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25 juillet 2011 1 25 /07 /juillet /2011 21:49
L'été en enfer
Napoléon III dans la débâcle
 
de Nicolas Chaudun
Mis en ligne : [25-07-2011]
Domaine : Histoire
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Nicolas Chaudun, né en 1962, est écrivain et éditeur. Il a dirigé la rédaction de Beaux-Arts Magazine avant de créer sa propre maison d'édition d’art. Il a récemment publié : Le Promeneur de la Petite Ceinture. (Actes Sud, 2003), La Majesté des centaures. (Actes Sud, 2006), Haussmann, Georges Eugène, préfet-baron de la Seine. (Actes Sud, 2009).  

 

Nicolas Chaudun, L'été en enfer, Napoléon III dans la débâcle. Paris, Actes Sud, janvier 2011, 176 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Août 1870, l'armée impériale est pulvérisée, le trône renversé, le territoire envahi. L'effondrement instantané du Second Empire abasourdit l'Europe entière ; il inaugure pour la France un siècle de déclin convulsif. On a beaucoup glosé depuis, et d'autant plus que la gabegie du printemps 1940 a reproduit en détail la "débâcle" de l' "année terrible". Dans cette avalanche de commentaires, rien sur l'empereur. Rien, sinon cette sempiternelle rengaine d'un souverain défait, errant sur les champs de bataille en quête d'une mort qui lui épargnerait le déshonneur. L'inanité d'un chef dépossédé du pouvoir, puis dépouillé du commandement militaire, peut justifier ce silence. L'impeccable réserve que s'imposèrent les compagnons d'infortune l'explique encore. Cependant, Napoléon III incarne ici le parfait héros des tragédies classiques. La prémonition du désastre mais aussi son acceptation, les souffrances physiques qu'il endure, une pierre grosse comme le poing lui obstrue la vessie, et la cruauté de ses relations avec l'impératrice soutiennent une tension dramatique qui s'installe dès le brutal début de la crise. Un règne s'alanguit sous le soleil de l'été, et soudain s'époumone dans une folle course à l'abîme. On croirait un roman ; ce n'est qu'une tranche d'histoire.
 
La critique de Jérôme Garcin. - Le Nouvel Observateur, 6 juillet 2011.
Et Napoléon III pleura... « Ça un empereur ? En voilà une bête ! » L'exclamation répugnée est d'une lavandière de Raucourt (Lorraine) qui, le 30 août 1870, vient de laver le linge de Napoléon III. Souffrant de la maladie de la pierre et ravagé par la dysenterie, sa majesté s'en va par le bas. Il gargouille et coule. La veille, on l'a entendu pleurer. De douleur autant que de désespoir. Moins il est sur le trône, plus il est sur le pot. Le calvaire touche à sa fin. Dans trois jours, après le désastre de Sedan, il aura capitulé. Cela fait plus d'un mois que Napoléon le Petit se traîne et qu'on le traîne sur les lignes de front, battant sans cesse la retraite de Metz à Verdun et de Mourmelon à Tourteron. Dépossédé du pouvoir par la régente, l'impératrice Eugénie, qui lui interdit de revenir aux Tuileries et lui suggère de mourir sur le champ, démis du commandement suprême des armées, entouré de généraux incompétents, ignoré ou raillé par ses propres soldats, Napoléon III n'a plus rien d'un souverain. Même les canons Krupp et les fusils Dreyse ne veulent pas de lui. On dirait qu'ils ont pitié de cet homme de 62 ans au teint jaunâtre et aux cheveux blancs qui ressemble à un vieillard, et dont un calcul gros comme un calot d'agate obstrue la vessie.Il arrive aussi qu'on le sorte de sa calèche pour le hisser sur un cheval, alors qu'il souffre le martyre au moindre soubresaut. Le plus souvent, le roi mage somnole, assommé par l'opium, et toujours au bord du coma. Même sous le soleil d'août, il est couvert de châles et de paletots, avec des culottes bourrées de serviettes éponge. Il ne tremble pas de lâcheté, il grelotte de froid. Jour après jour, défaite après défaite, Nicolas Chaudun relate la marche funèbre de l'empereur. Dans son exercice de reconstitution, il a la précision d'un officier d'ordonnances, l'oeil d'un chirurgien, l'exactitude d'un météorologue et la justesse d'un écuyer. Il décrit la débâcle de la France à travers la faillite de son chef. Un chef humilié, dont seuls le cortège des voitures boueuses appartenant à ses maisons militaire et civile, l'escouade des piqueurs galonnés et la troupe de cuisiniers rappellent la hautaine fonction. Il ne mange plus, il se vomit. Il pisse du sang, lui qui ne supporte pas de verser celui de ses hommes. Quand il ne crie pas, il gémit. S'il parle, c'est pour reconnaître qu'il est en effet «bien délabré» et invoquer la fatalité. Au front, il semble moins lutter contre l'ennemi que contre son mal. D'ailleurs, personne ne le consulte plus, sauf les médecins. En attendant la mort, qui ne vient pas, il finit par se rendre à Guillaume de Prusse. Nicolas Chaudun a l'intelligence de ne pas jouer au justicier d'escalier. Il n'accable ni ne juge le vaincu de Sedan. Il lui suffit de montrer comment la chute du Second Empire s'incarne dans la déroute d'un cadavre ambulant. Aucun historien n'avait si bien écrit la relation journalière de cette agonie. Le plus étonnant est que Chaudun le fasse avec un tel brio. Comme si le style avait le pouvoir d'élever une débâcle pathétique à la hauteur d'une tragédie shakespearienne.
 
Recension. - Critiques de livres, mars 2011.
«Comment voulez-vous que les choses marchent dans ce pays ? L’Impératrice est légitimiste ; Morny est orléaniste ; moi-même je suis républicain ; il n’y a qu’un seul bonapartiste, c’est Persigny, mais il est fou» (p.90). C’est en ces termes que Napoléon III répondit, un jour, à un donneur de leçons qui, revendiquant une sorte de droit d’inventaire, lui détaillait chacune des lacunes du régime impérial. Cruellement fondée, la boutade rend compte d’une réalité persistante, qui ne fera que s’accentuer au cours de la débâcle.
Dans son dernier ouvrage L’Eté en enfer, l’ancien directeur de la rédaction de Beaux-Arts Magazine retrace la débâcle du Second Empire face à l’Allemagne nouvellement unifiée. Alors que la crise diplomatique entre les futurs belligérants avait d’abord été surmontée, elle fut ravivée in extremis. Si cuisante fut-elle, la défaite impériale qui s’ensuivit n’avait même pas été envisagée lors de la déclaration de guerre. S’abusant et abusant un Empereur souffrant, le Ministre Lebœuf affirma sans ambages : «nous sommes prêts, archiprêts ; (…) la lutte dût-elle durer deux ans, nous n’aurions pas un bouton de guêtre à acheter» (p.35). Les Français plastronnaient et se voyaient déjà déferler sur Berlin.
Pourtant, l’impréparation – voire l’amateurisme – était de mise. D’ailleurs, comme chacun le sait, le sort des armes fut tragiquement défavorable à l’armée française. «Début août, la France alignera quatre-cent-trente-cinq mille hommes en état de se battre ; l’Allemagne unifiée, pas loin du double». Du côté français, d’aucuns s’indignèrent de n’avoir «encore ni cantines ! ni ambulances ! ni voitures d’équipage pour les corps et les états-majors ! Tout est complètement dégarni» (p.56) ! L’armée manquait, il est vrai, de tout. Particulièrement lucide, dès le début de la conflagration, Napoléon III télégraphia à l’Impératrice : «rien n’est prêt, nous n’avons pas suffisamment de troupes, je nous considère comme d’avance perdus» (p.57).
La catastrophe que pressentait secrètement Napoléon III allait se concrétiser de façon fulgurante. Voguant funestement d’échec en désastre, l’Empereur continua de s’affaiblir physiquement. Souffrant de calculs rénaux, demeurés négligés envers et contre tout, le prince avait «dans les reins comme une pelote d’aiguilles qui lui perfor[ai]ent les intestins». Dès les premières chevauchées, nous raconte l’auteur, «il lui a fallu mettre pied à terre à plusieurs reprises ; par-delà les haies derrière lesquelles il s’isolait, on l’entendait à peine réfréner ses plaintes. Et au terme du premier simulacre d’offensive, il a éprouvé de telles difficultés à descendre de cheval que, une fois à terre, il a dû s’appuyer sur arbre, comme hors d’haleine» (pp.70-71).
Dans une très belle langue, l’auteur retranscrit la longue agonie du Second Empire ainsi que le terrible supplice du souverain. Pour ce faire, N. Chaudun rapporte notamment le témoignage de l’écrivain Paul Lindau : «je n’avais jamais vu une personnification si complète de l’apathie. Ce n’était pas une figure vivante, une figure humaine que je voyais, c’était un masque sans vie et sans expression. (…) je ne pouvais pas me persuader que la ruine que j’avais devant les yeux était l’homme dont la voix, quelques semaines auparavant, s’entendait d’un bout à l’autre du monde» (p.153). Défait, Napoléon III erre sur les champs de bataille en quête d’une mort qui lui épargnerait le déshonneur. D’abord dépossédé du pouvoir politique par son épouse la régente et les «Mamelouks» (p.61), l’Empereur sera ensuite privé du commandement militaire. Avec toute sa suite, au gré des retraites, il sera traîné par l’état-major comme un fardeau, «un boulet d’or» (p.104).
Semblable à «ces eaux grossies, qui emportent d’un même élan les glaces de l’hiver et l’arrogance des princes» (p.9), la débâcle du Second Empire parait annonciatrice d’une tragédie pire encore, celle de la Seconde Guerre mondiale. Rien dans la malheureuse campagne militaire de 1871 n’a su inspirer autre chose que colère et mépris auprès des soldats, si ce ne sont les charges héroïques de la cavalerie emmenée par Galliffet, auxquelles l’ennemi lui-même ne demeura pas insensible. «Depuis les hauteurs de la Marfée (…), écrit N. Chaudun, on observe l’assaut, puis son ressac. Guillaume Ier, pour l’heure roi de Prusse, ne lâche pas un instant sa lorgnette, ému d’un panache dont les dogues qui le flanquent, Moltke et Bismarck, n’ont que faire. Et quand, sans plus d’espoir de succès que de salut, les escadrons s’élancent pour l’ultime charge, le roi s’exclame : «Oh, les braves gens !» Des ordres fusent, des estafettes s’agitent : il faut que les honneurs soient rendus aux miraculés de cet élan désespéré. De fait, quand Galliffet et ses diables bigarrés s’esquivent à nouveau, le 81e régiment d’infanterie prussienne qui les tient à sa portée suspend son feu. Crânement, chasseurs et hussards saluent du bout du sabre et de ce cri : «Vive l’Empereur !» C’en est fait. Jamais plus soldat français ne s’égosillera de la sorte» (p.133).
 
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