Par la Revue critique des idées et des livres
dimanche soir | ||
Un crépuscule tiède, lumineux et rose tombe sur cette fin de dimanche parisien; c'est un des premiers jours de mars. A peine on ose croire à tant de douceur sous un ciel si câlin. Et cependant on va, soudain léger et souple, roi d'un pays féerique qu'on ne soupçonnait pas. Rien ne nous meurtrit plus, ni la laideur des couples ni le piétinement des pieds bêtes et las. La joie de ne rien dire et d'être solitaire, l'art aisé de la vie, tout s'éclaircit à voir que le vrai et le seul bonheur qui soit sur terre est de respirer l'air de ce paisible soir. — Des bonnes passent à deux, chapeaux verts, confidences, et mon cœur dur incline aux pires indulgences. — Les cafés sont remplis de gens à l'air heureux qui se disent des choses qu'ils estiment profondes; les manilleurs échangent des mots connus entre eux... Et ce soir simple et doux des premiers temps du monde ! | ||
guy-charles cros (1879-1956). Les Fêtes quotidiennes. (1912). | ||
chant de septembre | ||
Quel oiseau prisonnier dans la nuit d'équinoxe regrette en soupirant les souffles de l’été ? Quelle tremblante voix monte du cœur des phlox et des géraniums qui bordent les allées ? Cette plainte qui parle et s'enfle et se déchaîne est-ce le cri perdu d'un arbre à mort frappé; est-ce l'appel, là-bas, d'un dieu chargé de chaînes et qui rugit en vain son grand désir ruiné ? Ah ! ce n'est que le vent qui s'étire et qui rôde, l’âpre vent voyageur qui n'a pas de patrie; il se souvient d'avoir passé sur les mers chaudes et de s'être couché sur les villes d'Asie. Il se souvient des soirs où sous la lune ronde il s'endormait, bercé aux cimes des forêts, jusqu'à l'heure où l'aurore épanouie et blonde posait les doigts sur son front nu et l'éveillait. Et le vent, vagabond de la nuit automnale, va tout droit son chemin à travers les espaces; mais rien n'apaisera son implacable mal, sa nostalgie brutale et cruelle et rapace. Il arrache, en passant, les feuilles à poignées, il courbe les rameaux qu'il dénude et les tord, et pousse, en poursuivant ses courses effrénées, son cri rauque et plaintif, chant de guerre et de mort. | ||
guy-charles cros (1879-1956). Les Fêtes quotidiennes. (1912). | ||
août s'achève | ||
Les vertes feuilles, jaunies un peu, sur le ciel pur bougent frileusement comme au temps de l'automne. Qu'il a pâli, déjà, ce large et bel azur ! A l'orée de l'été son lapis nous étonne. Il nous dit aujourd'hui que la douce saison est fragile et blessée, que son bonheur la quitte, qu'il est temps pour l'hiver de parer la maison où tout amour humain se réchauffe et s'abrite. Il dit encor ce pâle azur taché d'argent que puisque cet été, tel un jour clair, s'achève il te faut, faisant trêve aux soucis moins urgents rappeler sous ton toit tes désirs et tes rêves. | ||
guy-charles cros (1879-1956). Mercure de France. (novembre 1926). | ||
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