Retour de l'autogestion Séquestrations, violence, occupations dures,... l'année 2009 restera marquée par un climat social particulièrement tendu, comme on en aura peu connu depuis la fin des années 80. Le printemps et l'été 2009 ont été spécialement chauds, avec la radicalisation du conflit chez Continental, les séquestrations de patrons ou de cadres chez Sony dans les Landes, chez Caterpillar à Grenoble, chez 3M à Pithiviers et l'occupation musclée de l'usine Molex de Toulouse. Illustration de la désespérance qui étreint de nombreux salariés, les employés de Nortel, de New Fabris puis de JLG menacent de faire sauter leur usine. Ceux de Serta annoncent leur intention de déverser des fûts toxiques dans la Seine. A côté de ces conflits emblématiques, ce sont des centaines d'actions, de débrayages ou d'occupations, souvent ignorés de la grande presse, qui ont fait l'actualité sociale dans toutes les régions.
Quelles leçons les travailleurs en lutte et leurs organisations syndicales peuvent-ils tirer de cette année explosive ? Il apparaît en premier lieu que les salariés ont décidé de ne plus se laisser faire. Face à des équipes patronales extrêmement déterminées, en particulier dans les sociétés sous contrôle étranger, la seule réponse possible, c'est le plus souvent la force. Cette stratégie de l'affrontement a généralement payé: chez Sony, chez Caterpillar, chez Molex, aujourd'hui chez Alten, les équipes de siège rentrent dans le jeu, rouvrent les négociations, déjugent l'encadrement local, finissent par signer des accords de reclassement ou par accorder des indemnités acceptables. Même dans les conflits les plus désespérés, comme chez New Fabris à Chatellerault, la mobilisation impose à l'Etat d'intervenir et de débloquer la situation. Troisième leçon précisément: la violence ouvrière conduit le politique à reprendre ses droits, elle force les élus et les pouvoirs publics à assumer leurs responsabilités. A de multiples reprises, on a vu des députés UMP renier leurs engagements libéraux et prendre parti pour les salariés en lutte dans leur circonscription. Les seuls moments où le gouvernement a senti les limites de son discours patronal, c'est lorsqu'il s'est trouvé dans l'obligation d'arbitrer des conflits sociaux de grande ampleur.
Après les débordements et les explosions de l'an dernier, 2010 verra sans doute des mouvements sociaux plus maîtrisés, mieux organisés, plus élaborés. Les directions syndicales entendent reprendre les choses en main, en ciblant les groupes dont les comportements sont les plus scandaleux et en forçant l'Etat à agir. Le conflit le plus emblématique est celui qui secoue actuellement l'industrie pharmaceutique, et en premier lieu le groupe Sanofi-Aventis. Le secteur a dégagé en 2009 des bénéfices record et les équipes de direction se sont attribuées des primes indécentes. Ce qui n'empêche pas la direction de Sanofi de chipoter sur les augmentations salariales et de confirmer la suppression de 1300 postes dans ses activités de recherche. L'intersyndicale, solidement constituée, tient là une cible de choix; elle a mobilisé l'ensemble des salariés, bloqué les 40 sites du groupe, alerté les politiques, le ministère de la recherche et Bercy. On dit que le gouvernement aurait sévèrement tancé la direction de Sanofi, sommé de se remettre à la table de négociation.
On assiste également au retour d'une vieille idée qui nous est plutôt sympathique, l'autogestion. Le 7 janvier dernier, 150 ouvriers, cadres et ingénieurs du site Philips de Dreux, sous procédure de licenciement, décidaient de prendre le contrôle de leur usine et de poursuivre à leur profit sa production d'écrans plats LCD. L'expérience avait toutes les raisons d'inquiéter le groupe Philips, qui procède un peu partout en Europe à des restructurations sauvages et qui n'a nul envie de voir les salariés s'approprier ses stocks, ses sites et ses machines. C'est pourquoi huissiers et gros bras sont entrés en action mardi dernier pour reprendre le contrôle de la production, en menaçant les meneurs de poursuites. Dans le souci d'éviter des affrontements inutiles, le "contrôle ouvrier" a été provisoirement stoppé, mais il a toutes les chances de reprendre dès que les conditions le permettront à nouveau. Les milieux syndicaux, les partis de gauche et de nombreuses associations "alternatives" suivent de près les évènements de Dreux, qui pourraient prendre la même valeur symbolique que le combat des Lip, en 1973, à Besançon.
A travers ces premiers conflits, on mesure assez bien comment évolue le mouvement social. Les poussées de fièvre apparues l'an dernier chez New Fabris, chez Molex, chez Continental cristallisaient la désespérance; des salariés, méprisés, humiliés, le dos au mur, mettaient toute leur énergie à obtenir des conditions de départ décentes, au prix parfois d'oppositions avec leurs organisations syndicales qui cherchaient à privilégier la défense de l'emploi. Chez Philips, comme chez Sanofi, la dynamique est combative, on refuse le désespoir, on se bat pour la pérennité de la production, on parie sur l'innovation et le savoir faire des producteurs. Le changement est complet.
D'où l'inquiétude et la fébrilité de certains secteurs parmi les plus durs du patronat français. On apprenait ainsi courant décembre que SFR (oui, l'opérateur de téléphonie si moderne et si jeune!) avait décidé d'engager un procès en représentativité à l'encontre du syndicat Sud, au prétexte que les statuts de celui ci font référence au socialisme autogestionnaire. Une notion contraire aux "valeurs républicaines de respect de la propriété", selon l'avocat de SFR. On aura tout vu ! Qui disait, au début du siècle dernier, que le syndicalisme révolutionnaire n'avait rien à attendre des valeurs de la République. Nous guetterons évidemment avec intérêt le verdict de ce procès !
Si les travailleurs relèvent la tête, le temps du désespoir n'a pas disparu pour certains. Ainsi de ces 190 salariés du fabriquant de caravanes Hymer France à Cernay, qui soupçonnent leur employeur, le groupe allemand Hymer, d'organiser la liquidation de sa filiale actuellement en redressement judiciaire. Sans aucune nouvelle de leur maison-mère, ils ont commencé à brûler des sièges, des meubles et des composants et annoncent leur intention d'incendier une partie de la production "si rien ne bouge". La violence reste pour eux l'ultime façon de se faire entendre.
Henri Valois.