin. Cette étude est le fruit d’une première rencontre avec l’Allemagne, d’un voyage effectué à Munich à l’été 1898 par un jeune étudiant parisien, lecteur de Heine et de Nietzsche, mais qui goûtait peu l’Histoire au collège. C’est l’observation de l’Allemagne qui convertit Jacques Bainville aux vertus de la monarchie. Comme le dit Dominique Decherf dans sa préface, Jacques Bainville avait compris avant Raymond Aron que « L’Allemagne est notre destin». C’est tout le thème de son Histoire de deux peuples. Pour bien comprendre l’Histoire de France, nous dit Bainville, il faut interroger l’histoire de ses relations avec l’Allemagne depuis les Carolingiens. Derrière la figure du roi Louis II (1845-1886), héritier de la dynastie des Wittelsbach, c’est moins la culture allemande du temps qui fascine Bainville, que les rapports entre la Bavière et la Prusse durant les vingt-deux années de règne du roi fou. De la prise des duchés danois en 1864 à la guerre franco-prussienne de 1870, et en passant bien entendu par la guerre contre l’Autriche de 1866 et la bataille de Sadowa, ces trois coups de maître du chancelier Bismarck, c’est toute l’Histoire de l’Europe jusqu’en1940 qui s’annonce. Le règne agité de Louis II de Bavière est l’un des feux de l’esprit du traité de Westphalie (héritage de la sagesse de Richelieu), de la résistance à la toute puissance du Reich, même si à partir de 1871, la Bavière ne peut plus tenir tête à une Prusse conquérante et se voit forcée d’accepter la tutelle d’un nouvel empire, celui qui fut proclamé dans la Galerie des glaces du château de Versailles. Avec cet ouvrage sur Louis II de Bavière, c’est le Bainville psychologue, celui qui tracera le remarquable portrait du jeune adolescent Bonaparte dans son Napoléon, qui se révèle.



[1]. Jacques Bainville, Histoire de France. (Tallandier, 2007,collection Texto, 570 p.)


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27 septembre 2009 7 27 /09 /septembre /2009 21:00
Conseil

Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt,
Escalade la roche aux nobles altitudes.
Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.

Dès l'heure éblouissante où le matin paraît
Marche au hasard; gravis les sentiers les plus rudes.
Va devant toi, baisé par l'air des solitudes,
Comme une biche en pleurs qu'on effaroucherait

Cueille la fleur agreste au bord du précipice,
Regarde l'antre affreux que le lierre tapisse
Et le vol des oiseaux dans les chênes touffus.

Marche et prête l'oreille en tes sauvages courses;
Car tout le bois frémit, plein de rythmes confus,
Et la Muse aux beaux yeux chante dans l'eau des [sources.


Théodore de Banville, 1823-1891. Les Cariatides (1842).


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24 septembre 2009 4 24 /09 /septembre /2009 20:50
Permanence            
de Proudhon        
     





A l'occasion de l'anniversaire de la naissance de Pierre-Joseph Proudhon, nous commençons aujourd'hui la publication d'une série d'articles, de textes et d'entretiens sur le thème "Pourquoi nous sommes  proudhoniens". Le premier d'entre eux est consacré à l'excellent petit livre publié par Edouard Jourdain, aux Editions Michalon, sur le grand franc-comtois. Nous signalons aussi à nos lecteurs qui n'en seraient pas informés l'existence de deux sites amis, le Lyon Royal et  les Cahiers français, qui publient des articles de grande qualité sur Proudhon et Georges Sorel.

On fête cette année le bicentenaire de la naissance de Proudhon et force est de constater que cet anniversaire ne suscite que peu d'intérêt dans le monde universitaire ou chez les essayistes. Alors qu'en 1909, lors du premier centenaire, et dans les années qui suivirent, on assista à une véritable débauche de livres, de brochures, d'articles et de conférences sur notre penseur, que des groupements politiques, aussi opposés que possible, se réclamaient de lui et de ses écrits, le cru 2009 est des plus médiocres. Raison de plus pour relever les quelques productions qui méritent l'attention.

C'est le cas du petit livre publié par Edouard Jourdain aux Editions Michalon et qu'il intitule Proudhon, un socialisme libertaire[1]. En guère plus de cent pages, et dans un format que nous aimons - celui sous lequel Robert Chenavier nous donna l'an dernier  une lumineuse Simone Weil et Arnaud Teyssier un excellent Richelieu - l'auteur nous restitue l'essentiel de la pensée de Proudhon. Non pas la caricature, celle qui veut que Proudhon reste à la postérité pour quelques formules expéditives "La propriété, c'est le vol !", " Dieu, c'est le mal !", mais le penseur complexe, original, salué par Sainte Beuve comme le plus grand prosateur de son époque et par Georges Sorel comme l'esprit le plus éminent du XIXe siècle.

Proudhon est en réalité victime de sa légende, d'une certaine légende, fabriquée de toutes pièces par des libertaires approximatifs, qui en firent une sorte de Bakounine, de Kropotkine ou de Max Stirner français. Rien n'est plus faux, et loin de ces figures de l'intellectuel confis ou aigri, qu'il soit russe ou allemand, Proudhon fut un de ces autodidactes matois et débrouillard, comme les campagnes françaises en fabriquaient encore il y a un siècle. Né à Besançon d'un père tonnelier et d'une mère cuisinière, il a comme le rappelle Edouard Jourdain "la particularité d'être, parmi les socialistes de son époque, le seul d'origine populaire". Il fit tous les métiers, du gardien de vache jusqu'à l'imprimeur, avant d'entreprendre de solides études philosophiques et linguistiques, puis de poursuivre une carrière de révolutionnaire, de journaliste et d'homme politique sous la deuxième République et le second Empire. Proudhon n'est ni un bourgeois installé comme Marx, ni un pilier de brasserie comme Lénine ou Trotsky, il paie de sa personne, subit plusieurs condamnations, est emprisonné, souvent réduit à vivre misérablement. Ce qui ne l'empêche pas de garder un morale d'acier et d'écrire juste et clair.

Notre franc-comtois n'est pas non plus "l'homme d'un seul livre", dont se méfiait Thomas d'Aquin. Son oeuvre est importante, complexe, multiple, parfois contradictoire, comme la réalité. Il refuse les systèmes de pensée fermés, les mécanismes de l'esprit trop huilés, il s'insurge contre Saint-Simon, Fourier ou Cabet, qu'il prend pour des charlatans ou des vendeurs de nuées. Il discerne chez Marx, qu'il a, dans un premier temps admiré, cet engourdissement progressif de l'intelligence  et une certaine dérive sectaire qui toucheront plus encore les disciples que le maître.  Car si Proudhon est un authentique révolutionnaire, s'il développe une critique radicale des institutions et des moeurs de son temps, c'est d'abord et avant tout un homme libre, un de ces hommes de l'ancienne France qui pense que c'est par le travail, non pas subit mais voulu, aimé, et par une intelligence des choses conquise avec persévérance, que l'on gagne son indépendance. Daniel Halévy, soulignant avec justesse que Proudhon avant d'être un théoricien est un travailleur, le désigne comme "un héros de notre peuple"[2]. Rien de plus vrai.

De cette pensée pluraliste, Edouard  Jourdain dégage plusieurs lignes de force. Si Proudhon fut le critique intransigeant de la propriété capitaliste, de l'Etat qui accapare l'ensemble de la sphère sociale et d'une certaine religion, "ce n'est pas pour promouvoir une anomie généralisée qui tiendrait lieu de politique. Au contraire, en critiquant la Loi pervertie par l'Etat, la religion ou la propriété, il entend redonner toute sa crédibilité et toute sa puissance au droit afin qu'il se rapproche au mieux de la justice". Le point d'entrée de la philosophie de Proudhon, c'est donc la justice. Non pas une justice chimérique et idéelle, mais une justice-force sur laquelle peut se fonder l'ordre humain. Par beaucoup d'aspects, il retrouve Héraclite et les stoïciens : sa justice n'est en aucune façon une posture morale, mais une réalité universelle, tangible, qui  se manifeste, dans la nature, par la recherche permanente d'équilibre des forces et, dans la société, par une réciprocité et une fraternité fondée sur le respect de la dignité humaine. Drôle d'anarchiste que ce Proudhon, qui voit dans le droit et la justice les moyens les plus sûr d'accéder à l'ordre et à la civilisation. Drôle d'athée également, qui reste fasciné toute sa vie par la question de Dieu, le mystère de la foi et la permanence du sentiment religieux. En réalité, dans son combat pour la justice, c'est à dire pour le beau, le juste et le vrai, son véritable ennemi, ce sont les idéologies, de Platon à Marx, des sectes religieuses au libéralisme qui empoisonnent l'humanité avec leurs visions de fin de l'histoire. L'histoire, c'est à dire le mouvement et la vie, reste ouverte et c'est tant mieux pour la liberté de l'esprit.

Cette métaphysique pour homme libre rend logiquement Proudhon méfiant vis-à-vis de la démocratie représentative et de l'Etat. L'une et l'autre ont partie liée, la démocratie reposant sur le système absurde du Vox populi, vox Dei, l'Etat, quant à lui, fondant son autorité, non pas sur la défense du bien commun ou la justice, mais sur sa prétention à incarner la volonté générale. Il y a là en place les mécanismes qui condamneront les hommes à renoncer aux cadres traditionnelles de la vie collective, à abdiquer leurs libertés individuelles au profit d'une soit disante souveraineté populaire, qu'incarne en réalité une oligarchie. On trouve chez Proudhon des accents que n'aurait pas renié Joseph de Maistre, lorsqu'il assène : "on s'est vite aperçu qu'en substituant l'investiture du peuple à celle de l'Eglise, on tombait dans une superstition pire; qu'au lieu d'améliorer le pouvoir et de le consolider on le dépravait; de sorte qu'on se trouvait avoir sacrifié, sans compensation, le fruit de dix siècles d'élaboration politique aux hallucinations d'une démagogie sans tradition, sans idée et livrée à la fureur de ses instincts".[3]. C'est surtout contre l'étatisme jacobin qu'il en a, monstre absolu qui absorbe la puissance des êtres collectifs et détruit tout ce qui s'oppose à lui, véritable Léviathan moderne, "le plus froid des monstres froids" pour reprendre l'expression de Nietzsche. Derrière l'image trompeuse de la défense de l'intérêt général, Proudhon revèle la réalité de la forme de gouvernement née de la Révolution française, une organisation de l'impuissance et de la mort.

Mais Proudhon ne serait pas Proudhon s'il demeurait à l'étage de la critique. Esprit pratique, il cherche, il répond, il propose. Il s'attache à découvrir les conditions de retour à l'ordre, non pas celui de l'Ancien Régime qui lui paraît définitivement perdu, mais d'un ordre pour notre temps. Cet ordre, il sera à la fois socialiste et fédéraliste. Socialiste au sens où Proudhon croit au travail et à la production, qui traduisent le meilleur de l'homme, et qu'il prédit l'avènement d'une société des producteurs, débarassée du salariat et du parasitisme capitaliste, ces deux maux nés de la révolution industrielle. Fédéraliste au sens où il fait confiance au groupe humain, à la collectivité de base, au groupement de producteurs, réunis sur un même territoire ou autour d'intérêts identiques, pour produire les normes qui conviennent, dégager par la libre confrontation le "bien commun" et permettre à chacun de donner le meilleur de lui-même. C'est dans l'ouvrage intitulé Du principe fédératif [4], publié deux ans avant sa mort, que Proudhon exprime sans doute le mieux ce corpus politique et c'est sans doute dans ce texte que l'on percoit le plus clairement ce qui le sépare de Marx et du marxisme. Alors que le philosophe allemand voit dans la révolution industrielle une nouvelle phase positive de l'Histoire et de l'émancipation humaine, le français y perçoit au contraire une dénaturation et un appauvrissement du monde, une régression barbare, qui réduit l'humanité à un seul projet, celui de l'accumulation des biens et de la satisfaction des désirs. Si  Proudhon est révolutionnaire - et toute sa vie, il en revendiquera le titre - son projet vise en réalité à reconstruire un ordre pluraliste du monde, fait de mesure et d'équilibre, où l'homme serait à nouveau maître chez lui. Cette pensée, comment ne pas la rapprocher là encore de celle des grecs et, incontestablement aussi, d'un certain traditionalisme.

Qu'importe finalement que la pensée de Proudhon soit un peu tombée dans l'oubli. On n'en savourera que mieux ce qu'elle a de pleinement actuelle. Qu'il s'agisse de la crise de la démocratie représentative, des difficultés dans laquelle se débat la social-démocratie européenne, de l'effondrement du marxisme ou du naufrage d'un certain capitalisme financier, Proudhon est partout chez lui. Quant à l'élaboration d'un projet politique et social pour notre temps, comme l'indique fort justement Edouard Jourdain dans sa conclusion " dans tous ces domaines, l'enjeu n'est pas de revenir à Proudhon mais de le rejoindre, tant, à maints égards, il se trouve toujours devant nous". Alors, suivons Proudhon.

Vincent Maire.



[1]. Edouard Jourdain, Proudhon, un socialisme libertaine. (Michalon, mai 2009, 110 p.)
[2]. Daniel Halévy, Journal des Débats, 2 et 3 Janvier 1913.
[3]. Pierre-Joseph Proudhon, De la justice dans la Révolution et dans l'Eglise. (1858; Fayard, 1989)
[4]. Pierre-Joseph Proudhon, Du Principe Fédératif. (1863; Tops-Trinquier, 1999)
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22 septembre 2009 2 22 /09 /septembre /2009 20:00
La fréquentation du site atteint depuis quelques semaines de véritables records d'audience. Nous vous en remercions. Vous êtes particulièrement nombreux à consulter nos recensions et notre rubrique "Librairie". C'est pourquoi nous avons choisi d'agrémenter désormais chaque note de lecture d'une critique particulièrement réussie, puisée dans la presse écrite ou la "Toile". Aujourd'hui, les Carnets noirs de Gabriel Matzneff vus par Christopher Gérard, du Magazine des livres.
La Revue Critique.


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22 septembre 2009 2 22 /09 /septembre /2009 19:29
Carnets noirs
2007-2008

de Gabriel Matzneff

Mis en ligne : [22-09-2009]

Domaine : Lettres


 

Né en 1936, Gabriel Matzneff est romancier, journaliste, essayiste. Il a récemment publié:  Mamma, li Turchi ! (la Table Ronde, 2000),  Voici venir le fiancé (la Table Ronde, 2006), Vous avez dit métèque ? (la Table Ronde, 2008).


Gabriel Matzneff, Carnets noirs 2007-2008, Paris, Léo Scheer, mars 2009, 512 pages.


Présentation de l'éditeur
Les Carnets noirs de Gabriel Matzneff sont une œuvre unique, inclassable, qui n'a cessé de susciter admiration et débat, scandale et fascination. Matzneff, en choisissant de ne rien cacher de sa vie, de se montrer à nu, sans masque, a pris tous les risques. Le courage et la liberté se paient au prix fort quand l'ordre pharisaïque tente partout d'imposer sa loi. Les tomes déjà publiés de ce journal intime couvraient des années anciennes. Aujourd'hui, au nez et à la barbe de ceux qui voudraient le faire taire, des renégates acharnées à effacer les traces de leurs amours, des censeurs dont sans cesse de nouveaux interdits réduisent nos libertés, Gabriel Matzneff, stimulé par un sentiment d'urgence, livre, tant que cela demeure possible, les années les plus récentes de sa vie - cette vie à bout portant que défigurent tant de légendes. Le temps presse. Bientôt, l'œuvre sera achevée, mais l'élan qui la porte, et fait d'elle l'une des plus singulières de notre époque, est irrépressible : rien ne l'empêchera de s'accomplir.


Critique de Christopher Gérard - Le Magazine des Livres, n°17, mai 2009.

Le roman d’un pécheur. Avec les Carnets noirs, son Journal des années 2007-2008, Gabriel Matzneff livre son testament, le livre ultime. A la date fatidique du 31 décembre 2008, l’écrivain a en effet décidé de mettre un point final aux fameux moleskines que, depuis 1953, il remplissait de son écriture dansante. Cinquante-cinq ans de confidences prennent fin avec ce qu’il appelle son « chant du cygne », où il convoque tous ses « spectres chéris ». Raison de plus pour lire ces cinq cents douze pages sans dispersion aucune.

Débutant à Venise, les Carnets se terminent sur une note funèbre, celle des gondoles tendues de noir. Le désespoir de l’esthète et de l’esprit rare révulsé par la crétinisation globale, les désillusions de l’écrivain qui se croyait chéri des éditeurs et découvre – un peu ingénument - la prévisible duplicité d’un milieu, les aigreurs de l’amant revenant sur ses multiples échecs, les colères du Bon Européen devant la lâcheté de nos élites qui rampent aux pieds de l’hyperpuissance, tout serre le cœur. A plusieurs reprises, Matzneff s’exclame qu’il a raté sa vie… sans pour autant le regretter, car il fait sienne la déclaration d’un sénateur vénitien du XVIII° : « ho rinunciato a tutto, tranne a me medesimo ». J’ai renoncé à tout, sauf à moi-même. Aveu plein de panache, qui nous le rend plus aimable encore. Nous, ses cadets, qui sommes nombreux à avoir trouvé en lui un fringant éveilleur, un professeur d’énergie et un intercesseur (combien de lettrés n’ont-ils pas découvert Chestov ou Schopenhauer, Léontiev ou Cioran, par le truchement de Gabriel Matzneff ?), comment ne serions-nous pas bouleversés de le savoir blessé, tel un mousquetaire qui aurait pris un mauvais coup contre les gardes du Cardinal ? Comment ne pas lui témoigner notre gratitude, et notre fidélité ?

Toutefois, sympathie au sens grec de souffrance partagée ne signifie pas pitié. Notre loyauté - il nostro Onore si chiama Fedeltà - nous interdit de masquer notre perplexité, déjà sensible à la lecture des Demoiselles du Taranne. Matzneff entend relever un défi, un de plus : tout se permettre, et tout dire (ou presque). Ce n’est pas l’aimer moins que d’avouer ceci : la comptabilité maniaque des dîners en ville ou au restaurant, le catalogue – si peu érotique – de ses étreintes avec telle pimbêche et/ou telle tendre amie, la liste de ses rencontres avec des notables du Tout-Paris (que nous distinguerons des vrais amis, les Mousquetaires par exemple), lassent le lecteur le mieux disposé. Cristallin, le style sauve l’œuvre, dieux merci, car Matzneff demeure un maître, qui plane haut. Mais, par Jupiter, quelle énergie gaspillée à tant de futilités ! Pas un mot, ou presque, sur la Journée Montherlant, qui rassemble deux cents passionnés devant lesquels Matzneff sanglote en évoquant son ami. En revanche, des pages et des pages sur les « émiles » (les courriels des puristes) et les coups de fil d’une snobinarde, qui se révèle une traîtresse. Quelle complaisance, quel apitoiement sur soi, exprimés avec une naïveté de grand dadais. Quel badinage entre pulsion nihiliste et tentation théologique.

La question que se pose Matzneff, et à laquelle il répond par l’affirmative, est de savoir s’il vaut la peine de (presque) tout transcrire, de tout figer sur le papier, même les ébauches de pensée, parfois mesquines ou tout simplement dénuées d’intérêt (comme chez chacun d’entre nous). Faut-il tout écrire ? Peut-être, par une sorte de catharsis et si l’on est tenaillé comme Matzneff par la hantise de l’oubli – mais feindre une perte de mémoire n’est-il pas parfois préférable au ressassement ? En revanche faudra-t-il publier les dix ou douze volumes qui dorment dans un coffre-fort ? Mystère et confiture, comme dirait Gabriel le Styliste, célèbre anachorète. Des fragments de Journal, reprenant la quintessence des réflexions, ne sont-ils pas préférable à une litanie, monotone comme l’est souvent toute vie ?

Heureusement, il y a the Matzneff touch. Le style, impérial. Impossible de ne pas y revenir, car chez lui, le style sauve l’homme de la folie et l’artiste du néant. Un style qui justifie une existence. Polémiste de race, romancier du bonheur, Matzneff peut nous agacer dans quelques pages de récents Journaux, alors que les plus anciens ne cessent de nous enchanter. Quoi qu’il arrive, il continuera de nous charmer, de nous fortifier par son énergie à combattre l’imposture aux mille faces (ses propos si justes sur la russophobie à la mode, sur les menées américaines dans les Balkans), par son humour ravageur et par ce génie si singulier qu’il illustre dans la transmission d’une flamme, celle de l’éternelle jeunesse. Irremplaçable Matzneff !


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19 septembre 2009 6 19 /09 /septembre /2009 21:55
Un pion

M. Darcos est un pion, et même un assez vilain pion. Son passage à l'éducation nationale, où il se comporta pendant deux ans comme le plus buté des surveillants généraux, supprimant les postes, fermant les classes, maltraitant les programmes, restera dans les annales. Jamais un ministre n'aura aussi peu fait et aussi mal fait. Et, si l'on s'en tient à la période récente, jamais on n'aura comptabilisé autant de jours de grèves et de manifestations, mêlant professeurs, parents et élèves, que pendant le triste ministériat du sieur Darcos. Son remplacement - même par le petit Chatel qui s'intéresse pourtant plus à la communication qu'au fond des dossiers - en aura soulagé plus d'un. Primum non nocere, comme disaient les Anciens.

Il fallait bien le recaser quelque part et on lui proposa comme une promotion le portefeuille du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. Toutes choses un tant soit peu sérieuses, pour lesquelles, bien évidemment, M. Darcos n'a aucune des compétences requises. Il est vrai qu'il succède au rondouillard Xavier Bertrand, qui n'aura pas laissé des traces profondes dans notre code du travail. Et qu'après tout, ni Rama Yade aux sports, ni Bruno Le Maire à l'Agriculture, ni Eric Besson à l'Imigration, n'ont vraiment la tête de l'emploi. De là à confier un des ministères les plus sensibles, en pleine période de crise et de chômage, à un pareil boutefeu, il y avait un pas. Il a été allègrement franchi.

Bien évidemment, M. Darcos n'a pas attendu de prendre la mesure des dossiers pour faire des annonces fracassantes. C'est à lui que François Fillon doit d'avoir vendu la mèche sur la réforme des retraites avant les vacances : une déclaration sur la remise en cause du seuil des 60 ans qui a failli mettre le pays en état de transe. Au point qu'il a fallu que les dirigeants syndicaux montent au créneau en même temps que le Premier ministre pour tout démentir et éteindre l'incendie. On conçoit que M. Darcos ait envie de communiquer à tout va et de se dégourdir les jambes sur n'importe quel sujet un peu médiatique : la situation sociale lui en laisse effectivement tout le loisir ! Les statistiques du chômage, imperturbablement mauvaises, se passent de commentaires. Quant à l'idée que le gouvernement, et singulièrement le ministre du travail, pourrait agir sur le front de l'emploi, durcir un tant soit peu les conditions de licenciement dans les entreprises qui font des bénéfices, accompagner les salariés victimes de patrons voyous, orienter l'investissement et la formation vers des secteurs en développement..., vous n'y pensez pas !  l est plus sage d'attendre tranquillement la reprise et surtout de se mêler de rien.

Et d'ailleurs pourquoi agir puisque, comme M.  Darcos vient de le déclarer au Monde, "le climat social est finalement assez apaisé et propice au dialogue" [1]. Les dizaines de milliers de salariés qui sont confrontés à des plans sociaux ou à d'insidieuses mesures individuelles de licenciement apprécieront. A commencer par les 300 ouvriers de Continental, dont les dirigeants syndicaux ont été durement condamnés par la justice le 2 septembre dernier, alors que dans la plupart des cas les patrons voyous ne sont pas poursuivis. Et les 400 employés de New Fabris, forcés d'accepter, début août, des primes de départ misérables à l'issue d'un combat désespéré. Et ceux de Mollex à Villemur, qui viennent d'apprendre que leur employeur américain, non content de les licencier, s'oppose à la reprise du site. Et les 130 de Trèves à Aÿ, largués sans perspective par un employeur qui aurait empoché quelques semaines auparavant plus de 55 M€ d'aides publiques. Et les 800 de chez Goodyear à Amiens, les 400 d'Idestyle à Guyancourt, ... et les milliers d'autres dont les médias ne parlent pas, et qui vivent dans la crainte des mauvais jours. Tout ceux là qui sont en droit d'attendre de l'Etat aide, appui et justice.

Il y a quelques mois, nous dénoncions ici même M. Raffarin, qui recommandait au Gouvernement d'agir avec fermeté à l'égard des violences ouvrières[2]. M. Raffarin et M. Darcos ont, l'un comme l'autre, de la chance : personne ne les prend plus réellement au sérieux. L'un parce qu'il n'est  plus qu'un vieux cheval dans la débine, l'autre parce qu'il joue les utilités au sein du gouvernement. Voilà qui les rend parfaitement irresponsables et qui les met à l'abri d'avoir jamais à rendre compte de leurs propos. Mais, de grâce, qu'on arrête de leur tendre des micros !


Paul Gilbert.



[1]. Xavier Darcos, "Le climat social est finalement assez apaisé", Le Monde des 13 et 14 septembre.
[2]. "Un rebelle", RCIL du 25 avril 2009.
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18 septembre 2009 5 18 /09 /septembre /2009 22:00
Partage de midi                        

 

                  
     



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La Comédie Français donne une vingtaine de représentations exceptionnelles de Partage de Midi de Paul Claude, du 11 septembre au 3 octobre au Théâtre Marigny. Avec les mêmes acteurs et dans la même mise en scène que la production présenté au printemps dernier à la salle Richelieu, qui connut un immense succès. L'interprétation en est parfaite; Marina Hands (Ysé) et Eric Ruf (Mesa) sont prodigieux de force et de sensibilité. Après les dernières répliques, l'émotion étreint à un tel point la salle, qu'un long silence se fait avant les applaudissements. Un des plus beaux spectacles de la saison à Paris. Courez, il reste quelques places.

 

Jacques du Fresnois.

 

La critique d'Armelle Héliot, Le Figaro du  11 septembre 2009.
Le retour d'Ysé, la sulfureuse de Claudel. Ysé est une légende. L'un des grands rôles que toute comédienne rêve un jour d'incarner, à l''égal de Phèdre ou de Bérénice. Ysé est un mythe, car son nom étrange et beau scintille, tel celui de la Prouhèze du Soulier de satin comme une étoile dans le ciel profond des amours exaltées. Ysé est splendide, car, de toutes les héroïnes de Claudel, elle est sans doute la plus sensuelle, la plus intrépide, la plus sulfureuse aussi. C'est qu'elle appartient à sa vie. Alors qu'il compose Partage de Midi, il écrit à son ami Francis Jammes : "... Je fais un drame qui n'est autre que l'histoire un peu arrangée de mon aventure. Il faut que je l'écrive, j'en suis possédé depuis des années". Le sentiment de la "possession"  au sens diabolique revient sans cesse sous sa plume. C'est un peu le vocabulaire d'Ysé... La première version de la pièce est achevée en 1905. C'est cette version qui est jouée au Marigny,  là même où fut crée en 1948 celle dite "pour la scène". Jean-Louis Barrault avait convaincu l'écrivain  de laisser représenter son oeuvre et, aussi torturé qu'il fut par l'apparition d'Ysé sur scène,  il fut bouleversé, fasciné par la grâce impérieuse d'Edwige Feuillère, qui était entouré de Barrault lui-même, Mesa "le petit curé", Jacques Dacqmine, De Ciz, l'époux, Pierre Brasseur, Amalric, l'aventurier.  Une femme, le mari, ses amants. Plus de soixante ans après cet évènement mémorable, sous les beaux lambris du théâtre, c'est la production qu'avait représenté la Comédie française en avril 2007, qui est reprise. Il a fallu à Olivier Giel, homme essentiel de la Maison de Molière, beaucoup d'énergie pour que cette renaissance soit possible. Car, entre-temps, Marina Hands avait quitté la troupe et c'est Pierre Lescure qui l'engage et permet ce retour bouleversant. La mise en scène d'Yves Beaunesne s'inscrit dans un beau décor de Damien Caille-Perret, pont du navire et espace métaphysique, avec des changements à vue, du cimetière de Hong-Kong à la maison assiégée d'un port du sud de la Chine. Les comédiens réunis sont époustouflants, intelligence à fleur de peau, emportement ou renoncement à fleur de voix. Christian Gonon est De Ciz, Hervé Pierre, Amalric, Eric Ruf, Mesa. Et Marina Hands est donc Ysé, que joua en 1975, à la Comédie française, sa mère, la sublime et déchirante Ludmilla Michaël... C'était dans une mise en scène d'Antoine Vitez. Marina Hands le dit et on la croit: elle n'aurait pas pu oser jouer Ysé si elle avait vu ce spectacle... C'est que quelque chose de très intime palpite entre le "personnage" et ses interprètes. Edwige Feuillère, donc Ludmilla Michaël, mais aussi Marie-Christine Barrault dans une mise en scène de Jacques Rosner, Nicole Garcia avec Brigitte Jacques, Hélène Lausseur avec Alain Ollivier. On n'oublie jamais ces Ysé. On oublie jamais Ysé parce qu'elle vient de la vraie vie. Transfigurée, elle est celle que Claudel nommait Rose et qui s'appelait Rosalie Vetch. Il l'avait rencontrée en 1901 sur l'Ernest-Simmons. Trente ans, splendide, quatre enfants. "C'est elle", avait-dit Claudel en voyant Feuillère. Lui, Claudel, il avait plus que Mesa : le don du poétique. Il est comme Ysé, il aime le feu.



Paul Claudel, Partage de Midi. - Mise en scène de Yves Beaunesne. Avec Marina Hands (Ysé), Eric Ruf (Mesa), Christian Gonon (De Ciz), Hervé Pierre (Amalric). - Théâtre Marigny, Paris 8e (Métro Champs Elysées-Clémenceau). - Jusqu'au 3 octobre 2009.

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17 septembre 2009 4 17 /09 /septembre /2009 18:42
Visages                 
de Malaparte
     




 

Il y a un mystère Malaparte. Un mystère qui nimbe d'ombre toute son existence, au point d'en faire un personnage insaisissable : tantôt théoricien, tantôt condottiere, étoile montante du fascisme avant d'en devenir le pire cauchemar, communiste sans foi et chrétien sans église, archi italien et en même temps complètement cosmopolite. Il fait partie à coup sûr de ce petit nombre d'hommes qui vécurent plusieurs vies entremêlées, prenant au sérieux chacune d'entre elles, les épuisant l'une après l'autre avec le même irrépressible goût de vivre. Ses deux immenses romans, Kaputt et La Peau, sont à l'image de ce parcours singulier; ils racontent en réalité plusieurs histoires parallèles, bourrées de contradictions; les situations y sont instables, les hommes, pris dans la tourmente de la guerre, également héroïques et pitoyables, les cieux remplis d'espoir, puis, dans l'instant qui suit, désespérément vides. On a pu croire que la mort mettrait fin à cette énigme et que les témoins, les carnets, les correspondances nous livreraient le vrai visage de Malaparte, en même temps que ce que Malraux appelait "son misérable  petit tas de secrets". Il n'en est rien : les témoins se contredisent,  les notes et les écrits posthumes ne font que brouiller davantage encore les cartes. L'image de Malaparte est elle-même une image à éclipse, ce qui ne fait rien pour arranger les choses : après de longues périodes d'oubli, il resurgit brusquement dans la lumière, avec généralement une figure nouvelle. Et pourtant, ce sourire, ce geste amical qu'il nous fait de la main, c'est lui, c'est bien lui.

Deux petits livres, sortis presque coup sur coup, nous donnent subitement de ces nouvelles. Un récit tout d'abord, celui du séjour que fit Raymond Guérin à Capri, en mars 1950, à l'invitation de Malaparte[1] et que la sympathique maison d'édition Finitude a le bon goût de rééditer. "Venez. C'est l'hiver qu'il faut voir Capri. L'été, l'île est envahie par toute la saleté de Rome et de Naples. Venez donc, vous passerez chez moi des jours formidables et vous pourrez y travailler en toute tranquillité". Capri, c'est bien sûr la fabuleuse villa de Malaparte, sorte de trirème d'Ulysse échouée sur les hauteurs du cap Massullo, qui est, à elle seule, un personnage du récit. Mais Capri, c'est aussi la bande à Malaparte, écrivains, peintres, maîtresses, aristocrates, amis divers qui forment une joyeuse compagnie loin de Rome et de ses fausses réputations. Guérin et son épouse, d'abord sur la réserve, se laissent finalement séduire par les moeurs de cette petite troupe et ils ont tôt fait d'être adoptés. Raymond Guérin et Curzio Malaparte, ces deux là n'avaient pourtant aucune raison de se croiser. Le Français, écrasé par l'expérience de la guerre et de la captivité, vit une sorte de convalescence. Le voyage à Capri le rattache à d'autres temps, plus heureux, ceux de l'avant guerre, d'une fuite en Italie avec son épouse, loin de Paris et d'une jeunesse étriquée. Quant à l'autre, l'Italien, il joue son rôle de grand seigneur, d'aristocrate toscan, à qui tout a réussi, y compris la guerre. Un connétable des lettres, dit Guérin, sous le charme, et qui passe tout à son nouvel ami :


- On vous a reproché d'embellir par trop vos histoires, d'en remettre; et nous-mêmes, ici, quand nous nous vous écoutons, nous sentons bien parfois, le moment oû vous interprétez la vérité pour la rendre plus significative. - Est-ce que je la déforme?  - Et quand vous la déformeriez? Ce qui nous séduit, c'est justement ce sens aigu que vous avez de l'image saisissante. On dirait qu'il y a en vous  un don de prémonitie qui vous permet d'anticiper les événements et de rendre plausibles les situations les plus révoltantes.


Au gré des jours qui passent, les échanges entre les deux écrivains se font plus sensibles, moins apprêtés, réellement amicaux. Malaparte est en plein dans sa période cinéma, il travaille à son unique film, Le Christ interdit, qui sortira sur les écrans en 1950, avec Ralf Vallone et Alain Cuny. Il aime le cinéma, en parle bien, mais on sent que le cinéma ne lui réussira pas. Guérin, silencieux, comprend l'échec qui se prépare. Il regarde Malaparte s'agiter, s'enthousiasmer, réciter son film par coeur, comme un joueur qui sent déjà que la partie est perdue. Le condottiere a changé de visage, son assurance exubérante a disparu, il n'est plus subitement qu'un pauvre grand homme devant le destin qui le dépasse. Un autre lui-même pour Guérin, qui finira en plein bonheur ce séjour capriote.

Alors que Malaparte travaille sur son film, il rêve déjà d'un autre projet cinématographique qui ne verra jamais le jour. Le Compagnon de Voyage, tel est le titre de cette aventure sans lendemain, tiré d'une nouvelle longtemps oubliée et que l'éditeur Quai Voltaire vient de réexhumer[2]. L'histoire a pour cadre l'Italie de 1943, après la chute de Mussolini, alors que l'armée italienne découvre qu'elle n'a plus ni chefs ni d'alliés. Un petit détachement guette, sans illusion,  le débarquement anglais qui se prépare sur les côtes de Calabre. Dans l'affrontement dérisoire, le lieutenant meurt, après avoir fait promettre à son ordonnance, un brave bergamasque du nom de Calusia, qu'il ramènerait sa dépouille chez sa mère, à Naples. S'ensuit un odyssée de la misère où, l'honnête Calusia, en compagnie d'un âne et d'une jeune fille qu'il a prise sous sa protection s'efforce de tenir sa promesse. L'autre personnage de ce récit, c'est l'Italie, une Italie en débâcle, rongée par la faim et par la peur, un peuple en berne en proie aux profiteurs, un moment abattu, mais qui, dans l'instant suivant, retrouve son courage et sa générosité. Le voyage de Calusia, ce sont aussi ces moments de brève mais d'intense émotion, dans lesquels Malaparte excelle et qu'il fait brusquement surgir au milieu d'une scène de farce. Ainsi de ce moment terrible, qui clôt le récit, où Calusia ramène le corps de l'officier dans sa famille. Le visage que Malaparte tourne alors vers le monde n'est plus le même. On  n'y trouve plus trace de l'aristocrate hâbleur, du séducteur de Capri. Son sourire est celui, fraternel, du compatissant.

Eugène Charles.



[1]. Raymond Guérin, Du côté de chez Malaparte. (Editions Finitude, 124 pages, Mars 2009)

[2]. Curzio Malaparte, Le compagnon de voyage. (Quai Voltaire, 110 pages, Juin 2009)


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15 septembre 2009 2 15 /09 /septembre /2009 19:29
Le dix-huit brumaire                


de Jacques Bainville

Mis en ligne : [15-09-2009]

Domaine : Histoire



Jacques Bainville (1879 - 1936) est un de nos plus grands historiens du XXe siècle. Chroniqueur de politique étrangère à l'Action française, il publie en 1920 Les conséquences politiques de la paix, exposé lumineux sur le Traité de Versailles et ses suites. Parmi ses oeuvres principales : Histoire de deux peuples (1915), Histoire de France (1924), Napoléon (1931), La Troisième République (1935).


Jacques Bainville, Le dix-huit Brumaire et autres écrits sur Napoléon, Paris, Bernard Giovanangeli Editeur, Juin 2009, 168 pages.


Le 18 Brumaire est une date essentielle de l'histoire de France, un événement qui permet à la Révolution de se survivre en s'en remettant au pouvoir d'un seul, une de ces journées extraordinaires où le sort a balancé jusqu'au dernier acte. En déroulant les faits, Bainville explique les doctrines et la psychologie des hommes de l'époque. Au fil de son récit du 18 Brumaire, il trace un portrait remarquable de Napoléon, au moment où celui-ci devient par un coup d'Etat le maître de la France. Publié avec deux textes jamais réunis en volume : Le centenaire de Napoléon  et Préface au Souper de Beaucaire.

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Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01
 
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