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4 janvier 2011 2 04 /01 /janvier /2011 13:42
Le duc de Guise                                           
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Puisqu'il faut clore le soixante-dixième anniversaire de 1940, donnons la parole à Bernanos. Sa voix, ses mots, seuls, peuvent nous permettre de regarder en face ce passé terrible qui, aujourd'hui encore, ne passe pas.  Le beau texte qui suit  a été publié par le quotidien brésilien O Jornal, le 12 septembre 1940, sous le titre "O Duque de Guise". C'est en des termes particulièrement émouvants que Bernanos évoque, du fond de son exil brésilien, la Maison de France, source de fidélité, de dignité et d'espérance après l'effroyable désastre. A l'image du vieux Prince qui s'incline puis disparait avec noblesse devant le destin de son pays succède celle du jeune prétendant, porteur des aspirations d'une France neuve, débarrassée de ses barbons et de ses vieillards précoces. C'est ce cycle d'espérance qu'il faudra un jour faire revivre pour que "le peuple le moins pharisien du monde" retrouve les chemins de son destin.
La Revue Critique .
 
Septembre 1940.

La mort de Mgr le duc de Guise a eu la simplicité et la dignité de sa vie. L'historien passionné de l'Armée française ne pouvait guère souhaiter survivre à la déroute des régiments illustres, incontestablement les plus anciens et les plus glorieux de l'Europe, à la fuite mystérieuse, incompréhensible, spectrale, des drapeaux légendaires le long de toutes les routes de France. Peut-être avait-il prévu se désastre, mais il ne pouvait pas l'attendre, il ne pouvait y conformer son coeur. Comme la plupart des princes de sa Maison, il était de formation et d'humeur libérales, modéré par goût, mais aussi par devoir d'Etat, par vocation royale, car le premier dessein de nos princes - Orléans ou Bourbon - , et on peut dire leur constante obsession depuis 1793, a été de refaire chez nous l'unanimité prodigieuse des Fêtes de la Fédération - brisée quelques mois plus tard, hélas ! -, de réconcilier les Français. "Ensemble et quand vous le voudrez, disait Henri V vers 1875 aux ouvriers parisiens, nous reprendrons le grand mouvement de 1789." Il est certain que l'expérience de nos discordes et le souvenir du mal qu'elles avaient fait à son pays devait développer chez Mgr le duc de Guise une indulgence naturelle, si dépouillée de toute amertume, qu'elle pouvait passer pour de la résignation. Mais notre déroute était le seul malheur auquel il était incapable de se résigner, et qu'il n'avait pas le droit d'absoudre. Cette catastrophe démesurée, ce drame hagard, était fait pour briser une âme haute et fière, un coeur discret, silencieux. Le vieux Prince lui a néanmoins survécu quelques semaines, comme pour témoigner ainsi qu'il ne refusait pas de le regarder en face, qu'il ne lui faisait pas baisser les yeux. Puis il est rentré dans la mort, comme dans le seul repos qu'il pût accepter sans remords.
L'un des privilèges de la monarchie est de se rajeunir d'elle-même, à chaque nouveau règne. Un futur ministre a beaucoup de chance, s'il accède au pouvoir avant la soixantaine. Si François Ier, Louis IX, Henri IV, Louis XIV avaient du patienter aussi longtemps, ils n'eussent apporté à la France qu'une expérience désabusée des hommes, de la vie, de l'amour et de la gloire. C'est à ses jeunes rois que mon pays doit d'avoir une histoire si romanesque, qu'elle faisait dire au vieux puritain Gladstone que ce n'était pas une histoire sérieuse. Une histoire que les petits garçons de notre race lisent comme un conte et qui fait rêver les petites filles, une histoire dont toute la grandeur reste toujours à la portée des coeurs d'enfant. Le peuple le moins pharisien du monde mériterait d'avoir des maîtres aussi jeunes que lui.
Il est inévitable, et même souhaitable, que les peuples se trompent parfois, car les peuples,  comme les individus, pourvu qu'ils soient de bonne race, tirent souvent merveilleusement parti de leurs fautes. Mais les fautes ne portent chance qu'aux jeunes, elles aigrissent et durcissent les vieux, qui d'ailleurs vivent rarement assez longtemps pour en subir les conséquences. Heureux les peuples et les rois assez jeunes pour faire des bêtises de jeunesse ! Les jeunes ont des passions, les vieillards des vices, et ce ne sont pas les imprudents qui perdent le monde, mais les cyniques et les avares. 
Un étranger, même s'il sait parfaitement votre histoire, peut difficilement comprendre à quel point notre monarchie est restée jeune, est restée jusqu'au bout sous le signe de la jeunesse. Certes, les institutions étaient vénérables, mais le personnel se renouvelait sans cesse. Le XIXe siècle, qui nous a donné des institutions nouvelles, en a toujours confié la garde à des barbons. J'ai écrit bien des fois, depuis vingt ans, qu'on avait livré la France aux vieillards. Leur influence était si grande, qu'elle a marqué la génération d'après-guerre, dont je parlais l'autre jour, et qui était une génération de vieillards précoces, d'adolescents raisonneurs.  Il est bien émouvant de penser aujourd'hui que, si le vieux syndic de la faillite nationale sera bientôt centenaire, l'espérance française repose sur la jeune tête de Mgr le comte de Paris. 
Georges Bernanos .
 
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