M. Montebourg aura donc gagné son pari. Alors que la question des primaires ne figurait pas au programme de l'Université du PS, il a fini, à force de pressions, de discours et de petites phrases, par mettre son sujet de prédilection au coeur des débats de La Rochelle. Tant pis pour les militants ou les élus de base qui étaient venus dans l'espoir de débattre des "valeurs de gauche", du "projet", de la "démocratie de proximité" ou de tas d'autres choses tout aussi ennuyeuses. Ils n'auront eu droit à rien de tout cela. En revanche, quel spectacle! pendant trois jours, La Rochelle a pris des allures d'Avignon, avec son "festival in", sagement organisé autour des forums et des "ateliers" officiels, et son "festival off", constitué des mille lieux où éléphants, sous-éléphants, cornacs et éléphanteaux tenaient salon, se mettaient joyeusement en scène, en distillant vacheries et bons mots. Dans cette catégorie, les éternels quadras, Valls, Peillon, Cambadélis, Hamon et autres Montebourg, firent une nouvelle fois preuve de leur savoir-faire et ils furent naturellement très applaudis.
Le mot "rénovation" était bien sur toutes les lèvres et dans tous les discours. Mais c'était surtout pour conjurer le sort et éviter d'avoir quoi que ce soit à dire sur le fond. Il est vrai que Mme Aubry avait elle-même donné, dès l'ouverture de ces journées, le signal du conformisme intellectuel et de la médiocrité. Dans une tribune publiée la veille dans le Monde [1], la première secrétaire du PS nous servait un bien mauvais brouet, celui que l'énarchie socialiste nous livre depuis vingt ans : peu de chose dans la forme, rien sur le fond. Deux cent cinquante pauvres lignes, grisâtres, presque sans couleur et sans saveur, d'où surnageaient quelques morceaux de pensée molle (" la société décente" volée à Orwell, "une société d'individus" copiée sur Robert Castel, "réinventer la démocratie" ressassé depuis plus d'un siècle derrière Jaurès...). Avec pour conclusion inévitable l'appel au chèque en blanc ("il n'y aura pas d'alternative sans alternance") et l'engagement qui n'engage personne ("pas d'alternance à gauche sans un PS rayonnant, porteur d'idées et profondément rénové"). La lecture de cette purge, que n'aurait pas renié Guy Mollet, montre une nouvelle fois, après l'échec de 2007, le congrès de Reims et la Bérézina des européennes, que les dirigeants de la social-démocratie française n'ont plus ni la volonté, ni la capacité intellectuelle de proposer un projet au pays. Dont acte.
A défaut d'idées nouvelles, on pouvait au moins espérer un minimum d'échanges sur les sujets d'actualité. Là encore, déception sur toute la ligne. Il fut à peine question de la crise industrielle, et des tensions sociales qui minent un peu partout le pays. On ne parla guère plus de la mondialisation, des conséquences de l'ouverture des marchés ou des désordres de la finance mondiale (de peur sans doute d'avoir à déjuger MM. Lamy et Strauss Kahn dont les ombres planaient sur ces journées). Quant à l'Europe, pas un mot. Les querelles du référendum de 2005 ou du traité de Lisbonne devaient rester au vestiaire et il n'était pas question d'inquiéter les militants sur les collusions entre socialistes et conservateurs à Bruxelles et sur les grandes manoeuvres autour de la réélection de M. Barroso.
Ni idées nouvelles, ni sujets qui fâchent,... Le risque existait de voir ces journées d'études tourner court et le désarroi s'emparer à nouveau du PS. Heureusement M. Montebourg et son magasin de farces et attrapes étaient là pour sauver la mise à tout le monde. On lança successivement le feu d'artifices des primaires, celui du cumul des mandats, celui des alliances avec le MODEM, tous sujets qui, à défaut d'intéresser les Français, passionnent les élus socialistes et font frétiller la queue des journalistes. Les résultats de cette excellente diversion ne se firent pas attendre. Sur le front des primaires, on assista à un parfait bal de faux c...ls : MM. Delanoé et Fabius, hier encore hostiles, se ralliaient avec des accents d'enthousiasme, sous l'amicale pression de leurs amis. Le débat fit rage, comme on pouvait s'y attendre, sur le cumul des mandats, qui touche, il est vrai, quasiment tous les caciques du Parti. On s'empailla joyeusement sur l'alliance avec Bayrou, qu'à ce stade, Ségolène et son clan sont à peu près seuls à plébisciter. On vit à l'inverse l'assemblée communier dans l'extase, lorsque M. Montebourg esquissa l'idée d'une VIéme République, jusqu'à ce que certains esprits chagrins fassent remarquer qu'elle avait un peu trop de points communs avec la IVéme ! L'université d'été s'achevait mieux qu'elle n'avait commencé. Les gazettes finissaient par décrèter que Mme Aubry avait parfaitement réussi son coup, qu'elle avait repris la main et que tout allait pour le mieux au pays des socialistes. On se dispersa aux accents joyeux de La Jeune Garde, du Grand Métinge et du Petit Vin Blanc.
On imagine ce que ressent le "peuple de gauche", une fois passée la "gueule de bois" de ce week-end mémorable. Débarbouillé de ses maquillages, loin des feux de la rampe, le Parti émerge dans sa triste réalité, celle d'un cartel de sortants, terrifiés par avance à l'idée de leurs prochaines défaites et qui ne veulent surtout prendre aucun risque. La main tendue au MODEM apparaît pour ce qu'elle est, une sorte de signal de détresse jeté à la mer. Et seule Mme Royal poursuit réellement cette dernière chance, les autres éléphants ayant, semble-t-il, renoncé à penser. Combien de temps faudra-t-il à la présidente de Poitou Charentes pour disperser la direction actuelle et mettre au mouillage ce bateau ivre ? Elle se doit d'agir vite car, après tant de rendez-vous ratés, le temps du socialisme en France semble désormais compté.
Hubert de Marans.