aux paysages de france
|
||
Pour Adrien Mithouard.
Je voudrais infléchir le contour de mes phrases Selon vos coteaux modérés ; Je voudrais que parmi mes chansons incertaines Passe l'écho précis et vif de vos fontaines Sans rien qui soit exaspéré. Je voudrais que l'odeur de la terre mouillée, Cette odeur de vanille et de feuilles rouillées Qui, lorsque la pluie a pris fin, Monte le long des chemins creux qu'elle parfume S'élève aussi des mots qui tombent de ma plume Et leur donne un arôme sain. Paysages français de grâce et de mesure Je suis semblable au trèfle, à la flouve, à la mûre, A la glycine, au pampre mol ; J'ai besoin du conseil constant de vos collines Et la sève qu'il faut pour nourrir mes racines Ne se trouve qu'en votre sol. J'aime voir reflétés dans les vasques pensives Vos ciels qui n'ont jamais de teintes excessives, Vos ciels ni trop bleus ni trop gris Où les nuages doux qui glissent en silence, Sachant la vanité de toute violence. Vont selon le chemin prescrit. Paysages amis, si les sonnets me plaisent, C'est que ce sont un peu des parcs à la française Passionnés et réfléchis Et je n'ai pas besoin des fontaines complices Pour retrouver en vous comme un nouveau Narcisse Mon propre reflet réfléchi. Paysages si clairs et si fins où je passe, Vous êtes le miroir persistant de ma race Et vos conseils m'ont fait savoir Qu'entre les Vérités qu'on rencontre au passage La Vérité française a le plus beau visage Et que l'orgueil est un devoir. |
||
René Chalupt (1885-1957). La Lampe et le miroir (1911).
|
renaissance
|
||
Les nénuphars mouraient, très lentement, d'ennui ; Les cygnes noirs, saisis d'un frisson dans la nuit Au petit jour ont fui par l'écluse entr'ouverte. Dans le canal stagnant que leur troupe déserte A l'aube, quand les cygnes noirs se sont enfuis, De blancs cygnes de jour et de lumière ont lui Repeuplant à leur tour la rivière déserte. Les vieilles ont sorti des bahuts leurs atours Et les ont revêtus pour fêter le retour De la sève de vie en leurs débiles veines. Les nouveaux nénuphars, sur l'eau, ne sont pas morts Et les vaisseaux dormant oubliés dans le port Ont fait voile au matin vers des Iles lointaines. |
||
René Chalupt (1885-1957). La Lampe et le miroir (1911).
|
extrême-orient
|
||
Pour Albert Roussel.
Parmi les nénuphars éclos,
Ma jonque vogue au fil de l'eau Vers le pays du Matin-Calme ; Dans le clair de lune étonné, La brise choque et fait sonner Les tiges flexibles des palmes. Des pagodes aux toits pointus Sur le rivage et des lotus Mauves, blancs, jaunes, écarlates Comme mis là pour un couvert Dans la distance prennent l'air De tasses sur leurs feuilles plates. L'heure sonne au gong de métal ; J'ai quinze boutons de cristal Sur mon immense robe à queue ; Des dragons flamboient sur les pans Et, douce, une plume de paon Frissonne sur ma toque bleue. J'ai mes ongles dans des étuis ; Du thé blond s'évapore et luit Sous les lanternes polychromes. Je rêve, je suis mandarin ! Ma jonque est pleine de marins Qui chantent.... l'air nocturne embaume. Je sens que je suis plus changeant Que les étincelles d'argent Que sur les vagues mon œil guette Et mon cœur léger qui sourit Est plus sec que ce grain de riz Que je mange avec des baguettes. |
||
René Chalupt (1885-1957). La Lampe et le miroir (1911).
|