à francis carco
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Prends ta pipe que vêt, précieuse, la crasse Des bons tabacs anglais et, fumant, nous irons Nous asseoir sur le banc où peinent les cirons Au forage du bois. Sur notre double trace, Deux filles, dont nos vers ont reflété la grâce, Viennent. Pour célébrer leurs seins et leurs bras ronds Il nous faudrait patients, nos mains serrant nos fronts, Chercher la métaphore — et ce pourchas nous lasse. Mais le désir nous tient, chaque soir plus brutal, De caresser à cru leurs cuisses, sur l'étal De nos cuisses que le banc trop dur exagère... ... Elles s'esquiveront : (« Très chères, vos valets »)... Et nous demeurerons, à la chanson légère De ta pipe juteuse au doux tabac anglais. |
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jean pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (Gallimard, 1923).
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la grosse dame chante
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Manger le pianiste ? Entrer dans le Pleyel ? Que va faire la dame énorme ? L'on murmure... Elle racle sa gorge et bombe son armure : La dame va chanter. Un oeil fixant le ciel — L'autre suit le papier, secours artificiel — Elle chante. Mais quoi ? Le printemps ? La ramure ? Ses rancoeurs d'incomprise et de femme trop mure ? Qu'importe I C'est très beau, très long, substantiel. La note de la fin monte, s'assied, s'impose. Le buffet se prépare aux assauts de la pause. « Après, le concerto ?... — Mais oui, deux clavecins. » Des applaudissements à la dame bien sage... Et l'on n'entendra pas le bruit que font les seins Clapotant dans la vasque immense du corsage. |
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jean pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (Gallimard, 1923).
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la romance du retour
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A Roger Allard.
Paris, milliers de promesses,
Appels de taxis inviteurs, Aveux de nocturnes prouesses Dans les corbeilles des facteurs, Milliers de maisons, de femmes, Sarabande d'hommes infâmes, Tournois de mauvaises raisons ! Le ciné donne Forfaiture. La marchande, sur sa voiture, N'a pas plus de quatre saisons. Foutons ses huit jours au poète ! Moi, j'ai copié des chansons. La femme du plombier, coquette, Ne sort pas avec ses chaussons. Drap blanc, satin cardinalice, Dans l'ombre du car dîne Alice. Elle regrette ses péchés Quand son âme, cendre légère D'une cigarette étrangère, Tombe sur les fruits épluchés. Aux aurores de Macédoine Où glissait l'auto de Sarrail, Que l'adjudant cherche un idoine A la pose d'un nouveau rail. Reviens au square de Laborde Émouvoir ton sein qui déborde Selon mon rêve de Corfou. En mutilant un chant d'Église Le rémouleur immobilise La moitié d'un cycliste fou. J'ai pleuré par les nuits livides Et de chaudes nuits m'ont pleuré. J'ai pleuré sur des hommes vides A jamais d'un nom préféré. Froides horreurs que rien n'efface ! La terre écarte de sa face Ses longs cheveux indifférents, Notre vieux monde persévère. Douze sous pour un petit verre ! Combien va-t-on payer les grands ? |
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jean pellerin (1885-1921). Le Bouquet inutile (Gallimard, 1923).
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