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23 décembre 2009 3 23 /12 /décembre /2009 23:00
Les affaires
sont les affaires                        

 

                  
     



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La troupe du Français donne, au Vieux Colombier, les affaires sont les affaires d'Octave Mirbeau. Ce n'est pas franchement la meilleure pièce du répertoire et elle vit même très au-dessus de ses moyens. On sait que Mirbeau voulait faire une comédie de caractère sur les milieux financiers du début du siècle dernier. Il arriva tout juste à en tirer une farce, et une farce assez brouillonne. La pièce repose entièrement sur les épaules du personnage principal, Isidore Lechat, petit brasseur d'affaires louches, bourgeois arrivé et content de lui, insatiable lorsqu'il s'agit d'argent et d'un cynisme absolu, venimeux à l'endroit de la religion et de tout ce qui touche à l'esprit. Un curieux mélange de promoteur véreux et de bourgeois gentilhomme, tout enfiévré de ses passions de nouveau riche.

L'homme n'est d'ailleurs pas sans intérêt, et Mirbeau, en creusant un peu, aurait pu en faire mieux qu'une caricature. Lechat, dans un même mouvement, déclare son mépris des pauvres et du peuple, parce qu'il en vient ("les pauvres, ils n'ont qu'à travailler, ils seront moins pauvres"), son amour de la démocratie parce qu'elle le sert, son "socialisme" parce que l'Etat est à lui et sa conviction que le génie de quelques uns fera le bonheur de tous parce qu'il fait partie des happy few. Lechat n'est pas le financier d'envergure, le grand aigrefin, le prince du marché, plein de fiel et de morgue, avec lequel Mirbeau aurait voulu se mesurer. Il est l'ébauche d'un autre caractère, celui de l'agioteur radical-socialiste, moins brillant mais plus répandu qu'on ne le pense, surtout par les temps qui courent, y compris dans les allées du pouvoir et sur les bancs du Parlement. Dommage que Mirbeau n'ait pas su lui donner toute sa dimension.

C'est également dommage qu'il n'ait pas mieux soigné le reste de sa pièce. Les autres personnages - femme, fille, fils, voisins, associés ou domestiques -  disparaissent derrière Lechat, qui les écrase de sa démesure et de sa véhémence. Ils sont d'ailleurs à peine esquissés. L'action elle-même est confuse et l'on passe d'une scène à l'autre sans lien évident entre les évènements. Tous ces défauts peuvent disparaître si la pièce est jouée sur le ton qu'il convient, celui de la farce un peu exubérante, du premier degré, en cherchant à faire rire, comme on peut rire d'une comédie de Feydeau lorsque les personnages semblent pris dans un vent de folie.

Mais ce n'est malheureusement pas le parti qu'a pris le Vieux colombier et le metteur en scène, Marc Paquien. Celui ci a fait le choix d'insister sur le sérieux de l'oeuvre et sur son actualité. "Cette pièce, dit-il, nous surprend peut être encore davantage aujourd'hui qu'hier, tant elle semble pointer du doigt les chocs et les abus qui ont récemment fait ployer notre monde. De nos jours, la figure d'Isidore Lechat se rencontre partout. Patrons de multinationales, hommes d'affaires, spéculateurs et financiers : le pouvoir est définitivement passé entre les mains de ces nouveaux maîtres du monde." Le décalage entre ces nobles ambitions et ce que l'on peut réellement tirer de l'oeuvre apparaît très vite : les caractères, mis à vif, sont plus schématiques encore, la trame plus approximative, l'atmosphère, très noire, jure avec les dialogues faits pour le rire. Mirbeau, auteur bourgeois malgré lui, n'est ni Brecht, ni Armand Gatti.

Ce qui sauve en définitive le spectacle - et qui nous conduit malgré tout à le recommander - c'est l'excellence de l'interprétation. Gérard Giroudon (Lechat) - prodigieux de force et, in fine, d'émotion - occupe tout l'espace. Michel Favory (le Marquis de Porcellet) joue avec beaucoup de justesse l'aristocrate ruiné, victime sans illusions des manigances de Lechat. Claude Mathieu (Mme Lechat) et Gilles David (l'associé) tiennent leurs textes à la perfection. Une mention particulière pour Françoise Gillard (Germaine Lechat), qui redonne à plusieurs reprises de la couleur aux dialogues, en jouant avec conviction et naturel son rôle de fille révoltée et insoumise.

Jacques du Fresnois.


Octave Mirbeau, Les affaires sont les affaires. - Mise en scène de Marc Paquin. Avec Gérard Giroudon, Claude Mathieu, Michel Favory, Françoise Gillard, Nicolas Lormeau, Clément Hervieu-Léger, Adrien Gamba-Gontard, Gilles David et Chloé Schmutz. - Théâtre du Vieux Colombier, Paris 6e (Métro Saint-Sulpice). - Jusqu'au 3 janvier 2009.

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