Les démocraties et la Palestine
M. Obama a fait un discours sans surprise, mercredi dernier, devant l’Assemblée générale des Nations-Unies. On savait que l’Amérique n’accepterait pas la reconnaissance d’un Etat palestinien. On savait même qu’elle y opposerait son veto au Conseil de sécurité. Seul fait nouveau : M. Obama a avoué ne plus croire au rôle des grandes puissances pour imposer la paix au Proche-Orient. Cette paix - si elle doit se faire un jour - ne peut être, selon lui, que le résultat d’une négociation directe entre les deux parties. Traduisez : une négociation entre Israël, que l’Amérique protège, et les Palestiniens, à qui tout est refusé.
On a bien compris que ce n’était pas seulement le président des Etats-Unis qui s’exprimait à la tribune de l’ONU. C’était aussi le candidat à sa propre succession qui parlait pour ses électeurs et pour ses commanditaires. L’Amérique moyenne, qu’il représente, est toujours sous le choc du 11 septembre et elle n’a aucune indulgence pour une cause palestinienne qu’elle assimile facilement au terrorisme. Quant à ceux qui financeront la campagne de M. Obama - grandes banques, pétroliers, multinationales – ils n’ont aucune envie de voir le paysage du Proche-Orient se compliquer davantage. Les évènements d’Egypte et de Syrie les inquiètent suffisamment pour qu’on ne fragilise pas l’allié israélien. Voilà sans doute les vraies raisons du refus américain.
Au début de son mandat, M. Obama s’était pourtant montré attentif au dossier israélo-arabe. Il déclarait vouloir s’affranchir du jeu des lobbies et des préjugés du passé. Il diagnostiquait - et son analyse était assez juste – que le monde ne serait pas en paix tant que ce conflit archaïque et absurde perdurerait, tant que ces deux peuples, victimes de l’histoire, n’auraient ni patrie ni frontières reconnues. M. Obama, plutôt bien élu, pensait pouvoir réussir là où ses prédécesseurs – Carter, Bush senior et junior – avaient échoué. Il lui fallait pour cela du temps et un allié compréhensif en Israël. Il n’eut, malheureusement, ni l’un ni l’autre.
Il fallait aussi que l’Amérique change. Qu’elle accepte de regarder l’Orient avec d’autres lunettes. M. Obama n’a pas su imposer une révolution culturelle à laquelle il ne croyait pas lui-même. Son discours du Caire, chef œuvre de néo-wilsonisme diplomatique, a pu séduire les bobos français, les verts allemands et les gazettes suisses, il n’a convaincu ni Jérusalem, ni Ramallah, ni Beyrouth, encore moins Gaza et Damas. L’Amérique a gesticulé pendant trois ans, jusqu’à ce que le monde comprenne qu’elle n’avait ni vision, ni doctrine au Proche-Orient. Et qu’au fond d’elle-même, elle n’avait rien envie de changer : ni sa façon de voir la réalité, ni sa façon d’agir.
Le printemps arabe et l’initiative de M. Abbas font aujourd’hui tomber les masques. L’Amérique a montré son vrai visage, mercredi soir à New -York. Celui d’un pays crispé, esseulé, empêtré dans ses débats internes et ses difficultés économiques. Le temps de la grande diplomatie, du dialogue avec la Chine, de l’élargissement de l’OTAN, du projet d’un nouveau Moyen-Orient est terminé. L’heure est au décrochage d’Irak et d’Afghanistan, à la remise en ordre des finances et aux premiers bilans. Et puis viendra vite, très vite le moment des élections. L’Amérique a perdu pied au Levant, elle sait que cet échec est durable, sinon définitif, mais ce n’est pas son souci du moment. Si elle garde un pouvoir de nuisance, elle n’est plus en situation de jouer un rôle moteur en Palestine.
L’initiative peut-elle venir d’ailleurs ? De la France et de ses partenaires européens ? M. Sarkozy a tenté de nous le faire croire. Il est monté à la tribune des Nations-Unies muni d’un plan et d’un processus de transition. Ses méthodes expéditives ont malheureusement tout gâché. Le plan, mal étudié, ultime avatar des accords d’Oslo, n’a pas suscité d’intérêt. Pour soutenir son plan, le chef de l’Etat s’est réclamé d’un groupe de contact qui n’existait que sur le papier, d’appuis européens qui n’ont jamais été donné et d’engagements israéliens que Tel-Aviv s’est ingénié le jour même à démentir. Quand au processus de transition, il a provoqué plus de sourires que d’approbation : le statut d’Etat observateur proposé par M. Sarkozy fait partie des lots de consolation que M. Abbas est sûr d’obtenir de l’assemblée générale de l’ONU, à défaut de la reconnaissance pleine et entière de la Palestine ! Pourquoi négocier quelque chose que l’on a déjà en main ?
La presse internationale a sévèrement accueilli l’initiative du président français. Elle a souligné son amateurisme. Elle a mis aussi en évidence les considérations de politique intérieure qui l’ont motivée. M. Sarkozy vient d’apprendre à ses dépens qu’il ne suffit pas d’envoyer des avions en Libye et de prendre des bains de foule à Tripoli pour avoir une politique arabe. Si ses propositions n’ont pas été bien reçues par M. Abbas, c’est qu’on soupçonne aussi Paris de pêcher en eau trouble : les connivences du pouvoir avec les exaltés du CRIF, les liens d'amitié entre MM Sarkozy et Nétanyaou, l'influence de la droite israélienne au sein du gouvernement et de l’UMP, sont bien connus des dirigeants palestiniens qui n’accordent au chef de l’Etat qu’un crédit limité.
C’est dommage. La France disposait de quelques bonnes cartes que des dirigeants plus habiles auraient pu faire fructifier. Elle aurait pu fédérer autour d’elle l’ensemble des pays européens favorables à la reconnaissance d’un Etat palestinien, elle aurait pu faire rentrer dans son jeu le Royaume uni, la Russie, la Chine, voire d’autres grands pays comme le Brésil ou l’Argentine. L’Amérique n’en serait apparue que plus isolée. Les Palestiniens auraient gagné l’appui d’un groupe d’Etats puissants, déterminés à faire valoir leurs intérêts vis-à-vis d’Israël. Autant d’occasions gâchées, par absence de volonté et de vision de l’avenir. Et parce que chez nous aussi, comme aux Etats-Unis, le bonneteau électoral s’invite au programme des réjouissances de 2012.
Le 23 septembre, M. Abbas a déposé sur la table de l’ONU la demande officielle de reconnaissance d’un Etat palestinien. Il a décidé de ne pas dévier de ses objectifs, malgré le veto américain, malgré les menaces israéliennes, malgré les sollicitations françaises. Même si sa démarche ne débouche que sur un statut d’Etat observateur, la cause de la Palestine aura progressé et elle aura gagné en visibilité aux yeux du monde. M. Abbas regrettera sans doute le peu de soutien qu’il a reçu des pays européens mais il mesure mieux leurs contraintes, leurs divisions et leur relative paralysie diplomatique. L’Occident a-t-il toujours les moyens d’imposer ses vues en Palestine ? Rien n’est moins sûr. Voilà une réalité qui n’échappera pas longtemps aux dirigeants du printemps arabe.
François Renié.