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23 décembre 2009 3 23 /12 /décembre /2009 11:00
Le débat jusqu'à la lie ?... Chiche !

Les Français, qui ont le nez fin, n'aiment pas la tournure que prend le débat sur l'identité nationale. Ils en sentent le caractère artificiel, ostentatoire, les aspects politiciens, voire franchement flicards. Ils n'aiment pas les têtes d'épiciers des Besson, des Copé, des Estrosi et autres Hortefeux,  lorsqu'ils se frottent les mains sur leur petite affaire ou lorsqu'ils sortent leurs carnets pour refaire le compte des immigrés ou des sans papiers. Tout celà ne passe plus, ni les débalages nauséeux dans les préfectures, ni les discours convenus au Parlement, ni les tribunes dans la presse rédigées par l'énarque de service. Selon un sondage CSA, paru hier dans le Parisien, les Français sont un majorité à souhaiter que ce cirque cesse, parce qu'ils ne s'y reconnaissent pas. Une forme de honte salutaire est en train de saisir le pays,  honte non pas vis à vis de la France mais vis à vis des politiciens qui la salisse et de l'image qu'ils en donnent. Certains d'ailleurs, sentant le vent tourner, commencent à se désolidariser de la manoeuvre sarkozyste. Juppé, Villepin, après Bayrou, retrouvent des accents gaullistes. Qu'à celà ne tienne, nous dit ce soir Besson. Puisque les Français répugnent à devenir des Suisses, du moins boiront-ils jusqu'à la lie la mauvaise piquette  qu'on leur a préparée. "Le débat durera jusqu'à fin 2010, bien  au-delà des élections régionales", annonce le Ministre avec des airs de père fouettard. Gageons que, lui, ne durera pas jusque là !

En attendant, nous offrons, comme promis, à nos lecteurs le beau texte que le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, donna il y a quelques semaines au Monde, comme contribution au débat.  "Un des esprits les plus fins et les plus français de notre temps", disions-nous à propos du rabbin Bernheim. Nous aurons besoin à l'avenir de ces esprits là.

  Paul Gilbert.


La nation par les rêves.

L'identité, qu'elle soit française ou juive,
est projet et pas seulement héritage

S'interroger sur une identité, écrivait Emmanuel Levinas, c'est déjà l'avoir perdue. Qu'est-ce que l'identité ? La question, beaucoup agitée ces derniers temps, est celle d'une "identité nationale". Question moderne, narcissique, liée aux pratiques de l'image comme autant de récapitulations au crépuscule.

Depuis des décennies, les décideurs et faiseurs d'opinion de tous niveaux ont clamé sur tous les tons, à propos de tous les sujets, qu'il fallait "changer" ; ils ont à l'envi pratiqué l'autodérision ou l'autoflagellation. Comment, brusquement, s'aviser d'être fidèles à une idée nationale, après avoir invité à se fondre dans un grand ensemble vague dont les frontières varient tous les jours, et après avoir stigmatisé comme "repliement frileux" toute réticence à cette perspective incertaine ? Il est facile d'ironiser et de prévoir paisiblement la catastrophe.

Reste que nous sommes embarqués sur l'esquif dans la tempête et ne pouvons, comme Jonas, nous désintéresser du salut commun. Reste que chacun comprend bien l'affolante perte de repères dont on veut parler, quelles que soient les arrière-pensées conjoncturelles, quand on se soucie d'un déficit d'identité nationale. Certains aujourd'hui interrogent le judaïsme et le peuple juif comme incarnant un modèle de persévérance dans son identité, un modèle de permanence. Le judaïsme, qui a traversé les siècles et les millénaires dans la fidélité à son message universel, qui a témoigné d'une incontestable compétence dans la transmission de l'identité, peut sans doute participer à renseigner notre société sur la question de la permanence et des fondements de l'identité.

L'identité, qui implique répétition, relie un passé à un présent et les projette dans l'avenir. Ce qui rattache au passé et que l'école enseigne : l'histoire, la géographie, la langue, les mythes collectifs. D'où la question de la possibilité d'intégration de ceux, chaque jour plus nombreux dans le corps national, qui n'ont pas les mêmes références. Le Livre biblique de Ruth montre la démarche de celle ou celui qui désire, à titre personnel, se joindre à un autre peuple et en assumer à son tour l'héritage. Il y eut l'assentiment du coeur et de l'âme de celle qui a dit : "Ton peuple sera mon peuple." Il est bien sûr utopique de transposer une telle attitude au niveau collectif ou bien lorsqu'il s'agit de populations entières. Il est néanmoins possible de tirer des enseignements à partir de modèles individuels, qu'ils soient bibliques ou non.

Toutes les communautés juives, si pauvres et menacées fussent-elles, ont entretenu une école et des maîtres comme une priorité absolue. L'école est le lieu décisif de la formation d'un esprit collectif. Le judaïsme a toujours érigé pour les adultes la nécessité de l'étude quotidienne des textes, le devoir d'instruction et de formation.

L'histoire. L'éducation nationale en a sans cesse réduit les horaires au profit des matières plus techniques. Les juifs, quant à eux, ne cessent de commémorer les grandes étapes de leur histoire. Non pas avec orgueil et complaisance, mais dans le souci de rendre grâce pour ce destin unique, d'approfondir les significations et de prendre conscience de leur attachement à cette histoire qui les a faits ce qu'ils sont. De manière analogue, osons dire que non seulement l'histoire de France ne peut pas être réduite sans dommage au ressassement morbide et unilatéral des pages noires de l'histoire contemporaine, mais qu'elle doit aussi enseigner à estimer et à aimer.

S'il faut évidemment dire que la France, battue et envahie en 1940, eut alors un gouvernement antisémite et faible ou complaisant devant l'occupant et que des juifs sous uniforme français en 1914-1918 furent déportés par d'autres Français vers les camps nazis, il ne faut pas oublier de dire que les combattants de l'intérieur et les Français libres furent héroïques et qu'une majorité des juifs de notre pays a échappé aux nazis grâce à des Français. Tout ce qui peut contribuer à une forme d'identification positive à une origine et à une destinée commune doit aussi être dit.

Mais le point de vue narratif doit toujours favoriser une capacité d'identification pour que des hommes venus d'ailleurs trouvent leur place ici. Nous voyons à cet égard des évolutions évidentes et heureuses. S'agissant de l'histoire des musulmans, ils étaient naguère des ennemis lointains, aux confins des programmes (bataille de Poitiers, croisades, chute de Constantinople et menace ottomane à l'âge moderne), ou sujets coloniaux. Ils partagent aujourd'hui une histoire commune pour avoir non seulement transmis, mais encore fait progresser la pensée et la science grecques que redécouvrit l'Occident médiéval. Pour avoir eu leur lot de misère et d'héroïsme dans les guerres mondiales.

La langue. Chacun connaît le nom de Theodor Herzl. Un autre nom n'est pas moindre dans l'histoire du sionisme : Eliezer Ben Yehuda, lexicographe de l'hébreu, un "illuminé" qui prétendait ne s'exprimer qu'en hébreu alors que cet idiome était depuis longtemps confiné aux travaux savants, aux études sacrées et à la poésie. Cet illuminé a eu raison contre toute raison. On peut tout espérer de l'intégration par la langue.

Toute langue donne le monde à ceux qui la parlent ; d'où la gravité du manquement qu'il y aurait à ne pas assurer à tous la parfaite maîtrise d'une langue. A l'école, au collège ou au lycée de donner à la grammaire et aux lettres le temps qu'il faut, éveiller l'amour des mots et des textes, développer le scrupule du terme et de la tournure justes qui expriment la pensée juste. Naturellement, l'école, ce n'est pas un monde clos.

Que pourront les maîtres s'ils doivent aller à contre-courant de l'information, de la publicité, du discours officiel et forcer une indifférence générale ? Si la France redoute, non sans raison, de perdre ses valeurs décisives, elle doit se regrouper autour de son école et honorer ses maîtres. Autre enseignement du judaïsme : on peut être le tenant indéfectible d'une fidélité lointaine, tout en étant loyal envers un sol sur lequel on n'est pas né. Les juifs en Occident ont fait la preuve que l'on peut être à la fois bon citoyen, plus que cela, attaché à son pays, et conserver le souvenir vivace et le respect d'une origine plus lointaine.

Mais l'identité n'est pas qu'un héritage. Celui-ci ne vaut que pour autant qu'il nourrit un projet. Il n'y a pas d'identité française sans projet français : être d'un peuple qui se fait gloire d'avoir souvent parlé et pensé juste, qui en sa longue histoire s'est montré brave et fécond en inventions, qui a porté haut de grands principes qui ont éclairé le monde, qui continue d'offrir un refuge relatif contre bien des misères et des violences, tout en s'efforçant de se gouverner selon le droit plutôt que selon l'arbitraire. Ce projet français peut être, pour les jeunes, un programme exaltant s'il est sans relâche expliqué et illustré.

Et puis ne faut-il pas se demander si l'Occidental en général, ou le Français en particulier, réputé "cérébral", ne s'est pris pour un pur esprit ? Renoncement délibéré aux grands rites citoyens, aux cérémonies et aux formes. Et par ailleurs une prétendue lucidité critique qui s'exprime sans égard aux circonstances et au public. Tout cela alimente un climat désabusé et le dénigrement de tout par tous, ce fameux "mal français". Il faut donner à l'imagination sa part. L'homme a besoin de cérémonies, de symboles, et même du ressassement des évidences. Pour le juif, la loi et les rites publics ou familiaux pourvoient à cela. Le citoyen n'a pas moins besoin de symboles forts, de décorum, de gravité, d'une pédagogie du respect. La nation est portée par ses rêves.

 

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15 décembre 2009 2 15 /12 /décembre /2009 11:00
L'écologie rend fou

N'en déplaise au regretté Pierre Poujade, il n'y a pas que les polytechniciens qui soient abrutis par les mathématiques, il y a aussi les écologistes, ou du moins certains de leurs chefs. Celui qui nous intéresse s'appelle Yves Cochet, il est député vert du Val d'Oise, chercheur patenté en mathématiques et célébrissime auteur  d'une thèse sur l'algébricité des classes de certaines congruences définies sur le monoïde libre. Si l'on ajoute à ces éminents titres de noblesse universitaire une immunité parlementaire chèrement acquise et une dévotion sans faille aux dogmes climatosectaires, Cochet fait partie de ces gens qui disposent aujourd'hui du droit imprescriptible de dire à peu près n'importe quoi. Et notre homme d'en user plus que de raison. Ses dernières déclarations sur la malédiction de faire des enfants en période de rechauffement climatique ont relégué Malthus et ses épigones au rang de doux réveurs gauchistes. Elles ont eu en tout cas le mérite de faire vivement réagir Jacques de Guillebon qui nous dit, dans le dernier numéro de La Nef (décembre 2009), tout le mal qu'il faut penser des mauvais écologistes, et en tout premier lieu du  Capitaine Cochet.

"Mais le plus grave, c’est qu’il existe de surcroît le très mauvais écolo. Celui-là est mauvais à un point que vous ne pouvez pas imaginer. En général, il s’appelle Yves Cochet. C’est une variété de député Vert qui, parce qu’il a fait un peu de maths dans sa jeunesse, croit pouvoir vous expliquer la vie par une règle de trois. Aussi rusé sur la question démographique que Claude Allègre sur le problème du réchauffement climatique. En fait, c’est le Capitaine Crochet qui, parce qu’il a enlevé une lettre à son nom, croit qu’on ne va pas le reconnaître. Il s’était camouflé tel le père de Lili la tigresse, mais moi, j’ai bien vu que c’était lui à ceci que son principal problème, c’est qu’il n’aime pas les enfants. Forcément, si vous n’avez pas revu récemment Peter Pan, vous ne pouvez pas comprendre de quoi je parle. C’est le premier avantage d’avoir des enfants qu’ignore notre pirate de pacotille. Figurez-vous donc que ce benêt de premier ordre qui n’a décidément rien d’autre à faire que des calculs imbéciles (où va l’argent du contribuable ? Je vous le demande) s’était préoccupé dans un premier temps de s’apercevoir qu’un enfant occidental (un riche ou un pauvre ? de l’est ou de l’ouest ? l’histoire ne le dit pas) avait, je cite, « un coût écologique comparable à 620 trajets Paris-New York ». Là, vous pas bêtes, vous vous dites devant le résultat crucial de cette équation qui ferait rougir Thalès de Millet : palsambleu, supprimons les 620 vols Paris-New York ! Et lui, très con, de répondre : que non, supprimons les enfants occidentaux ! Je sais, dit comme ça, de manière assez peu élégante de surcroît, on peine à y croire. Alors que non seulement c’est vrai, mais qu’en plus il récidive. Il ose tout le Capitaine Cochet, c’est même à ça qu’on le reconnaît : il tient pour la « grève du troisième ventre » ! C’est-à-dire qu’il prône, pas loin du regrettable successeur du Grand Timonier, que l’on supprime les allocations des lapins occidentaux qui auraient commis la scélératesse de se reproduire trois fois. Vous, je ne sais pas, mais autant vous dire tout de go que si la loi était rétroactive, ma famille devrait sans doute rembourser une somme approchant le montant de la dette extérieure des États-Unis (puisqu’on parlait de New York). Mais Capitaine Cochet se chargera bien de nous calculer ça, quand il aura fini sa campagne occidentale de stérilisation. Quand on lui objecte qu’il y a des retraites à payer, tout ça, il répond que pas grave, on importera quelques rejetons des bonobos du Sud qui s’escriment à avoir, eux, plein d’enfants qui coûtent seulement des vols N’Djamena-Libreville. Autant dire rien. Et encore, faudrait être sûrs qu’ils sachent ce que c’est qu’un avion. On les importera donc, comme cette vulgaire marchandise qu’ils n’ont jamais cessé d’être dans la tête des hommes de gauche, négriers de naissance. Et si notre Capitaine Cochet ne se demande pas une seconde si cette progéniture de remplacement, par hasard ne se mettrait pas à se comporter comme nos propres enfants, c’est-à-dire à prendre l’avion pour New York aller-retour tous les jours, quand elle se sera acclimatée, c’est, rassurez-vous, simplement parce que Cochet se moque éperdument de ce qui se passera après. En attendant, je vous souhaite un saint Noël, que vienne l’Enfant que nul ne pourra nous enlever.

 

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10 décembre 2009 4 10 /12 /décembre /2009 19:42
La meute
 

Comme nous l'avions prévu (RCIL du 27 novembre), M. Proglio ne débarque pas seul à EDF. On y annonce l'arrivée prochaine de plusieurs transfuges de Véolia, qui feront, sur le modèle de leur chef, le pont entre les deux groupes. Ce serait le cas de Denis Lépée, conseiller de Proglio depuis 2003, qui prendrait la direction de son cabinet à EDF. On parle également d'Alain Tchernonog, actuel secrétaire général de Véolia, lui aussi très proche de Proglio, qui assurerait les mêmes fonctions stratégiques au sein du groupe public. On murmure enfin les noms de Bernard Sananes, grand communicant d'Euro RSCG, de l'ancien Ministre Michel Roussin, qui joue depuis plus de 10 ans les "hommes de l'ombre" du BTP français, ou du jeune et ambitieux Thierry Piquemal, qui tient les rênes financières chez Veolia et qui pourrait les prendre chez l'électricien. On le voit, il ne s'agit pas d'une simple opération de relève des équipes. C'est en réalité l'état major de l'ex Générale des Eaux qui prend en main la direction du groupe public.

On se souvient pourtant que, le 25 novembre dernier, lorsqu'il prenait ses nouvelles fonctions, M. Proglio avait protesté de ses bonnes intentions quant au rapprochement entre EDF et Véolia : une perspective à long terme, précisait-il, et qui ne se traduirait en aucune façon par l'absorption ou par la disparition d'EDF. "Je ne veux pas qu'on s'imagine que je suis allé chez EDF pour cela..." s'était-il empressé de dire. "Des soupçons ridicules", renchérissaient les entourages de l'Elysée et de Matignon. Il est vrai que le président de Véolia était alors dans un exercice difficile : il fallait à la fois séduire les syndicats et les actionnaires d'EDF, ne pas effaroucher les parlementaires et faire oublier son passé de marchand d'eau. Maintenant que cette étape a été franchie, et que les gogos ont avalé tous les bobards qu'on leur a distribués, pourquoi s'embarasser de scrupules inutiles ? Lorsqu'on a M. Sarkozy comme ami, comme parrain et comme exemple - celui là même qui au début de son mandat parlait de "retour à l'Etat impartial" - il serait dommage de se gêner. 

M. Proglio avance. Sans rencontrer, hélas, d'opposition sérieuse. Ni M. Thibault, qui disposait  cette semaine de la tribune du congrès de la CGT, ni Mme Aubry n'ont vraiment élevé la voix pour stigmatiser ce qui ressemble de plus en plus à une affaire d'Etat : le démantèlement organisé d'une de nos dernières grandes entreprises publiques, au vu et au su de toute l'opinion. La seule appréciation un peu critique est venue, curieusement, de M. Jouyet, ex sous ministre et actuel président de l'autorité des marchés financiers - qui a qualifié de "baroque" le cumul de fonctions de M. Proglio chez Véolia et EDF. Baroque ! Il en faudra plus pour contrer l'inquiétante équipe qui se met progressivement en place à la tête d'EDF.

Hubert de Marans.


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9 décembre 2009 3 09 /12 /décembre /2009 11:00
Qui sème le vent...

A la suite du  courrier d'alerte de Jacques Sapir (RCIL du  26 novembre ), nous publions ci-dessous la pétition lancée samedi dernier dans Le Journal du Dimanche par le philosophe Alain Finkielkraut, le démographe Hervé Le Bras et 18 de nos meilleurs historiens contre la suppression de l'histoire-géographie en terminale S. Ce texte rencontre un succès croissant au sein du monde universitaire et politique, ainsi qu'auprès des Français de plus en plus nombreux qui ne supportent plus la légèreté et la vulgarité du pouvoir actuel. Le petit Chatel, ministre de l'ignorance républicaine, s'essaie depuis quelques jours à défendre une réforme indéfendable. Chacune de ses interventions sombre dans le ridicule et déconsidère un peu plus le gouvernement. Il faut diffuser et faire connaître partout ce texte salutaire.

"La décision envisagée par M. le Ministre de l’Education nationale, dans le cadre de la réforme des lycées, de rendre optionnelle l’histoire-géographie en terminale scientifique ne peut que susciter la stupéfaction par son décalage avec les nécessités évidentes de la formation des jeunes Français au début du XXIe siècle. A l’heure de la mondialisation, les futurs bacheliers scientifiques n’auraient donc nul besoin de se situer dans le monde d’aujourd’hui par l’étude de son processus d’élaboration au cours des dernières décennies, pas plus que par l’analyse de sa diversité et des problèmes qui se posent à la planète et à son devenir. En outre, ils se trouveront dans l’impossibilité d’accéder à certaines formations supérieures de haut niveau pour lesquelles la connaissance de l’histoire et celle de la géographie sont indispensables et vers lesquelles ils se dirigent en nombre croissant. Au moment où le président de la République et son gouvernement jugent urgent de lancer un grand débat sur l’identité nationale qui doit mobiliser le pays, cette mesure va priver une partie de la jeunesse française des moyens de se faire de la question une opinion raisonnée grâce à une approche scientifique et critique, ouvrant ainsi la voie aux réactions épidermiques et aux jugements sommaires. Il est impératif d’annuler cette décision, inspirée par un utilitarisme à courte vue, qui se trouve en contradiction avec les objectifs proclamés du système éducatif français sur le plan de la formation intellectuelle, de l’adaptation au monde contemporain et de la réflexion civique des futurs citoyens."

Signataires: Jean-Pierre Azéma (historien), Antony Beevor (historien, université de Londres), Jean-Jacques Becker (historien), Serge Berstein (historien, Sciences-Po), Pierre Cosme (historien, université Paris-I), Alain Finkielkraut (philosophe, Ecole polytechnique), Jean-Noël Jeanneney (historien, Sciences-Po), André Kaspi (historien), Jacques Le Goff (historien), Hervé Le Bras (démographe, Ined et EHESS), Evelyne Lever (historienne, CNRS), Pierre Milza (historien), Michelle Perrot (historienne), Antoine Prost (historien), Jean-Pierre Rioux (historien), Jean-François Sirinelli (historien, Sciences-Po), Benjamin Stora (historien, universités Paris-VIII et Paris-XIII), Jean Tulard (historien), Annette Wieviorka (historienne, CNRS), Michel Winock (historien, Sciences-Po).


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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 19:42
Main basse sur le nucléaire
 

M. Proglio n'a aucun état d'âme et pourquoi d'ailleurs en aurait-il ? En prenant mercredi dernier la direction d'EDF, il a mis toutes ses cartes sur la table, en veillant à bien cibler chacune de ses annonces. Aux cadres du groupe, demandeurs de changement, il a promis du sang neuf à la tête de l'état major d'EDF, où l'on s'attend à l'arrivée de transfuges du privé (et bien évidemment de Véolia). Aux syndicats, et en premier lieu à la CGT dont il s'est assuré la neutralité, il a promis un plan d'embauche et une grande vigilance sur l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, ce qui ne constitue au demeurant  qu'un demi-engagement, dans la mesure où ces décisions relèvent de Bruxelles et de l'Etat. En direction de l'Elysée et des actionnaires, il a confirmé sa  volonté d'oeuvrer à un rapprochement EDF-Veolia, même si ce chantier a été prudemment relégué dans les perspectives à long terme. "Je ne veux pas qu'on s'imagine que je suis allé chez EDF pour cela..." s'est empressé de préciser M. Proglio. Qui donc pourrait avoir d'aussi noires pensées ?

Mais ce sont surtout ses déclarations sur le nucléaire qui ont retenu l'attention. Là encore, M. Proglio n'y va pas par quatre chemins. Selon lui, le nucléaire c'est d'abord un marché, et un marché porteur, où la France n'occupe pas toute sa place. Parce qu'EDF, rajoute-il, n'y joue pas suffisamment son rôle de leader mondial et qu'on a eu tort de confier le pilotage de la filière française à un industriel spécialisé, Areva. Le débat n'est pas neuf et l'histoire du nucléaire français est faite depuis vingt ans d'une suite de batailles entre le groupe électricien et les industriels, désormais regroupés derrière Mme Lauvergeon et son entreprise. Il est logique que M. Proglio reprenne dans ce domaine les postures de ses prédécesseurs, comme il est logique qu'Areva défende la stratégie qui a présidé à sa création.

Il est toutefois permis de penser que les arguments de M. Proglio ne sont pas les meilleurs, et qu'ils relèvent même d'une vision dépassée des grands marchés d'équipement: quel pays, désireux de s'équiper en nucléaire, accepterait aujourd'hui de mettre tous ses oeufs dans le panier d'EDF ? à peu près aucun. On peut également penser que le rôle premier d'EDF n'est plus de jouer les "champions" nationaux, mais de fournir aux Français l'électricité dont ils ont besoin, à un prix raisonnable, dans de bonnes conditions de fiabilité et de sûreté, et en développant autant que possible les énergies renouvelables. Ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.

Mais les motivations de M. Proglio sont-elles vraiment celles là ? Ne sont elles pas plutôt à rechercher, comme le suggéraient certains commentateurs économiques, du côté de GdF-Suez ? On sait en effet que le concurrent historique de Véolia pèse maintenant d'un certain poids sur le marché de l'énergie et qu'il a de sérieuses ambitions dans le nucléaire, en France et en Europe. D'ici à voir dans l'attitude de M. Proglio le souci de protéger son pré carré et d'éliminer un concurrent dangereux pour le futur attelage EDF-Véolia, il n'y a qu'un pas. Tout cela ne serait donc qu'une nouvelle querelle des "marchands d'eau" ? Après tout, pourquoi pas. Dans le paysage industriel sarkozien, le pire est souvent le plus sûr.

Le gouvernement cherche à éviter que le conflit EDF-Aréva ne s'envenime. Le Premier ministre, en visite jeudi sur le chantier de l'EPR de Flamanville, en présence des deux protagonistes, Mme Lauvergeon et M. Proglio, a rappelé que le leader naturel de la filière nucléaire française, c'était l'Etat. Quant à Mme Lagarde, qui ne porte pas dans son coeur M. Proglio, elle a martelé, sous forme de rappel à l'ordre, qu'EDF devait d'abord s'occuper de ses affaires et en premier lieu de la sûreté et la performance de ses installations. Il y a toutefois fort à parier que le nouveau président d'EDF n'en restera pas là et qu'il repartira en campagne. Ses ambitions ne se limitent pas à une sage gestion d'EDF. Il y a dans le contrôle du nucléaire français des jeux de pouvoir qui vont très loin, bien au delà des intérêts du service public et de ceux de la la Nation. L'affaire Proglio ne fait que commencer et le pouvoir actuel peut y jouer son avenir.


Hubert de Marans.


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26 novembre 2009 4 26 /11 /novembre /2009 11:00
Un régime sans histoire

"La République, c'est le gouvernement des imbéciles", lâchait souvent avec malice le regretté Léon Daudet. Formule rapide ? Sans aucun doute. Injuste ? Pas tant que cela si l'on se réfère aux mille histoires qui nous remontent chaque jour du gouvernement, du Parlement, de la presse ou des médias et qui nous font, selon le moment, rire aux larmes, pleurer de rage, mourir de honte ou sombrer dans la consternation. De quoi nourrir en tous cas une petite rubrique où nous publierons régulièrement les meilleures (c'est à dire souvent les pires) nouvelles de la tribu des Mariannides.

Voici le premier de ces échos et il est particulièrement affligeant. Dans une lettre adressée à Bertrand Renouvin et publiée sur le blog de celui-ci, l'économiste Jacques Sapir dénonce la suppression prochaine de l'enseignement de l'Histoire et de la Géographie en terminale scientifique. Il faut faire une large diffusion de cette information qui illustre, une fois encore, la conception de l'éducation et de "l'identité nationale" qui est celle du sarkozysme et des minus habens qui nous gouvernent.

Paul Gilbert.

 

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14 novembre 2009 6 14 /11 /novembre /2009 19:42
Silence d'Etat
 

La nomination de M. Proglio comme PDG d'EDF suit son petit bonhomme de chemin, dans un  silence quasi assourdissant. Alors que les manigances de l'Elysée sont sur la place publique depuis plus d'un mois, il a fallu attendre le 5 novembre, date d'intronisation de Proglio comme  administrateur d'EDF pour que les premières questions gênantes lui soient posées. Ni par la presse, ni par le monde politique, encore moins par la Justice, mais par de petits porteurs d'EDF inquiets des risques de conflit d'intérêts que cette désignation comportait. "Vous serez informé en temps voulu", leur aurait jeté celui qui est encore président de Véolia et qui entend bien le rester. Cette belle réponse, suffisante et maladroite à souhait, a fini par provoquer quelques bulles dans le microcosme médiatique. Les premières.

Côté politique, les réactions sont plus qu'embarrassées. Mme Lagarde, dont le choix, dit-on, ne s'était pas spontanément porté sur Proglio, déclare vouloir juger sur pièces, sans nous dire sur quelles pièces se forgera son jugement. Bayrou a donné de la voix, mais elle porte décidément trop peu. Quant à Martine Aubry, elle s'est fendue mercredi d'un communiqué minimaliste qui ne fait référence qu'aux problèmes de cumul de rémunération. Comme s'il n'y avait que ça ! Comme si les menaces de privatisation ou de dépeçage qui pèsent sur un des fleurons de notre industrie, les risques de voir notre indépendance énergétique hypothéquée par des manoeuvres de cours de bourse, valaient moins chers que quelques jetons de présence ! Décidément, le moralisme stupide, qui a dénaturé l'affaire de l'Epad, continue à faire des ravages. Mme Aubry et ses amis demandent à corps et à cri des commissions d'enquête parlementaires sur quelques sondages de l'Elysée, ni pire ni meilleurs que ceux que commanditait Mitterrand, mais lorsqu'il s'agit de l'avenir du pays et de ses services publics, plus personne.

Les prises de position des organisations syndicales sont à peine plus brillantes. Bernard Thibault, assure n'être pour rien dans le choix de M. Proglio. Mais on sait que ce dernier est passé maître dans l'art d'amadouer la CGT. Celle ci jouera en réalité, comme elle l'a toujours fait à EDF, la carte de la cogestion avec le pouvoir. Et dans ce jeu de rôle, elle préfère mille fois le profil affairiste et roublard de M. Proglio plutôt que celui de l'intègre Gadonneix. Mêmes sons de cloche à la CFDT et à FO. Seul SUD Energie fait entendre une voix discordante et dénonce la collusion entre le gouvernement et les marchands d'eau qui entrent à EDF, après s'être payé GDF. Dommage, là encore, que ceux qui voient juste pèsent aussi peu !

La désignation de M. Proglio comme PDG d'EDF devrait intervenir début décembre, ce qui laisse un temps tout à fait suffisant pour ameuter l'opinion et inquiéter le pouvoir. Mais la gauche française a-t-elle encore envie de se battre sur autre chose que des faux semblants ?

Hubert de Marans.


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24 octobre 2009 6 24 /10 /octobre /2009 18:42
L'affaire Proglio              
     




 

On savait qu'il n'y avait plus de presse libre en France. On vient de découvrir qu'il n'y a même plus de presse intelligente. L'affaire de l'EPAD, vite devenue pour la circonstance l'affaire "Jean Sarkozy", est le symbole le plus éclatant de cet effondrement intellectuel. Quel est le résultat de toute cette belle agitation ? - Un spectaculaire recul du pouvoir, nous dit-on - Par rapport à quoi ? Le climat affairiste qui entoure cette affaire est-il dissipé ? Ce quartier de ville, où habitent et travaillent des centaines de milliers de nos concitoyens, va t-il  enfin sortir des griffes des promoteurs ? La fuite en avant financière organisée par le pouvoir pour sauver la mise à une poignée d'aigrefins a-t-elle fait long feu ? - Mais pas du tout voyons, vous n'y êtes pas ! "Il" a renoncé, vous comprenez, c'est une victoire immense! - Mais qui, "il" ?  - Mais, le fils Sarkozy, voyons, il ne sera pas président de l'EPAD! Nous avons évité un scandale énorme, une véritable honte pour la France dans le monde, une dérive monarchique du pouvoir, comprenez vous ? Mais grâce à nous, tout est fini et bien fini. Passons maintenant au sujet suivant...

Voilà comment l'on traite désormais de la politique dans ce pays. Tout y est vu par le bout de la lorgnette le plus minable et le plus facile. La morale, ou plutôt le moralisme, tient désormais lieu d'esprit public à ce qu'on appelle la presse d'information. Une bande de docteurs de la loi y règne en maître et traque, sous la houlette éclairée du Monde, notre grand journal suisse de langue française, tout se qui pourrait tenir lieu, de près ou de loin, de tentation "monarchique", de séduction "royale" ou d'appétit "dynastique". Que ces gens aient pour songe creux de transformer la France et ses 2000 ans d'histoire en annexe d'un patronage protestant, en séminaire permanent pour pasteurs en goguette ou en débit de tabac pour pensionnés du canton de Vaud, c'est leur affaire! Mais, de grâce, qu'ils laissent la place à d'autres pour commenter sérieusement nos sujets politiques qui ne tournent déjà pas bien rond.

Le triste résultat de la pantalonnade médiatique de jeudi dernier, c'est qu'une partie du pays, sous l'influence de cette calamité médiatique, est désormais convaincu que l'affaire est terminée, que le dossier est clos, que plus rien n'est en jeu. Alors que c'est  maintenant que la vraie partie va s'engager et qu'il faut au contraire redoubler de vigilance. Si l'on n'avait pas peur de donner une trop haute opinion du pouvoir en place - qui compte, certes, quelques oiseaux de proie, comme M. Guéant, mais aussi pas mal de perruches - on pourrait  risquer l'idée que tout cela a été monté de haute main, pour faire une excellente diversion. Disons plutôt que l'équipe en place a su rebondir et faire d'un mal un bien. En tous cas, le résultat est là: dormez, braves gens, il ne se passe plus rien sur la Défense!

L'autre beau résultat de cette agitation inepte, c'est l'absence de commentaires sur l'affaire Proglio. On sait que M. Henri Proglio, qui tient, pour quelques semaines encore, entre ses mains les destinées de l'empire Véolia, est un proche du chef de l'Etat, un proche des proches, un allié comme on disait autrefois. Ce proche, cet allié est appelé à prendre, fin novembre, la direction d'un autre empire, celui là public, EDF. Non pas que les compétences manquaient au sein de notre grand électricien national, on y compte même des  dirigeants de premier plan qui auraient parfaitement fait l'affaire au mieux de nos intérêts, mais c'était sans compter sur la nouvelle  "morale industrielle" qui sévit depuis deux ans à Matignon et à Bercy, sous l'amicale impulsion de l'Elysée: il faut hybrider les nominations. Comprenez : il faut que les stars du privé prennent un peu de bon temps à la tête de nos affaires publiques. On a vu cette excellente stratégie à l'oeuvre l'an dernier avec le rapprochement GDF-Suez. Les dirigeants de Suez ont croqué à belles dents l'entreprise publique, qui s'est retrouvée privatisée sans que quiconque y ai vu quoi que ce soit, à commencer par les syndicats et l'opposition. Et c'est naturellement le même coup mais en beaucoup plus gros qui se prépare pour EDF. Non seulement M. Proglio est un "hybride" parfait, non seulement il est une sorte de  "cousin" du chef de l'Etat, ce qui ne gâche rien, mais en plus il va pouvoir rester président de Véolia, pour activer les "synergies" entre les deux entreprises. On parle déjà d'échanges de participations.

Quelques commentateurs se sont malgré tout inquiétés des risques déontologiques qu'une telle situation pouvait créer, notamment dans le secteur de l'énergie où les deux groupes sont concurrents sur plusieurs marchés étrangers. Le gouvernement a vite balayé le sujet de la main, en précisant que M. Proglio ne conserverait aucune fonction exécutive chez Véolia - ce qui n'empêche rien - et qu'un arbitre serait désigné pour éviter tout conflit d'intérêt entre les deux structures. Le nom de M. Schweitzer ayant été évoqué pour cet arbitrage, cela a eu pour effet de dissiper toutes les interrogations de notre presse "genevoise"! Quant aux impératifs d'intérêt national et de service public, qui sont essentiels dans un secteur aussi stratégique que l'énergie, il n'en fut même pas question. On peut espérer que les syndicats et que les partis d'opposition soulèveront ces sujets hautement sensibles, au moment voulu.

Reste que la nomination de M. Proglio ressemble comme deux gouttes d'eau à une privatisation camouflée. Aucun organe de presse, en dehors de la voix bien faible de l'Humanité, n'a mis cette question à sa une, ce qui est symptomatique du degré d'autocensure qui existe actuellement dans la sphère médiatique française. Aucune réaction non plus de la part des syndicats - qui consultent leurs bases -, ni de l'opposition - qui découvre le sujet. Il est vrai que les informations ont filtré au "goutte" à "goutte" mercredi et jeudi, alors que l'affaire "Jean Sarkozy" occupait, bien inutilement, tous les écrans. Espérons que, lundi, d'autres diversions ne viendront pas brouiller les pistes de ce qu'il faudra bien, tôt ou tard, appeler l'affaire Proglio.


  Hubert de Marans.


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22 octobre 2009 4 22 /10 /octobre /2009 22:40

Le retour du "gaullisme immobilier"
 

En feuilletant récemment la collection de la Nouvelle Action française[1], je suis tombé en arrêt sur un numéro de juillet 1971, titré "Garantie foncière : le panier de crabes", qui aurait presque pu être écrit hier. L'auteur du papier titre - sans doute le regretté Arnaud Fabre de Rieunègre - faisait le lien entre la série de scandales qui venaient d'éclabousser le parti gaulliste et les relations plus que malsaines qui avaient fini par s'établir entre  "l'Etat batisseur" et le monde de la construction. Le "mal de la pierre", cette croyance absolue dans les vertus de l'immobilier est un vieux mal français, mais on assistait alors à de véritables débordements.  Comme le soulignait l'article :
L'exemple manifesté par l'Etat dans la gestion de ses propres crédits, joint à la faveur dont le secteur immobilier a longtemps bénéficié, constitue sans nul doute un climat favorable au développement d'escroqueries qui ne sauraient trouver meilleur terrain de prédilection que le marché immobilier. Depuis 1962, celui-ci a pris le relais de la Bourse dont la baisse régulière a découragé les épargnants. L'investissement dans la pierre était devenu un véritable mythe social auquel une opinion publique conditionnée accorde encore une confiance quasi aveugle. En effet, tout ce qui a trait à la construction intéresse au plus haut point les Français auxquels, paradoxalement, on a présenté les opérations immobilières comme plus morales que les placements boursiers.[2]

Le sarkozysme à mi parcours est-il en passe de connaître les mêmes dérives que le gaullisme finissant? On y trouve en tous cas des similitudes frappantes : le goût démesuré du Président et de ses ministres pour les "grands travaux", une forte influence, jusqu'au sein même du pouvoir, des majors de la construction et des services urbains, un marché immobilier fébrile, qui se prête parfaitement à la spéculation et aux plus-values juteuses, une "nouvelle" bourgeoisie " prise d'une véritable fringale d'argent facile et d'affaires vite et bien faites.... L'actualité de ces dernières semaines semble d'ailleurs nous donner de premiers signes avant-coureurs de cette épidémie de "grippe immobilière".

Le premier d'entre eux, c'est évidemment la comédie de l'EPAD. Soyez rassuré, nous dit-on ce soir, finalement Jean Sarkozy n'ira pas. Nous sommes ravis de le savoir, mais nous serions encore plus heureux qu'on nous dise pourquoi on en est arrivé là. Tous ceux qui s'intéressent au monde des affaires savent que depuis plus d'une dizaine d'années, l'opération de la Défense n'est plus que l'ombre d'elle même. Mal conçu, très coûteux en aménagement et en entretien, fruit d'un urbanisme largement obsolète, le quartier d'affaires parisien ne fait plus recettes. On dit même que près du quart de sa surface est considéré comme invendable en l'état. La situation est particulièrement grave pour le monde immobilier parisien (opérateurs mais aussi banques, compagnies d'assurances...), qui y a investi dans les années 90 une grande partie de ses actifs. Seule stratégie possible, sauf à provoquer un "assainissement forcé" de la profession, celle de la "relance" des investissements, c'est à dire de la fuite en avant. C'est la stratégie à laquelle Sarkozy a attaché son nom depuis 2005, en tant que ministre de l'aménagement du territoire, puis comme président du conseil général des Hauts de seine et aujourd'hui en tant que chef de l'Etat. Si son plan de relance devait réussir, c'est de l'ordre d'un milliard d'euros de recettes supplémentaires qui pourraient rentrer dans les caisses de l'EPAD, 4 à 5 milliards dans celles des investisseurs et l'opération serait sauvée pour quelques années. S'il échoue, c'est une nouvelle correction financière sévère pour toute la profession. On comprend mieux pourquoi le président de la République cherche à garder la haute main sur un dossier qui lui vaut le soutien indéfectible du monde des affaires. Qui mieux que son fils pouvait jouer le rôle d'intermédiaire zélé entre les aménageurs et l'Elysée? Gageons, qu'à défaut, on trouvera des candidats moins en vue mais tout aussi dociles. Il n'en manque pas dans les Hauts de Seine ou dans la haute administration!

Deuxième exemple, le dossier du Grand Paris. Là encore, il s'agit d'un projet suivi personnellement par le chef de l'Etat, piloté depuis l'Elysée par sa garde rapprochée, Claude Guéant en tête, et dont l'exécution est confiée à un "homme sûr", en l'occurrence Christian Blanc. A l'origine, l'affaire est présentée comme hautement stratégique et on sait la parer de toutes les couleurs de l'intérêt général : Paris et l'Ile de France décrochent de la compétition mondiale, ce qui est évidemment inacceptable; il faut lancer un grand projet mobilisateur, hauts les coeurs et retroussons nous les manches... Afin d'endormir au mieux les grandes consciences, on commence par confier le chantier à dix équipes d'architectes qui vont faire assaut d'imagination sur le thème du Paris de 2050. Les résultats sont d'une pauvreté, voire d'une laideur insigne [3] - preuve supplémentaire qu'il ne faut pas confier notre avenir aux architectes! - mais cela n'a strictement aucune importance. On juge qu'on a assez amusé la galerie et le gouvernement sort en moins d'un mois, sans aucune concertation avec qui que ce soit, un texte de loi qui sera discuté dans quelques semaines au Parlement. Bien entendu, le contenu de la loi n'a strictement rien à voir avec les rêveries de nos hommes de l'art, puisqu'elle propose, de la façon la plus prosaïque qui soit, la réalisation d'une rocade en métro souterrain de 130 km de long, l'implantation de 40 nouvelles gares en proche et moyenne couronne et la possibilité pour l'Etat de préempter le foncier jusqu'à plus d'un km autour de ces gares. C'est à dire sur une surface  équivalente à 3 fois la surface de Paris ! Même les aménageurs gaullistes, dans leurs rêves les plus fous, n'avaient pas osé aller jusque là ...

Naturellement, tout le BTP français et européen regarde cette affaire comme la poule aux oeufs d'or. Le BTP mais aussi le monde de l'immobilier qui guette sa proie. Christian Blanc a d'ailleurs pour partie vendu la mèche en déclarant que la réalisation du projet de transport ne devra pas peser sur les budgets publics et que ce sera donc aux recettes tirées du foncier - c'est à dire à la spéculation immobilière - d'en assurer le financement. Voilà qu'on nous refait le film de La Défense,  mais en accéléré et en très grand format. On découvre d'ailleurs au passage que le projet de métro aura aussi vocation à valoriser le site de la Défense, plan de relance oblige... et la boucle est bouclée.

Le "mal de la pierre" s'attrape vite et il ne connaît malheureusement aucune  frontière, ni physique ni idéologique. S'il commence  souvent par frapper à droite, il n'épargne  que rarement la gauche, surtout lorsqu'elle dispose du pouvoir. L'équipe parisienne en est aujourd'hui la première victime. Depuis le début de son second mandat, M. Delanoë s'est juré de relancer la construction de tours à Paris parce que c'est beau et parce que c'est moderne! On pensait que la crise financière aurait fait son oeuvre et que le Maire de Paris renverrait ses fantasmes à beaucoup plus tard. Point du tout ! On annonce la réalisation d'une première tour de 200 m dans la ZAC des Batignolles, et ce n'est qu'un début... Pourquoi recommencer les erreurs du passé? Pourquoi infliger aux parisiens l'urbanisme détestable, la laideur, les conditions de vie inhumaines auxquels tant de citadins dans le monde sont confrontés, sans possibilité de choix. La bêtise, l'ignorance, le copinage et le conformisme intellectuel y sont pour quelque chose. Mais c'est demain la spéculation et l'affairisme qui en feront leur miel, en pesant à nouveau sur les affaires de Paris d'un poids étouffant

La "fièvre immobilière" est de retour. Elle est la manifestation d'un capitalisme qui a perdu tous ses repères et qui ne sait plus quoi faire de ses profits.  Méfions nous que tout cela ne se termine pas très mal. Une succession de scandales retentissants, surtout si ils impliquent l'épargne publique, peut balayer d'un revers de main les régimes les mieux établis. Le pouvoir actuel prend le risque de flirter dangereusement avec ces sujets, il est dans sa logique et tant pis pour lui. Mais si le reste de la classe politique n'allume pas les contre-feux nécessaires, c'est à la démocratie dans son ensemble à qui les Français demain demanderont des comptes.

Hubert de Marans.

[1]. Sur l'excellent site des Archives Royalistes.
[2]. Jacques Delcour, Garantie foncière : le panier de crabes, La Nouvelle Action française, 26 juillet 1971.
[3]. Les résultats de ces cogitations sont exposés jusqu'au 22 novembre à la Cité de l'architecture (1, Place du  Trocadéro, Paris 16e). Si vous voulez prendre conscience du niveau de confusion intellectuelle qui règne dans la tête de nos "grands" architectes, courez-y, c'est absolument édifiant. Nous y reviendrons dans un prochain billet.
[4]. Alors que toutes les enquêtes montrent que les Parisiens et les visiteurs étrangers sont massivement hostiles à l'érection de telles horreurs, Delanoë persiste. Il faudra qu'il paye un jour ce déni de démocratie. Notre site relaiera toutes les initiatives visant à s'opposer par tous les moyens (même légaux!) à ces constructions. A quand la reconstitution du Comité "Sauver Paris"?

 

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19 septembre 2009 6 19 /09 /septembre /2009 21:55
Un pion

M. Darcos est un pion, et même un assez vilain pion. Son passage à l'éducation nationale, où il se comporta pendant deux ans comme le plus buté des surveillants généraux, supprimant les postes, fermant les classes, maltraitant les programmes, restera dans les annales. Jamais un ministre n'aura aussi peu fait et aussi mal fait. Et, si l'on s'en tient à la période récente, jamais on n'aura comptabilisé autant de jours de grèves et de manifestations, mêlant professeurs, parents et élèves, que pendant le triste ministériat du sieur Darcos. Son remplacement - même par le petit Chatel qui s'intéresse pourtant plus à la communication qu'au fond des dossiers - en aura soulagé plus d'un. Primum non nocere, comme disaient les Anciens.

Il fallait bien le recaser quelque part et on lui proposa comme une promotion le portefeuille du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. Toutes choses un tant soit peu sérieuses, pour lesquelles, bien évidemment, M. Darcos n'a aucune des compétences requises. Il est vrai qu'il succède au rondouillard Xavier Bertrand, qui n'aura pas laissé des traces profondes dans notre code du travail. Et qu'après tout, ni Rama Yade aux sports, ni Bruno Le Maire à l'Agriculture, ni Eric Besson à l'Imigration, n'ont vraiment la tête de l'emploi. De là à confier un des ministères les plus sensibles, en pleine période de crise et de chômage, à un pareil boutefeu, il y avait un pas. Il a été allègrement franchi.

Bien évidemment, M. Darcos n'a pas attendu de prendre la mesure des dossiers pour faire des annonces fracassantes. C'est à lui que François Fillon doit d'avoir vendu la mèche sur la réforme des retraites avant les vacances : une déclaration sur la remise en cause du seuil des 60 ans qui a failli mettre le pays en état de transe. Au point qu'il a fallu que les dirigeants syndicaux montent au créneau en même temps que le Premier ministre pour tout démentir et éteindre l'incendie. On conçoit que M. Darcos ait envie de communiquer à tout va et de se dégourdir les jambes sur n'importe quel sujet un peu médiatique : la situation sociale lui en laisse effectivement tout le loisir ! Les statistiques du chômage, imperturbablement mauvaises, se passent de commentaires. Quant à l'idée que le gouvernement, et singulièrement le ministre du travail, pourrait agir sur le front de l'emploi, durcir un tant soit peu les conditions de licenciement dans les entreprises qui font des bénéfices, accompagner les salariés victimes de patrons voyous, orienter l'investissement et la formation vers des secteurs en développement..., vous n'y pensez pas !  l est plus sage d'attendre tranquillement la reprise et surtout de se mêler de rien.

Et d'ailleurs pourquoi agir puisque, comme M.  Darcos vient de le déclarer au Monde, "le climat social est finalement assez apaisé et propice au dialogue" [1]. Les dizaines de milliers de salariés qui sont confrontés à des plans sociaux ou à d'insidieuses mesures individuelles de licenciement apprécieront. A commencer par les 300 ouvriers de Continental, dont les dirigeants syndicaux ont été durement condamnés par la justice le 2 septembre dernier, alors que dans la plupart des cas les patrons voyous ne sont pas poursuivis. Et les 400 employés de New Fabris, forcés d'accepter, début août, des primes de départ misérables à l'issue d'un combat désespéré. Et ceux de Mollex à Villemur, qui viennent d'apprendre que leur employeur américain, non content de les licencier, s'oppose à la reprise du site. Et les 130 de Trèves à Aÿ, largués sans perspective par un employeur qui aurait empoché quelques semaines auparavant plus de 55 M€ d'aides publiques. Et les 800 de chez Goodyear à Amiens, les 400 d'Idestyle à Guyancourt, ... et les milliers d'autres dont les médias ne parlent pas, et qui vivent dans la crainte des mauvais jours. Tout ceux là qui sont en droit d'attendre de l'Etat aide, appui et justice.

Il y a quelques mois, nous dénoncions ici même M. Raffarin, qui recommandait au Gouvernement d'agir avec fermeté à l'égard des violences ouvrières[2]. M. Raffarin et M. Darcos ont, l'un comme l'autre, de la chance : personne ne les prend plus réellement au sérieux. L'un parce qu'il n'est  plus qu'un vieux cheval dans la débine, l'autre parce qu'il joue les utilités au sein du gouvernement. Voilà qui les rend parfaitement irresponsables et qui les met à l'abri d'avoir jamais à rendre compte de leurs propos. Mais, de grâce, qu'on arrête de leur tendre des micros !


Paul Gilbert.



[1]. Xavier Darcos, "Le climat social est finalement assez apaisé", Le Monde des 13 et 14 septembre.
[2]. "Un rebelle", RCIL du 25 avril 2009.
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N°1 - 2009/01
 
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