Monsieur Descartes La fable de la raison de Françoise Hidelsheimer Mis en ligne : [15-02-2011] Domaine : Idées | |
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Monsieur Descartes La fable de la raison de Françoise Hidelsheimer Mis en ligne : [15-02-2011] Domaine : Idées | |
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Parlez moi de la France de Michel Winock Mis en ligne : [27-12-2010] Domaine : Idées | |
La Révolte des masses de José Ortega y Gasset Mis en ligne : [20-12-2010] Domaine : Idées | |
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Bien entendu, le courage ne se délègue pas, contrairement à ce que pensent les dirigeants avilis qui nous commandent de prendre soin des autres sans jamais abandonner le moindre élément de leur propre confort ni compromettre leur notoriété. Cette lâcheté est facile à comprendre : le courage, c’est d’agir dans les marges, seul, sans être reconnu, félicité, décoré - sauf après coup, longtemps après, quand les rats ont mis des casquettes de capitaine et président les comités d’épuration devant lesquels ils auraient dû comparaître.
Il n’y pas de « fin du courage» car ils sont des millions, dans notre pays, et des centaines de millions, dans le monde, à affronter dans la solitude la faim, le froid, la maladie et la peur. Ils n’ont presque plus d’espoir mais ils s’accrochent à ce presque rien qui les retient sur la pente du suicide. Le miracle, dans une société ultra-par l’isolement, c’est qu’il puisse y avoir encore et toujours des révoltes collectives et des révolutions triomphantes - par la conjonction de tous ces courages individuels.
Le courage de Victor Hugo, exilé à Guernesey, c’est de proclamer dans la solitude l’imposture de Louis Bonaparte, non pour la beauté du geste mais par exigence de vérité et dans l’espoir que cette vérité se diffusera dans le peuple et qu’il y puisera la force de se soulever. Nous sommes loin du care, présenté par Cynthia Fleury comme sollicitude démocratique et pédagogie de la solidarité, alors que j’y vois une manière pernicieuse, pour la gauche sociale libérale, de se défausser de ses responsabilités politiques et de renoncer au devoir de justice sous prétexte que « l’État ne peut pas tout faire ».
L’éthique du courage ne doit pas seulement fonder une politique courageuse, qui n’est pas plus assurée de la continuité que l’acte de courage personnel. Il faut des institutions solides, elles mêmes éprouvées par l’Histoire, pour que le courage collectif soit possible et durable. À juste titre, Cynthia Fleury évoque Winston Churchill. Mais qu’aurait pu faire le vieux lion hors des institutions britanniques ?
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Présentation de l’éditeur
Chaos climatique, paniques boursières, crise économique, périls techno-scientifiques, menaces pandémiques, suicides « professionnels »... L'énumération des peurs contemporaines est sans fin. Effet de loupe médiatique ? Construction paranoïque ? Fantasme ? Pour Paul Virilio, il y a bien de quoi avoir peur. Car le monde est plein comme un oeuf, qu'on y accélère toujours plus les flux en y contractant l'espace et que la peur devient l'objet d'une véritable gestion politique, les États étant tentés de substituer un globalitarisme sécuritaire à la traditionnelle protection des individus contre les risques de la vie.
Article de Nicolas Truong. – Le Monde, 4 septembre 2010
Architecte et philosophe, Paul Virilio est un enfant de la guerre. Pendant l'été 1940, il vécut à Nantes la débâcle de son pays en un éclair. Un matin, les informations indiquèrent que les Allemands étaient à Orléans. A midi, ils paradaient dans sa ville. La guerre qui opposait les belligérants lors d'interminables conflits n'était qu'un lointain souvenir.
Cette fulgurante occupation fut pour les hommes de sa génération une sidération. Et devint pour lui une constante préoccupation. Il ne cessa de chercher à comprendre cette "insécurité du territoire" qui articule politique et vitesse au cours de notre histoire. Depuis la "guerre éclair" (blitzkrieg), la peur ferait partie des données immédiates de notre conscience, explique-t-il dans un livre d'entretien avec Bertrand Richard. Autrefois circonscrite aux épidémies ou aux conflits, elle serait devenue notre environnement quotidien dans un monde saturé d'événements, de virus, de phobies, de prises d'otage, de paniques ou de suicides en série.
La peur a certes toujours existé, mais la voici aujourd'hui administrée, orchestrée, politisée. Ce sentiment est dû à une hypermodernité qui abolit les distances, pollue l'espace et plonge les sujets connectés à l'actualité dans un live permanent. Nous ne vivons pas la fin de l'histoire, mais la "fin de la géographie", assure-t-il.
Et à l'ancienne utopie collectiviste a succédé un "communisme des affects" qui synchronise les émotions de milliers d'individus réunis virtuellement devant leur écran pour assister aux attentats terroristes ou aux éclats sportifs en temps réel. Mais ce monde du mouvement permanent est aussi celui des communautarismes et du repli sur soi, effets collatéraux d'un monde rendu inhabitable par cette constante compression du temps.
Certaines analogies susciteront quelques allergies. Le rapport entre la rapidité de la blitzkrieg et l'ubiquité des nouvelles technologies de l'information et de la communication paraîtra aux yeux de certains comme un abus de langage. D'autres seront sceptiques devant une pensée qui semblerait nostalgique d'un monde d'hier rythmé par les saisons et les moissons.
Pourtant, Paul Virilio refuse le catastrophisme comme le rétropédalage. Et pense simplement, comme la philosophe Hannah Arendt, que "la terreur est l'accomplissement de la loi du mouvement". A la suite de la richesse, la vitesse, que les technologies accélèrent sans cesse, est donc pour lui la nouvelle économie politique à penser dans nos sociétés numérisées.
Car ce n'est pas l'histoire qui accélère, comme l'évolution rapide des techniques pourrait le laisser croire (où l'on passe du cheval au chemin de fer, puis du train à l'avion), mais bien le réel qui s'emballe à tel point qu'il sidère l'esprit humain, incapable de s'orienter dans ce changement permanent.
Chrétien convaincu, notamment parce que le christianisme s'oppose à cette tyrannie de l'immédiateté et à une certaine démiurgie technoscientifique, Paul Virilio considère même que notre début de XXIe siècle serait placé sous le signe des mythes bibliques : la chute des Twin Towers (Babel), les tsunamis (le Déluge) ou les réfugiés climatiques (l'Exode).
Intellectuel "révélationnaire" et non plus révolutionnaire, il souhaite révéler les dégâts de cette vie accélérée sans prétendre élaborer un programme ou délivrer de sésame. Tout juste suggère-t-il de créer un "ministère du temps" ainsi qu'une "université du désastre" qui permettrait de l'étudier afin de mieux le conjurer.
Extraits du livre
A vous écouter, la peur est à la fois le produit de la vitesse, qui stresse par abolition de l'espace, mais elle est également amplifiée et vectorisée par elle. Oui, la vitesse angoisse par abolition de l'espace, ou plutôt par défaillance de pensée collective sur l'espace réel car la relativité n'a jamais été vraiment comprise, sécularisée. C'est pourquoi Francis Fukuyama se trompe lorsqu'il pronostique la fin de l'histoire. Premièrement car il y a quelque chose d'inutilement apocalyptique dans ce pronostic; deuxièmement parce que l'histoire continue bel et bien avec la marche du temps et l'action des hommes; et troisièmement parce que Fukuyama nous égare et nous fait perdre du temps! En effet, ce n'est pas de fin de l'histoire qu'il s'agit mais bien davantage de fin de la géographie. Mon travail sur la vitesse et la relativité m'a conduit, dès 1992, à l'occasion du sommet de Rio sur l'environnement à évoquer la notion d'"écologie grise". Pourquoi grise? Au-delà de la référence à l'ontologie grise d'Hegel, il s'agissait pour moi de dire que si l'écologie verte c'est la pollution de la faune, de la flore et de l'atmosphère, c'est-à-dire en fait de la Nature et de la Substance, l'écologie grise s'intéressait quant à elle à la pollution de la distance, à la pollution de la grandeur nature des lieux et des délais. Près de vingt ans plus tard, je crains que nous n'ayons guère avancé sur la compréhension de cette pollution et donc sur les moyens de la résorber.
Parleriez-vous d'escamotage du réel, et rejoignez-vous en ce sens la pensée de Baudrillard, et sa théorie du simulacre. Davantage que Baudrillard, dont je ne partageais pas les conclusions sur le simulacre, je souhaiterais rappeler l'existence du livre de Daniel Halevy, paru en 1947, et intitulé Essai sur l'accélération de l'histoire. Il me semble que nous sommes sortis aujourd'hui de l'accélération de l'histoire pour entrer dans la sphère de l'accélération du réel. Quand on dit le live, le temps réel, on parle de l'accélération de la réalité, et non pas de l'accélération de l'histoire. L'accélération de l'histoire, fort classiquement, c'est le passage du cheval au train, du train à l'avion à hélice et de ce dernier au jet. On est à l'intérieur de vitesses qui sont contrôlées et contrôlables. Qui peuvent être politiquement gérées de sorte que les concernant il peut y avoir une économie politique qui s'instaure et les gouverne. Le temps présent est marqué par l'accélération du réel : nous atteignons les limites de l'instantanéité, la limite de la réflexion et du temps proprement humain.
A l'oubli des lieux s'ajouterait donc l'oubli du corps ? Oui, et l'homme est obligé de transférer son pouvoir de décision à des répondeurs automatiques qui eux, peuvent fonctionner à la vitesse de l'instantanéité. L'accélération du réel est une mutation considérable de l'Histoire. Considérons par exemple l'économie. Le krach économique que nous avons vécu en 2007-2008 est un krach systémique qui a une histoire. Une histoire qui remonte au début des années 1980, lorsque les bourses mondiales furent interconnectées en temps réel. Cette interconnexion, baptisée "Program Trading" a également une deuxième appellation, hautement suggestive, le "Big Bang" boursier. Un premier krach, en 1987, entérina et concrétisera l'impossibilité de gestion de cette vitesse. Le krach de 2008, quant à lui, est lié en partie, au "flash trading", c'est-à-dire à des cotations ultrarapides opérées par des ordinateurs qui sont ceux-là même de la défense nationale. On parvient dès lors à des délits d'initiés dans le temps court. En effet, le temps commun de l'information financière n'existe plus, supplanté par la rapidité des outils informatiques, dans un temps qui n'est pus partageable par tout le monde et donc qui ne permet plus la concurrence réelle entre les opérateurs. [...] Alors, la régulation devient impossible car on a fui dans l'accélération du réel. On voit bien à quel point l'absence d'une économie politique de la vitesse est donc littéralement en train de faire exploser non pas le capitalisme, mais le turbo-capitalisme car celui-ci est pris à la limite de l'accélération du réel. Je suis conscient bien sûr que le krach systémique actuel, avec l'éclatement de la bulle immobilière en 2007, est plus complexe et entraîne à repenser le rapport à la valeur et aux normes comptables, néanmoins le court-termisme est une évidence. Mais le drame, c'est que la science elle-même est touchée, frappée de plein fouet. Millisecondes, picosecondes, femtosecondes, des milliardièmes de secondes, voilà désormais notre réalité devenue inhabitable.
Cette peur, n'est-ce pas la crainte d'être dépossédé du réel et donc de toute emprise sur lui ? La déréalisation est le résultat du progrès, ni plus moins. [...] Cet accroissement continu de la vitesse a entraîné le développement d'une mégaloscopie qui a conduit à une véritable infirmité puisqu'elle a réduit le champ de vision. Plus on va vite, plus on se projette au loin pour anticiper et plus on perd la latéralisation. Les écrans sont l'équivalent du pare-brise de la voiture : nous perdons, avec la vitesse, le sens de la latéralisation, ce qui est un élément d'infirmité de l'être-au-monde, de sa richesse, de son relief, de sa profondeur de champ. [...] Ce que l'on dit là n'est pas fatal. Ce qui le serait, c'est que l'on ne s'en préoccupe pas et que la vitesse continue à ne pas être prise en compte avec la richesse. [...] D'économie politique de la vitesse nous sommes dépourvus. Je ne suis pas économiste mais une chose est certaine, c'est que l'on ne pourra pas s'en passer, sous peine de basculer dans le globalitarisme, à savoir le "totalitarisme des totalitarismes". Je rappelle pour que la chose soit claire que, pour moi, la maîtrise du pouvoir est liée à celle de la vitesse. Un monde de l'immédiateté et de la simultanéité serait un monde absolument inhabitable et invivable.
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N°1 - 2009/01 |
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