Présentation de l'éditeur.
Si l'on veut réellement rassembler la grande majorité des classes populaires autour d'un programme de déconstruction graduelle du système capitaliste (et non pas simplement accroître ses privilèges électoraux), il faut impérativement commencer par remettre en question ce vieux système de clivages fondé sur la "confiance aveugle dans l'idée de progrès", dont les présupposés philosophiques de plus en plus paralysants (du type "parti de demain" — celui de la Silicon Valley — contre "parti d'hier" — celui de l'agriculture paysanne ou de la culture du livre) ne cessent d'offrir depuis plus de trente ans à la gauche européenne le moyen idéal de dissimuler sa réconciliation totale avec le capitalisme sous les dehors beaucoup plus séduisants d'une lutte "citoyenne" permanente contre toutes les idées "réactionnaires" et "passéistes"
L'article de Marc Riglet. - Lire - février 2017.
Solidarité oblige. Désigner un ennemi ne promet pas qu’on le terrasse. Ainsi de la finance avec François Hollande. Mais, avec Jean-Claude Michéa, c’est une autre affaire. De livre en livre, voici le quatorzième, notre philosophe sudiste dénonce le capitalisme, étrille ses idéologues et, peut-être plus encore, ses idiots utiles. Sous le triple patronage de Marx, de Proudhon et de George Orwell, il conduit la critique serrée du mode de production capitaliste, estime ne pas pouvoir distinguer entre le « mauvais » libéralisme – celui qui commande l’exploitation – et le « bon » - celui qui assure nos libertés -, pense qu’une économie du don n’est pas moins « anthropologique » qu’une économie de la concurrence, promeut, enfin, une morale de la common decency – il y a des choses « qui ne se font pas » - dont les dépositaires seraient les « gens ordinaires », ceux que les élites désignent comme des « ploucs », fourriers de ce nouveau spectre qui hanterait le monde : le populisme !
Dans ces registres, Jean-Claude Michéa n’est évidemment pas seul. Mais il est le théoricien le plus érudit, le dialecticien le plus serré, le polémiste le plus cruel et aussi le plus drôle. En outre, sa méthode d’exposition, invariable, est vraiment originale. Un exposé de base – là, l’entretien fait de quatre questions qu’il accorde à « un jeune site socialiste et décroissant, Le Comptoir » - puis seize scolies, chacune assortie d’une vingtaine de notes qui développent la pensée et établissent les sources. Une pensée arborescente, « permettant un mode d’exposition plus dialectique » ou, comme il dit, « si l’on préfère une formule plus jeune, en 3D ».
Une fois reconnu ces qualités, il reste loisible de saluer la force de certains développements et d’être plus réservé sur d’autres. Dans la première catégorie, on retiendra l’utile mise au point sur la distinction entre la gauche et le socialisme. Non seulement l’une n’emporte pas nécessairement l’autre, mais l’histoire du mouvement ouvrier rappelle que ce n’est qu’occasionnellement que le socialisme a estimé devoir avoir partie liée avec la gauche. Dans la seconde, on restera sceptique sur la promesse d’une fin prochaine du capitalisme à raison de la baisse tendancielle du taux de profit. Que la crise du capitalisme s’aiguise, que sa dernière ruse, le welfare state, ait épuisé sa force propulsive, est une chose ; que l’économie du don, l’auto-organisation et l’altruisme soient inscrits à l’ordre du jour, en est une autre, moins établie.
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