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24 janvier 2012 2 24 /01 /janvier /2012 15:12
Dictionnaire de
la Contre-Révolution
 
sous la direction de Jean-Clément Martin
Mis en ligne : [24-01-2012]
Domaine : Idées 
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Jacques-Clément Martin, né en 1948, est historien. Professeur émérite à la Sorbonne, il est l'auteur de nombreux ouvrages sur la révolution française, les guerres de Vendée et la Contre-Révolution. Il a récemment publié: La Terreur, part maudite de la Révolution. (Gallimard, 2010), Marie-Antoinette. (Citadelles-Mazenod, 2010).
 

Jean-Clément Martin (dir.), Dictionnaire de la Contre-Révolution. Paris, Perrin, octobre 2011, 551 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Hors des polémiques et des prises de positions partisanes, un ouvrage ambitieux qui analyse d'un oeil neuf un mouvement peu étudié et mal connu, mais décisif dans l'histoire politique et des idées depuis 1789. La Révolution française a été considérée immédiatement comme une rupture dans l'histoire de l'humanité. Contre elle, des hommes politiques, des penseurs, des théologiens, puis des masses populaires ont manifesté des refus vite qualifiés de "contre-révolutionnaires". La Contre-Révolution s'identifie alors à l'attachement aux valeurs dynastiques, au respect des hiérarchies traditionnelles, à la défense de la religion catholique ainsi qu'au maintien des pratiques régionales, si bien que, dès la fin du XVIIIe siècle, un combat européen puis mondial s'instaure entre les principes de la Révolution et ceux de ses adversaires. Dans les décennies suivantes, les carlistes espagnols, les miguélistes portugais, les insorgenti italiens, les zouaves pontificaux, mais aussi les "positivistes" d'Amérique latine deviennent les propagandistes d'une idéologie aux multiples facettes, avant que les régimes communistes retournent la situation en utilisant la Contre-Révolution comme un épouvantail pour éliminer leurs opposants. Ce dictionnaire, réalisé par une quarantaine de spécialistes, est la première synthèse d'un phénomène qui a joué un rôle considérable dans de nombreux domaines : social, politique, philosophique, religieux et littéraire.
 
Critique de Pascal Beaucher. - Royaliste du 12 décembre 2011.
Jean-Clément Martin qui dirige à la Sorbonne l'Institut d'Histoire de la Révolution française, a réuni une équipe qui a largement étudié l'éventail du phénomène. L'Histoire est écrite par les vainqueurs, c'est bien connu, l'avantage des révolutions tient à ce que ces vainqueurs peuvent changer au gré du temps et livrer à chaque fois des données nouvelles et multiplier les angles de vue. L'ouvrage fait évidemment la part belle au mouvement de rejet et/ou de combat de la Révolution française. Y sont passés en revue tant les phénomènes intellectuels que les combats, les événements et les hommes. On y parle de la presse, des intellectuels, des groupes sociaux, de courants d'idées qui pour n'avoir pas tous eu de postérité n'en demeurent pas moins à étudier. Les mouvements armés y tiennent une bonne place. Les notices concernent des gens que l'on connaît bien et sur lesquels il est passionnant d'avoir un nouvel avis : Barruel, Berryer, Maistre, Bonald, Daudet, Chateaubriand et tant d'autres. Certains moins connus, voire totalement tombés dans l'oubli , sont tout aussi intéressants. La concision nécessaire à l'écriture de petites notes pousse leur auteur à la précision, à la clarté et à la synthèse, ce qui pour certains des objets étudiés tient beaucoup de la gageure, ici avec une large réussite. Mieux encore, il y est question de bien des phénomènes hors de nos frontières qui sont passionnants. Bien sûr vous emmènera-t-on en Russie et en Chine mais tout autant au Brésil ou en Amérique hispanique. Bien des phénomènes connus à l’étranger sont passés en revue. Plein de choses à y apprendre avec le plaisir inhérent à la forme de l'ouvrage. Les entrées vont de quelques lignes à deux ou trois pages. Bien évidemment, on pourra toujours discuter tel ou tel aspect, regretter qu'il y manque ceci ou cela; trouver qu'une interprétation donnée à tel ou tel évènement peut au moins se discuter. C'est un point à mettre encore à l'actif de ce travail : on y trouve à redire. Le livre ne fait pas dans le monumental ce dont on remercie J.-C. Martin. C'est abordable, les talents d'écriture sont, disons, contrastés mais plutôt bons en général. Certains articles vous surprendront, d'autres vous irriteront mais tous peuvent vous apprendre quelque chose sur des sujets par fois étonnants. Ce que l'on sait déjà est toujours à rafraîchir mais j'avoue quand même que- malgré le talent de Jordi Canal- j'ai toujours grand mal à appréhender le Carlisme...

A lire également : Antoine de Baecque, "Contre-Révolution : vérités et contre-vérités". - Le Monde du 25 novembre 2011.

  

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2 janvier 2012 1 02 /01 /janvier /2012 17:12
La gauche à l'épreuve
1968-2011
 
de Jacques Le Goff 
Mis en ligne : [2-01-2012]
Domaine : Idées 
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Jacques Le Goff, né en 1949, est philosophe et sociologue. Il contribue à de nombreuses revues, et en particulier au Débat, et préside le club de réflexion Politique autrement.  Il a récemment publié: La Démocratie post-totalitaire (La Découverte, 2002), La France morcelée (Gallimard, 2008).
 

Jacques Le Goff, La gauche à l'épreuve, 1968-2011. Paris, Perrin, août 2011, 288 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
« Ce livre traite des évolutions de la gauche française et des bouleversements sociaux et culturels qu’a connus la société depuis plus d’un quart de siècle. Il ne prétend pas à l’expertise et encore moins à l’audit, mais aborde frontalement des changements problématiques trop longtemps sous-estimés ou déniés ». Dans la première partie : « La gauche n’est plus ce qu’elle était », Jean-Pierre Le Goff passe au crible la décomposition de l’ancienne doctrine de la gauche et ses substituts. Gauchisme recomposé, référence à un mouvement social hétéroclite, néo-management, écologisme, gauche morale et dénonciatrice, modernisme culturel et branché… se sont affirmés, dans le même temps où des socialistes français tentaient d’opérer une difficile réconciliation avec le libéralisme. Trente ans après sa victoire de 1981, la gauche n’est pas parvenue à reconstruire un nouveau cadre cohérent de pensée et d’action. Dans la seconde partie, l’auteur s’attache à montrer que cette décomposition s’inscrit dans des évolutions de la société française qui ont mis à mal les anciennes figures de l’engagement politique. De la « civilisation des loisirs » à « mai 68 », de la fin des Trente Glorieuses aux années 2000, c’est une nouvelle figure de l’individu qui a fini par s’affirmer pour qui le rejet des embrigadements passés s’est accompagné d’une morale des bons sentiments et d’un narcissisme prononcé. Les bouleversements opérés dans la famille et l’éducation alliés au chômage de masse ont produit des effets de déstructuration et de désaffiliation, entraînant un « nouveau fossé des générations », à bien des égards plus problématique que celui des années 1960. La combinaison d’une crise économique, sociale et d’un nouvel « état des moeurs » met en question « l’estime de soi » sur le plan individuel et collectif, entraînant une spirale dépressive. L’exigence d’une nouvelle reconstruction, sociale, politique et culturelle est d’autant plus présente que nous sommes arrivés à une phase d’épuisement des idéologies passées et de la révolution culturelle post-soixante-huitarde.
 
Recension de Jean-Louis Schlegel. - Esprit. décembre 2011.
Avec acuité, l'auteur dissèque ce qui ne va pas, ou ne va plus, à gauche depuis la date symbolique de 1968 jusqu'au premier trimestre 2011 (il est question à la première page de l'affaire DSK). Une des raisons majeures de l'autodestruction de la gauche vient du contraste, du conflit plutôt, entre l'inscription dans une tradition de gauche économique et sociale réformiste et sa déstabilisatioin  constante - allant jusqu'à la culpabilisation - par une extrême gauche radicale et marxisante. S'y greffe de surcroît un discours culturel moderniste ou postmoderniste qui ne cesse de s'aligner sur des thématiques libérales-libertaires, sans réflexion sur les conséquences sociales destructrices pour les individus et la société. La gauche a perdu ce faisant "le peuple de gauche", qui est allé voir ailleurs, au Front national par exemple. On acquiesse volontiers à beaucoup d'analyses impeccablement menées et convaincantes, surtout sur les rapports entre extrême gauche, gauche tout court, gauche culturelle - même si on ne distingue pas toujours superficialités médiatiques et débats de fond. Ce qui manque peut-être, ce sont les dilemmes de la gauche, en particulier socialiste, face aux réalités à affronter : les changements de la société, l'individualisme, le multiculturel, les prodromes de la mondialisation avec ses nouveaux problèmes économiques... Les réponses, polémiques, précèdent parfois les questions.

A lire également : "La gauche en morceaux", entretien avec Jean-Pierre Le Goff. - Royaliste du 12 décembre 2011.

  

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25 décembre 2011 7 25 /12 /décembre /2011 23:16
Le socialisme
sans le progrès
 
de Dwight Macdonald 
Mis en ligne : [26-12-2011]
Domaine : Idées 
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Dwight Macdonald (1906-1982), écrivain, journaliste et essayiste politique américain. Figure journalistique du New Yorker, Macdonald fut également le créateur de la revue Politics qui fédéra les penseurs de la gauche critique aux États-Unis, après la seconde guerre mondiale. Radical sur la plan politique, il était conservateur sur le plan culturel. "Le socialisme sans le progrès" est sa première œuvre récemment publiée en français. 

 


Dwight Macdonald, Le socialisme sans le progrès. Paris, Editions de la Lenteur, octobre 2011, 212 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Dans cet essai, paru pour la première fois dans la revue Politics en 1946, Macdonald esquisse un bilan sans concession du projet marxiste d'émancipation, et plus généralement des idées révolutionnaires du XIXe siècle, au sortir des deux Guerres mondiales : que reste-t-il du socialisme, et même de la démocratie, après trente ans de guerre industrielle, de dictatures totalitaires, de centralisation étatique ? Peut-on encore croire que la science fasse progresser l'homme, après l'invention des gaz de combat, des camps d'extermination et de la bombe atomique ? Le diagnostic de Macdonald tranche avec l'atmosphère optimiste d'après guerre, alimentée par la victoire des Alliés sur le IIIe Reich, par l'euphorie qui gagne une partie de la gauche du fait du prestige acquis par l'URSS, et les succès électoraux de la social-démocratie à l'Ouest. Sur l'obsolescence du clivage droite-gauche, sur l'impérialisme de la méthode scientifique et de la technique moderne, sur la prolifération du phénomène bureaucratique au sein même du capitalisme dit libéral, cet auteur est d'une clairvoyance exemplaire.
 
Recension de Serge Audier. - Le Monde des livres, 2 décembre 2011.
La gauche moins le progrès. Centrées sur la critique de la civilisation technicienne, les jeunes éditions de La Lenteur font redécouvrir un essai de première importance dans l'histoire de l'antitotalitarisme, publié aux Etats-Unis en 1946, et qui retrouve un intérêt à l'ère de la crise écologique. Son auteur, Dwight Macdonald (1906-1982), l'« Orwell américain », se détacha de Trotski en dénonçant l'URSS comme un « collectivisme bureaucratique » et totalitaire. Fondateur de la revue Politics, qui fédéra la gauche anticommuniste - d'Ignazio Silone à Albert Camus -, il développa sa critique du marxisme, jugé « obsolète ». Sa thèse est que la gauche est minée par une « métaphysique du progrès » qui l'a conduite à un culte des forces productives et à une incapacité à penser les ambivalences du progrès techno-scientifique. Contre ce « progressisme », il prône un « radicalisme » qui formule les tâches politiques en termes de « valeurs » (vérité, justice, amour, etc.) et non de processus historique.

  

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4 décembre 2011 7 04 /12 /décembre /2011 23:27
Après la crise        
 
de Alain Touraine
Mis en ligne : [5-12-2011]
Domaine : Idées 
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Alain Touraine, né en 1925, est un grand sociologue français. Il est directeur de recherche à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Il a récemment publié :  Un nouveau paradigme pour comprendre le monde d'aujourd'hui (Le livre de poche, 2005), Le Monde des Femmes (Fayard, 2006), Penser autrement (Fayard, 2007), Si la gauche veut des idées (Grasset, 2008) . 



Alain Touraine, Après la crise . Paris, Seuil, septembre 2010, 200 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Comment la crise économique que nous traversons agit-elle sur les tendances à long terme qui transforment nos sociétés? Comment entrevoir ce qui nous attend lorsque nous en sortirons ? Telles sont les deux questions autour desquelles se noue l'essai le plus anticipateur d'Alain Touraine. Notre société, à l'heure de l'économie globale et de l'individualisme triomphant, a rompu avec le vieux modèle d'intégration qui avait été le sien depuis la révolution industrielle. Nous ne nous représentons plus nous-mêmes comme les acteurs d'un système économique autour duquel s'organiserait toute la vie sociale, mais principalement comme des sujets dotés de droits et créateurs de leur propre vie dans un univers à dominante culturelle. C'est ainsi que l'"acteur" agit de plus en plus indépendamment du " système ". La crise, en séparant encore davantage l'économie de la société, sous l'effet de l'autonomie croissante des logiques spéculatives et financières, est susceptible d'influer de deux façons sur cette tendance à long terme. Frappés par le choc économique et social, les acteurs peuvent, en effet, tout aussi bien subir une exclusion sociale croissante que voir s'accélérer la mutation culturelle inscrite dans le long terme. Bref, les années qui viennent hésiteront entre la catastrophe et la refondation. C'est à l'étude des facteurs qui pèseront dans un sens et dans l'autre qu'est consacré ce livre.
 
Recension de Marie-Liesse Lecerf. - Etudes janvier 2011. 
Le sociologue a-t-il son mot à dire au sujet de la crise que nous venons de traverser ? Oui, affirme Alain Touraine. Car, par-delà la crise économique, c’est un monde ancien qui s’effrite. Aujourd’hui, l’affaiblissement des insti­tutions, des catégories sociales, des hiérarchies, témoigne du vieillissement de la société industrielle. Au travers du regard aiguisé qu’il porte sur ces der­nières années, le sociologue conforte ainsi le diagnostic qu’il émet depuis de nombreuses années : le divorce entre les acteurs et le système est plus que jamais consommé ; la société n’existe plus. Dans cette « situation postso­ciale », le capital financier a le premier séparé l’économie des autres segments de la vie sociale, provoquant la grande crise dont nous nous remettons à peine. Parallèlement ou plutôt perpendiculai­rement, des forces culturelles et morales renouvelées militent au nom de l’éthique et en faveur du respect de l’environnement, de la promotion du monde des femmes ou encore de la défense des droits de l’homme. Nous voilà donc tirés dans deux directions opposées ouvrant, chacune, deux types de sorties de crise possibles : d’un côté, un renforcement des inégalités et de l’exclusion sociale, de l’autre, la créa­tion d’une vie commune respectueuse de la Terre et de la subjectivité de cha­cun. On devine aisément où va la préfé­rence d’Alain Touraine. Quant au lecteur, il lui reste à choisir, de préfé­rence du côté de l’avenir, comme l’y invite le sociologue.

  

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28 novembre 2011 1 28 /11 /novembre /2011 17:17
La puissance au XXIe siècle
Les nouvelles définitions du monde
 
de Pierre Buhler 
Mis en ligne : [28-11-2011]
Domaine : Idées 
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Pierre Buhler est diplomate de carrière. Il a longtemps enseigné les relations internationales à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. Il est notamment l'auteur de Histoire de la Pologne communiste, autopsie d'une imposture. (Karthala, 1997). 

 


Pierre Buhler, La puissance au XXIe siècle, les nouvelles définitions du monde. Paris, CNRS Editions, octobre 2011, 491 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Effondrement de dictatures au Maghreb, crises des dettes souveraines, terrorisme mondialisé, affaire Wikileaks... Ces convulsions sans lien évident se succèdent à un rythme effréné, détraquant nos grilles de lecture, affolant la boussole de notre jugement. Annoncent-elles un ordre nouveau ? Peut-on leur trouver un sens ? L'histoire a connu des phases d'accélération vertigineuses qui, avec le recul, s'emboîtent dans une parfaite continuité. Quelquefois visible, quelquefois dissimulé, le fil rouge de ce continuum est la puissance, qui en tisse la trame et qui, aujourd'hui comme hier, définit l'ordre du monde. La puissance au XXIe siècle explore les transformations de ce concept central du système international, en examine les fondements, en dégage les règles, énonçant cette "grammaire de la puissance" qui gouvernera sa redistribution au XXIe siècle. Au coeur de cette notion il y a le rapport à l'innovation, dont les avancées soudaines ébranlent vigoureusement le statu quo. L'"âge de l'information" est ainsi synonyme d'affaiblissement d'un monopole de la puissance jusqu'alors largement logé dans les mains des Etats. Ceux-ci sauront-ils appliquer à leur profit la grammaire subtile et changeante de la puissance ?
 
Article de Sabine Delanglade. - Les Echos, 10 et 11 novembre 2011.
Le sprint des géants. Les Etats-Unis ? La Chine ? La finance ? Internet ? Où se trouve la puissance aujourd’hui ? Comment ses détenteurs passés l’ont-ils perdue ? Bardé de son expérience de diplomate et de son talent pédagogique de professeur à Sciences po, Pierre Buhler s’est attaqué, dans un grand livre, au défrichage de la notion de pouvoir. Si cette volonté reste le déterminant fondamental de l’histoire des hommes, ses formes ne cessent de changer. Convoquant à la fois histoire, sociologie, économie, science politique, l’auteur y détecte pourtant un fil rouge. Depuis les Grecs (les anciens !), le vainqueur est toujours celui qui innove. Il ne s’agit pas là uniquement de l’invention de la machine à café ou du semi- conducteur, mais d’une créativité qui se manifeste sur tous les fronts, qu’ils soient politiques, sociaux ou militaires. Rome l’emporta sur Athènes parce qu’elle sut créer une administration provinciale qui en fit un empire durable. La forme de l’Etat nation forgée au Moyen Age fut plus propre à canaliser les énergies que ne l’était celle des empires, qui entamèrent un déclin consommé en 1918. C’est en modernisant la politique que Napoléon a ringardisé la vieille Europe. Les exemples pris dans le passé foisonnent dans le chapitre d’introduction « Une brève histoire de la puissance » ; la qualité du balayage historique y est remarquable, et prépare à l’analyse approfondie de la période contemporaine. Pierre Buhler examine la place dans la puissance de chacun de ses déterminants : l’Etat, le droit (arme des faibles ou raison du plus fort ?), la géographie (quid de la malédiction des matières premières ?), la démographie (n’est- il vraiment de richesses que d’hommes ?), l’argent…Mais il y a surtout ces « lignes de fuite » qu’emprunte aujourd’hui la puissance. L’auteur en explore trois. L’abaissement du coût d’accès à la puissance nucléaire porte en lui des conséquences difficiles à évaluer. De leur côté, les réseaux nés de la révolution numérique, ont permis à des pans entiers de l’activité humaine, financière, politique, intellectuelle et même criminelle d’échapper au contrôle des Etats. La finance mondialisée n’a-t-elle pas montré qu’elle peut leur tenir tête ? Souvenez-vous de Seattle, de la campagne sur les mines antipersonnel, et plus proche encore, WikiLeaks, qui diffusa, entre autres, les turpitudes de Ben Ali, et ce printemps arabe par ailleurs bourgeonnant sur le terreau du téléphone mobile et de Twitter. La troisième ligne de fuite pour Buhler est l’intensité de la compétition scientifique. La Chine qui, depuis douze ans, augmente chaque année de 23 % ses dépenses de recherche, ne restera pas longtemps un imitateur. De ce sprint des géants engagé notamment par l’Asie, se dégage, en tout cas, une certitude qu’Hubert Védrine souligne, à juste titre dans sa préface : de tous les scénarios, un seul est exclu« celui du rétablissement du monopole de la puissance occidentale ». Il faut lire cette véritable grammaire de la puissance, d’autant que le style en est aussi fluide que son sujet est lourd.

  

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7 novembre 2011 1 07 /11 /novembre /2011 22:54
La subsistance de l'homme 
 
de Karl Polanyi
Mis en ligne : [7-11-2011]
Domaine :  Idées  
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Karl Polanyi (1886-1964), économiste, historien et anthropologue hongrois. Socialiste, chrétien, il émigra à partir de 1933 en Grande Bretagne puis aux Etats-Unis où il termina sa vie comme professeur à l'université de Columbia puis de Toronto. Son maître livre, La Grande Transformation, a été publié en 1944. Publications récentes : Essais de Karl Polanyi (Seuil, 2008), La Grande Transformation (Gallimard, 2009).


Karl Polanyi, la subsistance de l'homme. Paris, Flammarion, octobre 2011, 424 pages.


 
Présentation de l'éditeur.
Penseur majeur de l'économie de marché et historien du libéralisme, Karl Polanyi reste l'un des rares théoriciens capables de nous aider à comprendre la nature du libéralisme en économie et à reconnaître les limites actuelles de nos démocraties. La Subsistance de l'homme - ouvrage inachevé paru aux Etats-Unis en 1977, et enfin disponible en français - prolonge et complète son oeuvre magistrale, La Grande Transformation. Polanyi y formulait une critique de l'utopie libérale du XIXe siècle à l'origine du mouvement social d'autoprotection, de l'Etat providence", aujourd'hui encore fortement menacé. En prenant le parti d'analyser la subsistance de l'homme sur une très longue période historique, Polanyi offre ici une interprétation originale de la nature et des racines de l'économisme contemporain. L'économie des sociétés primitives, de la vieille Babylone, de l'Egypte ancienne et du royaume du Dahomey au XVIIIe siècle permet de repenser l'universalité et la spécificité des relations sociales et des modes d'"encastrement" de l'économie au sein de la société. Dans la Grèce antique, le commerce extérieur, les usages de la monnaie et l'émergence de marchés à l'échelle locale ou méditerranéenne sont autant d'exemples où l'échange était subordonné à la réciprocité et à la redistribution et où l'économie était étroitement liée au politique. Derrière ce travail de recherche, exigeant et exceptionnel, se déploie l'une des grandes pensées humanistes du XXe siècle, aujourd'hui indispensable pour desserrer l'emprise que la logique libérale exerce sur notre représentation de l'économie et du monde.
  
Article de Gérard Moatti. Les Echos - 27 octobre 2011.
Un penseur pour les Indignés. On redécouvre Polanyi. Après la réédition de son ouvrage majeur « La Grande Transformation » (Gallimard 2009), écrit au lendemain de la guerre, critique du capitalisme inspirée par la crise des années 1930, voici « La Subsistance de l’homme », publié aux Etats-Unis en 1977, treize ans après sa mort. Ce regain d’intérêt n’est pas sans rapport avec la crise actuelle, mais coïncide aussi avec la remise en cause  contemporaine de l’économie classique et de sa vision réductrice de l’« homo economicus », guidé par son seul intérêt. A la fois économiste, historien et anthropologue, Polanyi jette sur le passé une lumière qui modifie notre regard sur le présent.Avec la Révolution industrielle et les débuts de la production de masse, explique-t-il, le marché est devenu la force dominante de l’économie. Il s’est même imposé comme un mode de régulation de nombreux domaines de la vie : la société s’est « encastrée » dans l’économie. D’où une double et tenace illusion. D’abord l’idée – erronée – que le marché, le commerce et la monnaie ont toujours été inséparables ; ensuite, le préjugé déterministe qui voit dans l’histoire économique une succession d’étapes, au cours desquelles la tendance « naturelle » de l’homme à échanger pour son profit personnel se serait libérée progressivement des obstacles dressés par la tradition, la superstition ou l’absolutisme politique. En s’appuyant sur les descriptions des sociétés tribales et sur sa propre érudition historique (l’économie de la Grèce antique occupe toute la seconde moitié du livre), Polanyi rappelle que les raisons qu’ont les hommes de travailler, produire ou échanger sont multiples, liées aux valeurs  propres à leur groupe social : c’est le« point d’honneur »chez certains Indiens du Nord canadien, une« quête esthétique »chez les tribus des îles  Trobriand, le contrat implicite liant le vassal au seigneur dans les systèmes féodaux… Dans ces sociétés précapitalistes, les transactions entre les individus ou les groupes ont emprunté trois formes principales, qui perdurent aujourd’hui : la réciprocité, système de dons et contre-dons ; la redistribution, qui suppose une autorité centralisant les ressources ; enfin l’échange, qui n’implique pas nécessairement l’usage de la monnaie. Le lien étroit que nous établissons entre commerce, marché et monnaie est une innovation récente, caractéristique d’un moment historique particulier. Il y a eu du commerce sans monnaie (le troc) ; l’usage le plus ancien de la monnaie n’a pas été l’échange, mais le paiement du tribut ou de l’impôt ; quant au marché, il n’a acquis que récemment, à l’échelle historique, son rôle de « faiseur de prix » par confrontation de l’offre et de la demande.Nous avons adopté une conception utilitariste de l’économie et l’avons transposée dans le passé, ce qui, écrit Polanyi, a« perverti de façon désastreuse la vision que l’homme occidental avait de lui-même et de sa société ». L’auteur écrit en 1964, et son pessimisme peut nous sembler excessif un demi-siècle plus tard. Il n’empêche que les questions qu’il pose, et sa critique de l’économisme, ressurgissent aujourd’hui avec force, et pas seulement sous l’effet de la crise.
 
A lire également : Patrick Bollon, "Polanyi, l'autre Karl", Le Magazine littéraire - novembre 2011.
 
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31 octobre 2011 1 31 /10 /octobre /2011 00:03
Qu'est-ce que
la philosophie islamique ?  
 
de Christian Jambet
Mis en ligne : [31-10-2011]
Domaine :  Idées  
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Christian Jambet, né en 1949, est philosophe. Spécialiste des pensées iraniennes et islamiques, il est professeur à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Auteur de nombreux essais et traductions, il a récemment publié : Le caché et l'apparent. (L'Herne, 2003), Qu'est-ce que le shî'isme ? (Fayard, 2004), La conférence de Ratisbonne, Enjeux et controverses. (Bayard, 2007), Mort et résurrection en islam, L'au-delà selon Mullâ Sadrâ. (Albin Michel, 2008).
 

Christian Jambet, Qu'est-ce que la philosophie islamique ? Paris, Gallimard, mars 2011, 472 pages.


 
Présentation de l'éditeur.
Ce grand livre ne propose pas une nouvelle histoire de la philosophie islamique, qui tenterait d'y retrouver nos deux prédicats occidentaux de la philosophie - un style de pensée discursive soutenue par des concepts - et de l'islam - une religion nourrie de symboles, d'annonces apocalyptiques, de commandements et de conseils spirituels. Christian Jambet dégage - à travers la finalité de l'activité philosophique, les formes qu'elle prend et les actes qu'elle effectue - une méthode de pensée et de connaissance qui guide une pérégrination de l'âme de l'irréel au réel, de l'in-juste au juste, du démoniaque à l'angélique, du mort au vivant. Ce voyage, que la philosophie entend conduire sur la voie droite de l'intelligence, n'engage pas le seul bonheur et contentement de soi, mais la liberté, conformation à la condition seigneuriale de Dieu, qui dépouille, au long des étapes, l'homme inférieur et opprimé de sa condition servile. Seule la voie philosophique ouvre les portes d'une distinction majeure, entre monde extérieur et monde intérieur, et, par là, entre religion intérieure et pouvoir civil. L'islam philosophique est ainsi la grande ressource que possède l'idée de liberté en islam.
  
Article de  Patrice Bollon. Le Magazine littéraire - mai 2011.
Dans Qu’est-ce que la philosophie islamique ? livre dense et informé, Christian Jambet suggère que l’interrogation philosophique islamique ne s’est pas arrêtée avec la falsafa. En général, on présente l’histoire de la philosophie en terre d’islam comme celle d’une extraordinaire efflorescence suivie d’une tout aussi remarquable stérilisation sous l’effet de la foi religieuse. Entée sur des concepts repris d’Aristote et de Platon, la falsafa - transposition en arabe du terme grec philosophia - d’al-Kindî, al-Fârâbi, Ibn Sînâ (Avicenne), Ibn Rushd (Averroès) et consorts, du IXe au XIIe siècle de notre ère, se serait vu proprement « étouffer » par les dogmes théologiques du Coran. La philosophie en islam n’aurait ainsi représenté qu’une brève transition historique, certes importante pour le développement de cette discipline, mais relevant d’un passé à jamais clos ; et l’idée d’une « philosophie islamique » serait en conséquence une quasi-contradiction dans les termes. Cette représentation, élaborée d’abord par Hegel dans ses Leçons sur l’histoire de la philosophie (1), n’est pas sans pertinence, du moins si l’on en reste à nos définitions de la raison et de la religion, et des liens qu’elles entretiennent. Qu’on modifie ces dernières, et un nouveau paysage apparaît : il y aurait bien une « philosophie islamique », mais fonctionnant différemment de la nôtre, avec d’autres buts, une autre dynamique, selon une conception originale, apte à questionner, voire à « ressourcer », la philosophie occidentale. Tel est le propos de Qu’est-ce que la philosophie islamique ? de l’arabisant et iranisant Christian Jambet, un des derniers élèves d’Henry Corbin (1903-1978), le grand spécialiste français de la gnose chiite. Dans ce livre dense et informé, il suggère que l’interrogation philosophique ne s’est pas arrêtée avec la falsafa. Elle s’est simplement insérée dans une autre architecture que la nôtre, entre philosophie et religion, ainsi que dans une conception différente de cette dernière. Alors que toute l’histoire moderne de notre pensée est celle de son conflit avec les dogmes chrétiens et de son autonomisation progressive à leur égard, la philosophie en islam s’est voulue, elle, l’explication rationnelle de la parole révélée. Elle ne s’est donc pas posée en rivale de cette dernière, mais a cherché à en délivrer une ontologie, jusqu’à ambitionner d’être une théologie intégrale, une théologie cependant non de la religion exotérique, des règles énoncées pour tous dans la charia, mais de sa partie ésotérique et « supérieure », la hikma, la sagesse cachée, supposée en former l’origine et la fin. Il ne s’agit donc pas d’une philosophie « malgré l’islam », mais « à partir de lui, avec lui et en lui ». Elle est donc bien une démarche autonome, libre, mais complémentaire de la parole révélée - laquelle n’a jamais été figée historiquement en une interprétation « officielle » défendue par un clergé constitué, une Église institutionnelle. Ainsi s’explique que cette philosophie se soit voulue avant tout une métaphysique, et une métaphysique variée et inventive. À partir de là se pose bien sûr la question de savoir ce que toutes ces réflexions peuvent nous apporter, à nous, Occidentaux, comme ressource de pensée. Et c’est là où l’ouvrage de Christian Jambet semble pécher. Son auteur nous annonce bien une nouvelle conception de la liberté comme participation sans contrainte au monde divin ; mais on ne voit pas bien en quoi celle-ci diffère de la conception chrétienne originaire de la liberté. De fait, c’est l’ensemble de l’ouvrage, en tant que description d’une civilisation au travers de sa philosophie, qui apporte cet effet de recul : sous ce regard, la culture liée à l’islam semble à la fois très fixe, conservatrice même, car préoccupée avant tout par son unité collective, et, en même temps, ouverte, emplie de possibilités d’évolution, au travers de la figure du sage philosophe qui, en certains cas, arrive à façonner la société par la puissance conjointe de son intellect et de ses qualités morales. Une leçon bienvenue en ces temps de « révolte arabe ».
   
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9 octobre 2011 7 09 /10 /octobre /2011 23:57
Bergson
Mystique et philosophe
 
de Anthony Feneuil
Mis en ligne : [10-11-2011]
Domaine :  Idées  

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Anthony Feneuil, ancien élève de l'ENS Lyon, est assistant en philosophie à l'Institut roman de systématique et d'éthique (Université de Genève - Faculté de théologie). Il travaille sur la notion d'expérience religieuse dans la philosophie et la théologie au XXe siècle. Auteur d'articles et de travaux de recherche sur Bergson et sur la philosophie des religions, Bergson, mystique et philosophe est son premier livre


Anthony Feneuil, Bergson. Mystique et Philosophe. Paris, PUF, janvier 2011, 176 pages.


 
Présentation de l'éditeur.
Dans son dernier livre, Les Deux Sources de la morale et de la religion, Bergson fait une proposition décisive : « introduire la mystique en philosophie, comme procédé de recherche philosophique ». Mais comment la philosophie peut-elle s’approprier le discours mystique sans le dénaturer ni se perdre en lui ? Pour le comprendre, cet ouvrage déploie la philosophie bergsonienne de la religion et surtout la manière dont l’introduction de la mystique en philosophie travaille les concepts philosophiques, et change la nature de la philosophie. C’est qu’une connaissance de Dieu via la mystique ne saurait être qu’une connaissance personnelle. Et au prix de quels remaniements du concept de personne une philosophie digne de ce nom pourrait-elle en même temps être personnelle ?
  
Recension de Chantal Amiot. Etudes - octobre 2011.
Comment réduire l’écart entre philosophie et théologie ? En introduisant une méthode philosophique qui s’appuie sur l’expérience et permet l’approche non seulement de l’existence de Dieu mais aussi de ce qui est l’objet par excellence de la théologie, à savoir sa nature. Cette méthode, pour le Bergson des Deux sources de la morale et de la religion, consiste à « formuler » l’expérience mystique, à en saisir l’essentiel. Expliciter cette formule revient à introduire le concept de personne défini à l’ultime par la relation, cette relation qu’est l’émotion, l’émotion d’amour. Dieu est Amour et il est objet d’amour car cette relation est de réciprocité. L’enthousiasme qui embrase l’âme des mystiques, et qui est appel communicatif à tous, leur fait reprendre le mouvement créateur qui les soutient en deçà de leur moi profond et qui les conforte dans leur effort épuisant pour reprendre – au-delà de leur simple personne humaine définie comme continuité de changement – la création de soi. Seul Dieu est personne au sens strict. De la sorte, sans anthropomorphisme (la notion de personne se situe au-delà du moi profond), sans agnosticisme (nous entrons dans le mouvement d’amour de Dieu en le lui rendant et ainsi en le connaissant), sans la théorie intellectuelle de l’analogie (l’intuition philosophique entre dans la direction indiquée où l’on n’aime pas Dieu parce qu’on le connaît mais on le connaît en l’aimant), la philosophie étend son champ d’analyse. Mais en s’appropriant l’expérience mystique, peut-elle rejoindre la foi chrétienne ? Quel est le Christ de Bergson ? Il est le vrai mystique, l’émotion inaccessible, les autres n’en étant que des imitateurs originaux et incomplets. Mais la philosophie, dans sa visée d’universalité, ne l’atteint que comme le Christ des Béatitudes. D’où l’affirmation étrange dans Les Deux Sources : « Du point de vue où nous nous plaçons, il importe peu que le Christ s’appelle ou ne s’appelle pas un homme… » La philosophie de Bergson semble donc buter sur le mystère du « Vrai Dieu et vrai homme » et pratiquer un docétisme méthodologique. Seule la foi témoigne, selon Bergson, d’un Dieu fait chair, et il appartient alors à la théologie de le conceptualiser.
   
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2 octobre 2011 7 02 /10 /octobre /2011 23:57
Le monstre doux
L'Occident vire-t-il à droite ?    
 
de Raffaelle Simone
Mis en ligne : [3-10-2011]
DomaineIdées

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Raffaelle Simone, né en 1944, est philosophe et linguiste. De nationalité canadienne, il enseigne actuellement à l'université de Rome. Auteur de nombreux essais et pamphlets, il a récemment publié en français L'Esprit et le Temps (présenté par Jean-Marc Mandasio, Climats, 2004). 


Raffaelle Simone, Le Monstre doux. L'occident vire-t-il à droite? Paris, Gallimard, septembre 2010, 180 pages.


 
Présentation de l'éditeur.
Quelles peuvent bien être les causes de la crise profonde qui frappe la gauche européenne ? se demande Raffaele Simone. En partant de l'exemple italien et des ressorts du phénomène Berlusconi pour élargir l'analyse au continent dans son ensemble, il attribue le recul et la décomposition des idéaux de gauche principalement à l'essor rapide d'une "droite nouvelle", lié aux transformations actuelles de la société et à sa culture de masse. La société nouvelle, globalisée, est en effet dominée par ce que Tocqueville aurait pu appeler le "Monstre doux", le modèle tentaculaire et diffus d'une culture puissamment attirante, au visage à la fois souriant et sinistre, qui promet satisfaction et bien-être à tous en s'assurant de l'endormissement des consciences par la possession et la consommation tout en entretenant la confusion entre fiction et réalité.
 
Article de Régis Soubrouillard. Marianne - 29 septembre 2010.
No future à gauche. Le déclin de la gauche occidental est-il irrémédiable ? C'est la question que pose le linguiste et philosophe italien Raffaele Simone dans "Le Monstre Doux". Partant de l'exemple Berlusconi, il attribue le recul et la décomposition des idéaux de gauche principalement à l'essor d'une "droite nouvelle", un système global de gouvernement, politique mais aussi médiatique, culturel et idéologique. Priorité à droite ! C’est le code de la route politique qu'aurait adopté le monde occidental, selon le linguiste et phiosophe italien Raffaelle Simone.  Une droite nouvelle, un Monstre doux, incarné par Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy: un système global de gouvernement, politique mais aussi médiatique, culturel et idéologique. Soutenu, en plus, par les milieux financiers internationaux,  principalement anglo-saxons.
  Le constat est cruel pour la gauche. Intégration européenne, unification allemande, immigration de masse, islamisme radical, catastrophe écologique et démographique, révolution numérique, mondialisation, réveil de la Chine et de l’Inde. Elle n’a rien vu venir, que du feu, « glissant dans un pragmatisme politique privé de principes, de valeurs, de motivations éthiques, dans ce désert culturel et moral qu’est la politique pure. Ses principes se sont faits au fur et à mesure de plus en plus light : génériques, accommodants, prêts à des compromis divers et n ‘excluant en rien d’autres propositions » écrit le philosophe
  Un boulevard politique pour la droite qui finira par l’emporter sur tous les terrains, sondant les âmes, ralliant les cœurs et les esprits. Mondialisation, consommation, sécurité, loisirs, divertissement, « carnavalisation », autant de caractéristiques d’un égoïsme joyeux, puissant tropisme régressif qui habiterait nos contemporains. Moins conservatrice, sans idéologie, pragmatique, la droite s’est donc forgée ainsi, en Europe, une rente de situation politique.
  Côté socialistes, le livre suscite la curiosité, même si la thèse d'une défaite « historique » de la gauche déstabilise quand même. S'il juge le livre « stimulant », Christian Paul, responsable socialiste du Laboratoire des idées souligne « que tout ce qui s’est passé depuis 2008 n’est pas dans le logiciel de Raffaele Simone. Il décrit une crise de la gauche européenne qui pourrait lui être mortelle. C’est l’idée-force du livre, la gauche aurait pu mourir mais je le trouve assez imprévoyant sur l’effondrement idéologique de la droite et ambigu sur les directions qu’il veut prendre. Si on considère que la crise de 2008, a des allures de crise de 1929, on ne peut pas l’enjamber et considérer qu’il y a une sorte de boulevard victorieux des droites européennes. Là, il manque un maillon important au raisonnement » analyse le député de la Nièvre.
  Récemment interviewée par Le Monde Magazine, le chercheur estime, lui, que  « La crise économique, la spéculation financière, les plans de rigueur, les atteintes aux libertés et les collusions entre hommes politiques et milieux d'affaires – comme nous l'observons en France et en Italie – sont des épisodes vite oubliés d'un grand « reality show ».
  Autre  critique du responsable de la boîte à idées du PS : « il y a un côté no future qui me paraît faire l’impasse sur ce qu’il passe à gauche, en France, en Grande Bretagne et en Allemagne. Il reproche à la gauche de nombreux retards à l’allumage. Mais, on ne sait pas toujours lui-même comment le situer. Sur la mondialisation par exemple, à gauche, il y a deux options, s’y adapter ou la réguler. Il demande à la gauche un effort d’adaptation considérable. Mais lequel ? ». En Grande-Bretagne, le nouveau chef des Travaillistes a déjà choisi son camp. Présenté comme plus à gauche que son frère, Ed Milliband, s'est empressé d'opérer un recentrage rapide sitôt la victoire acquise...
  A bien des égards, Raffaele Simone retient ses coups lorsqu’il s’agit de la gauche française, lui reconnaissant une certaine « capacité d’intervention stratégique » pour autant, le dernier concept sorti du chapeau de Martine Aubry ne trouve guère grâce à ses yeux  :
« depuis des années, beaucoup plus idéologique et fermée que la droite, elle n'a rien proposé de neuf et d'adapté à la modernité, elle s'est contentée de répéter des formules toutes faites – je pense par exemple au «  care » de Martine Aubry qui ressemble fort à l'assistanat des années 1970 –, tout en échouant à faire aboutir ses derniers grands projets… ».

Une critique qui fait bondir Christian Paul  : « c’est extraordinaire, je le trouve bourré de contradictions, parce que dans la même interview, il insiste sur le mot entraide, cela va au-delà du care qui est une façon, pour nous de refonder des politiques sociales. Il finit ultra-care, si j’ose dire ».
  Mais l’essentiel est ailleurs. Métaphore d’un égoïsme joyeux, Le monstre doux symbolise surtout la victoire d’une droite sur le terrain des valeurs, quand bien même la gauche retrouverait ses électeurs dans les urnes: « il a raison, là on est en plein dans la bataille. La gauche avait un peu déserté le terrain des valeurs, y compris les principes républicains. Je crois que la gauche en a pris conscience. Personnellement, je plaide plutôt pour un réarmement idéologique, intellectuel et politique et je pense que pas mal de gens à gauche sont favorables à cette démarche ».
Le pessimiste historique et culturel qui accable Raffaele Simone n’aurait donc pas lieu d’être. Certes, de nombreux signaux démontrent qu’au delà du simple confort personnel, la crise financière a fait émerger de nouvelles priorités, telles qu’une répartition plus équitable des revenus. Et la situation économique créée par la crise entraîne une délégitimation de la promesse capitaliste formulée par Nicolas Sarkozy « travailler plus pour gagner plus ».
  Pour profiter de cette fenêtre de tir politique, reste à la gauche d’opposition à dépasser le stade protestataire, condamné à décevoir, pour s’attaquer à l’économisme ambiant, apporter une réponse consistante à la mondialisation, échafauder un projet de société alternatif crédible qui saura répondre à des demandes et des évolutions de société souvent contradictoires. Une tâche qui s’annonce… monstrueuse.
   
Entretien avec Frédéric Joignot. Le Monde Magazine du 25 octobre 2010.
Pourquoi l'Europe s'enracine à droite. Comment expliquer l'effondrement de la gauche européenne, alors que le continent souffre des contrecoups de la crise financière née des excès du libéralisme ? L'essai de l'Italien Raffaele Simone Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite? qui sort enfin en France (Gallimard) aide à comprendre.
Linguiste de renommée internationale, philosophe sympathisant à gauche, Raffaele Simone a publié en Italie plusieurs ouvrages et articles critiques – Il Paese del Pressappoco " Le pays de l'à-peu-près " (Garzanti Libri, 2005).Son constat est sévère. Selon lui, la gauche n'est plus porteuse d'un grand projet "à la hauteur de [son] temps". Face à elle, la droite nouvelle l'emporte parce qu'elle a compris notre époque consommatrice, individualiste, pressée et médiatique, et sait se montrer pragmatique et sans idéologie. Cette droite conquérante s'est associée aux chefs d'entreprise comme aux hommes des médias pour promouvoir une société de divertissement et de défense des intérêts de court terme, tout en promettant la sécurité et la lutte contre l'immigration.Un projet que Raffaele Simone appelle "le monstre doux".Son essai a fait couler beaucoup d'encre en Europe dans les milieux de gauche dès sa sortie en Italie, début 2009.
La revue Le Débat lui a alors consacré cinq articles importants dans son dossier "Déclin de la gauche occidentale ?". En janvier 2010, Laurent Fabius et la Fondation Jean Jaurès l'invitaient au colloque "La gauche à l'heure de la mondialisation". En France, on pourrait s'étonner d'une telle critique de la gauche quand le gouvernement semble empêtré dans l'affaire Woerth-Bettencourt. A gauche, les sondages ne sont pas défavorables, mais le PS n'a toujours pas élaboré une position claire tant sur les retraites que sur les questions de sécurité et l'immigration. C'est pourtant là une problématique cruciale, sur laquelle Nicolas Sarkozy a pris cet été des positions brutales qui ne lui ont pas attiré que des inimitiés. Au contraire. Pour Raffaele Simone, cette droite nouvelle et ses dérives qu'il qualifie de "monstre doux" est en train de conquérir l'Europe. Il a répondu aux questions du Monde Magazine.

 

Qui est ce " monstre doux " dont vous parlez dans votre livre ?

Raffaele Simone : Dans De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville décrit une nouvelle forme de domination. Elle s'ingérerait jusque dans la vie privée des citoyens, développant un autoritarisme "plus étendu et plus doux", qui "dégraderait les hommes sans les tourmenter". Ce nouveau pouvoir, pour lequel, dit-il, "les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent pas", transformerait les citoyens qui se sont battus pour la liberté en "une foule innombrable d'hommes semblables (…) qui tournent sans repos pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, (…) où chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée des autres". Isolés, tout à leur distraction, concentrés sur leurs intérêts immédiats, incapables de s'associer pour résister, ces hommes remettent alors leur destinée à "un pouvoir immense et tutélaire qui se charge d'assurer leur jouissance (…) et ne cherche qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance. Ce pouvoir aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il pourvoit à leur sécurité (…) facilite leurs plaisirs (…) Il ne brise pas les volontés mais il les amollit (…), il éteint, il hébète."
C'était une sorte de prophétie, mais nous y sommes aujourd'hui. C'est le "monstre doux" dont l'Italie me semble être l'avant-garde, le prototype abouti. Il s'agit d'un régime global de gouvernement, mais aussi d'un système médiatique, télévisuel, culturel, cognitif, une forme d'ambiance infantilisante persistante qui pèse sur toute la société.
Ce régime s'appuie sur une droite anonyme et diffuse associée au grand capital national et international, plus proche des milieux financiers qu'industriels, puissante dans les médias, intéressée à l'expansion de la consommation et du divertissement qui lui semblent la véritable mission de la modernité, décidée à réduire le contrôle de l'Etat et les services publics, rétive à la lenteur de la prise de décision démocratique, méprisant la vie intellectuelle et la recherche, développant une idéologie de la réussite individuelle, cherchant à museler son opposition, violente à l'égard des minorités, populiste au sens où elle contourne la démocratie au nom de ce que "veut le peuple".
En Italie, l'administration Berlusconi incarne cette droite jusqu'à la caricature. En France, depuis le fameux dîner du Fouquet's [au soir de l'élection de Nicolas Sarkozy], et aujourd'hui avec l'affaire Bettencourt, le gouvernement a montré plusieurs fois ses accointances avec le monde des affaires et des médias, le président Sarkozy a fait scandale par son omniprésence à la télévision et son train de vie de star. Sa politique me semble exemplaire de cette droite nouvelle refusant d'imposer comme d'effrayer les plus riches, voulant diminuer les services publics et flirtant avec le populisme et certaines thèses d'extrême droite.

 

Dans votre essai, le "monstre doux " s'impose à la modernité à travers trois commandements. Quels sont-ils ?

Le premier commandement est consommer. C'est la clef du système. Le premier devoir citoyen. Le bonheur réside dans la consommation, le shopping, l'argent facile, on préfère le gaspillage à l'épargne, l'achat à la sobriété, le maintien de son style de vie au respect de l'environnement. Le deuxième commandement est s'amuser. Le travail, de plus en plus dévalorisé, devient secondaire dans l'empire de la distraction et du fun. L'important, c'est le temps libre, les week-ends, les ponts, les vacances, les sorties, les chaînes câblées, les présentatrices dénudées (et pas que dans la télé de Berlusconi), les jeux vidéo, les émissions people, les écrans partout.
Le divertissement scande chaque moment de la vie, rythme le calendrier jusque chez soi, où la télévision, la console de jeu et l'ordinateur occupent une place centrale. Le divertissement remplit tout l'espace, reformate les villes historiques, quadrille les lieux naturels, construit des hôtels géants et des centres commerciaux le long des plus belles plages, crée des villages touristiques dans les plus infâmes dictatures.
Même les actualités les plus graves se transforment en divertissement. La première guerre d'Irak, le tsunami, les catastrophes naturelles, les drames humains deviennent spectacles, jeux vidéo en temps réel ou feuilletons émotionnels. Les débats politiques se font guerre de petites phrases, parade de people, quand les ministres ne sont pas d'anciens mannequins qui ont posé nus, à la "une " de tous les tabloïds – comme en Italie Mara Carfagna, ministre de l'égalité des chances, ou Daniela Santanché, sous-secrétaire à je-ne-sais-quoi.
La démultiplication des gadgets, des portables, des tablettes fait que nous sommes encerclés, noyés, dissous dans les écrans. Sous le régime du "monstre doux", la réalité s'efface derrière un rideau de fun. Plus rien n'est grave, important. Après le travail, la vie devient un vrai carnaval, les grandes décisions sont prises par les "beautiful people" que sont les politiques et les grands patrons, tout devient pixel, virtuel, irréel, vie de stars.
La crise économique, la spéculation financière, les plans de rigueur, les atteintes aux libertés et les collusions entre hommes politiques et milieux d'affaires – comme nous l'observons en France et en Italie – sont des épisodes vite oubliés d'un grand "reality show".

 

Et le troisième commandement ?

C'est le culte du corps jeune. De la jeunesse. De la vitalité. L'infantilisation des adultes. Ici le "monstre doux" se manifeste de mille manières, terrorise tous ceux qui grossissent, se rident et vieillissent, complexe les gens naturellement enrobés, exclut les personnes âgées.
Le rajeunissement est devenu une industrie lourde. Partout, on pousse à faire des régimes, à dépenser des fortunes en cosmétiques pour paraître lisse, svelte, adolescent, à investir dans la chirurgie esthétique, le lifting, le Botox, comme Silvio Berlusconi, le bronzé perpétuel.
Je ne crois pas qu'une société soumise à une telle tyrannie du corps et de la jeunesse ait jamais existé. Elle a de graves conséquences morales. Partout se répand un égoïsme arrogant, jeuniste, survitaminé, affichant un mépris ouvert de la fatigue, du corps souffrant, des vieux, des laids, des handicapés, de tous ceux qui démentent le mythe de la jeunesse éternelle. Pendant ce temps, les enfants refusent de vieillir, deviennent anorexiques ou boulimiques, quittent leurs parents à 30 ans.
Partout on rejette toute posture adulte, réflexive, intellectuelle, jugée "out", inutile, triste. On a l'obligation d'être " branché ", tout doit aller vite, le succès, l'argent, les amours. Dans ses essais, le sociologue polonais Zygmunt Bauman se demande, désemparé : "Où est la compassion?" Voilà le "monstre doux", un monde d'amusement sans compassion.

 

Mais comment le "monstre doux" et la droite nouvelle se confondent ? Et pourquoi l'emportent-ils dans toute l'Europe ?

Un monde où le consommateur a remplacé le citoyen, où le divertissement supplante le réalisme et la réflexion, où l'égoïsme règne me semble favorable à la droite nouvelle, qui d'ailleurs le facilite et l'entretient, car ses valeurs comme ses intérêts sont associés à la réussite de la consommation et de la mondialisation de l'économie, pleine de promesses.
En ce sens, j'avance l'idée que cette droite nouvelle, consommatrice, people, médiatique, liftée, acoquinée aux chaînes de télévision, appelant à gagner plus d'argent, défendant les petits propriétaires, décrétant comme ringardes les idées d'égalité et de solidarité, méfiante envers les pauvres et les immigrés, est plus proche des intérêts immédiats des gens, plus adaptée à l'ambiance générale de l'époque, plus " naturelle " en quelque sorte. Et c'est pourquoi elle gagne.
Face à elle, la gauche semble n'avoir rien compris au véritable bouleversement "civilisationnel" de la victoire de l'individualisme et de la consommation, s'accrochant à ses seules idées sociales.Il faut ajouter que défendre les idées de justice, de solidarité, d'aide aux démunis et se préoccuper du long terme et de l'avenir de la planète apparaît aujourd'hui comme une attitude difficile, courageuse, mais hélas contraire à l'intérêt égoïste de court terme. Cela coûte, exige des efforts. C'est pourquoi la gauche perd.

 

La gauche, dites-vous, ne comprend plus notre temps. Pourriez-vous nous donner des exemples de cette incompréhension ?

Depuis les années 1980 et les débuts de la mondialisation, la liste des changements radicaux que les dirigeants de gauche n'ont pas compris donne véritablement le tournis. Beaucoup d'entre eux ont résisté à l'idée de l'unification européenne – un grand projet pourtant né de leurs rangs –, puis critiqué la réunification allemande après la chute du Mur. Ils se sont opposés longtemps, avec force, à la critique écologique du productivisme sans frein, qui aurait pu les ressourcer. Ils ont dénié l'apparition d'un facteur ethnique dans la sphère politique. Jusque récemment, ils ont refusé de discuter de l'immigration de masse et des clandestins, se montrant laxistes sur ces questions.
Eux, les défenseurs de la laïcité, n'ont pas été clairs dans leur critique de l'islam radical, sur les questions du port du voile et de la visibilité des signes religieux. Ils ont montré le même aveuglement face aux violences urbaines et à l'insécurité, ne considérant que leurs causes et pas leurs effets.
Ils s'obstinent à ne pas voir le vieillissement de la population et, comme en France, à ne pas évoluer sur les retraites. Ils ont abandonné la défense des ouvriers et des salariés aux syndicats et n'ont plus rien de partis populaires. Ils n'ont pas compris la montée en puissance des pays émergents, la Chine, l'Inde, le Brésil, qui s'apprêtent à dominer le monde. Ils n'ont pas saisi grand-chose aux nouvelles cultures jeunes, hédonistes, individualistes, alternatives ni à la croissance formidable des médias de masse, au pouvoir de la télévision, d'Internet et du numérique. Cela fait beaucoup.
Et si on additionne ces bévues, on voit alors qu'ils ont ignoré comment, dans les populations européennes vieillissantes, la modernité a généré un agrégat inquiétant et chaotique de menaces et de peurs auxquelles seules la droite et l'extrême droite semblent aujourd'hui pouvoir répondre. Alors que la gauche, si elle avait été à l'écoute des milieux populaires, aurait dû en faire une de ses missions.

 

Vous dites encore que plus personne ne connaît les grands apports de la gauche en Europe. Expliquez-nous...

En effet, aujourd'hui plus grand monde ne sait ce que l'Europe moderne doit aux luttes des partis de gauche, les combats douloureux et sanglants qu'ils ont mené pour les droits des travailleurs, la liberté d'association, les libertés publiques, les congés payés, l'assurance-maladie, les retraites, l'enseignement obligatoire, la laïcité républicaine, le suffrage universel, les droits des femmes, les services publics, l'égalité devant la loi, la régulation étatique des excès des puissants, etc.
La gauche, idéologiquement, a dilapidé ce qui constituait son patrimoine, elle ne le revendique plus, elle a même peur de le revendiquer, elle l'a laissé sans paternité, celui-ci est devenu comme inhérent à l'identité européenne.
Voyez par exemple comment, après la terrible crise financière de 2008, la droite libérale, pragmatique et sans états d'âme, a allègrement pioché en Europe et ailleurs dans le catalogue des idées classiques de gauche, nationalisant les banques et se montrant interventionniste. La gauche n'y a pas gagné en force et en crédibilité, au contraire, elle s'est fait voler le peu qu'il lui restait de son réservoir d'idées.
Et pourquoi ? Parce que depuis des années, beaucoup plus idéologique et fermée que la droite, elle n'a rien proposé de neuf et d'adapté à la modernité, elle s'est contentée de répéter des formules toutes faites – je pense par exemple au " care " de Martine Aubry qui ressemble fort à l'assistanat des années 1970 –, tout en échouant à faire aboutir ses derniers grands projets…

 

Lesquels ?

La liste des échecs patents de la gauche apparaît aussi longue que ses conquêtes. Elle n'a pas réussi à réduire les inégalités, qui vont s'aggravant entre les pauvres, les classes moyennes et les très riches ; elle a échoué à réguler le capitalisme financier, laissant la droite le faire à sa manière, c'est-à-dire à moitié ; elle n'a pas su mettre en place des mesures de solidarité qui aideraient véritablement les plus démunis à s'en sortir ; elle n'a pas relevé le niveau moyen d'instruction et de culture ; elle n'a pas mis fin à l'exploitation méthodique des travailleurs et des employés ; elle n'a pas su imposer l'égalité ni la parité des hommes et des femmes ; elle a laissé les écoles publiques devenir moins attractives que les écoles privées ; elle n'a pas aidé à la formation d'une conscience citoyenne ; elle n'est pas arrivée à réduire l'impact de la croissance sur l'environnement, etc.

 

Comment expliquer ces spectaculaires revers ?

 J'y vois des raisons tant propres à la gauche qu'extérieures à elle. D'abord, il y a les effets de l'espèce de secousse sismique qui a eu lieu depuis les années 1980 avec le développement vertigineux de la consommation, la montée en force de l'individualisme, la toute-puissance de la télévision et des écrans, autant de phénomènes qui ont profondément bouleversé "l'esprit du temps".
Face à ces mouvements, les propositions sociales de la gauche – égalité, solidarité et redistribution – apparaissent dépassées à l'individu comme au consommateur contemporain, et ce d'autant que ces idées semblent appartenir à une idéologie associée à une histoire effrayante: le passé communiste.

 

Vous pensez que la gauche conserve encore pour les citoyens une couleur communiste, même après l'effondrement des partis communistes européens ?

L'ombre historique du communisme pèse encore sur la gauche, et comment ! Le fait que le socialisme au pouvoir ait pris une forme communiste, c'est-à-dire une succession de régimes tyranniques, misérables et criminels, reste dans toutes les mémoires. Surtout en Europe, où ce passé terrifiant ressurgit régulièrement au fur et à mesure que nous découvrons de nouveaux documents accablants sur cette époque, les agissements criminels des nomenklaturas, les mea culpa contraints des plus grands intellectuels.
En même temps, l'effondrement brutal et grotesque du communisme a signifié l'écroulement de quelques-uns des grands mythes de la gauche tout entière. L'idée qu'elle allait changer le monde par la "révolution", que celle-ci fût violente, comme le voulaient les bolcheviques, ou graduelle, comme l'entendaient les sociaux-démocrates, a fait long feu.
Qui veut encore la révolution aujourd'hui, et pour mettre en place quel régime ? Quant aux grands discours sur "la lutte des classes", ou même "la haine de classe", nous savons bien qu'ils mènent à la guerre civile et au despotisme.
La notion de "progrès" et de "progressisme", qui veut que la gauche défende un futur meilleur, aille dans le sens de l'histoire et de la libération de l'homme, vacille aujourd'hui après les révélations des livres noirs du communisme comme suite aux effets désastreux de nos industries et du progrès technique sur l'écologie de notre planète.
De même, l'incapacité intrinsèque de la planification socialiste à développer une économie prospère et éviter la paupérisation générale, son dirigisme rétif à tout esprit d'initiative ont ruiné les rêves d'une économie tout étatique et redistributrice, et montré les avantages du libre-échange et du marché, en dépit de ses crises et de sa brutalité.
Malgré cela, il reste encore des "intellectuels de gauche" pour justifier l'époque socialiste et l'étatisme forcené. Des hommes de gauche ou de l'ultra-gauche qui persistent à diaboliser le marché et se définissent comme "anticapitalistes" ou "antiaméricanistes", montrent des sympathies dangereuses envers des régimes dictatoriaux comme le Cuba de Fidel Castro ou le Venezuela d'Hugo Chavez, font preuve d'une négligence coupable envers l'islamisme ou le terrorisme, qu'ils "comprennent" ou "excusent".
Bien des élections perdues par la gauche non communiste le furent parce qu'elle n'a pas su clarifier ses différences de fond avec les errements sanglants d'hier, et que leurs adversaires de droite la mettent dans le même sac, à la manière de Berlusconi qui ne parle jamais de "la gauche" mais des "communisti".

 

Après l'échec du communisme et sa mythologie, vous voyez venir l'échec du socialisme et des idées sociales, pourquoi ?

Au final, que reste-t-il dans le réservoir d'idées de la gauche européenne non communiste ? Plus grand-chose. Le volet social, le réformisme, la régulation des excès du libéralisme… Mais là encore, le discours apparaît faible, minimaliste, sans véritable vision d'ensemble. Beaucoup des propositions avancées me semblent en décalage avec la réalité, hésitant entre l'assistanat de l'Etat-providence et une politique de centre gauche, édulcorée, proche de celle de la droite centriste ou chrétienne. En Italie par exemple, la gauche a cherché à s'allier aux démocrates-chrétiens, jusqu'à former un parti de coalition, le Parti démocrate. Sans identité politique, cette gauche light, centriste, qui a peur d'apparaître de gauche, dans laquelle personne ne se retrouve, ni les gens de gauche ni les catholiques, a subi une défaite sévère face aux hommes de Berlusconi aux élections législatives [en 2008]. Résultat, son premier chef Walter Veltroni, un ancien communiste, a dû démissionner [en 2009].
De fait, de nombreux engagements de la gauche édulcorée ressemblent à ceux des chrétiens sociaux, notamment l'assistanat, l'étatisme, la tolérance envers la délinquance sociale et l'immigration clandestine, le tout emballé avec des airs confessionnels. C'est là une façon de remplir le "réservoir" des idées que j'appelle le "fusionisme" qui est plutôt un "confusionisme". Il en existe d'autres.
En Grande-Bretagne, la "troisième voie" promue par le New Labour laisse un pays où les disparités sociales n'ont jamais été aussi grandes, sans avoir fini de reconstruire des services publics rendus exsangues par Margaret Thatcher. En France comme en Italie, des hommes de gauche suggèrent que les socialistes devraient se concentrer sur la défense des droits des minorités, des femmes, des homosexuels, des immigrés, des sans-papiers, des détenus… une politique qui se veut radicale, mais qui mène à réclamer la gratuité totale des services publics, une politique laxiste en matière de sécurité.
D'autres proposent de s'orienter vers la solidarité, le fameux "care", considérant d'abord les gens comme des victimes, montrant une philanthropie et une condescendance qui ne me semblent pas conformes aux idées de gauche. Tous ces tâtonnements manquent de rigueur, n'aident pas à définir une grande politique, ne font pas avancer la réflexion sur un véritable réformisme de gauche, à la hauteur du monde moderne consommateur et mondialisé. Voilà pourquoi il me semble qu'en ce début du xxie siècle le réservoir d'idées de la gauche frôle la banqueroute.

 

Vous n'imaginez pas une gauche nouvelle, à la hauteur de son temps ?

Une nouvelle gauche, me semble-t-il, aura beaucoup à faire, si jamais elle doit encore exister sous ce nom. A mon sens, elle devrait rompre avec la vieille gauche, sans renier les valeurs historiques constitutives de la gauche non communiste. Elle devrait réaffirmer ses valeurs, sans les édulcorer, les adapter à notre époque, réparer les méfaits culturels profonds du "monstre doux". Vaste, immense programme !
Affirmer le rôle de l'Etat dans la régulation des excès du marché et du capitalisme financier. Mettre en place des services publics forts. Investir dans des universités et des écoles de haut niveau. Défendre radicalement la laïcité contre les intrusions religieuses. Assurer durablement et sans laxisme la sécurité des citoyens. Soutenir puissamment la recherche. Appuyer la création de médias et de télévisions de qualité.
La nouvelle gauche devrait s'inspirer des expériences de la social-démocratie des pays du Nord de l'Europe qui a rompu avec le vieux paradigme de l'assistanat et de l'Etat-providence, pour promouvoir l'émancipation de chaque individu, sans en abandonner aucun, en corrigeant l'inégalité sociale par l'entraide. L'entraide, c'est un mot qui semble en effet inaudible à l'époque du "monstre doux", un mot de gauche.
 
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12 septembre 2011 1 12 /09 /septembre /2011 21:57
Le sacrifice inutile
Essai sur la violence politique     
 
de Paul Dumouchel
Mis en ligne : [12-09-2011]
Domaine :   Idées   

Paul Dumouchel

 
Paul Dumouchel est philosophe et essayiste. De nationalité canadienne, il a longtemps exercé à l'université du Québec à Montréal et il  enseigne actuellement la philosophie politique et la philosophie des sciences à l'université Ritsumeikan de Kyoto. Auteur de nombreux articles, il a  publié L'Enfer des choses (avec Jean-Pierre Dupuy, Seuil, 1979) et Emotions. Essai sur le corps et le social (Synthélabo, 1995)


Paul Dumouchel, La violence inutile. essai sur la violence politique. Paris, Flammarion, mars 2011, 324 pages.


 
Présentation de l'éditeur.
La fonction première de l'Etat moderne est d'assurer la protection de ses citoyens: de les protéger les uns des autres et de les défendre contre les adversaires extérieurs. Pourtant, les violences à l'égard des populations civiles, les génocides, nettoyages ethniques ou massacres organisés sont pour l'essentiel perpétrés par des Etats et, dans une large mesure, contre leurs propres citoyens. Le présent essai montre que ces actes ne sont pas des accidents contingents, mais des événements inscrits dans la structure même de l'Etat. Par un saisissant retournement, ce dernier; ne pouvant plus faire de l'ennemi extérieur un bouc émissaire, s'est mis à multiplier les ennemis de l'intérieur. Cet affolement de la raison politique révèle l'échec de son mécanisme constitutif: le transfert de la violence vers des victimes acceptables. Ainsi l'ordre politique moderne, censé remplacer le sacrifice archaïque, repose sur une économie de la violence de même nature, mais beaucoup moins efficace. Les sacrifices à la nation, à la cause ouvrière ou à toute cause transcendant l'individu sont, eux aussi, devenus inutiles. La violence politique s'avère incapable de donner naissance à un ordre stable. Cette autodestruction du politique est l'un des signes les plus inquiétants de notre temps.
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Recension de Paul Valadier. Etudes - mai 2011.
Il n’est guère étrange qu’en un siècle où les violences les plus impres­sionnantes se déchaînent, la réflexion se porte sur les sources de tels phéno­mènes (génocides, terrorismes, menaces diverses). Ce livre apporte sa contribution dans la ligne des thèses de René Girard, tout en prenant aussi ses distances. A lui seul le titre en témoignerait : si le sacrifice est devenu inutile, alors qu’il a jusqu’ici permis aux sociétés de repousser la violence, c’est que l’indifférenciation mondiali­sée domine. L’Etat moderne s’est imposé par son monopole de la vio­lence légitime en éradiquant l’« ennemi » intérieur par uniformisa­tion des citoyens sous le règne de la loi, mais il est lui-même débordé par un monde en réseaux devenu sans extérieur. « Le délitement actuel du politique comme autorité morale capable de dire la différence entre la bonne et la mauvaise violence résulte de la même transformation qui a rendu possible le politique : l’abandon des liens réciproques de solidarité permis par la révélation chrétienne. » Car « le rôle fondamental » de ce « délitement » est attribué au christianisme, nommé­ment à la charité et au pardon qui auraient brisé les solidarités tradition­nelles. Jugement assez léger, aussi bien au niveau d’une lecture honnête du Nouveau Testament qu’au niveau des réalités historiques, puisqu’on reproche plutôt au christianisme d’avoir maintenu en place les struc­tures traditionnelles (ainsi l’escla­vage). Mais il faut bien toujours et partout trouver un bouc émissaire.
   
Critique de Gérard Leclerc. Royaliste n° 990 du 25 avril 2011.  
La violence inexpugnable du monde. Nous aimerions nous raconter des histoires, rêver d'un monde pacifié et fraternel, d'où tout rapport de force et tout passage à l'acte violent seraient bannis. N'est-ce pas le fond de la croyance aux droits de l'homme, cette idéologie qui laisse espérer une sortie des conflits, dès lors qu'une justice supérieure ferait régner la fraternité toujours et partout ? Malheureusement, l'expérience la plus immédiate montre que nos sympathiques militants droits de l'hommistes n'ont de cesse de réclamer l'intervention des bombardiers et le pilonnage des positions de l'ennemi. Ils ont beau anathématiser l'insupportable Realpolitik, ils en deviennent les plus zélés auxiliaires dès lors qu'il s'agit d'affronter l'injustice très concrète et la puissance de feu de l'adversaire. Il vaut mieux que l'armée des Nations Unies ne soit pas battue, l'hypothèse de sa défaite n'est pas inimaginable. Mais il est très difficile de penser le mal, et plus encore de l'intégrer dans la philosophie politique. Cela nous donnerait une trop triste idée de l'humanité et risquerait de déstabiliser notre projection d'une paix perpétuelle. Pourtant, si l'on se réfère aux origines mêmes de la pensée moderne, on bute sur le caractère massif, incontournable d'une violence, dont la première fonction de la politique est de nous protéger. Qu'est-ce que le Léviathan de Hobbes, sinon la construction du mythe de la souveraineté, destinéà épargner les hommes dont la condition naturelle est d'être livré à « l'exacerbation mortelle de leurs passions » ?
L'essai que vient de publier Paul Dumouchel se situe dans la stricte ligne de Hobbes, enrichi par une problématique girardienne, qui lui permet de creuser plus profond encore les ressorts de l'inimitié et la logique de guerre des États. Voilà plus de trente ans déjà que nous le rencontrions, avec Jean-Pierre Dupuy à l'occasion de la publication d'un premier essai intitulé l'enfer des choses (2). Leur objectif était alors de prolonger les analyses de René Girard au cœur de la modernité, afin de découvrir comment elle permettait une intelligence aiguë des mécanismes de l'économie. En choisissant de réfléchir à la violence la plus évidente de notre début de siècle, Dumouchel ressaisit le dispositif central de la pensée de René Girard, en montrant que, loin de ne concerner que l 'âge archaïque des études ethnologiques, il touche au plus vif, au plus crucial, au plus douloureux de notre époque. L'intéressé lui-même, d'ailleurs, avait anticipé cette réflexion avec son Achever Clausewitz, dont le sens est, ici, souligné avec une puissance d'argumentation remarquable : « Le monde global est un monde de la violence globale (…) c'est un monde de violence sans frontières, c'est aussi un monde où la violence politique échoue à nous protéger et devient elle-même la plus grande violence. » Cette seule affirmation ne se soutient qu'avec la démonstration qui la précède et consiste dans une analyse très précise des processus qui ont conduit à la formation de l'État moderne. Celui-ci, en effet, s'est caractérisé par l'appropriation exclusive de la violence légitime sur un territoire circonscrit.
La segmentation des sociétés anciennes s'est trouvée progressivement abolie, avec la suppression des communautés intermédiaires, jusqu'au face-à-face des seuls individus avec l'État, consommé avec la Révolution française. La violence captée par la seule puissance publique est tournée vers l'ennemi de l'intérieur, puis l'ennemi de l'extérieur. On peut juger que c'est un progrès indéniable, mais l'histoire des deux derniers siècles nous apprend aussi, selon la leçon de Clausewitz, que les conflits des nations vont jusqu'à l'anéantissement de l'adversaire et que ce sont « des nations et des peuples qui s'opposent. La lutte mobilise dorénavant les populations entières. » La politique post-hobbesienne a redéfini les acteurs et les frontières de la violence. Elle est structurée par l'opposition à l'ennemi, comme l'a souligné un Carl Schmitt, commentateur très conséquent du Léviathan. Certes, le même Schmitt avait remarqué qu'entre la naissance de l'État moderne et 1914, les guerres européennes avaient été limitées, mais c'était au moyen d'un exutoire extérieur, d'un espace libre où pouvait s'exercer une violence que « ne bornaient ni le droit de la guerre ni le respect des lois internationales ». Il parlait en fait des conquêtes coloniales. On peut être en désaccord philosophique avec l'auteur du Nomos de la terre, tout en admettant le constat qu'il établit quant aux guerres idéologiques qui suppriment les limites anciennes de la guerre.
Ce n'est là qu'un des parcours où nous invite Paul Dumouchel pour mieux nous initier à la généalogie de la violence. Il nous offre aussi, par exemple, un aperçu très suggestif sur la transformation des sociétés traditionnelles avec la fin des solidarités immédiates. Celles-ci n'étaient pas indemnes de conflits et elles s'opposaient à la grande ouverture des marchés qui suppose le relâchement des liens communautaires au profit d'un échange qui s'épanouit à partir de l'indifférence des sujets économiques pour leurs appartenances. D'une façon très neuve, l'analyse s'attarde aussi à montrer comment le christianisme a concrètement transformé les relations sociales à partir de la charité et du pardon. L'une et l'autre ont fait accéder le lointain au statut du prochain, à l'encontre des obligations immédiates des sociétés segmentées. Mais le système de l'échange généralisé produit des effets de « violence par omission » avec tous ceux que la chute des structures traditionnelles a laissé sans défense.
Pourtant, l'attention se concentre finalement sur les mutations ultimes des rapports de violence, avec les phénomènes de globalisation. Il faudrait sans doute que Paul Dumouchel consacre un nouveau livre pour développer les remarques qu'il esquisse à propos de la nature non territoriale des formes d'agression, qui rendrait obsolète la stratégie nucléaire, cette dernière étant étroitement associée à l'immunité d'un territoire particulier : « L'ordre politique moderne est né de la territorialisation des relations de solidarité et d'hostilité (…) L'impossibilité dorénavant de reterritorialiser ces relations nous menace comme jamais auparavant. » A l'heure du terrorisme international et des mafias transnationales, la violence redessine un autre espace, ce qui montre bien qu'elle est, hélas, inexpugnable.

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