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8 novembre 2010 1 08 /11 /novembre /2010 11:30
C'est une chose étrange
à la fin que le monde             
 
de Jean d'Ormesson
Mis en ligne : [8-11-2010]
Domaine : Lettres 
ORMESSON--d---Jean-copie-1.gif

 

Jean d'Ormesson, né en 1925, est romancier et essayiste.  Elu à l'Académie française en 1973, il est également éditorialiste au Figaro. Il a récemment publié La Création du monde (Robert Laffont, 2006), Odeur du temps (Editions Héloïse d'Ormesson, 2007), Qu'ai-je donc fait (Editions Héloïse d'Ormesson, 2008), L'enfant qui attendait un train (Editions Héloïse d'Ormesson, 2009), Saveur du temps (Editions Héloïse d'Ormesson, 2009).   

  


Jean d'Ormesson, C'est une chose étrange à la fin que le monde, Paris, Robert Laffont, août 2010, 313 pages.


Présentation de l'éditeur.
Qu'est-ce que la vie et d'où vient-elle ? Comment fonctionne l'univers? Pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? Des mathématiciens aux philosophes grecs, à Einstein et à la théorie des quanta, en passant par Newton et Darwin, voilà déjà trois mille ans que les hommes s'efforcent de répondre à ces questions. L'histoire s'est accélérée depuis trois ou quatre siècles. Nous sommes entrés dans l'âge moderne et postmoderne. La science, la technique, les chiffres ont conquis la planète. Il semble que la raison l'ait emporté. Elle a permis aux hommes de remplacer les dieux à la tête des affaires du monde. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Dieu est-il à reléguer au musée des gloires étrangères et des puissances déchues ? La vie a-t-elle un sens ou est-elle une parenthèse entre deux néants? Est-il permis d'espérer quoi que ce soit au-delà de la mort ? Avec les mots les plus simples et les plus clairs, avec une rigueur mêlée de gaieté, Jean d'Ormesson aborde de façon neuve ces problèmes de toujours et raconte au lecteur le roman fabuleux de l'univers et des hommes.

Article de Franz-Olivier Giesbert.
Le Point, 26 août 2010
.
Jean d'Ormesson, l'homme qui "doute en Dieu". C'est toujours quand on croit l'avoir percé qu'on a cessé de le comprendre. Depuis des décennies, j'allais dire des siècles, Jean d'Ormesson est l'incarnation vivante de l'esprit français, sa quintessence exquise, qu'on lit comme on boit du champagne et qui pétille dans la tête. On l'a rangé à jamais dans la catégorie des écrivains joyeux, ce qui n'est pas tout à fait exact. Mais bon, c'est toujours mieux que d'être relégué dans le tiroir réservé aux rasoirs ou aux austères. Frappé de cette estampille, il poursuit avec son éternel sourire une conversation ininterrompue avec ses lecteurs. C'est l'avantage de l'écriture : personne ne peut vous couper le sifflet. En l'espèce, on aurait bien tort de le lui couper. De livre en livre, Jean d'Ormesson se bonifie et prend de la hauteur. Son dernier opus, C'est une chose étrange à la fin que le monde, relève du tour de force. Il ose tout. Il se met dans la peau de Dieu, ni plus ni moins, et nous raconte carrément le roman du monde. Des idées, surtout, et puis aussi des sciences et des systèmes philosophiques. On pourrait y voir la marque d'une boursouflure terminale d'académicien statufié, mais non, l'auteur mène cette titanesque entreprise sans enflure ni moulinets, avec la vraie modestie des vrais érudits. Si la culture est ce qui reste quand on a tout oublié, alors il s'agit là d'un monument à sa gloire.
Chez l'homme, le bureau de travail dit tout : notre vérité est toujours dessus, impossible de se cacher derrière. Ainsi celui que Jean d'Ormesson a longtemps occupé à l'Unesco, où il officia comme secrétaire général du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines : son foutoir a longtemps fait le bonheur des photographes. Il trahissait le lecteur boulimique, le dévoreur compulsif de livres et de revues comme l'exigeante Diogène, dont il fut le rédacteur en chef. Il y a donc quelque chose de profondément sincère dans la démarche de C'est une chose étrange à la fin que le monde, toute sa vie est là pour le prouver. En exergue de son livre, il aurait pu mettre cette belle formule d'Oscar Wilde, qu'il cite : "Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d'entre nous regardent les étoiles." Non seulement Jean d'Ormesson les regarde, mais en plus il voit les galaxies et même le big bang derrière. Il se sent donc infiniment petit et remet sans cesse l'humanité à sa place, manie de philosophe postsocratique. Certes, elle a entre 200 000 et 300 000 ans d'âge, mais qu'est-ce au regard des 3 milliards d'années de vie sur la Terre ou des 13 milliards et plus d'existence de l'Univers avant nous ? Il y a ceux qui ne veulent pas entendre parler de cela et ceux qui en ont conscience du matin au soir. D'un côté, les vaniteux, les imbéciles et, de l'autre, tous ceux dont ce livre entend élargir encore le cercle.
Jean d'Ormesson dit avoir eu envie d'écrire cet essai, présenté drôlement comme un roman, un jour d'été, sur une côte méditerranéenne : alors que, "fragment du paysage", il sortait de la mer, où il avait nagé "dans une espèce de ravissement", il s'est demandé, soudain, assis sur un tronc mort, ce qu'il fichait là. Le monde était devenu une question : pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? Dans cette brève histoire de nos croyances, il répond par un credo, mais un credo à la saint Augustin, qu'il cite au demeurant trois fois, signe qui ne trompe pas : "credo quia absurdum" ("je crois parce que c'est absurde"). A la fin du livre, il résume sa pensée en deux magnifiques ormessonismes : "Je doute de Dieu parce que j'y crois. Je crois à Dieu parce que j'en doute. Je doute en Dieu." Et cet autre : "A la fin de ce monde et du temps (...), il n'y aura plus que ce rien éternel qui se confond avec tout, dont le monde est sorti, où il retournera, et que nous appelons Dieu." Entre-temps, Jean d'Ormesson aura fait défiler tous ceux qui ont fait ce que nous sommes dans nos têtes : Homère, Socrate, Newton, Darwin, Einstein et quelques autres. Même si on peut regretter qu'il expédie Nietzsche un peu vite ou qu'il ne s'attarde pas trop sur Spinoza, il reste que son livre, plein de gaieté, de gratitude, de nostalgie, fait du bien et même, comme aurait dit Giono, un plein bon Dieu de bien. Jean Giraudoux, rappelle-t-il, affirmait : "Rien n'est plus vieux que le journal du matin et Homère est toujours jeune." C'est pourquoi l'auteur de C'est une chose étrange à la fin que le monde est sans doute le plus vert de cette rentrée littéraire.
 
Article de Bruno Frappat. La Croix, novembre 2010 .
De la joie d'être. Cela s’appelle « roman ». Évidemment, ce n’est pas un roman. Jean d’Ormesson, pirouettant et malicieux, s’en explique au bout de cent soixante-six pages : «L’Univers tout entier, avec tout ce qu’il contient, est un roman fabuleux. C’est pour cette raison, et non pour attirer le chaland, que les pages que vous lisez se présentent sous la rubrique : roman. » Admettons. Car, de la part de Jean d’Ormesson, on peut tout admettre dès lors que ce prince charmant du plaisir des mots (et, en l’occurrence, de Dieu) répand autour de lui une liesse d’exister, une admiration pour toute chose. Plaisir de lire, d’apprendre, de réapprendre, d’avoir l’illusion de comprendre, jovialité au bord des mystères, main qui nous tient au-dessus du vide et nous protège des «vertiges» : tout d’Ormesson est dans ce livre aisé et profond.
Mais alors, si ce n’est pas un roman, qu’est-ce donc ? Nul ne peut le dire en enfermant cette promenade sous le soleil dans un étiquetage. Ce n’est pas un essai : pas assez structuré. Ce n’est pas un livre de souvenirs : peu d’anecdotes. Ce n’est pas un pamphlet : trop gentil. Des pages de journal intime ? Peut-être, mais il se garde de le dire. Une méditation ? Parfois. Une sorte de Conférence du Figaro, plaisante aux yeux d’un public acquis d’avance ? Il y a de ça, mais pas que… Finalement, au risque d’être impertinent vis-à-vis de notre académicien national, on risquera cette comparaison : le dernier livre de Jean d’Ormesson ressemble aux Histoires de l’Oncle Paul qui ont réjoui notre jeunesse. L’Oncle disserte, raconte, étale sa science universelle sans cuistrerie. Et nous, neveux aux mines ébahies, nous le suivons avec délice dans cette randonnée philosophique.
N’oublions pas : Jean d’Ormesson a dépassé les quatre-vingt-cinq ans et il est agrégé de philosophie. Toute sa vie, et toute son œuvre, il aura été marqué par cette matrice culturelle dans laquelle ont baigné à leurs débuts les élèves de Normale Sup. Ce sont de grands liseurs. Ils s’intéressent à tout. Ils ont appris beaucoup de choses sur tout et sur rien. Ils ont toujours dix citations à portée de discours. Ils savent écrire, sont diserts. Dès lors qu’ils avancent en âge, tout ce qu’ils ont engrangé représente une somme, un trésor dont on s’approche, modestement, mais avec délices. Parmi tous ces khâgneux, Jean d’Ormesson a de longue date fait la preuve qu’il était l’un des plus délicieux. Dès lors, tout coule de source et il nous mène dans ses bateaux avec une humeur égale.
Talent particulier de notre écrivain multifonctions : il épate toujours par sa joie de vivre, d’écrire et par l’un des quatre sentiments dont il fait état aux approches de la fin de son parcours terrestre : l’admiration. Il admire tout, aime tout, ne regrette rien. Il est lucide. Il sait qu’il aura été un privilégié, qu’il a eu une chance folle, né dans la soie, nourri du meilleur de la culture, amoureux du beau, protégé du laid.
Très bien, mais, au fait, de quoi est-il question dans cette histoire de l’Oncle Jean ? De tout, figurez-vous. De toutes les questions qu’un esprit affûté pose et se repose en voyant approcher le terme de ses jours. Du sens de la vie, de la formation de l’univers, des pourquoi et des comment que tous les hommes de science et tous les philosophes ont creusés depuis que l’homme, sur Terre, est en âge de penser. De tout ce qu’un adolescent anxieux se pose comme tourments : la vie, la mort, l’amour, Dieu. Tout, on vous dit. Comme le grand adolescent en question est gai, talentueux, limpide dans l’expression, le lecteur glisse avec bonheur, grâce à lui, sur le fleuve des grands questionnements.
Dieu – appelé « le Vieux » au début du livre – est présent à chaque pas de cette promenade. D’Ormesson se dit, à certains moments, agnostique : il ne sait pas. Ce n’est pas qu’il Le refuse (il serait athée), non c’est qu’il n’est ni pour ni contre, ne l’ayant jamais rencontré. Et puis, vers la fin du livre, quand même, cette remarque qui ne relève pas seulement de la jonglerie avec les mots : « Je doute de Dieu parce que j’y crois. Je crois à Dieu parce que j’en doute. Je doute en Dieu. » Et plus loin, à trois pages de la fin, cette confidence encore plus levée : « Je ne sais pas si ce livre est bon, ni s’il aura changé, si peu que ce soit, les lecteurs. Il m’a changé, moi. Il m’a guéri de mes souffrances et de mes égarements. Il m’a donné du bonheur, une espèce de confiance et la paix. Il m’a rendu l’espérance. »
Ne lui demandez pas de se livrer plus. Son parcours dans l’histoire de l’Univers, dans celle de la science et de la philosophie, ses vertiges sur l’avant-big bang, sa randonnée dans les immensités de la beauté terrestre et artistique, sa foi en l’écriture, de Gilgamesh à Aragon (dont un vers donne son titre à l’ouvrage), son absence d’illusions sur les pouvoirs qui tous finissent en ruines, sa connaissance du fait que toute œuvre périra (la sienne, la nôtre) quand le Soleil aura englouti la Terre et tout projet humain, sa connaissance du passé, sa gourmandise du présent, son incertitude tranquille de l’avenir, tout cela, et le reste, donne à Jean d’Ormesson une force et un allant entraînants. Pas optimiste, pas pessimiste : ce n’est pas son sujet. Il ne cesse de rendre grâce d’avoir vécu. Voilà un livre simple et requinquant. 

 

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