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5 octobre 2009 1 05 /10 /octobre /2009 19:29
Pars Theologica                     
logique et théologique chez Boèce

par Axel Tisserand
Mis en ligne : [5-10-2009]
Domaine : Idées


Axel Tisserand, né en 1959, philosophe et journaliste, est un spécialiste de l'histoire des idées. Il a récemment publié : Dieu et le Roi, correspondance entre Charles Maurras et l'abbé Penon. (Privat, 2007, 751 pages).


Axel Tisserand, Pars theologica, logique et théologique chez Boèce - Paris, Vrin, décembre 2008, 480 pages.


Présentation de l'éditeur

Né, sans doute à Rome, vers 476 après J.-C. et mort supplicié à Pavie en 524, Boèce, surtout connu pour ses traductions et commentaires des traités logiques d'Aristote et sa Consolation de Philosophie, écrite en prison, est également l'auteur de cinq traités théologiques, dont la place exacte dans l'ensemble de l'oeuvre reste à définir. Faut-il continuer de camper le portrait d'un Boèce en quelque sorte schizophrène ou peut-on découvrir un lien plus intime entre le commentateur néoplatonicien et le théologien chrétien et dégager ainsi un axe qui modifierait en profondeur la perspective à la fois méthodologique et philosophique de l'entreprise ? D'où les questions auxquelles tente de répondre l'ouvrage : en quoi la conception aristotélicienne de la philosophie spéculative influence-t-elle la constitution chez Boèce de la théologie comme pars theologica ? Quelle place y occupe la logique et quelle articulation observer entre les héritages patristique et philosophique ? Boèce ne se conçoit-il pas comme un nouvel Aristote, l'Aristote de la théologique chrétienne, et si oui ne convient-il pas de voir en lui, plus encore qu'un théologien, un théologicien ?


Critique de Gérard Leclerc - Royaliste, n°947 du 4 mai 2009.

Boèce, l'ambition de l'intelligence. Que peut nous apporter dans notre vingt-et-unième siècle commençant, un auteur qui vécut aux cinquième et sixième siècles de notre ère, dans un univers politique et culturel bien différent du nôtre ? À peu près rien, répondraient sans doute les esprits forts, persuadés que la modernité nous a propulsés dans un espace qui nous rend étrangers à des modes de pensée précritiques, voire théologiques. Et pourtant, quelles que soient les options d’un chacun, on ne perd jamais son temps à tenter de comprendre ce qui nous a précédés et sans doute explique ce que nous sommes aujourd’hui. Après tout, en dépit de nos prétentions et de l’incontestable avancée du temps, nous continuons à nous débattre avec nos héritages les plus anciens, constatant que les limes culturels multiséculaires sont tenaces et que nous sommes tributaires des grands penseurs de la Grèce et des docteurs de l’Antiquité tardive. Et de ce point de vue, Boèce offre un intérêt particulier, se situant à l’intersection des premiers et des seconds, concentrant toutes ses énergies à prolonger l’empire romain défait et à assumer l’étonnant défi de la rencontre de la philosophie et du dogme chrétien.

L’historien des idées qu’était Jacques Chevalier désignait Boèce comme « le premier des penseurs médiévaux et le dernier des Romains. » Il lui reconnaissait aussi le mérite considérable d’annoncer le Thomas d’Aquin du treizième siècle avec son projet de rendre compte de la cohérence intellectuelle de la Révélation chrétienne en se servant de l’instrument aristotélicien. Bien sûr, l’Aquinate rencontrera Aristote grâce à des intermédiaires plus proches et son étonnante synthèse devra tout à son génie singulier. Mais le rapprochement avec son prédécesseur lointain n’en est pas moins précieux, d’autant qu’il s’en reconnaît l’héritier pour l’élaboration d’une notion aussi capitale que celle de personne. C’est en vertu de ce lien, que j’entendis parler de Boèce durant mes études, ignorant l’homme et le penseur qu’il avait été. Axel Tisserand est venu au secours de mon ignorance, pour m’instruire de la façon la plus précise de l’itinéraire et de l’oeuvre du personnage. J’avais déjà rendu compte de sa traduction et de sa présentation publiées des Traités théologiques [1]. Mais avec la publication de sa thèse, nous sommes désormais en possession du dossier intégral qui permet de comprendre l’origine de sa recherche.

Je persiste, en effet, à prétendre que cet enjeu dépasse la pure érudition universitaire, pour nous engager dans une réflexion qui nous touche dans nos soucis les plus actuels. La question de l’héritage est inépuisable, surtout en période de mutation historique accélérée. Même si l’aspect proprement politique n’est pas ici abordé, il n’en est pas moins sous-jacent à la problématique des échanges intellectuels entre tradition romaine et tradition grecque, dans la perspective tracée par un Cicéron. Il l’est aussi dans le développement de la sagesse ancienne modifiée par le christianisme, conformément aux formidables intuitions d’un Augustin d’Hippone.

Axel Tisserand montre en premier lieu le prodigieux effort de Boèce pour traduire le plus exactement possible en latin les exigences conceptuelles de Platon et d’Aristote et de leurs grands commentateurs, Porphyre en tête. Son extrême rigueur déclarée est à la mesure d’une ambition intellectuelle dont la seule limite est sa faiblesse à rendre compte du mystère divin. Mais, même infirme, la rationalité est sans prix, car nous ne possédons pas d’autres moyens d’accès au vrai. Donc tout le travail considérable de traducteur et d’interprétation constitue un préalable obligé à la théologie. Augustin dans son traité sur la Trinité avait indiqué la voie que Boèce poursuivra avec plus de systémacité encore. Il faut ajouter que les Pères grecs ne sont pas indemnes de cette élaboration que des polémiques tardives voudront identifier avec la seule tradition latine.

Philosophe de métier en quelque sorte, l’auteur De la consolation de Philosophie (son ouvrage de la fin écrit en prison, alors qu’il est condamné à mort et se prépare à l’exécution) est aussi théologien. Non reconnu comme Père de l’Église, il n’en est pas moins l’un des acteurs essentiels de la lutte au service de l’orthodoxie, à l’heure des grandes hérésies trinitaires et christologiques. Apparemment, il continue à s’exprimer en philosophe, avec des concepts aristotéliciens. Mais il le fait à partir de la foi qu’il revendique hautement. « Partie de la philosophie spéculative, la théologique est le point de rencontre de la foi et de la raison, et cette rencontre l’intéresse en tant que telle, parce qu’elle est l’image de l’homme même, mais assumé par Dieu. » On saisit par-là la sottise journalistique contemporaine qui ne cesse d’employer le mot théologie en un sens dévalorisant, comme s’il s’agissait d’un mode inférieur de la pensée, figé dans l’affirmation obtuse de vérités cadenassées. Alors que c’est tout le contraire. Boèce en fait la démonstration : il n’est capable de se saisir des données de la Révélation que parce qu’il est en possession des instruments les plus élaborés de la Raison. Et cette dernière est sollicitée vers le haut, de telle façon qu’elle devient capable de mieux appréhender ce qu’il en est du mystère de l’homme et de sa personnalité.

C’est en effet la réflexion sur la double nature du Christ et les relations trinitaires qui permettent à Boèce d’élaborer la notion de personne qu’il définira comme « une substance individuelle de nature rationnelle. » A priori une telle définition paraît proprement philosophique et aristotélicienne. Mais il faut prendre garde que c’est à partir du mystère de la personne du Christ qu’elle s’est formée et qu’ainsi elle est du côté de la transcendance de Dieu. Ce qu’elle a d’absolument unique et non instrumentalisable, lui vient d’une ressemblance plus haute. C’est bien là ce que Pierre Boutang appelait la modification chrétienne, qui sans abolir le socle essentiel de la rationalité humaine, apparentait l’homme au mystère insaisissable de Dieu.

 


[1]. Boèce – Traités théologiques, présentation et traduction par Axel Tisserand, (2000, éditions Garnier Flammarion, 2000). Voir Royaliste n° 753.


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