Mutations et rapport de force
Le 49ème congrès de la CGT, qui s’est déroulé à Nantes du 7 au 11 décembre, n’a pas donné lieu aux affrontements que l’on annonçait. Il s’est achevé vendredi comme il avait commencé, dans le calme et une certaine sérénité. Si l’on met de côté la petite agitation qui n’a pas permis à François Chérèque de venir s’exprimer jeudi, comme c’était prévu, et si l’on excepte les échanges un peu vifs qui ont eu lieu mercredi sur la réforme des retraites, M. Thibault a parfaitement maîtrisé son affaire. L’opposition, ou pour mieux dire les oppositions, tant elles se sont exprimées de façon diverse, n’ont jamais été en situation d’inquiéter l’équipe sortante. Celle-ci a été confortablement réélue avec près de 80% des votes et Bernard Thibault entame désormais son quatrième mandat. Le véritable enjeu de ce congrès n’était d’ailleurs pas dans les urnes. Il s’agissait surtout de donner à la CGT une ligne d’action à la fois combative, claire et réaliste. C’est sur cet objectif que le secrétaire général s’est beaucoup dépensé pendant toute une semaine et le document d’orientation qui sort du congrès lui donne assez largement satisfaction.
Le premier enjeu pour la CGT, c’est de construire un nouveau rapport de force avec le gouvernement et les milieux patronaux. Le précédent congrès, qui s’était tenu à Lille au printemps 2006, avait salué un certain renouveau de l’action syndicale, fortement portée par la victoire sur le CPE. Mais la crise est passée par là, elle a cassé cette dynamique et orienté le mouvement vers des actions beaucoup plus défensives. On a également pu constater dans les conflits les plus durs – Continental, Molex, New Fabris – de fortes divergences entre la base, les unions locales et la direction de la CGT, face à des employeurs souvent déterminés, voire d’une franche brutalité. Pour Bernard Thibault, il faut tirer les enseignements de ces expériences. Aucune action durable ne peut se construire sur le repli local, le recul social ou, à l’autre extrémité, la violence et la stratégie de l’affrontement délibéré. La réponse ne peut être que collective et responsable, elle passe par la défense de l’emploi partout, l’offensive sociale et la reconquête syndicale.
La CGT aborde cette stratégie combative avec quelques atouts. Elle a su, en particulier grâce au précédent conflit sur les retraites de 2005, faire oublier son image de syndicat sectaire et politisé et les sondages montrent qu'elle jouit désormais d’une bonne côte auprès d’une majorité de salariés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle a conforté sa place de première centrale syndicale aux élections prud'homales de 2008, loin devant les réformistes de la CFDT ou de FO. Et si elle apparaît depuis le début de la crise comme la principale force d’opposition au gouvernement, au prix d'un engagement sans faille dans l’unité d’action. Sur tous ces sujets, M. Thibault et son organisation ont manifestement gagné des points. Même si ces gains sont encore fragiles.
On peut également créditer la direction cégétiste de lucidité et de pragmatisme. Elle est consciente que l’évolution du rapport de force social passe inévitablement par un syndicalisme de masse, sur le modèle du Royaume Uni, de l’Allemagne ou des Pays scandinaves. Elle n’hésite d’ailleurs pas à reconnaître que l’objectif qu'elle s'était donné il y a six ans de retrouver le cap du million d’adhérents est un échec, faute sans doute d’avoir fait évoluer la base du recrutement. M. Thibault plaide avec une certaine constance pour une présence beaucoup plus forte de la CGT dans le secteur privé et auprès des jeunes qui entrent sur le marché du travail. Il pointe également les réformes de structure qui restent à faire pour mieux toucher les salariés isolés, les précaires, les effectifs des PME et des petites entreprises. On sent bien toutes les difficultés qu’il y a à conduire ces changements dans une organisation où les pesanteurs « staliniennes » (reproduites aujourd’hui par les groupes trotskystes) persistent et où le poids des retraités et du secteur public restent déterminants. Mais on voit bien, dans le même temps, que la CGT n'a pas le choix et qu'elle a besoin de ces mutations pour se trouver en phase avec la réalité sociale française.
Une question importante est un peu restée en marge des débats du congrès, celle de l'unité syndicale. C'est un sujet sur lequel la CGT a décidé de manoeuvrer avec prudence. Elle a su en être l’artisan dès les prémices de la crise actuelle en prenant la responsabilité de réunir autour d’elle les sept autres organisations représentatives et d’organiser, sur une base unitaire, plusieurs journées d’action sur le thème de la défense de l’emploi. M. Thibault mesure bien les avantages de cette attitude responsable, payante en termes d’image et d’ailleurs bien perçue par l’opinion.
Mais il en connaît aussi toutes les difficultés. La constitution d’un « pôle réformiste » associant la CFDT, l’UNSA et FO est en marche, un certain vent gouvernemental et patronal souffle dans ses voiles et la centrale de Montreuil est pour le moment en dehors de ce mouvement. La direction de la CGT perdrait beaucoup de sa crédibilité interne si elle tentait de négocier son entrée dans ce club en position de demandeur. Toute son action consistera au contraire à placer ses partenaires sur son propre terrain de lutte et à apparaître à nouveau comme le fédérateur de l’action commune. C’est fort à propos que M. Thibault a mis l’accent sur le futur conflit des retraites dans ses différentes interventions de Nantes. Il sait que le sujet est explosif pour un très grand nombre de salariés, surtout si le seuil légal de départ à la retraite à 60 ans devait être mis en débat. Il sent que le gouvernement, poussé par les plus dangereuses sirènes patronales, pourrait décider d’en découdre, une fois les régionales passées. Voilà bien un terrain où la CGT n'aura pas de mal à mobiliser sur ses positions les autres forces du paysage syndical.
L’autre terrain de convergence avec les organisations réformistes est celui de la « sécurité sociale professionnelle », c'est-à-dire de la sécurisation des parcours des salariés tout au long de leur vie au travail. On est frappé, à la lecture des résolutions du congrès de Nantes, de voir à quel point ce sujet - dont l'inspiration est plus chrétienne que marxiste- est maintenant au cœur des revendications de la CGT. On ne peut que s’en féliciter et espérer qu'une telle proposition trouvera un jour sa place dans les programmes de ceux qui préparent l'alternance au sarkozysme.
Henri Valois.