(1877-1939)
Le Poème des Décadences (Girard et Villerelle, 1899); Les Sept Solitudes (Jouve, 1906); Les Eléments (Bibliothèque de l'Occident, 1911); Poèmes (Figuière, 1915); Adramandoni (Menalkas Duncan, 1918); La Confession de Lemuel (La Connaissance, 1922); Dix-sept poèmes (Tunis, Armand Guibert, 1937) .
Tous les morts sont ivres Tous les morts sont ivres de pluie vieille et sale Au cimetière étrange de Lofoten. L'horloge du dégel tictaque lointaine Au cœur des cercueils pauvres de Lofoten. Et grâce aux trous creusés par le noir printemps Les corbeaux sont gras de froide chair humaine; Et grâce au maigre vent à la voix d'enfant Le sommeil est doux aux morts de Lofoten, Je ne verrai très probablement jamais Ni la mer ni les tombes de Lofoten Et pourtant c'est en moi comme si j'aimais Ce lointain coin de terre et toute sa peine. Vous disparus, vous suicidés, vous lointaines Au cimetière étranger de Lofoten — Le nom sonne à mon oreille étrange et doux, Vraiment, dites-moi, dormez-vous, dormez-vous ? — Tu pourrais me conter des choses plus drôles Beau claret dont ma coupe d'argent est pleine, Des histoires plus charmantes ou moins folles; Laisse-moi tranquille avec ton Lofoten. Il fait bon. Dans le foyer doucement traîne La voix du plus mélancolique des mois. — Ah ! les morts, y compris ceux de Lofoten — Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi… | ||
O.V. de Lubicz-Milosz. (1877-1939), Les Sept Solitudes. (1906). |
Il nous faut Il nous faut un aubergiste bien rond, Sautillant, au bonnet saluant preste, Aux boutons de métal doux sur sa veste. Il nous faut, il nous faut, mon cœur profond. Une vallée un peu de vieille estampe. Des Peterborough aux habits de plaids, Les amours de Newstead au gris des lampes, Un grand vent qui déclame du Manfred. Il nous faut l'oubli le plus implacable, (C'est comme si nous n'avions pas été) Des noms de jadis gravés dans les tables; Voilà ce qu'il nous faut, en vérité. — Comme plus haut : un aubergiste rond Et des chambres discrètement baignées De demi-jour de toiles d'araignée. — Il nous faut, il nous faut, mon cœur profond. | ||
O.V. de Lubicz-Milosz. (1877-1939), Les Sept Solitudes. (1906). |
Vieille gravure L'ombre sévère et mal imprimée De la Sierra Morena me cache Mon mélancolique ami Gamache En veste de singe et de fumée. Plus loin je n'aperçois que le tiers De la jambe gauche de Sancho Sur ce fond d'Estrémadure amer Dont mon âme esseulée est l'écho. Non moins indécise est cette morne Lune de jamais dont le doux clair Géométrique fait danser l'air Poudreux du grenier de Maritorne. La Roche Pauvre aussi, ce me semble, Intervient ici mal à propos Qui dévore la moitié du dos D'un Cardénio, rêveur sous le tremble. Et ce ciel est trop bas pour la lance De ce de la Manche exagéré, Qui fait tendrement rire et pleurer Les vallons de l'éternel silence. — Dehors la neige et presque demain, La Solitude toujours nouvelle. Allons ! Un ou deux verres de vin Et puis, et puis soufflons la chandelle. | ||
O.V. de Lubicz-Milosz. (1877-1939), Les Sept Solitudes. (1906). |
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