palma de mallorca | ||
J'habite dans Palma la fonda de Majorque Où je m'endors dans un grand lit à baldaquin, D'héraldiques dessins ornent les hautes portes, L'air bleu fait palpiter les palmiers du jardin. La demeure est immense où chaque pas éveille L'écho des longs couloirs dallés, puis brusquement C'est la terrasse avec des pigeons et des treilles Et l'enfilade encor de clairs appartements. La vie est alentour large et patriarcale, Avec les mœurs, avec les meubles de jadis, Et chaque jour ramène à la table frugale Les faïences à fleurs et les fruits du pays. Je voudrais vivre là, par les chaudes journées Où brûle le soleil comme un morne brasier, Ou la mer est en feu, où de rares bouffées Viennent avec le soir; j'y ferais disposer, Au fond des corridors sonores et pleins d'ombre Où la fenêtre ouverte éblouit de soleil, Quelque fauteuil léger qui me berce et m'endorme Par les après-midi de flamme et de sommeil. | ||
henry muchart (1873-1954). Les Balcons sur la mer (1901). |
en l'honneur de la vigne | ||
La Muse doit chanter dans les temps où nous sommes Les lourds muscats gonflés de soleil et d'arômes, Le Banyuls parfumé comme un rayon de miel, Les vignobles puissants de la plaine et des côtes Et les grenaches noirs de nos collines hautes Que le vent de la mer givre d'un peu de sel. Tant que l'âme de notre race n'est pas morte, La treille hospitalière, au-devant de la porte, Doit balancer son ombre heureuse et ses fruits mûrs, Enguirlander les puits où l'eau s'égoutte et chante Et festonner les toits dont la tuile éclatante Fait de roses lueurs sur le revers des murs. De la riche Salanque aux plateaux de Cerdagne, Les grands mulets, le long des routes de montagne, Sous les pompons de laine et les grelots tintants, Doivent porter, comme autrefois, aux flancs des outres, Vers les mas aux plafonds blanchis barrés de poutres, Les vins rouges et les rancios étincelants. Et les fils de nos fils doivent goûter encore, Quand l'automne rougit les pampres ou les dore, L'Ivresse de septembre et ces immenses soirs Qui teignent de reflets les montagnes neigeuses, Ces soirs hâtifs, emplis de voix de vendangeuses, De parfums de raisins et de bruits, de pressoirs. Chaude liqueur, sang de la terre catalane, Gloire du vigneron que le soleil basane, Réconfort des blessés, Banyuls, présent des dieux, Dore-toi lentement dans les caves profondes, Allume tes rubis et tes topazes blondes Et rends-nous l'âme forte et grave des aïeux ! | ||
henry muchart (1873-1954). Les Fleurs de l'arbre de science (1913). |
l'âme catalane | ||
A mon cousin Pierre Camo. Nous sommes, tous les deux, fils d'une race ancienne Et les mêmes aïeux lointains nous ont transmis Ce goût de la lumière et cette âme païenne Que l'ombre des faux dieux n'aura pas obscurcis. Avec l'hérédité des ancêtres nomades Qui se guidaient, la nuit, aux étoiles du ciel, Il te faut — balancés dans la courbe des rades Des vaisseaux étrangers partant pour l’Archipel. Tu mêles au souci de la pureté grecque, Cet éclat sarrasin qui te demeure cher Et, dans les chauds vergers, tu cueilles la pastèque Dont l'écorce est brûlante et si fraîche la chair. Tu te promènes « Au jardin de la sagesse » Avec le cœur voluptueux et sans ennuis, Avec l'esprit ingénieux et la mollesse Des califes persans des mille et une nuits. Puis, dans le magnifique exil de l’île australe, Pareil à du Bellay sur le Tibre latin, Tu regrettes le toit de la maison natale, Et son accent n'est pas plus touchant que le tien. — Je sens qu'en moi l'âme autochtone prédomine, Romarin des coteaux au parfum sensuel Qui pousse, entre les rocs, sa vivace racine Et donne un goût sauvage à la douceur du miel. Il me faut le détail exact et réaliste, Les horizons étroits que la mer élargit Et que, flore d'Afrique entre des caps de schiste, Décorent des cactus ouvrant leur fruit rougi. Mon art, que je ne veux ni trop pur ni trop rare, Se satisfait des bigarrures de couleurs, De la verroterie et du clinquant des fleurs, Et des autels dorés, lourds d'un faste barbare. - Ainsi nous chanterons le pays catalan, Sa volupté candide et sa rudesse ardente, Ses maigres tamaris que l'ouragan tourmente, Le beau repli qu'y fait la vague en s'en allant, Son double aspect de force et de grâce sereine ; Et nous boirons de vieux « Cosprons » étincelant En écoutant —- au pied d'un ermitage blanc — Chanter - sous le platane — une fraîche fontaine. | ||
henry muchart (1873-1954). Les Balcons sur la mer (1901). |