Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 décembre 2009 6 12 /12 /décembre /2009 11:40

Mutations et rapport de force

Le 49ème congrès de la CGT, qui s’est déroulé à Nantes du 7 au 11 décembre, n’a pas donné lieu aux affrontements que l’on annonçait. Il s’est achevé vendredi comme il avait commencé, dans le calme et une certaine sérénité. Si l’on met de côté la petite agitation qui n’a pas permis à François Chérèque de venir s’exprimer jeudi, comme c’était prévu, et si l’on excepte les échanges un peu vifs qui ont eu lieu mercredi sur la réforme des retraites, M. Thibault a parfaitement maîtrisé son affaire. L’opposition, ou pour mieux dire les oppositions, tant elles se sont exprimées de façon diverse, n’ont jamais été en situation d’inquiéter l’équipe sortante. Celle-ci a été confortablement réélue avec près de 80% des votes et Bernard Thibault entame désormais son quatrième mandat. Le véritable enjeu de ce congrès n’était d’ailleurs pas dans les urnes. Il s’agissait surtout de donner à la CGT une ligne d’action à la fois combative, claire et réaliste. C’est sur cet objectif que le secrétaire général s’est beaucoup dépensé pendant toute une semaine et le document d’orientation qui sort du congrès lui donne assez largement satisfaction.

Le premier enjeu pour la CGT, c’est de construire un nouveau rapport de force avec le gouvernement et les milieux patronaux. Le précédent congrès, qui s’était tenu à Lille au printemps 2006, avait salué un certain renouveau de l’action syndicale, fortement portée par la victoire sur le CPE. Mais la crise est passée par là, elle a cassé cette dynamique et orienté le mouvement  vers des actions beaucoup plus défensives. On a également pu constater dans les conflits les plus durs – Continental, Molex, New Fabris – de fortes divergences entre la base, les unions locales et la direction de la CGT, face à des employeurs souvent déterminés, voire d’une franche brutalité. Pour Bernard Thibault, il faut tirer les enseignements de ces expériences. Aucune action durable ne peut se construire sur le repli local, le recul social ou, à l’autre extrémité, la violence et la stratégie de l’affrontement délibéré. La réponse ne peut être que collective et responsable, elle passe par la défense de l’emploi partout, l’offensive sociale et la reconquête syndicale.

La CGT aborde cette stratégie combative avec quelques atouts. Elle a su, en particulier grâce au précédent conflit sur les retraites de 2005, faire oublier son image de syndicat sectaire et politisé et les sondages montrent qu'elle jouit désormais d’une bonne côte auprès d’une majorité de salariés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle a conforté sa place de première centrale syndicale aux élections prud'homales de 2008, loin devant les réformistes de la CFDT ou de FO. Et si elle apparaît depuis le début de la crise comme la principale force d’opposition au gouvernement, au prix d'un engagement sans faille dans l’unité d’action. Sur tous ces sujets, M. Thibault et son organisation ont manifestement gagné des points. Même si ces gains sont encore fragiles.

On peut également créditer la direction cégétiste de lucidité et de pragmatisme. Elle est  consciente que l’évolution du rapport de force social passe inévitablement par un syndicalisme de masse, sur le modèle du Royaume Uni, de l’Allemagne ou des Pays scandinaves. Elle n’hésite d’ailleurs pas à reconnaître que l’objectif qu'elle s'était donné il y a six ans de retrouver le cap du million d’adhérents est un échec, faute sans doute d’avoir fait évoluer la base du recrutement. M. Thibault plaide avec une certaine constance  pour une présence beaucoup plus forte de la CGT dans le secteur privé et auprès des jeunes qui entrent sur le marché du travail. Il pointe également les réformes de structure qui restent à faire pour mieux toucher les salariés isolés, les précaires, les effectifs des PME et des petites entreprises. On sent bien toutes les difficultés qu’il y a à conduire ces changements dans une organisation où les pesanteurs « staliniennes » (reproduites aujourd’hui par les groupes trotskystes) persistent et où le poids des retraités et du secteur public restent déterminants. Mais on voit bien, dans le même temps, que la CGT n'a pas le choix et qu'elle a besoin de ces mutations pour se trouver en phase avec la réalité sociale française.

Une question importante est un peu restée en marge des débats du congrès, celle de l'unité syndicale. C'est un sujet sur lequel la CGT a décidé de manoeuvrer avec prudence. Elle a su en être l’artisan dès les prémices de la crise actuelle en prenant la responsabilité de réunir autour d’elle les sept autres organisations représentatives et d’organiser, sur une base unitaire, plusieurs journées d’action sur le thème de la défense de l’emploi. M. Thibault mesure bien les avantages de cette attitude responsable, payante en termes d’image et d’ailleurs bien perçue par l’opinion.

Mais il en connaît aussi toutes les difficultés. La constitution d’un « pôle réformiste » associant la CFDT, l’UNSA et FO est en marche, un certain vent gouvernemental et patronal souffle dans ses voiles et la centrale de Montreuil est pour le moment en dehors de ce mouvement. La direction de la CGT perdrait beaucoup de sa crédibilité interne si elle tentait de négocier son entrée dans ce club en position de demandeur. Toute son action consistera au contraire à placer ses partenaires sur son propre terrain de lutte et à apparaître à nouveau comme le fédérateur de l’action commune. C’est fort à propos que M. Thibault a mis l’accent sur le futur conflit des retraites dans ses différentes interventions de Nantes. Il sait que le sujet est explosif pour un très grand nombre de salariés, surtout si le seuil légal de départ à la retraite à 60 ans devait être mis en débat. Il sent que le gouvernement, poussé par les plus dangereuses sirènes patronales, pourrait décider d’en découdre, une fois les régionales passées. Voilà bien un terrain où la CGT n'aura pas de mal à mobiliser sur ses positions les autres forces du paysage syndical.

L’autre terrain de convergence avec les organisations réformistes est celui de la « sécurité sociale professionnelle », c'est-à-dire de la sécurisation des parcours des salariés tout au long de leur vie au travail. On est frappé, à la lecture des résolutions du congrès de Nantes, de voir à quel point ce sujet - dont l'inspiration est plus chrétienne que marxiste- est maintenant au cœur des revendications de la CGT. On ne peut que s’en féliciter et espérer qu'une telle  proposition trouvera un jour sa place dans les programmes  de ceux qui préparent l'alternance au sarkozysme.

Henri Valois.


Partager cet article
Repost0
10 décembre 2009 4 10 /12 /décembre /2009 19:42
La meute
 

Comme nous l'avions prévu (RCIL du 27 novembre), M. Proglio ne débarque pas seul à EDF. On y annonce l'arrivée prochaine de plusieurs transfuges de Véolia, qui feront, sur le modèle de leur chef, le pont entre les deux groupes. Ce serait le cas de Denis Lépée, conseiller de Proglio depuis 2003, qui prendrait la direction de son cabinet à EDF. On parle également d'Alain Tchernonog, actuel secrétaire général de Véolia, lui aussi très proche de Proglio, qui assurerait les mêmes fonctions stratégiques au sein du groupe public. On murmure enfin les noms de Bernard Sananes, grand communicant d'Euro RSCG, de l'ancien Ministre Michel Roussin, qui joue depuis plus de 10 ans les "hommes de l'ombre" du BTP français, ou du jeune et ambitieux Thierry Piquemal, qui tient les rênes financières chez Veolia et qui pourrait les prendre chez l'électricien. On le voit, il ne s'agit pas d'une simple opération de relève des équipes. C'est en réalité l'état major de l'ex Générale des Eaux qui prend en main la direction du groupe public.

On se souvient pourtant que, le 25 novembre dernier, lorsqu'il prenait ses nouvelles fonctions, M. Proglio avait protesté de ses bonnes intentions quant au rapprochement entre EDF et Véolia : une perspective à long terme, précisait-il, et qui ne se traduirait en aucune façon par l'absorption ou par la disparition d'EDF. "Je ne veux pas qu'on s'imagine que je suis allé chez EDF pour cela..." s'était-il empressé de dire. "Des soupçons ridicules", renchérissaient les entourages de l'Elysée et de Matignon. Il est vrai que le président de Véolia était alors dans un exercice difficile : il fallait à la fois séduire les syndicats et les actionnaires d'EDF, ne pas effaroucher les parlementaires et faire oublier son passé de marchand d'eau. Maintenant que cette étape a été franchie, et que les gogos ont avalé tous les bobards qu'on leur a distribués, pourquoi s'embarasser de scrupules inutiles ? Lorsqu'on a M. Sarkozy comme ami, comme parrain et comme exemple - celui là même qui au début de son mandat parlait de "retour à l'Etat impartial" - il serait dommage de se gêner. 

M. Proglio avance. Sans rencontrer, hélas, d'opposition sérieuse. Ni M. Thibault, qui disposait  cette semaine de la tribune du congrès de la CGT, ni Mme Aubry n'ont vraiment élevé la voix pour stigmatiser ce qui ressemble de plus en plus à une affaire d'Etat : le démantèlement organisé d'une de nos dernières grandes entreprises publiques, au vu et au su de toute l'opinion. La seule appréciation un peu critique est venue, curieusement, de M. Jouyet, ex sous ministre et actuel président de l'autorité des marchés financiers - qui a qualifié de "baroque" le cumul de fonctions de M. Proglio chez Véolia et EDF. Baroque ! Il en faudra plus pour contrer l'inquiétante équipe qui se met progressivement en place à la tête d'EDF.

Hubert de Marans.


Partager cet article
Repost0
9 décembre 2009 3 09 /12 /décembre /2009 11:00
Qui sème le vent...

A la suite du  courrier d'alerte de Jacques Sapir (RCIL du  26 novembre ), nous publions ci-dessous la pétition lancée samedi dernier dans Le Journal du Dimanche par le philosophe Alain Finkielkraut, le démographe Hervé Le Bras et 18 de nos meilleurs historiens contre la suppression de l'histoire-géographie en terminale S. Ce texte rencontre un succès croissant au sein du monde universitaire et politique, ainsi qu'auprès des Français de plus en plus nombreux qui ne supportent plus la légèreté et la vulgarité du pouvoir actuel. Le petit Chatel, ministre de l'ignorance républicaine, s'essaie depuis quelques jours à défendre une réforme indéfendable. Chacune de ses interventions sombre dans le ridicule et déconsidère un peu plus le gouvernement. Il faut diffuser et faire connaître partout ce texte salutaire.

"La décision envisagée par M. le Ministre de l’Education nationale, dans le cadre de la réforme des lycées, de rendre optionnelle l’histoire-géographie en terminale scientifique ne peut que susciter la stupéfaction par son décalage avec les nécessités évidentes de la formation des jeunes Français au début du XXIe siècle. A l’heure de la mondialisation, les futurs bacheliers scientifiques n’auraient donc nul besoin de se situer dans le monde d’aujourd’hui par l’étude de son processus d’élaboration au cours des dernières décennies, pas plus que par l’analyse de sa diversité et des problèmes qui se posent à la planète et à son devenir. En outre, ils se trouveront dans l’impossibilité d’accéder à certaines formations supérieures de haut niveau pour lesquelles la connaissance de l’histoire et celle de la géographie sont indispensables et vers lesquelles ils se dirigent en nombre croissant. Au moment où le président de la République et son gouvernement jugent urgent de lancer un grand débat sur l’identité nationale qui doit mobiliser le pays, cette mesure va priver une partie de la jeunesse française des moyens de se faire de la question une opinion raisonnée grâce à une approche scientifique et critique, ouvrant ainsi la voie aux réactions épidermiques et aux jugements sommaires. Il est impératif d’annuler cette décision, inspirée par un utilitarisme à courte vue, qui se trouve en contradiction avec les objectifs proclamés du système éducatif français sur le plan de la formation intellectuelle, de l’adaptation au monde contemporain et de la réflexion civique des futurs citoyens."

Signataires: Jean-Pierre Azéma (historien), Antony Beevor (historien, université de Londres), Jean-Jacques Becker (historien), Serge Berstein (historien, Sciences-Po), Pierre Cosme (historien, université Paris-I), Alain Finkielkraut (philosophe, Ecole polytechnique), Jean-Noël Jeanneney (historien, Sciences-Po), André Kaspi (historien), Jacques Le Goff (historien), Hervé Le Bras (démographe, Ined et EHESS), Evelyne Lever (historienne, CNRS), Pierre Milza (historien), Michelle Perrot (historienne), Antoine Prost (historien), Jean-Pierre Rioux (historien), Jean-François Sirinelli (historien, Sciences-Po), Benjamin Stora (historien, universités Paris-VIII et Paris-XIII), Jean Tulard (historien), Annette Wieviorka (historienne, CNRS), Michel Winock (historien, Sciences-Po).


Partager cet article
Repost0
8 décembre 2009 2 08 /12 /décembre /2009 18:47

La France en lutte

 

Mardi 24 novembre
- Le chantier naval STX de Saint Nazaire (ex-chantiers de l'Atlantique), sous contrôle sud-coréen, annonce un plan de départs "volontaires" de 351 emplois sur 2410 salariés, qui s'ajoute aux mesures de chômage partiel déjà en vigueur.

Mercredi 25 novembre
- L'usine Continental de Clairoix (Oise), établissement du groupe allemand Continental, fermera définitivement ses portes début 2010. Les salariés licenciés ont obtenu des primes de départ de 50000€ pour tous.
- Le travail a repris à l'usine Atmel de Rousset, près d'Aix en Provence, après un accord trouvé avec les syndicats sur l'association des salariés à la reprise du site. L'établissement, qui appartient au groupe américain Atmel, emploie environ 1200 salariés

Jeudi 26 novembre
- Cinq syndicats lancent un mot d'ordre de grève à la Société générale, contre les bonus et les stock-options et pour une revalorisation des salaires. La banque a versé plus de 430 M€ de bonus à ses cadres dirigeants en 2008 et 2009.

Vendredi 27 novembre
- Le groupe américain Celanese a confirmé la fermeture définitive, à compter de fin novembre, de son usine d'acide acétique de Pardies (Pyrénées-Atlantiques) et la disparition de 350 postes de travail sur le bassin de Lacq

Lundi 30 novembre
- Le papetier canadien Tembec a annoncé la vente de ses deux usines de pâte à papier kraft de Saint Gaudens (270 emplois) en Haute Garonne et de Tarascon (250 salariés) dans les Bouches du Rhône.

Mardi 1er décembre
- L'équipementier automobile Loire Etude va supprimer la moitié des emplois de son site de Saint-Chamond (Loire, 50 salariés).
- Le tribunal de commerce de Paris a accordé une période d'observation de 4 mois au groupe Fermoba Industries, dernière filiale du groupe sidérurgique belge Arbel, pour redresser son activité. Environ 150 emplois sont concernés sur le site du Petit-Réderching (Moselle).
- Un mouvement de grève a débuté sur le site Continental de Sarreguemines (Moselle), pour protester contre un projet de restructuration de l'ensemble des activités.
- Le tribunal de commerce de Castres (Tarn) a prononcé la liquidation judiciaire de l'entreprise textile Dynamic, provoquant le licenciement des 98 salariés.

Samedi 5 décembre
- L'équipementier automobile japonais JTEKT a annoncé la fermeture de son usine de production de Dijon. Selon la direction, le nombre d'emplois supprimés devrait être limité à 94 (sur 360 concernés ).

Mardi 8 décembre
- Un mouvement de grève a débuté sur le site de Roncq (Nord) de  l'enseigne de prêt à porter Pimkie, où près de 200 emplois sont menacés.

Henri Valois.

Partager cet article
Repost0
7 décembre 2009 1 07 /12 /décembre /2009 19:00
Le sens de la démesure           
Hubris et diké               


de Jean-François Mattéi
Mis en ligne : [6-12-2009]
Domaine : Idées

 

Jean-François Mattéi, membre de l'Institut universitaire de France, est professeur émérite à l'université de Nice-Sophia Antipolis. Il a publié récemment La Barbarie intérieure (PUF, "Quadrige", 2004), De l'indignation (La Table Ronde, 2005), L'Énigme de la pensée (Ovadia, 2006) et Le Regard vide. Essai sur l'épuisement de la culture européenne (Flammarion, 2007, prix Montyon de l'Académie française).


Jean-François Mattéi, Le sens de la démesure. Hubris et diké, Paris, Sulliver, Septembre 2009, 202 pages.


Présentation de l'éditeur.
Le vingtième siècle aura été le siècle de la démesure. La démesure de la politique avec des guerres mondiales, des déportations et des camps d'extermination, qui a culminé avec deux bombes atomiques larguées sur des populations civiles. La démesure de l'homme, ensuite, puisque ces crimes ont été commis au nom d'idéologies abstraites qui, pour sauver l'humanité, ont sacrifié sans remords les hommes réels. La démesure du monde, enfin, avec une science prométhéenne qui a tenté de percer les secrets de l'univers, une technique déchaînée qui a cherché à asservir la nature et une économie mondialisée dont les échanges ont imposé le prix des choses au détriment de la dignité des hommes. Nietzsche avait clairement établi le diagnostic : "La mesure nous est étrangère, reconnaissons-le; notre démangeaison, c'est justement la démangeaison de l'infini, de l'immense. " Le sens de la démesure semble être une fatalité, aussi n'est-il pas étonnant que, déjà chez les Grecs, dans le mythe, la tragédie, la physique, l'éthique ou la politique, il se situe au coeur de la réflexion. Au travers de la tentation de la raison d'abolir toute limite, de remettre en cause la finitude humaine, la démesure témoigne du tragique de notre condition. Les Grecs, et c'est l'enseignement de ce livre, se sont attachés à la comprendre pour la convertir en cette mesure qui permet de redonner un sens à notre existence.

La critique de Gérard Leclerc. - Royaliste, n° 953, 21 septembre  2009.
La démesure de l'homme. Récemment, en rendant compte ici du dernier essai de Jean-Pierre Dupuy, je mettais l'accent sur son catastrophisme éclairé, qui me semble exprimer l'angoisse présente du monde, eu égard à des dangers mortels réels. Le moindre mérite de l'auteur de  La marque du sacré n'est pas d'insister, en disciple de René Girard, sur la prodigieuse charge de violence inhérente à notre époque et en s'indignant sur l'étonnante faculté des courants de pensée progressistes à éluder la question du mal. Or, je suis frappé par la convergence de ses travaux avec la réflexion d'un philosophe comme Jean-François Mattéi, s'appliquant à un examen général de l'héritage de l'hellénisme dans les siècles de son plein essor. Il semble d'ailleurs que ce soit la tragédie du XXe siècle qui l'a conduit à ainsi revisiter la source grecque afin d'y retrouver les causes profondes d'une sorte de déséquilibre constitutif du monde, à l'origine de toutes nos démesures. Entre Dupuy et Mattéi, l'accord est avéré sur la démesure du siècle qui engendra "deux guerres mondiales et des conflits régionaux permanents, des déportations et des tortures de masse, des camps de la mort déclinés en allemand et en russe, et pour culminer dans l'horreur, deux bombes atomiques larguées sur des populations civiles." Cette référence à Hiroshima et à Nagasaki solidarise encore plus nos deux philosophes reprenant l'indignation de Gunther Anders à l'égard de toutes les justifications proportionnalistes du gouvernement américain.

Cet accord profond concerne aussi la démesure d'une "science prométhéenne qui a voulu percer les secrets de l'univers, une technologie déchaînée qui a cherché à asservir la nature, et une économie mondialisée, sous le double visage du capitalisme et de socialisme, dont les flux incessants d'échange ont privilégié le prix des choses au détriment de la dignité des hommes". Mais ce déchaînement propre à la modernité, même si il a des causes propres dues à l'accélération de l'histoire, se rapporte à une causalité générale, cosmologique, anthropologique, sacrée, qu'il faut rapporter jusqu'à la fondation du monde. C'est la conviction de René Girard, dès le début de son oeuvre. C'est aussi celle de Jean-Pierre Dupuy qui n'a cessé d'en explorer les conséquences dans la modernité la plus avancée. C'est celle de Jean-François Mattéi qui s'attarde pour sa part sur l'hellénisme, parce que ce moment capital de la pensée s'est attaché principalement à comprendre la menace mortelle de la démesure dans toutes ses dimensions. C'est plus encore l'Albert Camus de L'Eté qui l'a encouragé dans cette direction que le Heidegger du dépassement de la métaphysique, parce que contrairement au second, le premier ne fut jamais victime de l'orgueil européen ou du vertige qui conduisait à adhérer à la sauvagerie pour mieux défier le nihilisme. Méprisé par les intellectuels d'après-guerre, Camus avait mieux senti que quiconque la sagesse grecque et méditerranéenne qui enseigne que la mesure se conquiert sur la démesure. Nietzsche aussi l'avait compris: "il n'y a de belle surface sans une profondeur effrayante"

Pour en venir là, il faut sans doute briser l'image complaisante d'une Grèce ayant inventé la formule d'une beauté souveraine et tranquille. Comme si l'équilibre naturel de la cité correspondait au choros, cette danse réglée du monde, ce beau rythme universel  qui présiderait à un équilibre parfait. Ce qui est mentionné d'abord dans tous les textes de la Grèce, c'est l'hubris, la démesure qui "signifie la violence injuste, l'insolence et l'outrage, c'est-à-dire la dimension passionnelle dans les paroles comme dans les actions". Jean-François Mattéi en explore toutes les dimensions qui s'expriment autant dans le mythe que dans la tragédie, et structure aussi bien le cosmos, l'humanité que la Cité. Il faut compter avec les forces anarchiques de la nature qui préoccupent les physiciens avant les philosophes : l'apeiron, l'illimité, l'infini qui s'oppose au péras, la limite, le contour, le cadre, explique le désordre cinétique du cosmos et impose l'énigme d'un ordre qui se crée à partir du désordre. Il y a à l'origine, selon Platon, "une masse confuse et violente" que le démiurge voudra régler en se fixant sur les choses intelligibles, les idées et les nombres au-delà du ciel. L'ordre anthropologique se trouve en proie à des contradictions analogues.  "Si l'apeiron est constitutif de l'univers, l'hubris est constitutive de l'âme". Le même Platon compare l'âme humaine à un monstre polycéphale, "Chimère, Scylla ou Cerbère, qui est couronné de têtes de  bêtes féroces". D'où une lutte incessante impitoyable, pour que la justice s'impose contre la démesure. Mais où est la mesure ? Du côté de l'homme lui-même ou d'un Bien supérieur ?

Jean-François Mattéi montre encore l'action saisissante de la pensée grecque de la pensée grecque en ce qui concerne la philosophie politique, avec deux protagonistes contemporains. Léo Strauss se réclame de la leçon permanente de la lutte contre l'hubris. Karl Popper dénonce à l'inverse la pente totalitaire d'un modèle fondé sur le pouvoir absolu, à l'encontre des sociétés ouvertes de la modernité. Mais il refuse de voir à quel point on ne peut échapper à la référence à un principe éthique supérieur qui garantit la moralité dans la cité. Une certaine idéalisation de la démocratie athénienne efface le souvenir de la démesure fatale qui a abouti à sa ruine et à l'asservissement de la Grèce tout entière. On aurait grandement tort de ne pas prêter attention aujourd'hui à cette régulation supérieure, tout en se gardant des dangers du système platonicien.

Au terme de son parcours hellénique, Jean-François Mattéi revient à cet Albert Camus qu'il désignait dès le départ comme le plus lucide et le plus sage de nos écrivains. Camus a parfaitement compris qu'il était vain et insensé de vivre et de penser comme si la démesure du monde et la folie de l'homme s'éloignaient de nous. La mesure nécessaire doit émerger de la démesure toujours présente comme un gouffre. La pensée de Midi dont il se réclame présuppose un conflit qui n'aura jamais de fin, puisque le combat est père de toutes choses. Ce qui nous renvoie à ce catastrophisme éclairé que nous impose le chaos contemporain. Contre les progressismes essoufflés et les idéologies aveugles, il importe d'affronter la démesure de notre monde, elle devra être rénovée pour établir une mesure toujours précaire.


Partager cet article
Repost0
6 décembre 2009 7 06 /12 /décembre /2009 10:00
Imitation
du Cavalier Marin


Que Parténice est belle, encor qu'elle soit noire,
C'est le plus digne objet où s'adressent nos vœux,
A l'ébène éclatant qui luit en ses cheveux
L'or, et l'ambre ont cédé l'honneur de la victoire.

Quelle si blanche main, ou d'albâtre ou d'ivoire
De ses liens si noirs peut défaire les noeuds ?
Quelle clarté de teint brille de tant de feux,
Que les ombres du sien n'en offusquent la gloire ?

Qui jamais vit en terre une divinité
Paraître sous un voile avec tant de beauté ?
Qui vit jamais sortir tant d'éclairs d'un nuage ?

Soleil retirez-vous, un autre est en ces lieux,
Un autre qui pourvu d'un plus riche partage,
Porte la nuit au front, et le jour dans les yeux.



Pradier-N-gresse-au-tambourin.jpg
Claude Malleville, 1597-1648. Poésies.(1649)

Partager cet article
Repost0
5 décembre 2009 6 05 /12 /décembre /2009 19:00
Naissance
du XXe siècle          
              



  
                  


Il faut aller voir l'exposition que les Galeries du Grand Palais consacrent à la dernière période de Renoir. Qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente, il faut même s'y précipiter car elle se termine dans quelques semaines. Et parce qu'on y découvrira à nouveau que le talent et l'indépendance d'esprit, conjugués avec une parfaite assimilation de l'héritage du passé, font le meilleur de l'art français.  

On a beaucoup calomnié le dernier Renoir. Il est vrai qu'à partir de 1890, il prend ses distances avec l'impressionnisme, qu'il entre au musée et devient la coqueluche des collectionneurs, qu'il se met en quelque sorte en réserve de la modernité. Mais c'est oublier que Renoir n'a jamais été un impressionniste de la stricte obédience. Son amitié pour Manet, pour Courbet et pour Monet n'a en rien entamé sa volonté de rester libre  et de parcourir un chemin bien à lui. Toute son oeuvre des années 1860 et 1870 en témoigne : si les effets de lumière et la virtuosité des couleurs, traits dominants de l'impressionnisme, sont bien là, la trame du dessin reste parfaitement apparente et le sujet ne s'évanouit jamais complètement sous la couleur. C'est que Renoir est à la fois un peintre de la liberté et un élève de la tradition. Ses maîtres s'appellent Watteau, Fragonard, Ingres, et ce Raphaël, dont il admire les fresques à Rome, et qui lui donne envie de réapprendre la peinture à quarante ans !

Si Renoir donne brusquement cette inflexion à son oeuvre, s'il décide de "rentrer dans le rang", ce n'est aucunement pour tomber dans l'académisme. Il est à la recherche d'une synthèse que la maturité de son art lui permet maintenant d'envisager et de réussir : concilier l'impressionnisme avec le meilleur du passé et avec un certain bonheur de peindre et de vivre. Comme Cézanne, c'est la lumière de la Méditerranée qui lui permet de toucher au but. A partir de la fin des années 1890, il séjourne régulièrement dans le sud, pour s'installer définitivement à Cagnes sur Mer. Il retourne également à l'atelier, au dessin. " Le dessin est l'âme de la sculpture, comme il est l'âme de la peinture" écrit-il, "rien n'aide le goût comme l'habileté de voir vite et de dessiner rapidement. Quand vous avez beaucoup dessiné, que vous pourrez rendre rapidement ce que vous voyez, rien de plus facile que de faire des groupements ou arrangements nécessaires à la décoration". Il cherche enfin, là encore comme Cézanne, à renouer avec ce qu'il y a d'éternel dans l'art, en déclinant inlassablement les mêmes thèmes, à la recherche de cette nature vivante, de ces  êtres de chair et de sang qui le fascinent dans la peinture italienne.

Voici des paysages, tous ou presque inspirés par le sud méditerranéen, voici des scènes mythologiques, où Renoir met en scène sa vision idyllique du monde, voici des figures familières, parents, amis, collectionneurs, et tous ces grands portraits de baigneuses qui révèlent une maîtrise du dessin et une pureté du trait si proche de Ingres. L'art de Renoir n'a plus rien à voir avec celui du "peintre de l'immédiateté", qui caractérisait ses années impressionnistes, il est très construit, très maîtrisé. L'artiste passe des heures devant son chevalet, il corrige, il reprend, il prend l'avis des nombreux amis qui viennent le visiter à Cagnes, sa nouvelle Arcadie. Jusqu'à la nuit, Renoir travaille et peint. Il s'essaie même un instant à la sculpture, à l'occasion d'une rencontre avec le jeune artiste catalan Richard Guino, que lui recommande Maillol. De cette collaboration naîtront des oeuvres d'une grande originalité, dessinant là encore un trait d'union entre l'antique et la modernité.

Ce qui frappe surtout chez ce Renoir tardif, c'est l'empreinte qu'il va laisser sur ses successeurs. Matisse et Bonnard ont régulièrement fait le pèlerinage à Cagnes et passé de longues heures à converser avec le maître. Matisse gardera le souvenir des figures de fantaisie peints par Renoir à la fin des années 1910, dont on retrouvera l'écho dans la série des odalisques qu'il réalise à Nice à la fin des années 1920. Pierre Bonnard partage, quant à lui, avec Renoir le rêve d'une Arcadie classique et ensoleillée qui hante sa première période. Il en est de même pour  Maurice Denis, ami et confident, qui trouve dans la thébaïde de Cagnes avis, encouragements et réconfort. Mais c'est bien sûr chez Picasso que l'empreinte de Renoir est la plus forte. Les nus picassiens du début du siècle, monumentaux, rosés, ont plus qu'un air de famille avec les dernières baigneuses de Renoir. L'expérience des deux artistes est marquée, presque sur la même période, par les mêmes évolutions : retour à l'atelier, au dessin, à la construction, influence de la tradition et dans les deux cas de Raphaël.... Ce n'est pas un hasard si Picasso, qui surnommait Renoir " le pape de la peinture", en a fait, avec Matisse, l'artiste le plus représenté dans sa collection personnelle. Il savait ce que ce "classique" tardif avait de profondément moderne et ce que lui devait l'aventure picturale du XXe siècle.

Sainte Colombe.

 


Renoir au XXe siècle. Galeries nationales du grand Palais. Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 9h30 à 22h, le mercredi de 10h à 22h, le jeudi de 10 à 20h. Jusqu'au 4 janvier 2010.
Partager cet article
Repost0
2 décembre 2009 3 02 /12 /décembre /2009 19:42
Il signor Marsan                      

 

Une sympathique petite maison de livres, l'Editeur singulier, vient de rééditer un bouquet oublié de textes d'Eugène Marsan, parmi lesquels ces Cannes de Monsieur Paul Bourget[1], qui firent, dans les premières années du siècle précédent, le délice des gens d'esprit et des amateurs de forme parfaite. On sait ce que cette revue doit à Eugène Marsan. Il en fut, avec Jean Rivain, le créateur, l'âme vivante et le génie attentif. Il en fut aussi l'aimant, celui qui sut rapprocher les talents, et, par une curieuse alchimie, faite d'amitié et de séduction, "faire lever la pâte". C'est donc par fidélité que nos lecteurs se procureront ce petit recueil. Mais sa lecture les poussera vers d'autres sentiments, l'admiration d'abord, puis le plaisir de découvrir une âme singulière.

Eugène Marsan n'était pas de son siècle et il aurait détesté le nôtre. Son raffinement extrême, sa courtoisie, son immense culture, ses exigences morales, concouraient à faire de lui le type représentatif d'une autre époque. Il avait tout de ces seigneurs italiens, joyeux et  affables, qu'on rencontrait au XVIIIe ou au XIXe siècles dans les rues de Rome, de Naples ou de Florence. Né à Bari, d'une mère italienne et d'un père provençal, Marsan était un vrai latin, esprit léger bien que lesté par deux mille ans de culture, ordonné bien qu'attiré par la fantaisie, curieux de toutes les formes de la vie et de l'intelligence. Il avait aussi un peu de sang espagnol dans les veines et la sensualité cohabitait chez lui avec une certaine mélancolie.

Cet atavisme, sa formation et les admirations de sa jeunesse devait faire de lui un ardent défenseur du classicisme, dans lequel il voyait le fond même de l'esprit français. "Je suis de ceux, écrivait-il, qui refusent de confondre esprit classique et routine. L'esprit classique ne s'oppose pas à la nouveauté. Sans se laisser séduire, il l'appelle". C'est assez dire qu'il ne limitait pas son classicisme au seul dix-septième siècle et que dans ses innombrables articles de la Revue critique, de l'Action française, du Figaro, du Temps ou de l'Echo de Paris, on saluait Carco, Gide, Montherlant, Cendrars, Ramuz, Proust ou Drieu au même titre qu'on honorait Racine, Corneille, Boileau ou La Fontaine. Stendhal était pour lui le modèle absolu, écrivain de la vitesse et de la légèreté, capable d'exprimer, dans une langue simple et superbe, l'exaltation de Fabrice à Waterloo et la nostalgie du consul de Civita-Vecchia.

Il signor Marsan fut aussi l'homme de curieux et de charmants essais sur le costume masculin, la mode féminine, les chapeaux, les cannes et les cigares. Mais ce serait se tromper sur sa vraie nature que de ne voir en lui qu'un être superficiel, une sorte de dandy français. Dans ses goûts littéraires comme dans ses fétichismes de collectionneur, ce qui touchait d'abord Marsan, c'était la beauté et la poésie des choses. Son esthétique était aussi très liée à la vision qu'il avait de l'ordre du monde. Comme l'écrivait son ami, le critique stendhalien Henri Martineau: "s'étant fait l'historiographe de la vie élégante, il a souvent répété que, sans raffinement du ton, des manières et de l'habitation, il ne saurait plus rien exister de cette aristocratie de la pensée qui est le signe le moins douteux de la civilisation".

Nous aurons l'occasion de revenir plus amplement sur l'oeuvre d'Eugène Marsan et de fournir à nos lecteurs l'accès à certains de ses écrits rares. D'ici là, procurerez vous sans attendre ce petit récit où il est aussi peu question de cannes que de M. Bourget, mais où l'on parle de mille autres choses tout aussi intéressantes. Vous ferez le bonheur d'un jeune éditeur méritant et vous compterez vite parmi les lecteurs passionnés d'un grand écrivain.

Eugène Charles.

 


[1]. Eugène Marsan, Quelques portraits de dandy, précédé de Les cannes de M. Paul Bourget. (L'Editeur singulier, 2009, 70 p.)

Partager cet article
Repost0
30 novembre 2009 1 30 /11 /novembre /2009 19:30
Louis XIV                             
Chronographie d'un règne               


de Christophe Levantal
Mis en ligne : [30-11-2009]
Domaine : Histoire

 

Historien, docteur ès lettre et licencié en droit, Christophe Levantal est un spécialiste des institutions d'Ancien Régime, en particulier de l'histoire de la maison de Bourbon et de celle de la haute noblesse française à l'époque moderne, auxquelles il a consacré une dizaine d'ouvrages et de nombreux articles. Ancien rédacteur en chef et fondateur de la revue Études bourboniennes, rédacteur de notices pour le Dictionnaire de biographie française, il est ou a été le collaborateur de plusieurs maisons d'édition.


Christophe Levantal, Louis XIV. Chronographie d'un règne, Paris, Infolio, Juin 2009, 1054 pages.


Présentation de l'éditeur.
Voici l'ouvrage qui vous propose de suivre le Roi-Soleil, au jour le jour, de sa naissance à sa mort. Christophe Levantal a dépouillé les quatre-vingt mille pages de la Gazette de Théophraste Renaudot entre le début de 1638 et la fin de 1715, en a extrait tout ce qui se rapportait au Roi, à ses initiatives, décisions et actions, déplacements, entrevues et rencontres. Il présente le résultat de sa collecte dans des notices chronologiques concises, accompagnées de références précises et enrichies de plus de huit mille notes, tirées non seulement des principaux mémoires de l'époque, mais aussi de sources manuscrites inédites. L'ensemble est complété par un index de près de vingt mille entrées. Cette somme sans précédent est et restera l'instrument de travail indispensable aux historiens de la Cour et du règne de Louis XIV. Aux amateurs, aux passionnés du Grand Siècle, aux curieux, aux poètes, elle offre un très précieux guide à travers Versailles, ses acteurs et ses fastes.

La critique de Thomas Wieder. - Le Monde littéraire, 10 juillet  2009.
Le Roi-Soleil au jour le jour. Que faisait donc Louis XIV le 31 juillet 1666 ? Même si vous êtes un "dix-septièmiste" chevronné, il y a fort à parier que vous donnerez votre langue au chat. Rassurez-vous, on ne vous en voudra pas. Sur l'été 1666, les chronologies sont en effet assez laconiques. Au 29 juillet, elles mentionnent parfois le début des travaux du canal du Midi. Au 6 août, elles ne manquent pas d'évoquer la première du Médecin malgré lui, de Molière. Mais entre les deux, c'est silence radio. Et pourtant... Chacun sait qu'une journée qui n'est pas « historique » n'est pas forcément une journée où il ne se passe rien. Surtout quand on s'appelle Louis XIV. Ce 31 juillet 1666, donc, le roi faisait son métier. Et être roi consista ce jour-là à recevoir à Fontainebleau trois "Turcs" venus d'Alger pour lui présenter deux lions, une autruche et plusieurs autres "curiosités" locales. C'est du moins ce que rapporta la Gazette, dans son édition du 7 août. S'il vous sera désormais possible de briller dans les dîners en ville en racontant cette anecdote, vous pouvez en savoir gré à Christophe Levantal. Ancien rédacteur pour le Grand Dictionnaire encyclopédique de Larousse, auteur d'un monumental "dictionnaire prosographique, généalogique, chronologique, topographique et heuristique" sur les Ducs et pairs et (les) duchés-pairies laïques à l'époque moderne (Maisonneuve et Larose, 1996), cet érudit de 56 ans, qui gagne aujourd'hui sa vie comme expert en livres anciens, a passé huit années à dépouiller la Gazette, l'hebdomadaire fondé en 1631 par Théophraste Renaudot (1586- 1653). Sa recherche n'avait qu'un seul but : traquer les moindres faits et gestes de Louis XIV. Ce qui fait de son ouvrage un outil précieux pour les historiens, et pour les autres une mine d'informations délicieusement insolites. Du 30 janvier 1638, où fut annoncée l'imminence d'une "très heureuse nouvelle" (la naissance du Dauphin aura lieu le 5 septembre), au 26 octobre 1715, quand la Gazette fit le récit du "service solennel pour le repos de l'âme du feu Roy", mort le 1er septembre précédent, ce sont plus de 80 000 pages que Christophe Levantal a passées au crible.L'homme étant, on l'aura compris, du genre obsessionnel, il ne s'est pas contenteé de recopier (ou de résumer) des milliers d'articles. Il a aussi établi un index de 200 pages et rédigé 8410 notes infrapaginales. Des notes d'une précision époustouflantes : ainsi le 28 mai 1695, la Gazette annonçait que le roi avait nommé le sieur d'Argouges au Conseil d'Etat. Or "il s'agit d'une erreur", indique Christophe Levantal. Sur ce point, la note n°5462 est sans appel : cinq sources différentes indiquent que le nouveau conseiller s'appelait Antoine de Ribère... Quand on lui demande pourquoi il a dépensé autant d'énergie pour reconstituer au jour le jour l'agenda du Roi-Soleil, Christophe Levantal répond avec une simplicité désarmante : "J'ai une immense sympathie pour Louis XIV. Il n'y a pas un seul jour de sa vie où il a oublié qu'il était roi. Pas un jour où il ne s'est pas efforcé d'être digne de sa fonction. A ce point, c'est quelque chose d'extraordinaire, non?"

 

Partager cet article
Repost0
29 novembre 2009 7 29 /11 /novembre /2009 10:00
À Hiéron de Syracuse       
vainqueur au célès


L'eau est le premier des éléments
Et l'or brille, entre les richesses
les plus magnifiques
Comme un feu étincellant
au milieu des ombres de la nuit.
Mais, ô ma Muse ! Si tes regards parcourent
en un beau jour le vide immense des cieux,
Ils n'y rencontreront point d'astre
aussi resplendissant que le soleil;
De même, si tu veux chanter des combats,
Tu n'en pourras célébrer de plus illustres
que ceux de la carrière olympique
C'est eux qui inspirent
aux doctes enfants de la sagesse
des hymnes pompeux
en l'honneur du fils de Saturne
Et qui nous rassemblent aujourd'hui
dans le palais fortuné d'Hiéron

Pindare, 518-438 Av. J.C. Olympiques, I. (Traduction Philippe Remacle).


Partager cet article
Repost0

 
Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01
 
Présentation
 

Accueil

Présentation

Manifeste

Historique

Rédaction

Nous contacter

Recherche