La France qui se bat
Valse-hésitation à la CGT. La centrale de Montreuil, qui marchait, conquérante, en tête des cortèges de l’automne, a visiblement mal digéré la fin de l’année 2010. Coup de blues de la direction après l’échec du conflit des retraites ? Durcissement du débat interne sur la stratégie d’ouverture ? Impact des mauvais résultats électoraux enregistrés fin 2010 dans des bastions comme la Poste, EDF, GDF ou la RATP ? Sans doute un peu de tout cela. D’où une série de signes de raidissement qui ont donné le sentiment d’un brusque changement de cap. Vis-à-vis du MEDEF, avec une rupture de fait des négociations sur « l’agenda social ». Vis-à-vis du pouvoir, avec le boycott très médiatisé des vœux de l’Elysée et un conflit portuaire qui met depuis des semaines les nerfs du gouvernement à vif. Et vis-à-vis des partenaires syndicaux, avec une mise en veilleuse des travaux de l’intersyndicale, sur fond de conflit avec la CFDT et FO. On parlait même fin janvier d’un départ anticipé de M. Thibault et de l’émergence d’une nouvelle direction, sur une ligne évidemment plus dure.
Nouveau coup de barre, mais dans l’autre sens, à l’issue de la réunion du comité confédéral qui s’est tenu début février. M. Thibault y est apparu très directif, sûr de lui, soucieux de montrer qu’il tenait sa maison et qu’il venait d’y mettre de l’ordre. Il a balayé d’un revers de main les rumeurs concernant sa démission et confirmé que la direction actuelle irait jusqu’au terme de son mandat, c'est-à-dire jusqu’en mars 2013. Réaffirmant la nécessité de « changements structurels rapides » au sein de la centrale, il a décidé de prendre directement en main le vaste chantier de réorganisation des fédérations qui se heurte en interne aux réticences que l’on sait. Le conseil confédéral a également adopté, à son initiative, une résolution affirmant l’attachement de la CGT à l’action syndicale unitaire, ce qui débloque de fait la situation au sein de l’intersyndicale.
Retour à la case départ ? Pas tout à fait. Il est clair que M. Thibault a du rendre des comptes à son appareil et que cette phase d’explication interne n’a pas été de tout repos. D’où une impression de radicalisation qui dissimulait en réalité un temps d’arrêt sur image. A l’évidence l’actuel secrétaire général a su convaincre. L’appareil est de toute façon largement à sa main, même si une certaine grogne y est toujours perceptible. Ses seuls vrais opposants, les trotskystes, sont à la fois actifs et très divisés, donc peu efficaces. Quant à la base de la CGT, M. Thibault sait qu’elle plébiscite à une immense majorité la stratégie d’ouverture et de dialogue qu’il a impulsé, après un demi-siècle d’immobilisme stalinien. Cette stratégie a considérablement amélioré l’image de la centrale auprès des salariés. Elle lui aura permis d’accueillir en deux ans près de 100 000 nouveaux adhérents, ce qui est en soi un gage de réussite.
Donc pas de changement de ligne, à proprement parler, mais une plus grande prudence dans sa mise en œuvre. A cela, plusieurs raisons.
En premier lieu, la nécessité d’apaiser les débats internes. Le secrétaire général de la CGT, qui tient à son image de chef et de rassembleur, a souhaité donner quelques gages à son aile dure. Il n’est plus question pour la CGT de mettre tous ses œufs dans le panier de l’intersyndicale. Elle disposera de son propre « agenda des luttes ». Elle propose également de mettre de côté la rédaction d’une plate-forme globale de l’intersyndicale au profit d’une liste de revendications plus ciblées et d’une unité d’action à géométrie variable, selon les thématiques. Une façon de maintenir la flamme de l’unité syndicale, tout en tenant compte des réticences qui existent en interne, notamment vis-à-vis de M. Chérèque et de son organisation.
Deuxième raison, le rapport de force avec le pouvoir et le patronat. Le conflit des retraites a confirmé que les syndicats, même unis, n’étaient plus en situation de bloquer durablement le pays et qu’on peut mettre plusieurs millions de grévistes dans la rue sans obtenir aucun résultat tangible. Constat objectif et amer que la CGT a visiblement muri en interne en décembre et en janvier. La seule façon de dépasser cette réalité, c’est d’évoluer vers un syndicalisme de masse, à l’allemande ou à la scandinave, s’appuyant à la fois sur une adhésion beaucoup plus large des salariés et sur une capacité à offrir à la société des contre-modèles et des voies de progrès. M. Thibault sait que cette ambition n’est pas pour demain, qu’elle appelle des rapprochements d’une toute autre nature avec la CFDT, la FSU, voire FO et sans doute une vision complètement nouvelle du syndicalisme dans notre pays. Rien dans ce domaine ne pourra s’ouvrir avant les prochaines échéances politiques de 2012. D’ici là, l’urgence, c’est de remettre la CGT en ordre de bataille, c’est de réformer ses structures pour qu’elle soit plus en phase avec la nouvelle organisation du travail, plus accueillante vis-à-vis des jeunes et des cadres. D’où l’insistance de M. Thibault à forcer le mouvement de regroupement des fédérations et à relancer les implantations dans le secteur privé. Voilà ses priorités jusqu’au congrès confédéral de 2013.
Troisième et dernière raison, le calendrier politique. D’ici 2012, M. Thibault sait qu’il n’y a plus rien à attendre des grandes négociations sociales : ni du MEDEF, qui se débat dans les conflits internes, ni d’un pouvoir qui est déjà en campagne et dont le seul objectif sera de reconquérir l’électorat des classes aisées. Il sait aussi, qu’en cas de victoire de la gauche, il devra laisser à son partenaire privilégié, la CFDT, le temps de faire son deuil des illusions social-démocrates qu’entretiennent encore certains de ses dirigeants. D’où l’insistance de la CGT à privilégier le terrain de l’action, des luttes sociales au détriment des plateformes et des programmes. Tous les sondages montrent que le climat de mobilisation sociale reste extrêmement fort dans l’ensemble du pays. M. Thibault pense que c’est en donnant libre cours à cette exaspération sociale qu’on pèsera le mieux sur les prochaines échéances politiques. L’expérience montre qu’il a sans doute raison.
Sur ce terrain, précisément, des conflits sociaux, ce sont une fois encore les groupes multinationaux qui font l’actualité. On mesure chaque jour d’avantage les conséquences dramatiques que peuvent avoir les reprises de sociétés françaises par des capitaux étrangers. Prises de contrôle qui sont le plus souvent facilitées, voire encouragées par les pouvoirs publics, sous couvert d’ouverture et d’attractivité internationale ! Combien de PME françaises, d’entreprises viables et prometteuses, périssent-elles ainsi chaque année, au nom du droit de leurs actionnaires américains ou des fonds de pension luxembourgeois, suisses ou néerlandais qui les contrôlent ? Ce mois-ci, ce sont les salariés de Sperian Protection, entreprise bretonne du secteur informatique, qui font les frais du contrôle de leur entreprises par le conglomérat américain Honeywell. Ce sont les 192 employés de Compétence à Brest qui se mobilisent pour que le fonds de pension nord-américain qui les contrôle se préoccupe de leur activité. Il en est de même pour les 558 employés du fabriquant de meubles Capdevieille, en lutte contre le fonds de pension luxembourgeois qui a conduit leur entreprise à la faillite. Comme pour les sites du groupe américain Ideal Standart des Ardennes et du Jura, qui enregistrent plus de 300 licenciements. On imagine également l’inquiétude des salariés de la fonderie d’aluminium Brealu de Vaux (Allier) qui viennent d’apprendre la reprise de leur site par la multinationale DMI, après que celle-ci ait exigé le licenciement préalable de 114 d’entre eux. Quant au groupe japonais Sony, qui doit une partie de sa réussite en France à son usine alsacienne de Ribeauvillé, il l’aurait volontiers fermée et licencié ses 580 salariés, sans l’action volontaire, ferme et déterminée des élus alsaciens.
Chez la plupart de nos voisins, et notamment en Allemagne et en Europe du Nord, les autorités régionales mettent en œuvre des politiques industrielles pour aider les PME, favoriser leur développement et leur diversification, drainer les capitaux privés et l’épargne locale à leur profit, dans de bonnes conditions de sécurité. En France, rien de tout cela. L’Etat, par dogme libéral, a supprimé tous ses outils d’intervention dans le champ des PME et il a considérablement réduit les moyens d’action de ses relais habituels dans ces domaines (Caisse des Dépôts, OSEO…). La privatisation des banques françaises – et leur frilosité bien connue – n’a pas amélioré la situation, bien au contraire. Et le même Etat, cette fois par esprit jacobin, se refuse à donner aux régions les compétences et les moyens d’une action ambitieuse en faveur de nos entreprises locales. Résultat : par manque de capitaux, celles-ci n’ont, dans la plupart des cas, comme choix que de passer sous contrôle étranger ou de dépérir. La situation de l’entreprise Net Cacao, de Marseille, est à cet égard tout à fait emblématique. Ex-filiale du groupe suisse Nestlé, reprise par ses 180 salariés, elle risque le dépôt de bilan, alors que ses carnets de commande sont pleins, en raison d’un manque de fonds propres. Qui l’aidera ? Pas l’Etat, qui a fuit naturellement ses responsabilités. Et qui aidera demain les 182 salariés de Fralib, qui se débattent avec leur ancien actionnaire, le groupe yankee Unilever, pour reprendre l’activité des thés Lipton et Elephant ?
A défaut de moyens offensifs pour soutenir l’initiative et l’emploi, il reste la défensive. C’est bien souvent la dernière arme des travailleurs pour faire rendre gorge aux patrons voyous et aux actionnaires d’outre Atlantique, d’outre Rhin ou du Pacifique. Et c’est une arme qui se révèle assez souvent gagnante. Ainsi, on se félicitera : du mouvement de grèves organisé par les 225 salariés de la raffinerie Petroplus pour obtenir l’ouverture de négociations sur leur plan social, des décisions obtenues par les salariés de Molex pour saisir les biens de leur ex-employeur qui se refuse à payer leurs primes de licenciements, même chose pour les 151 employés de Plysorol à Lisieux qui ont enfin obtenu les arriérés de salaires dus par ex-patron chinois. Dans tous ces cas, c’est l’action déterminée d’un groupe d’hommes et de femmes, parfois seuls, le plus souvent soutenu par leurs élus locaux et par les corps intermédiaires, qui continue à faire vivre chez nous l’idée de justice sociale.
H. V.
Jeudi 5 janvier
- Le tribunal de commerce de Marseille vient de reporter sa décision concernant Net Cacao, fabricant de chocolat pour l’industrie et la grande distribution à Saint-Menet (Bouches-du-Rhône). Les 180 salariés devront donc encore attendre pour savoir si les juges optent pour le redressement judiciaire, en raison d’un manque de fonds propres (entre 6 ou 8 millions d’euros), ou la poursuite de l’activité. Net Cacao, l'ex-site Nestlé, est depuis l’automne 2010 dans une situation paradoxale : ses carnets de commandes sont bien garnis (28 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010, contre 24 en 2009), mais un manque de fonds propres freine l’entreprise qui, du coup, a du mal à servir ses clients. Sans oublier les récentes et fortes fluctuations du prix du cacao et l’habituelle frilosité des banques.
Samedi 8 janvier
- La direction de Ducros Express (ex-DHL) annonce 550 licenciements secs sur un effectif global du groupe de 3100 salariés, en raison de difficultés dans l'activité. Sept à huit agences du groupe (sur environ cinquante) devraient fermer.
- Une grève a été déclenchée mercredi après-midi à la raffinerie Petroplus de Reichstett (Alsace). L''intersyndicale CFDT-CGT-FO et les salariés réclament « une prime de motivation pour continuer à exploiter les installations en toute sécurité et dans un état d'esprit positif ». Petroplus a indiqué cet automne qu'il allait cesser ses activités de raffinage sur ce site, qui compte 255 salariés, faute d'avoir trouvé un repreneur.
Lundi 10 janvier
- Syndicats et patronat se retrouvent cet après midi au siège du MEDEF pour affiner l'agenda social 2011. Dans un climat très tendu après le coup de force sur les retraites, la prudence est de mise. La CGT ne cache pas qu'elle ne signera probablement rien d'ici à 2012.
- Sperian Protection, filiale du conglomérat américain Honeywell, annonce un plan social sur son site de Plaintel (Côtes-d’Armor). Le leader mondial des équipements de protection individuelle (EPI) va procéder à 43 licenciements essentiellement dans le domaine de la production. L’usine qui compte actuellement 130 salariés fabrique des masques de protection.
Jeudi 13 janvier
- Le groupe Total annonce la fermeture de l'usine Bostik à Ibos, près de Tarbes (Hautes-pyrénées), qui fabrique des colles industrielles pour la construction et emploie 30 personnes. L'activité sera transféré en région parisienne et dans le Nord. Des mesures de reclassement seront proposées aux salariés.
- Le conseil des Prud’hommes de Mont-de-Marsan (Landes) examine le recours déposé par 558 anciens salariés de Capdevielle, le fabricant de canapés et de sièges, qui avait été liquidé en 2010. Les anciens salariés de l’entreprise demandent la condamnation du liquidateur et des administrateurs judiciaires pour « résistance abusive », « refus de communiquer des documents nécessaires pour prouver que leurs licenciements sont abusifs ». Ils réclament 115 000 euros par salarié à l'ancien actionnaire, le fonds luxembourgeois GMS Investissements, ainsi qu’un mois de salaire par année d’ancienneté avec au moins 45 000 euros par salarié au liquidateur et aux administrateurs judiciaires.
Vendredi 14 janvier
- La CGT lance un mouvement de blocage dans l'ensemble des ports français pour protester contre la remise en cause d'un accord avec l'Etat sur la pénibilité du travail. Le mouvement est fortement suivi à Marseille, au Havre, à Rouen et à Dunkerque.
- Le groupe américain Ideal Standart, leader mondial de la salle de bains, a annoncé son intention de fermer deux de ses sites de production français, l'usine de Revin dans les Ardennes et celle de Dôle dans le Jura, entraînant la suppression de 311 emplois.
- Une première bonne nouvelle pour les ex-employés de Molex : l'administration fiscale a décidé de ne pas rendre au groupe américain un trop-perçu d'impot d'un million d'euros et de le verser au liquidateur pour couvrir une première partie des indemnités de licenciement que Molex refuse toujours de payer à ses 283 anciens salariés.
Mardi 18 janvier
- Le groupe suisse d'installation d'ascenseurs Schindler annonce une réorganisation de ses activités en France et la suppression de 157 postes de travail. Schindler, qui emploie plus de 3000 salariés en France, évoque "un manque de compétitivité et un marché difficile".
Mercredi 19 janvier
- Les 151 licenciés de l’usine de contreplaqués Plysorol, à Lisieux (Calvados), qui occupaient leur site depuis onze semaines, ont libéré la place le 17 janvier. « Provisoirement !, affirme une déléguée syndicale. Pour l’instant, nous avons touché l’intégralité du solde de tout compte, c’est pourquoi les occupants ont souhaité faire une pose. Mais nous n’avons toujours pas de primes supra-légales, alors que les légales sont très basses. Revenir n’est pas un problème ».
Jeudi 20 janvier
- L'ancien PDG du groupe Moulinex-Brandt, Patrick Puy, est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour "abus de biens sociaux" et "présentation de faux bilan", dix ans après la faillite du groupe d'électroménager. Le précédent PDG de Moulinex, Pierre Blayau, qui avait quitté l'entreprise en août 2000, a bénéficié d'un non-lieu.
- Le groupe Schneider Electric annonce la fermeture de son usine Saint-Pryvé-Saint-Mesmin (Loiret) d'ici deux ans, spécialisée dans la fabrication de prises de courant et de fiches électriques. Le site orléanais emploie 137 salariés. Des mesures de reclassement seraient proposées.
Mardi 25 janvier
- Le groupe japonais Sony renonce à céder son dernier site industriel français, l'usine de Ribeauvillé (Alsace), qui emploie 580 salariés. Un plan de revitalisation devra permettre de maintenir l'activité du site qui intervient essentiellement dans le service après-vente, l'ingénierie et la sous-traitance pour le compte de tiers.
- Le groupe américain Diversified Machine Inc. (DMI) reprendra la fonderie d'aluminium Brealu de Vaux (Allier), en cessation de paiements depuis six mois. Cette reprise se traduit par un plan de licenciement de 114 emplois, après les 118 emplois perdus en 2007 lors d'une précédente restructuration de Brealu.
- Avenir de plus en plus incertain chez Compétence, société de sous-traitance électronique qui emploie 192 salariés à Brest. L'activité est tombée au plus bas et les dirigeants ne semblent plus se préoccuper du carnet de commande. Cette usine appartenait jusqu'à l'été dernier au groupe nord-américain Jabil qui l'a cédée au fonds financier nord-américain Mercatech. Une diversification dans le photovoltaïque a été annoncée mais ne se concrétise pas
Jeudi 27 janvier
- Le leader du gros-électroménager en France, FagorBrandt, va arrêter d’ici 2014 la production de son usine de Lyon, spécialisée sur les lave-linge, au profit de la Pologne. Le site lyonnais, qui emploie 560 salariés devrait être reconverti vers de nouvelles activités "en lien avec le développement durable".
- Le secrétaire général de la CGT Bernard Thibault dément les rumeurs qui couraient depuis quelques jours sur son départ anticipé et minimise les dissensions internes au sein de sa centrale.
Lundi 31 janvier
- Le tribunal de grande instance de Marseille examine en référé la requête du comité d’entreprise de l’usine de thés et infusions Fralib, à Gémenos (Bouches-du-Rhône), qui souhaite faire annuler la fermeture fin avril de cette unité qui emploie 182 salariés. La décision a été mise en délibéré au 11 février prochain. Le groupe américain Unilever vient d'annoncer de premières et timides mesures de reclassement pour les 182 salariés concernés, mais s'oppose toujours à une solution de reprise de l'activité et de la marque par un tiers, solution soutenue par la CGT.
Henri Valois.