La démondialisation de Jacques Sapir Mis en ligne : [9-05-2011] Domaine : Idées | |
Jacques Sapir, né en 1954, est économiste, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et à l'université de Moscou. Il a notamment publié : Les Economistes contre la démocratie (Albin Michel, 2002), Les Trous noirs de la science économique (Seuil, "Points Economie", 2003), Quelle économie pour le XXIe siècle ? (O. Jacob, 2005), La Fin de l'eurolibéralisme (Seuil, 2006), Le Nouveau XXIe siècle (Seuil, 2008), (Tallandier, 2010).
Jacques Sapir, La démondialisation. Paris, Seuil, avril 2011, 258 pages.
Présentation de l'éditeur.
Face à la crise globale du capitalisme, on voit désormais le FMI, des gouvernements ou des économistes célèbres brûler ce qu'ils ont adoré - le marché - et réhabiliter l'Etat qu'ils honnissaient. Nous vivons en fait l'amorce d'une "démondialisation". L'histoire, la politique et les nations reprennent leurs droits avec le retour des Etats, que l'on disait naguère impuissants, et le recul des marchés, que l'on prétendait omniscients. Ce mouvement réveille de vieilles peurs. Et si cette démondialisation annonçait le retour au temps des guerres ? Ces peurs ne sont que l'autre face d'un mensonge qui fut propagé par ignorance et par intérêt. Non, la mondialisation ne fut pas, ne fut jamais "heureuse". Le mythe du "doux commerce" venant se substituer aux conflits guerriers a été trop propagé pour ne pas laisser quelques traces... Mais, à la vérité, ce n'est qu'un mythe. Les puissances dominantes ont en permanence usé de leur force pour s'ouvrir des marchés et modifier comme il leur convenait les termes de l'échange. Dans ce fétichisme de la mondialisation, il y eut beaucoup de calculs et de mensonges. Il faut donc établir le vrai bilan de cette mondialisation - de ses apports et de ses méfaits - pour penser rigoureusement la phase suivante qui s'ouvre. Ce livre propose précisément les voies d'une démondialisation pensée et ordonnée par une nouvelle organisation du commerce et des relations financières internationales.
Entretien avec J. Sapir par V. de Filippis et C. Losson . Libération.fr, 7 avril 2011.
Jacques Sapir plaide pour une démondialisation négociée. Economiste hétérodoxe, Jacques Sapir est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Il publie cette semaine un ouvrage intitulé la Démondialisation.
Pourquoi démondialiser ? La mondialisation ne marche pas. Nous avons atteint le point où il nous faut revenir en arrière. L’ampleur de la désindustrialisation que subit notre pays devient insupportable pour la population. Toutes les études montrent que la part de la mondialisation dans le chômage est estimée entre 35% et 45% du taux de chômage avant la crise. C’est un point incontestable.
C’est surtout un sujet à controverse… Il l’est politiquement. Toutes les tentatives qui tentent d’invalider ces chiffres impliquent des manipulations statistiques.
Quel plan de démondialisation la France devrait-elle adopter ? Deux approches doivent être complémentaires. En passant par une baisse du taux de change et en adoptant certaines protections.
Vous êtes favorable à une sortie de l’euro ? Non, si l’on peut convaincre nos partenaires de déprécier l’euro aux environs de 1,05 dollar. Si on ne peut pas, alors oui, il faut sortir de l’euro. Je ne fais pas de cette question un préalable. A chaque fois que l’euro prend 10% on perd 1% de PIB. A partir de là, on peut déjà faire un calcul en terme de hausse du chômage.
Quelles protections faudrait-il réintroduire ? Des protections ciblées pour certaines industries. Qui ne devront viser que les Etats qui se sont fortement rapprochés des pays européens ou des Etats-Unis en matière de productivité, mais qui n’ont pas fait converger les salaires de la même manière.
Du protectionnisme sélectif, donc ? Pas un protectionnisme généralisé, mais un protectionnisme ciblé à l’égard des produits de certains pays. Il s’agit des pays d’Extrême-Orient, mais aussi d’Europe, comme la Slovaquie ou la République tchèque, qui nous posent les mêmes problèmes que la Chine.
En brandissant la protection contre des Etats européens comme la possibilité d’une sortie de l’euro, vous vous rangez à certains arguments du Front national ? Je ne me pose pas ce genre de question. Cela ne me concerne pas. Je dis simplement que nous avons déjà eu ce type de mesure en Europe. Nous parlions à l’époque des montants compensatoires monétaires. Ces montants existaient essentiellement pour l’agriculture. Nous pourrions les réintroduire pour certains pays. C’est la combinaison de ces mesures qui donnera, à l’évidence, une première bouffée d’oxygène à notre pays.
Vous ne dites rien sur une définanciarisation ? C’est l’étape suivante. Il va falloir s’attaquer à la puissance de la finance mondialisée. De cette finance, qui par son poids, son exigence, pèse sur le niveau des salaires.
Démondialiser risque-t-il de pénaliser les entreprises qui profitent de la globalisation ? Il faut savoir de quel niveau de protectionnisme l’on parle. Si on décidait de faire monter les droits de douanes sur la Chine de 100% ou 150%, il y aurait des répercussions. Je crois que les mesures de rétorsion seraient très limitées. Et si les Chinois veulent en découdre sur le plan commercial, nous pourrons leur répondre qu’ils prennent le risque de nous perdre comme client, car nos réserves sont encore considérables…
Vous plaidez pour une démondialisation raisonnée et négociée… Négociée, si possible. Mais il va falloir revenir sur des directives européennes dans de nombreux secteurs. Les directives sur le démantèlement sont des opérations absurdes dans la plupart des cas. Soit nous les suspendons à l’échelle de l’Europe, soit nous les suspendrons nationalement.
Critique de D. Fo., Les Echos, 21 avril 2011.
La mondialisation, un mythe ? La crise de 2008 a-t-elle sonné le glas de la mondialisation ? C'est la thèse de l'économiste Jacques Sapir, qui signe ce mois-ci au Seuil un brillant essai sur ce moment de l'histoire humaine qu'à le lire, on a eu tort de considérer comme l'aboutissement inéluctable de notre évolution. L'auteur voit au contraire dans cette notion dominante des trente dernières années une pure construction politique qui prend sa source en 1973 avec l'abandon du système monétaire de Bretton-Woods pour s'épanouir avec la globalisation financière et la libération des échanges. Il s'agissait alors d'affranchir de toute contrainte le commerce international seul à même, selon les milieux libéraux, de porter la croissance. Or c'est ce mythe de la mondialisation heureuse, du « doux commerce », écrit Jacques Sapir, qui serait en train de se décomposer sous nos yeux. A l'appui de sa démonstration, l'auteur évoque les multiples impasses, écologiques, sociales et géopolitiques auxquelles cette philosophie du développement nous aurait conduit. Il règle aussi son compte à l'illusion de la paix éternelle entre les nations dont la mondialisation était abusivement porteuse. En réalité, elle a prospéré sur la multiplication de conflits locaux dont la planète est toujours le théâtre. Livre radical, étayé, que l'on doit lire pour la critique en règle d'un système qui, c'est incontestable, n'a pas apporté toutes les promesses de bonheur universel dont il s'était abusivement prévalu. Plus surprenante, en revanche, est l'affirmation de Jacques Sapir selon laquelle nous assistons au recul inéluctable de la toute-puissance des marchés. Les dirigeants de la zone euro, contraints d'adopter à vitesse accélérée des plans d'austérité et de réduction de leurs dettes pour ne pas sombrer sous les coups de boutoir des investisseurs donnent chaque jour le sentiment contraire. C'est pourquoi, si l'on peut suivre l'auteur déplorant le retour des pulsions nationalistes et des égoïsmes nationaux, il paraît néanmoins prématuré d'en déduire, comme il le fait, le début d'un processus de « démondialisation ». Persuadé que la mondialisation n'est nullement le fruit d'un ordre naturel mais celui de la volonté des hommes, Jacques Sapir fait le pari que, comme toute construction humaine, celle-ci est bornée dans le temps et que nous saurons le moment venu nous en défaire. Le problème est qu'à ce stade, cela ressemble davantage à un souhait de l'auteur qu'à un constat scientifiquement étayé.
Autre critique : Laurent Pinsolle , "La démondialisation : la bible économique de Jacques Sapir", Blog gaulliste libre, 8 et 9 mai 2011.