Un prince du théâtre Si l'on chante un dieu, Ce dieu nous rend son silence Nul de nous ne s'avance Que vers un dieu silencieux. Rainer Maria Rilke. | ![]() |
Laurent Terzieff est parti vendredi, presque en silence, mais sa voix résonne à nouveau ce soir, haute et ferme, dans nos mémoires. Terzieff, c'est d'abord ce personnage de cinéma si particulier, à qui tout sourit et qui ne sourit à rien, c'est le jeune bohème indifférent des Tricheurs de Carné, le révolutionnaire stendhalien de Vanina Vanini de Rossellini, l'officier désespéré du Désert des Tartares de Zurlini. C'est une pose de dandy superbe qui séduisit et fascina plusieurs générations de jeunes gens. Mais Terzieff, c'est aussi et c'est surtout un certain théâtre dont nous sommes ce soir orphelins. Ce théâtre des brumes slaves, germaniques, anglaises ou irlandaises dans lesquelles il aimait draper sa haute silhouette. Un théâtre de la vérité, où les hommes sont les hommes, jetés par hasard et malgré eux dans ce bas-monde mensonger et atroce, et où la dignité n'est bien souvent qu'au prix de la misère, de la folie ou de la mort. De Tête d'Or de Claudel à Henri IV de Pirandello, de Meurtre dans la Cathédrale d'Eliot à son dernier rôle dans Philoctète de Sophocle, c'est le même personnage que joue Terzieff, c'est l'être complet en proie au tourment et au doute, sous le soleil de son créateur. Terzieff, c'est enfin une voix et un visage. Une voix pure, juste et sûre d'elle-même, celle des grands comédiens, celle aussi des hommes d'église et des professeurs. Et un visage qui portait, dans un curieux mélange, le regard clair de la jeunesse et les stygmates de la mort. Nous n'oublierons ni l'un ni l'autre. Requiem in pace.
Jean du Fresnois .