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lourd sommeil des maisons... | ||
Pour Daniel Allard. Quand dix heures ont plu du clocher sur les toits ; Sommeil que vient veiller la lune, quelquefois Et que seuls les grillons bercent de leur murmure. Silence de la rue angoissante, mystère Des volets refermés où nul rayon ne luit, Seuils ombreux et sournois d'où soudain le chat fuit Au bruit dur de mon pas que la nuit exagère. Les massifs endormis, par la lèvre des fleurs, Exhalent des parfums ; de la campagne proche Viennent ceux de la vigne et des foins. . . Les senteurs Se mêlent enivrant l’air nocturne. Les loches Doivent monter aux murs verdis dans la fraîcheur. Mais voici, tout au fond d'un jardin d’ermitage, Qu'une fenêtre s'ouvre aux langueurs de Juin ; L'accord d'un piano s'élève, le feuillage A frémi et mon cœur s'est ému, sentant bien Quel tendre aveu dans la romance pèse et n'ose. Et mon front s'est posé sur la grille où mes mains Effeuillent sans savoir les rosiers et leurs roses ! | ||
André lafon (1883-1915). Poèmes provinciaux (Ed. du Beffroi, 1908). | ||
midi | ||
Midi. Tout le jardin grésille de lumière; Chaque feuille est figée en l’épaisse chaleur; Toutes celles du buis sont des éclats de verre, La rose s’est penchée et le pavot blanc meurt. Midi; au creux tentant de la charmille heureuse Porte avec l’abricot odorant et le pain, La pêche à la joue douce et la prune au pollen Léger plus que celui des corolles soyeuses. Voici le seau du puits pour rafraîchir tes mains. Vois la route brûler, Ah ! l’ardent paysage Qui met devant tes yeux un rêve de clarté Là-bas, fait plus certaine encor la volupté D'avoir dans cette grotte obscure de feuillage, Des fruits mûrs et cette eau dont le reflet voyage Aux branches où le barbot lourd s'est arrêté Un Angélus lointain s'égrène, monotone, Sur les villages bleus assoupis, sur les champs; La treille n'a plus d’ombre et seul, le maigre chant De la cigale vibre. Un moustique fredonne… Midi ! Tout le repos sur la terre pesant. Ah! qu'il demeure au fond de ta jeune mémoire, Avec son goût de miel, sa brûlure et sa gloire, Ce jour, si rutilant et si riche en plaisir. Et qu'aux temps hivernaux où l'ennui vient saisir Ton cœur faible en ses doigts givrés, tu voies encore Ces fruits, comme des fleurs, et que l'heure se dore Au soleil illusoire et pur du souvenir ! | ||
André lafon (1883-1915). Poèmes provinciaux (Ed. du Beffroi, 1908). | ||
les charettes qui passent | ||
Les charrettes de bois passent pour le marché Au pas traînant des bœufs, dont le front baissé force Tirant les troncs coupés à l'écailleuse écorce Des grands pins résineux et les fagots séchés; Novembre va venir le long des routes grises. Flétrir les feuilles tremblotantes aux buissons... L'Hiver !... Les vols fuyants vont passer dans la brise; Les cloches de Toussaint s'éplorer, leur chanson Se perdre par les champs sous un ciel de détresse. Oh ! cloches de Noël, dans la nuit froide ! — Laisse... — Oh ! voir finir l’année avec un peu de soi... — Accueille sans regret les saisons et leurs mois Et qu'ils portent des fleurs, des fruits ou que, moroses, Ils pèsent à ton cœur de rêve et de névrose, Sache en goûter le charme épars. Rappelle-toi ; Novembre c'est le temps où l'âme se repose De la lumière chaude et vibrante d'été , Entends le feu bruit, laisse-toi dorloter En cette ouate effilochée autour des choses En ce silence où meurt le ciel lilas et rose En la venue muette et douce de la nuit. | ||
André lafon (1883-1915). Poèmes provinciaux (Ed. du Beffroi, 1908). | ||
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