Jacques de Guillebon et Falk van Gaver, L'Anarchisme chrétien, Paris, Editions de l'Oeuvre, avril 2012, 410 pages.
Présentation de l'éditeur.
Habitués aux clichés tardifs du type " ni Dieu ni maître ", nous avons oublié que l'anarchisme, comme le premier socialisme d'ailleurs, doit au christianisme plus qu'à n'importe quelle autre doctrine ou philosophie. Jacques de Guillebon et Falk van Gaver nous plongent ici dans les eaux profondes de l'insoumission à l'ordre des hommes. Fleuve souterrain aux détours sinueux, l'anarchisme chrétien irrigue depuis deux siècles la vie politique et intellectuelle du monde. Loin du " catéchisme révolutionnaire " de Netchaïev, des bombes de Ravachol et des cavalcades de Makhno, tantôt orthodoxe et tantôt hérétique, cette anarchie religieuse fonde la pensée de la non-violence, inspire les arts modernes, engendre la critique conjuguée de l'Etat et du libéralisme. Les anarchistes chrétiens furent les premiers à s'élever contre un monde rapace livré à la technique. Pour eux, l'" ordre sans le pouvoir " est le dernier mot temporel des enfants de Dieu.
Le point de vue de La Revue Critique. Sans doute l'un des meilleurs essais de cette année 2012. Les deux complices, de Guillebon et van Gaver, se sont lancés dans une vaste enquête sur l'anarchisme chrétien. Ils en reviennent avec une moisson de textes de Péguy, de Bernanos, d'Ellul, d'Orwell et de bien d'autres qui ont peu de choses à voir avec l'image traditionnelle du vieux libertaire. A la source du livre, on trouve la grande figure de Proudhon. Un Proudhon lu et bien lu, qui envisage l'anarchie non pas comme un désordre mais comme un "ordre sans pouvoir", comme une communauté d'hommes libres, fraternels et responsables. On ne s'étonnera pas de voir tant de penseurs chrétiens du XIXe et du XXe siècle combattre sous les bannières du fédéralisme proudhonien. Ceux qui se réclament de ce vieux fond socialiste français se méfient de l'Etat, des partis, des maîtres et des vérités révélés, ils n'aiment pas l'argent, ils estiment que les sociétés se construisent par le bas plutôt que par le haut. Ils ont des rapports passionnés avec la religion qui ne suscitent leur colère que lorsqu'elle a trop partie liée avec les puissants. S'ils se sont parfois laissés fasciner par la pensée marxiste, c'était pour mieux en rejeter le déterminisme et affirmer haut et fort que ce sont les hommes qui font l'histoire. On retrouve en trace cet "anarchisme chrétien" dans les débats enflammés qui ont agité personnalistes et non-conformistes dans les années 1930. Le triomphe du matérialisme et du néolibéralisme ne lui ont plus laissé beaucoup d'espace par la suite. De Guillebon et Van Gaver le redécouvrent, ils plaident pour son retour dans le débat politique. Voilà qui nous va assez bien. P.G.
Le bloc notes de Jean-Claude Guillebaud. - La Vie, 31 mai 2012.
Le message évangélique est dangereux, dérangeant, subversif, décisif. Une belle idée, et un beau travail ! Je salue fraternellement les deux auteurs d’un gros livre à qui j’emprunte le titre de ce bloc-notes (l’Œuvre, 29 €). Jacques de Guillebon et Falk van Gaver ont entrepris de suivre à la trace, sans œillères ni a priori d’aucune sorte, ce feu qui accompagne souterrainement toute l’histoire du christianisme. Anarchisme en effet que cette attention portée à ce qu’il y a de plus incandescent dans le message évangélique ; liberté dérangeante de ces « fous de Dieu » que nulle institution n’apprivoisa jamais ; fidélité aux pauvres de ces princes vagabonds ; dédains des honneurs et des « puissances » ; espérance têtue qui se lève avec l’aube… Au fil de ces pages, les auteurs nous convient à rencontrer ces anarchistes flamboyants. Les plus connus – Charles Péguy, Georges Bernanos, Léon Bloy, Simone Weil, Gilbert Keith Chesterton, Jacques Ellul – et quantité d’autres plus oubliés, comme Félix Ortt, ce contemporain de Péguy qui publia en 1903 un Manifeste anarchiste chrétien ou Joseph Proudhon dont – à tort – on n’interroge plus la pensée. Mentionnons encore Ernest Hello, ce sublime Breton amoureux de Dieu et qu’admirait tant Barbey d’Aurevilly. Les auteurs s’en tiennent aux deux derniers siècles. Leur absolue liberté de ton et d’écriture donne leur prix à ces pages jamais tièdes ni convenues. Aucune envie, chez eux, d’étiqueter ces anarchistes chrétiens, en les rangeant « à droite » ou « à gauche ». Pas question non plus d’établir un distinguo entre les catholiques comme Bloy, les protestants comme Ellul ou les orthodoxes comme cet incroyable archimandrite Spiridon qui, au XIXe siècle, se fit missionnaire révolté chez les bagnards de Sibérie. Guillebon et van Gaver englobent aussi dans leur quête quelques-uns de ces prétendus « non-chrétiens » dont l’anarchisme, à bien regarder, n’est pas sans liens singulier avec l’Évangile. Cette ouverture nous vaut des pages superbes sur Gandhi et – surtout – sur Rimbaud en qui Stanislas Fumet voyait un « mystique contrarié ». Une indélogeable conviction, partout et toujours, réunit ces rebelles héritiers – avoués ou pas – du Christ. Celle-ci : le message évangélique est dangereux, dérangeant, subversif, décisif. Qu’on ne s’étonne pas s’il suscite la raillerie des « importants » et la peur des « méchants ». À son sujet, pour reprendre Péguy, pas question d’avoir une âme « habituée ». En 2012, ce qui nous menace de mort spirituelle, c’est le règne médiocre de la marchandise et tous les affairements de la technologie. Les auteurs citent en conclusion une phrase de saint Paul : « Ne vous conformez pas à ce monde présent, mais transformez-vous par le renouvellement de l’esprit ». (Romains 12, 2). Lisons ce livre et tentons de vivre…
Autres articles recommandés : Gérard Leclerc "Force et faiblesse de l'anarchisme", Royaliste du 30 avril 2012.