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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 09:57
Colonies, un
héritage français
 
 
RIOUX Jean-Pierre La France coloniale

 

HISTOIRE
La France coloniale
sans fard ni déni
.
Jean-Pierre Rioux.
André Versaille.
Septembre 2011.
192 pages.
 

 
Jean-Pierre Rioux, né en 1939, est un des meilleurs spécialistes de l'histoire de la France contemporaine. Directeur de recherche au CNRS puis inspecteur général de l'éducation nationale, il contribue à de nombreuses publications et donne des chroniques régulières au quotidien La Croix. Il a récemment publié : La France perd la mémoire. (Perrin, 2006), Les Populismes. (Perrin, 2006), De Gaulle et l'Algérie. (De Vive Voix, 2010), Les Centristes. (Fayard, 2011).
 
Présentation de l'éditeur.
Dans le contexte actuel, et face aux assauts des lois mémorielles et des interrogations sur l'identité nationale, il s'agit, à propos de la colonisation française, de dire le plus vrai qu'il est possible, sans soupçons ni remords. Aujourd'hui, il n'est pas plus question de se contenter de refaire le procès du colonialisme ou d'un "système" colonial, que de glorifier une "épopée" : il s'agit de tenir compte des interpellations du présent et d'affirmer qu'en effet une France "coloniale" a existé, et qu'elle a une légitimité à l'instar de la France "rurale", "urbaine", "politique" ou "culturelle". Faire ici de l'histoire exige de rappeler ce que la France a entendu aux XIXe et XXe siècles par "colonies" et "colonisation", et ce qu'il en a été en intentions comme en actes : qu'impliquait le rêve de Jules Ferry ? Comment évaluer l'action de De Gaulle en outre-mer ? Pourquoi la décolonisation fut-elle manquée en Algérie ? Etc. Mais il s'agit également (pour rendre compte des avancées de la recherche en histoire) de dresser un inventaire, aussi large et rigoureux que possible, sans nullement prétendre contribuer à l'établissement de vérités ou d'une histoire officielles.  Il est temps pour la France de s'examiner elle-même au miroir colonial. Et de se poser, au présent et au futur, des questions restées en souffrance depuis trop longtemps : que faire de ce passé ? Quel avenir pour tous ceux qui sont venus d'outre-mer ? En réfléchissant à la France coloniale de Ferry à de Gaulle, en passant par Alger, Jean-Pierre Rioux ouvre largement les débats difficiles mais essentiels auxquels les Français du XXIe siècle sont confrontés.
     
Le point de vue de La Revue Critique.  Est-il enfin possible de parler de l’histoire coloniale de la France de façon objective, ou, tout du moins, d'une manière apaisée ? En oubliant un instant les souvenirs sanglants, les postures idéologiques des uns ou des autres, la pression des lobbys mémoriels ? Jean-Pierre Rioux, qui nous a donné il y a cinq ans un remarquable Dictionnaire de la France coloniale, s’y est essayé et le résultat est plus que convaincant. Les quinze articles qu’il a réunis dans cet essai donnent un aperçu très complet de ce que fut l’Empire français, ses origines, son organisation économique et politique, la puissance toute relative du fameux parti colonial, les attitudes des milieux politiques et intellectuels ainsi que les variations d’une opinion publique, parfois enthousiaste mais le plus souvent indifférente au sort de nos territoires lointains. Il en ressort que le colonialisme à la française fut une affaire assez singulière. Contrairement à la Grande Bretagne, pour qui puissance et empire sont liés, il n’y eut jamais chez nous ni de grand dessein ni même d’idée coloniale. Comme le souligne Jean-Pierre Rioux, il y eut une France colonisatrice, une France colonialiste, une France colonisée, mais pas à proprement parler de politique coloniale. L'expansion outre-mer a consisté la plupart du temps en « un mélange de coups de tête et de coups fourrés, de pressions et d’immobilisme, une affaire de réseaux et de groupes de pression ». L’Empire français n'est ni le résultat d'un calcul politique, ni l'expression positive de la volonté d'un homme ou d'un groupe d'hommes. Il trouve ses origines dans un désastre, celui de la guerre de 1870. Pour la IIIe République, l’expansion outre-mer est d’abord conçue comme une sorte de dérivatif à la défaite militaire. C’est l’occasion pour la France d’oublier l’Europe et, pour le régime, de redorer son blason par des victoires rapides et faciles. C’est aussi l’occasion de changer d'adversaire, d’oublier la Prusse victorieuse et de retrouver notre vieille rivalité avec l'Angleterre. Les milieux nationalistes regardent d'ailleurs d’un mauvais œil ces expéditions militaires qui détournent la France du seul combat qui vaille, celui de la Revanche. Quant à l’opinion publique, si elle s’enthousiasme au départ pour nos faits d’armes en Afrique ou en Indochine, c’est davantage par patriotisme que par esprit impérialiste. Les républicains, eux-mêmes, sont mal à l’aise avec la colonisation. Pas question de recourir aux arguments mercantiles. Ferry invoque la vocation civilisatrice et universelle de la France et c'est l'antienne que tous les gouvernements reprendront pendant près d’un demi-siècle, y compris ceux du Front populaire. Ce mélange de patriotisme et de mauvaise conscience sera à l’origine des drames qui marqueront la décolonisation. Si, dès la fin du deuxième conflit mondial, l’Angleterre se replie en bon ordre et transforme son empire en une vaste zone de coprospérité, le Commonwealth, la France s’accroche à son mirage coloniale et chacun de ses reculs se transforme en tragédie. La IVe République essaiera de sauver l’héritage de la IIIe, mais sans vraiment s’en donner les moyens, ni au plan militaire, ni au plan diplomatique. L'opinion publique, d’abord indifférente, lachera le régime lorsque la guerre d'Algérie prendra la forme d'une guerre civile. Il faudra attendre le retour au pouvoir du général de Gaulle pour que le drame prenne fin et pour que la France sauve, mais à quel prix, son influence en Afrique, en Asie de l’est et dans le monde arabe. Le dossier colonial s’est-il refermé avec les années 60 ? Non, répond Jean-Pierre Rioux. Une grande partie des immigrés qui vivent en France sont des descendants de colonisés et les questions qu’ils soulèvent – intégration, nationalité, citoyenneté, communautarisme, revendications mémorielles – sont parmi les plus brulantes qui se posent à nous aujourd’hui. La république, qui n’a su vraiment ni coloniser, ni décoloniser, saura-t-elle y répondre ? Rien n’est moins sûr. jacques darence.
 
Entretien avec Jean-Pierre Rioux. - Royaliste, 5 mars 2012.
Colonisation, un projet dérivé. Historien, auteur de nombreux ouvrages, invité à plusieurs reprises à s’exprimer dans nos colonnes, Jean-Pierre Rioux a voulu sortir du champ polémique la question coloniale qui hante nos mémoires et qui marque le présent puisque de nombreux immigrés ou anciens immigrés viennent de l’ancien empire français. Sur la politique coloniale, le colonialisme, la décolonisation, la tragédie algérienne, voici une mise au point équilibrée qui sera source de débats apaisés.
Royaliste. - Pourquoi avez-vous décidé de reprendre la question coloniale ?
Jean-Pierre Rioux. - Ma génération a été profondément marquée par la guerre d’Algérie et la question coloniale n’a cessé de nous hanter. J’ai voulu poser un regard hexagonal sur cette aventure coloniale et post coloniale en publiant des textes variés : il y a des analyses générales, des portraits, une petite étude sur la chanson colonialiste... Ma génération d’historiens a longtemps vécu avec le livre que Raoul Girardet avait publié en 1972 sur L’idée coloniale. Mais aujourd’hui de nombreux travaux mettent en cause non pas l’idée coloniale mais l’État colonial et même la République coloniale. Ma réflexion se situe dans l’entre-deux. I1 est temps d’examiner sans fard ni déni ce que fut la France coloniale en intentions et en actes.
Royaliste. - Vous prenez comme point de départ le contexte actuel...
J-P R. - Cette histoire de la France coloniale est loin d’être close. Les groupes de pression mémoriels s’activent pour en tirer les leçons - à condition que ces leçons corroborent leur vision singulière du passé. Les politiques s’en sont mêlés : vous vous souvenez que l’article 4 de la loi du 23 février 2005, invalidé par le Conseil Constitutionnel, demandait que soit présentés les aspects positifs de la colonisation. Dès lors se posent de graves questions. Comment empêcher cette guerre des mémoires ? Comment empêcher que les mémoires des victimes imposent à la collectivité leur vision partielle et partiale du passé ? Comment surtout inscrire le plus utilement possible dans les débats d’aujourd’hui les questions et les conflits dont sont porteurs les mémoires des victimes ? Ruse de l’histoire : les descendants de colonisés sont aujourd’hui dans le métro. Ce qui redouble en intensité la question de l’immigration, de la distinction entre nationalité et citoyenneté, de l’avenir de l’Outre-mer français. La question coloniale entre dans la question beaucoup plus vaste du rapport au passé. Au fond, il faudrait que la France puisse comprendre pourquoi l’Algérie - seule terre colonisée organisée dans un cadre départemental - a connu une très grande violence. La question est de savoir comment on arrive ou non, à mêler deux histoires, deux espaces, deux sociétés hétérogènes tout en maintenant la domination de l’une par l’autre. Cette tentative aventureuse conduisait à une impasse, à une guerre sans fin dès lors que les Français d’Algérie considéraient qu’ils avaient fait l’Algérie, alors que les Algériens soutenaient que les Français avaient défait l’Algérie. Cela explique pourquoi la notion d’amitié franco-algérienne n’a jamais pu faire l’objet d’un traité malgré toutes les tentatives faites en ce sens.
Royaliste. - Qui a voulu coloniser ?
J-P R. - Première remarque : la colonisation en France n’a pas eu beaucoup d’adversaires. L’anticolonialisme a toujours été ténu et sans influence durable sur l’opinion. Jamais il n’a été fait de distinction entre la colonie de peuplement et la colonie de domination - au service de la puissance. L’opinion française s’est toujours cantonnée dans une serai-indifférence ponctuée d’enthousiasmes éphémères. Le ministère des Colonies n’a jamais été un grand ministère... La politique coloniale est restée un mélange de coups de tête et de coups fourrés, de pressions et d’immobilisme, une affaire de réseaux et de groupes de pression - le parti colonial ayant été très influent sous la III° République. Deuxième remarque : l’entreprise coloniale n’a jamais été rentable sur le plan économique, notamment à l’âge de l’impérialisme ! Il y a un fort contraste entre le dynamisme de la métropole et le déclin des affaires coloniales. En 1914, l’Empire colonial français représente 9 % des investissements à l’extérieur, contre 25 % en Russie. Troisième remarque : la France subit une décolonisation sanglante avec une défaite militaire qui s’appelle Dien Bien Phu.Jamais l’Angleterre n’a connu ça ! Le rythme et la violence de la décolonisation lui ont été imposés de bout en bout après 1945. Les suites humaines de cette victoire des colonisés ont été si fortes mais si mal admises en France que nous ne leur avons pas donné la place qu’elles méritaient dans notre Nation. Du coup, nous avons maintenu le mutisme sur les rapatriés, sur les harkis, sur les immigrés venus de notre ancien empire. Mais les fils des harkis militent comme leurs parents l’avaient fait et certains immigrés d’Afrique du Nord continuent de penser que la France est toujours une république coloniale dont ils seraient les indigènes. Cela tient au fait que nous ne maîtrisons pas la métropolisation du fait colonial aujourd’hui - puisque c’est à domicile que les questions se posent.
Royaliste. - Qui a colonisé ?
J-P R. - Il y eut d’abord les militaires, les négociants et bien entendu les missionnaires qui ont permis la formation des premières élites colonisées. Puis les administrateurs, les médecins, les ingénieurs, les banquiers, quelques maîtres d’école.Par la suite, les processus de colonisation se sont ennoyés dans l'urbanisation - la ville coloniale d'origine a été, elle aussi, bousculée et englobée dans la nouvelle urbanisation.
Royaliste. - Parlons des colonisés...
J-P R. - Pour Franz Fanon, pour Albert Memmi, l’histoire des colonisés n’aurait été qu’une damnation ou une sortie de l’histoire. Ce que les historiens disent, c’est que ce fut toujours plein d’une violence originelle puis dérivée, propre à la situation coloniale. Ce qui fait que, au fil des décennies, la France colonisatrice à la Jules Ferry est devenue une France colonialiste. Par exemple, à la fin de la guerre d’Algérie, deux millions d’Algériens sur neuf étaient placés dans des processus d’internement. Cela dit, les rapports de force ont été fluctuants - il y avait des colonisés faussement soumis et des colonisateurs roulés, il y avait des métissages et des acculturations en tous genres. Il y a toujours eu un jeu subtil entre l’impossible assimilation républicaine et une sorte de communautarisme toléré sur lequel les historiens travaillent beaucoup aujourd’hui. L’islam a joué un rôle beaucoup plus important qu’on ne le croit dans ce jeu. Mais ce n’était pas l’islamisme politique tel que nous le connaissons aujourd’hui. Surtout, il faut bien voir que le sens profond du combat du FLN n’était pas religieux : il s’agissait de construire une nation algérienne. Tous les mouvements d’indépendance ont pour objectif la construction d’un État national en référence à l’histoire précoloniale. C’est vrai au Maroc où il y a un sultan, en Tunisie qui est un protectorat. C’est plus difficile de construire une nation sur trois départements français.
Royaliste. - Somme toute, il y a bien une France colonialiste mais peut-on parler d’un impérialisme français ?
J-P R. - La France a participé avec les autres puissances occidentales à la politique de partage de la terre. Mais elle n’a pas eu de politique coloniale, de pensée coloniale ou impérialiste continue et cohérence. C’est une particularité française qui s’explique par la démographie de notre pays, trop faible pour qu’il y ait des colonisations de peuplement. I1 y a aussi des raisons économiques : la vocation et l’activité marchandes de la France n’ont jamais été à la hauteur des ambitions de l’Espagne ou de l’Angleterre. Dans son développement historique, la France est restée très orientée vers le continent européen : il n’y a pas eu de véritable balancement entre la vocation maritime et la vocation continentale. Il y a enfin des raisons politiques : l’Ancien régime, la Révolution, les deux Empires, la III° ; République ont toujours considéré que la vocation naturelle de la France était de défendre le pré carré. Il s’agissait d’assurer la puissance et le rayonnement en Europe d’abord puis de porter le plus loin possible l’idée universelle des droits de l’homme. Autrement dit, l’idée coloniale a été tenue comme une dérivation de la vocation nationale. Les Français ont toujours eu une vision de « leurs » colonies étroitement rapportée aux enjeux franco-français et franco-européens.
C'est bien cette conception nationale que le général de Gaulle exprime en avril 1961 à la veille du putsch des généraux : « Notre grande ambition nationale est devenue notre propre progrès, source réelle de la puissance et de l’influence. La décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique. » Telle est le raisonnement qui conduit le général de Gaulle à mettre fin à la guerre d’Algérie en accord avec la grande majorité des Français qui refusaient de vivre un violent conflit interne et qui voulaient profiter du bien être assuré par la croissance économique.
La colonisation avait toujours été sur trois registres mal démêlés : - le registre économique ; la politique coloniale étant conçue comme la fille de la politique industrielle -  ce fut un échec ; - le registre humanitaire-civilisateur au temps de Ferry et jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie : on apprenait aux enfants des écoles que « les races supérieures ont le droit et le devoir de civiliser les races inférieures »; - le registre national : pour une grande nation, révolutionnaire de surcroît, ne pas rayonner c’est abdiquer. Il faut qu’elle rayonne selon ses principes. C’est le grand débat entre Ferry et Clemenceau à la Chambre en 1885. Ferry développe ces trois arguments et Clemenceau lui rétorque qu’il ne faut pas recouvrir la violence du manteau hypocrite de la civilisation. Mais l’Outre-mer n’a pas marqué de façon décisive le cours de l’histoire de France et n’a infléchi le régime républicain que pendant la guerre d’Algérie, en 1958 et en 1962. L’idée coloniale a débouché sur l’aveuglement : nous avons introduit aux quatre coins du monde une contradiction entre nationalité et citoyenneté ; entre colonisation et émancipation ; entre mondialisation et nation. C’est pour toutes ces raisons que la France coloniale a un écho aujourd’hui beaucoup plus large que les débats mémoriels.
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23 septembre 2012 7 23 /09 /septembre /2012 16:00
Le grand Coeur
 
de Jean-Christophe Rufin
Mis en ligne : [23-09-2012]
Domaine : Histoire  
RUFFIN-Jean-Christope-Le-grand-Coeur.gif
 
Jean-Christophe Rufin, né en 1952, est médecin, diplomate, journaliste et historien. Ancien ambassadeur de France en Sénégal et en Gambie, il a été élu en juin 2008 à l'Académie française, dont il esr le plus jeune membre. Il a récemment publié : La salamandre (Gallimard, 2005), Le parfum d'Adam (Flammarion, 2007), Un léopard sur le garrot (Gallimard, 2008), Katiba (Flammarion, 2010).
   

Jean-Christophe Rufin, Le grand Coeur, Paris, Gallimard, mars  2012, 497 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Dans la chaleur d'une île grecque, un homme se cache pour échapper à ses poursuivants. Il évoque sa vie hors du commun et tente de démêler l'écheveau de son destin. Fils d'un modeste pelletier, il est devenu l'homme le plus riche de France. Il a permis à Charles VII de terminer la guerre de Cent Ans. Il a changé le regard sur l'Orient. Avec lui, l'Europe est passée du temps des croisades à celui de l'échange. Comme son palais à Bourges, château médiéval d'un côté et palais Renaissance de l'autre, c'est un être à deux faces. Aussi familier des rois et du pape que des plus humbles maisons, il a voyagé à travers tout le monde connu. Au faîte de sa gloire, il a vécu la chute, le dénuement, la torture avant de retrouver la liberté et la fortune. Parmi tous les attachements de sa vie, le plus bouleversant fut celui qui le lia à Agnès Sorel, la Dame de Beauté, première favorite royale de l'Histoire de France, disparue à vingt-huit ans. Son nom est Jacques Cœur. Il faut tout oublier de ce que l'on sait sur le Moyen Age et plonger dans la fraîcheur de ce livre. Il a la puissance d'un roman picaresque, la précision d'une biographie et le charme mélancolique des confessions.
     
Le point de vue de La Revue Critique. "Tous les hommes rêvent, disait Thomas Edward Lawrence, mais pas de la même façon. Ceux qui rêvent de jour sont dangereux, car ils sont susceptibles, les yeux ouverts, de mettre en oeuvre leur rêve afin de pouvoir le réaliser". Ainsi fut Jacques Coeur. Fils d'un marchand pelletier de Bourges, lui-même marchand, il se fait négociant, puis banquier, puis armateur, pour devenir le grand argentier du roi Charles VII. La guerre de Cent ans se termine et il souffle sur le pays un air de reconstruction. Jacques, qui a découvert la puissance de l'argent à vingt ans, celle du négoce à vingt-cinq, commence à rêver les yeux ouverts. L'un des hommes les plus intelligents de son temps, selon Michelet, est distingué par le roi et rentre au service de la couronne. Il remet de l'ordre dans les finances du royaume et permet au "roi de Bourges" de consolider son trône et de gagner définitivement sa guerre contre les Anglais. Le bourgeois se fait alors gentilhomme et le pouvoir lui tourne la tête. Alors que Charles VII met toute son énergie, la paix retrouvée, à reconstruire l'Etat, son ministre s'achète des domaines, joue à l'humaniste et dépense des fortunes pour décorer son palais de Bourges. Son amitié débordante pour Agnès Sorel, maîtresse en titre de Charles VII, lui retire progressivement la faveur du souverain. Emprisonné, il s'évade et fait le tour de l'Europe à la recherche de nouveaux protecteurs. Le Pape l'envoie sur l'ile de Chios où il déjoue une offensive des Turcs et il y meurt en 1456. Jean-Christophe Rufin nous raconte cette incroyable histoire de grâce et de disgrâce avec les mots du conteur, tout autant qu'avec ceux de l'historien. Il a raison car Jacques Coeur a un profil de héros de roman. L'homme n'est pas fait d'une seule pièce, il se fie à la raison mais aussi au hasard, il a foi en l'argent mais aussi en l'amour, il aime l'ordre mais l'aventure ne lui déplait pas. Il a déjà un pied dans la Renaissance alors que l'autre est encore au Moyen-Age. Ses revers de fortune n'entament en rien la confiance qu'il met en sa bonne étoile et il sert le Pape, comme il a servi le roi, avec ferveur et avec enthousiasme. Jean-Christophe Rufin nous livre aussi un beau portrait du roi Charles VII : le gentil Dauphin a fait sa mue, il s'est transformé en Prince de la Renaissance, les épreuves de la jeunesse lui ont appris le courage, la tenacité et la ruse. C'est lui qui choisit Jacques Coeur, qui use de l'argentier, abuse du ministre, et finit par l'écarter du pouvoir lorsque le serviteur commence à prendre des airs de maitre. Ce roman d'aventure, où les personnages n'hésitent pas à tirer l'épée et à payer de leur personne, nous offre également une belle leçon de politique. Il parle d'un temps où le pouvoir était une chose trop sérieuse pour qu'on la confie aux financiers. Combien de ministres, grisés par les illusions de la richesse ou de la grandeur, devaient finir leur carrière à Pignerol, à Montfaucon, dans les cages de Blois ou sur les rivages de Chios ! La main de l'Etat avait alors de la force et l'argent et la vanité ne menaient pas le monde. Certains jours, on voudrait qu'il en soit encore ainsi. jacques darence.
      
L'article de Philippe Chevilley. - Les Echos, 10 avril 2012
Coeur, l'argentier poète. - Voilà un héros positif pour un lecteur des « Echos » ! Ils ne sont pas si nombreux dans l'histoire de France, les héros/hérauts de la finance et du commerce à faire rêver autant qu'un prince éclairé ou un explorateur. Jacques Coeur (vers 1400-1456) re-visité par Jean-Christophe Rufin n'est pas seulement un grand économiste -médiéval -, mais aussi un idéaliste et un humaniste qui voit dans le développement du négoce le moyen de rendre le monde plus fraternel. Habile conteur, l'académicien a choisi de coller très près aux faits historiques, mais de donner libre cours à son imagination pour interpréter les motivations du grand argentier de Charles VII. Dès les premières pages de « Grand Coeur », on entre dans la tête de Jacques. Réfugié dans l'île de Chio, à la fin de sa vie, il se dépêche de consigner ses Mémoires avant de recevoir le coup fatal de ses ennemis qui le harcèlent depuis sa disgrâce. Jean-Christophe Rufin lui donne le temps de justifier sa « brillante carrière » : l'enfance timide de ce fils de pelletier, qui comprend vite que son intelligence est une arme bien plus redoutable que la force physique; son mariage avec la fille d'un grand bourgeois de Bourges et ses premières armes dans la finance (la fabrication de monnaie); l'appel du large, son voyage en Orient et la mise sur pied d'un vaste réseau de négoce; son « embauche » par le roi, qui utilise à plein son talent pour renflouer les caisses, mais aussi ses dons de diplomate -auprès des Génois, du pape de Rome et du sultan du Levant; son pas de deux avec Agnès Sorel, la Dame de Beauté, favorite du roi; et enfin le rejet par Charles VII, l'emprisonnement et la fuite. Rufin brosse le portrait d'un rêveur à la tête froide... et bien faite. Son « Grand Coeur » n'est pas guidé par l'appât du gain, le désir d'accumuler des richesses : il a l'esprit d'entreprise et considère l'argent comme un levier. Levier pour mettre un terme définitif à la guerre de Cent Ans, rendre la France durablement prospère, reculer les frontières du monde et s'enrichir du savoir-faire des autres cultures et continents. Jusqu'à encourager le mécénat, en lançant notamment la carrière du peintre Fouquet, auteur des fameux portraits de Charles VII et d'Agnès Sorel. Jacques Coeur plus fort que Jeanne d'Arc ? Plus utile au royaume à la longue, sans doute. A travers son héros, le romancier nous fait ressentir toute une époque. Jacques Coeur est à la fois un pionnier qui anticipe la Renaissance. Mais c'est aussi un nostalgique de l'âge d'or médiéval, de l'amour courtois et de la chevalerie, qui ne s'illustre plus que dans les tournois lors des fêtes de cour - d'où sa passion pour les châteaux qu'il collectionne. Son fameux palais de Bourges reflète cette dualité : style forteresse côté pile (donnant sur les remparts) et style florentin côté face (donnant sur la ville)... Rufin n'oublie pas ses personnages « secondaires ». Son portrait acéré d'un Charles VII jaloux et cruel, mais supérieurement intelligent, qui fait de sa force une faiblesse (Louis XI a de qui tenir...) est saisissant. Jacques Coeur, l'homme libre, trouve l'âme soeur chez Agnès sorel, la femme libre... L'écrivain ne résiste pas à la tentation de faire de l'amie de Coeur la passion de toute une vie. Le portrait du vieux pape Nicolas V, plus inspiré par la philosophie grecque que par les Evangiles est également savoureux. En ces temps de déshumanisation de l'économie et de mondialisation à marche forcée, Jean-Christophe Rufin nous offre une sorte de retour aux sources. Lorsque le commerce était considéré comme une des plus belles conquêtes de l'homme. Que le monde, sans limites, rêvait d'une nouvelle naissance. Et que le plus grand des rêveurs pouvait être un richissime marchand, collecteur d'impôts -Jacques Coeur, l'argentier poète.
 
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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 17:39
Trotski
 
de Robert Service
Mis en ligne : [23-07-2012]
DomaineHistoire  
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Robert Service, né en 1947, est un historien britannique. Spécialiste de la Russie contemporaine, il enseigne à Oxford et à la British Academy. Il a récemment publié : Stalin, a biography (Macmillan, 2004), Comrades! A History of World Communism (Macmillan, 2007). Une traduction française de sa célèbre biographie de Lénine sera publiée en septembre 2012 chez Perrin. 
   

Robert Service, Trotski, Paris, Perrin, septembre 2011, 606 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Soixante-dix ans après sa mort, que peut-on découvrir sur un homme célébré de son vivant et jusqu'aux années 2000 comme un archange de la "bonne" révolution? La véritable histoire de Trotski est loin des contes de fées longtemps colportés par l'Occident. Révolutionnaire, chef de guerre, mais aussi écrivain brillant, amoureux des femmes, juif en conflit avec ses racines, père de famille, icône puis bouc émissaire et victime traquée, Léon Trotski a vécu l'une des vies les plus extraordinaires qui soient. Fondateur de l'Armée rouge, opposant à son rival Staline qui le pourchasse, à partir de 1929, en Turquie, en France puis au Mexique, sa vie s'achève dans un apogée de violence à l'image de son existence tourmentée. Théoricien "pur" d'apparence, cet homme aussi monstrueux que génial fut habité par l'obsession du pouvoir, sans jamais parvenir à le conserver. Par les documents officiels et les archives privées, Robert Service nous restitue enfin cet homme dans son époque, livrant un récit qui s'achève en thriller, ainsi qu'un condensé psychologique lucide d'histoire politique.
 
Le point de vue de La Revue Critique. 
L'Histoire serait-elle en train de rattraper Léon Trotski ? Ses façons d'intellectuel, son statut d'éternel opposant et, pour finir, de martyr de Staline ont longtemps occulté la part tout à fait réelle qu'il a prise à la terreur bolchevique. Au point de rendre son image sympathique à des générations de jeunes bourgeois, sincèrement convaincus qu'en étant trotskiste on pouvait jouer au révolutionnaire sans avoir à porter sur ses épaules l'héritage sanglant de l'URSS. Mais voilà que les archives parlent et que les historiens nous racontent une toute autre histoire, moins belle, moins glorieuse, mais sans doute plus proche de la vérité. L'ouvrage de Robert Service est à l'image de l'historiographie anglo-saxonne : sérieux, clair, documenté aux meilleures sources. Non, nous dit M. Service, Trotski n'était ni le révolutionnaire impavide, ni le guerrier magnanime, ni le penseur lumineux dont une certaine littérature, complaisante, nous chantait encore hier les louanges. Il était l'inverse : un homme tourmenté, agité, écartelé entre ses origines aisées et ses convictions révolutionnaires, un dissident de la bourgeoisie, angoissé, brutal, et d'autant plus brutal et sans scrupule qu'il était angoissé. Il fut, au même titre que Lénine et Staline, l'artisan du système policier et totalitaire qui régna sur l'URSS jusqu'à la fin des années 50. Ni la terreur de masse, ni l'emprisonnement, la torture et l'assassinat des adversaires politiques, ni les exactions de la police secrète, ni les crimes de l'armée rouge ne lui furent étrangers. Robert Service souligne même qu'il en fut, la plupart du temps, l'instigateur, sinon l'exécutant. Quand à sa doctrine, celle de la révolution mondiale, longtemps présentée comme la "voie juste" vers le socialisme, elle aurait sans doute provoqué plus de victimes encore que le stalinisme si elle avait été vraiment mise en pratique. Les faits parlent d'eux-mêmes : les insurrections allemandes et hongroises des années 20, ordonnées par le Komintern, et qui s'achèvent dans de véritables bains de sang, les grandes grèves anglaises, françaises ou italiennes de 1919 et 1920, commanditées elles aussi par Moscou et réprimées elles aussi dans la violence... La chance du personnage, ce fut finalement d'avoir Staline comme adversaire. Un autre aurait sans doute cherché à ménager ou à récupérer Trotski, en jouant sur son narcissisme bien connu. Staline trancha les choses plus nettement : il le chassa et l'exonéra dans le même temps de leur sanglante histoire commune. Trotski, comme le montre Robert Service, ne tira pas vraiment parti de sa situation de proscrit. Ses longues années d'exil, il les consacra pour l'essentiel à ruminer ses échecs ou à justifier ses positions. C'est un vieil homme aigri, égoïste et sectaire que Malraux découvre en 1933 à Paris et avec lequel il polémique violemment en 1937. Puis ce sera l'exil mexicain. L'homme dispose encore de quelques poignées de fidèles. S'il est souvent d'une grande violence avec le contradicteur et l'adversaire, il sait communiquer et se montrer sous son meilleur jour avec les journalistes, notamment américains. On l'écoute, on le plaint, sa "légende dorée" commence à prendre forme, au point de convaincre Staline qu'il faut en finir. Ce sera fait le 21 août 1940, alors que la guerre fait à nouveau rage en Europe et qu'un cycle de l'histoire se termine. Pour Robert Service, l'échec de Trotski était inéluctable. Sa personnalité égocentrique, discoureuse, assez brouillonne ne lui laissait aucune chance face au tueur géorgien, sûr de lui et décidé. Il avait trouvé son maître. Vae victis ! Ne dit-on pas que la Révolution n'aime que les vainqueurs ?  Jacques Darence.
NB : La remarquable biographie de Lénine, publiée en 2000 par Robert service, sera prochainement disponible en version française chez Perrin. Nous la commenterons dès que possible ! J.S.
       
L'article de Philippe Cohen. - Marianne, 18 septembre 2011
Trotski déboulonné. Staline incarne l'une des principales figures du mal en politique. Son adversaire Léon Trotski était alors devenu, pour ses nombreux partisans, le saint du bolchevisme. Ceux-ci risquent d'être déçus par la biographie de l'historien britannique Robert Service qui s'attaque au mythe trotskiste. L'air du temps est plus sévère avec les idéologies qu'envers ceux qui les ont forgées. Il a fallu attendre près de trente ans après la mort de Staline, du moins en France, pour qu'un large public prenne la mesure de ce que fut la terreur qu'il infligea à la population russe. De même, le prestige de Mao Tsé-Toung a longtemps survécu à la mort du maoïsme, et il se trouve encore quelques épigones pour saluer sa performance d'avoir réussi à nourrir son peuple... Ignorant le bon mot de Simon Leys, rappelant que les maquereaux rendent le même service aux prostituées qu'ils esclavagisent. L'adage des icônes intactes est encore plus vrai de Trotski, dont l'idéalisation historique a assez bien survécu aux déboires du trotskisme. Il est vrai que l'homme a infiniment moins de sang sur les mains que d'autres. Justement. L'icône Trotski a pu prospérer confortablement à l'ombre de celle de son adversaire Staline. Chaque dévoilement des crimes du stalinisme nimbait «le Vieux» ou «Oncle Léon» - deux de ses innombrables surnoms - d'une auréole d'humanité supplémentaire, comme dans un mécanisme de balancelles de jardin d'enfants. Si Staline s'est révélé brutal, inculte, nationaliste et totalitaire, alors Trotski «ne pouvait qu'être» dialectique, infiniment cultivé, internationaliste et démocrate. A l'exception notoire des anarchistes qui ont toujours dénoncé la proximité entre les deux frères ennemis du bolchevisme Staline et Trotski, le stalinisme - et son rejet - a fait de ce dernier, par contraste, un humaniste assez éloigné de ce que furent sa réalité et ses croyances.

Déconstruction de la légende trotskiste
Un historien anglais, Robert Service, tente donc d'en finir, par une biographie publiée en 2009, avec la «mythologie Trotski». Dans les milieux trotskistes, tout croyant potentiel est invité à commencer l'oeuvre de Trotski par son autobiographie, Ma vie. La lecture, agréable, est moins ardue que le coeur de l'oeuvre du révolutionnaire, la Révolution trahie ou la monumentale Histoire de la révolution russe. Les trotskistes recommandent aussi la biographie de l'historien marxiste Isaac Deutscher. Une chose est sûre : la biographie de Robert Service ne fera jamais partie de la biblio de base du sympathisant trotskiste du XXIe siècle. Dès l'introduction, ce dernier révèle le sens général de sa recherche : «Staline, Trotski et Lénine avaient bien plus de points communs que de différences.» Il pousse le bouchon encore plus loin en prétendant que si Trotski avait triomphé de Staline, «le risque de voir l'Europe plongée dans un bain de sang aurait été bien plus grand». Après une telle mise en bouche, le livre ne pouvait se montrer trop indulgent envers le chef de l'armée Rouge de 1918. Robert Service entreprend une déconstruction méthodique, et souvent convaincante, de la légende Trotski, voulant grosso modo que celui-ci ait été à la fois un théoricien génial, un prophète accompli, un stratège hors pair et un esthète élégant. Robert Service lui reconnaît, certes, quelques qualités et faits d'armes aux sens propre et figuré. Trotski avait ainsi défendu, à l'inverse d'un Lénine, marxiste plus «conventionnel», l'idée que la Russie n'avait pas besoin d'une «étape capitaliste» avant de passer au socialisme. L'historien lui accorde également une conduite brillante de l'armée Rouge après la révolution d'Octobre, durant ce moment crucial où le jeune pouvoir soviétique devait affronter une guerre civile dans laquelle les forces contre-révolutionnaires étaient appuyées par des puissances étrangères. On en apprend au passage sur ce qu'était la vie concrète du révolutionnaire, et notamment l'existence de l'incroyable «train de Trotski» dans lequel plus de 200 personnes, de l'artilleur au cuisinier, veillaient sur son intégrité et son confort. Trotski excella également dans les manoeuvres diplomatiques conduisant à la paix de Brest-Litovsk, épisode qui lui valut les félicitations de Staline lui-même. Mais, comme dans le cas du cholestérol, il y eut aussi, selon Robert Service, un «mauvais Trotski», que le «bon» ne doit pas occulter.

Une vision putschiste de la révolution
Il se révèle d'abord un piètre interprète de sa théorie de la révolution permanente en poussant (avec Staline d'ailleurs), au début des années 20, les communistes allemands sur des barricades minoritaires et catastrophiques, témoignant, quoi qu'il en dise, d'une vision parfois putschiste de la révolution socialiste. Plus tard, Trotski discerne bien la nécessité d'une unité d'action des partis sociaux-démocrates et communistes contre la montée du fascisme, qu'il oppose à la théorie stalinienne du social-fascisme, laquelle prétendait que la social-démocratie était plus dangereuse que les hordes hitlériennes puisqu'elle semait davantage d'illusions dans la classe ouvrière. Mais cette lucidité n'alla point jusqu'à accepter l'entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre mondiale. Pour Léon Trotski, celle-ci avait le même caractère «impérialiste» que la guerre de 14-18, et la jeune section américaine de la IVe Internationale fut incitée à combattre l'engagement de l'Amérique dans la lutte contre Hitler. Autre illusion à cultiver, selon l'auteur : l'opposition entre Staline et Trotski n'a pas été aussi radicale que le prétendent les trotskistes. Leurs divergences concernant l'industrialisation de la Russie ou la conduite à adopter face aux milieux agricoles étaient une affaire d'opportunité plutôt que de principes, Trotski n'ayant jamais rechigné à employer des manières autoritaires en ces domaines. Pour Robert Service, l'apport de Trotski à la théorie marxiste s'est par ailleurs révélé plus que modeste. Son incursion sur les terres de la philosophie, à travers son ouvrage Leur morale et la nôtre, pour contrer Boris Souvarine ou Victor Serge, relève de la scolastique marxiste plutôt que d'une quelconque percée épistémologique. Enfin, son approche de la littérature et de l'art (lire son ouvrage Littérature et révolution devenu culte dans les organisations trotskistes) nous ramène, toujours selon Service, au «stalinisme culturel». La formule aurait toutefois mérité davantage de développements. Reste l'esthétisme de Trotski. Le biographe pointe une coquetterie vestimentaire surprenante pour l'époque. Ses partisans «pablistes» - l'une des scissions de la IVe Internationale -, sensibles à cette caractéristique, auront été les dandys du trotskisme. Service, lui, détecte dans le comportement du «Vieux» la marque indélébile d'un narcissisme envahissant. Venons-en donc au noeud gordien du trotskisme : si le maître était si supérieur à son adversaire, et son art de la dialectique si sophistiqué, pourquoi donc a-t-il essuyé une défaite si cuisante, qui nous est retracée avec une précision parfois cruelle, chaque défaite succédant à la précédente et chaque exil l'éloignant un peu plus du coeur de la révolution mondiale et des affaires du monde ? Faut-il, comme les trotskistes d'hier et d'aujourd'hui, penser que son échec était inévitable et qu'il ne pouvait faire mieux que laisser derrière lui une IVe Internationale croupion de quelques centaines de membres, qu'une villa suffisait à réunir les délégués pour sa création ?

Intransigeant et égoïste
Robert Service propose, en pointillés, une autre interprétation. Trotski a tué Trotski et son échec est le fait, d'abord, de sa personnalité finalement plus réfractaire qu'on ne le croit à l'exercice du pouvoir. A plusieurs reprises, Trotski - le fait est méconnu - a argué de son origine juive pour refuser la direction du gouvernement ou devenir en 1922 le second de Lénine, ce qui lui aurait donné toutes les chances de lui succéder. Son argument laisse pantois : une telle promotion aurait favorisé, disait-il, une recrudescence de l'antisémitisme. Si l'auteur y perçoit un prétexte, il ne nous suggère pas directement une véritable explication. Mais on devine un homme finalement trop soucieux de sa liberté intellectuelle pour assumer le pouvoir dans des périodes de paix civile. Trotski, finalement, apparaît ici davantage comme un écrivain manqué - ses écrits, auxquels il prêtait une attention quotidienne, ne l'éloignent jamais de la révolution - que comme un révolutionnaire épanoui. Robert Service décrit bien toutes ses erreurs dans la lutte contre le stalinisme montant. Intransigeant, trop peu soucieux des autres pour engranger des soutiens ou des alliances, indifférent aux conséquences de ses actes et de ses discours, hésitant à porter l'estocade quand le moment s'y prêtait, il a finalement offert un boulevard à Staline alors que le fameux testament de Lénine - décrivant le Géorgien comme trop brutal pour exercer le pouvoir - lui donnait toutes les chances d'affaiblir son adversaire dans le Politburo du parti bolchevique. Trotski préférait toujours, nous explique cette biographie, se réfugier dans l'éloquence de ses discours ou l'élégance de ses écrits, quand le coeur de la bataille antistalinienne aurait dû le mobiliser à plein-temps. Les mêmes défauts du leader conduisent l'opposition de gauche puis la IVe Internationale à des déboires étincelants en URSS comme dans le reste du monde. L'égoïsme et le narcissisme ici pointés se retrouveraient aussi dans sa vie privée, domaine dans lequel le jugement historique devient plus délicat. Service rappelle l'abandon de sa première épouse et leurs deux enfants avant 1917, avec l'exil révolutionnaire comme alibi. Le biographe lui reproche d'avoir mis sur le compte de Staline la mort d'une fille schizophrène dont il était trop éloigné pour comprendre la maladie. Il le cloue enfin au pilori pour son attitude peu aimante envers son fils Liova, pourtant devenu son principal représentant en Europe dans les années 30. Robert Service apporte de nombreux éléments sur la personnalité de Trotski, utiles pour comprendre sa «face cachée». Mais certaines de ses critiques sèment le doute. Reprocher à Trotski d'en appeler aux libertés démocratiques bourgeoises alors qu'il s'est prononcé pour la terreur révolutionnaire paraît un peu faible (le fait est banal pour des marxistes révolutionnaires). Et surtout, Robert Service ne nous instruit pas suffisamment sur ses sources - les notes en russe non traduites ne facilitent pas la vie du lecteur qui en est curieux - et notamment celles qui furent ignorées par les hagiographies qui ont précédé son travail historique. Espérons toutefois que ces critiques ne prédisposeront pas à une réhabilitation en creux de Staline. Le travail sur Trotski de Robert Service procède de toute façon d'un révisionnisme historique salutaire. Martyr de la politique ou plutôt de sa version stalinienne, Trotski mérite mieux qu'une apologétique qui finit par obscurcir la vérité d'un homme forcément plus complexe que les portraits - caricature ou hagiographie - qu'en firent ses ennemis puis ses partisans.  
 
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8 juillet 2012 7 08 /07 /juillet /2012 15:39
Victoire sur les Alpes
Briançonnais, Queyras, Ubaye, juin 1940
 
de Max Schiavon
Mis en ligne : [9-07-2012]
Domaine : Histoire
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Officier de l'armée de terre et docteur en histoire, Max Schiavon est directeur des études au Service historique de la Défense. Il est spécialiste de la période 1939-1940 et notamment du front des Alpes, auquel il a déjà consacré plusieurs ouvrages, dont Une victoire dans la défaite (Editions Anovi, 2007).
 

Max Schiavon , Victoire sur les Alpes. Briançonnais, Queyras, Ubaye, juin 1940. Paris, Editions Anovi, novembre 2011, 480 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Juin 1940. Alors que la France vit la pire défaite militaire de son histoire, l’armée des Alpes résiste victorieusement aux assauts des Italiens. Elle parvient même à contrer l’attaque à revers menée par les Allemands en direction de Grenoble. Ce livre propose un récit passionnant des opérations militaires qui se sont déroulées en juin 1940 sur le front central des Alpes, dans les secteurs du Briançonnais, du Queyras et de l’Ubaye, sans oublier de préciser le contexte dans lequel cette campagne a eu lieu, ni de revenir sur les longs mois de préparation, depuis septembre 1939. Le lecteur y découvrira comment l’armée des Alpes, sans beaucoup de moyens, a réussi à repousser les attaques italiennes, grâce à une préparation opiniâtre et minutieuse, grâce aussi à une combativité et un état d’esprit exceptionnels, mais également par de judicieuses improvisations au moment des combats. À partir d’archives inédites car accessibles depuis peu, Max Schiavon a réalisé une étude complète et argumentée de cette « victoire dans la défaite » riche en faits d’armes méconnus, telle la destruction du fort du Chaberton. Une iconographie exceptionnelle accompagne ce texte : des photos prises par les combattants italiens au moment de la bataille, des documents provenant du Service historique de la Défense et de nombreuses cartes. Les curieux comme les chercheurs trouveront dans ces pages des détails insoupçonnés et une source documentaire de premier ordre.
 
Le point de vue de la Revue Critique.
 Un très bel ouvrage sur un des épisodes les moins connus de la bataille de France, qui mettra du baume au coeur à tous ceux qui pensent que l'armée française s'est bien battue dans ces journées tragiques de mai et juin 1940. Le lieutenant-colonel Schiavon est un des meilleurs spécialistes de la bataille des Alpes à laquelle il a consacré un ouvrage d'ensemble en 2010 chez Economica. Son livre, documenté aux meilleurs sources, et rédigé d'une plume alerte, est aujourd'hui la meilleure référence sur le sujet.

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22 avril 2012 7 22 /04 /avril /2012 23:00
Louis XIII et Richelieu           
 
de Jean Castarède
Mis en ligne : [23-04-2012]
Domaine : Histoire
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Né en 1934, Jean Castarède est historien et essayiste. Il a publié plusieurs  grandes études sur la Renaissance et le Grand Siècle français, parmi lesquels :  Henri IV, le roi vengé (France Empire, 1996), Bassompierre (Perrin, 2002), La Fontaine (Studyrama, 2004), 1610, l'assassinat d'Henri IV, un tournant pour l'Europe (France Empire, 2009).
 

Jean Castarède , Louis XIII et Richelieu. Paris, France Empire, mars 2011, 346 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Au XVIIe siècle, la France a proposé au monde un système de gouvernance original, fondé sur le couple "Monarque-Premier ministre". Ce duumvirat, incarné par Henri IV et Sully, puis par Louis XIII et Richelieu, Louis XIV et Colbert, et dans une certaine mesure Anne d'Autriche et Mazarin, passera à la postérité avec un contenu dirigiste et technocratique que l'on appelle le colbertisme. C'est Richelieu qui en a le mieux fixé les règles et qui a su le plus clairement en déterminer le contenu par ses nombreux écrits et messages à son souverain. Ainsi, le couple Louis XIII-Richelieu, présenté ici pour la première fois comme un cas d'école, amène à réfléchir sur la difficulté, mais aussi les chances, de gouverner à deux. Même si les transpositions sont difficiles de nos jours, y compris dans certains pays émergents, l'histoire de cette dyarchie, indépendamment des spécificités psychologiques et caractérielles des deux êtres qui l'ont incarnée, est riche d'enseignements. On découvre également dans ce livre les deux véritables personnalités du roi et de Richelieu, différentes des images déformées par certains historiens ou par la légende, et, surtout, leur attachement mutuel, ce qui les réhabilite tous les deux.
 
La recension de Jean-Pierre Bédéï. - La Dépêche du 19 mai 2011.
Le pouvoir à deux tête. La politique a la réputation d’être brutale de nos jours. Il suffit pourtant de lire le livre de Jean Castarède sur le tandem Louis XIII-Richelieu pour prendre conscience qu’elle était beaucoup plus violente sous l’Ancien régime. C’est dans une atmosphère de luttes d’influences et de pouvoirs, de révolte des princes, d’assassinats, et de conflits entre Louis XIII et sa mère Marie de Médicis, que se construit, après une période de méfiance, la relation entre le roi et son premier ministre, l’un mystérieux et taciturne, l’autre calculateur et secret dégageant un « magnétisme », tous deux souffrant d’une santé défectueuse. « Richelieu se montrera sa pitié lorsque l’intérêt de l’Etat l’exigera », écrit Castarède qui bat en brèche l’idée selon laquelle Louis XIII n’a été que « l’instrument » du cardinal. Pour l’auteur, si le roi n’échappait pas à « l’ascendant » de son ministre, il a su aussi s’en « affranchir ». C’est sans doute là l’apport majeur de ce livre qui se lit par moments comme un roman de capes et d’épées tant l’Histoire est haletante en cette période.

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19 mars 2012 1 19 /03 /mars /2012 13:40
La monarchie de Juillet
 
de Gabriel de Broglie
Mis en ligne : [19-03-2012]
Domaine : Histoire
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Gabriel de Broglie, né en 1931, est historien. Membre de l'Académie des sciences morales et politiques et de l'Académie française, il est un des grands spécialistes de l'histoire de l'orléanisme et de la monarchie de Juillet. Il a récemment publié :  Le XIXe siècle : l'éclat et le déclin de la France (Perrin, Paris, 1995), Mac Mahon, (Perrin, 2000), Le droit d'auteur et l'internet (Paris, 2001). 
 

Gabriel de Broglie , La monarchie de Juillet. Paris, Fayard, mai 2011, 462 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Le changement dynastique n'est que l'un des effets de la révolution de 1830. Les Trois Glorieuses et la monarchie qu'elles engendrèrent, portées par les parties les plus dynamiques de la société – gens de plume, artistes, entrepreneurs, jeunesse étudiante –, par l'impressionnante galerie des « hommes nouveaux », par la frange la plus éclairée de l'aristocratie et des catholiques, ne sacrifièrent guère à l'utopie. La volonté d'implanter en France des mœurs et des institutions libérales était un projet solide, réaliste, conçu pour l'avenir. C'est lui qu'il faut créditer du progrès des libertés, du développement économique, du maintien de la paix au prix de quelques déconvenues et même de l'exceptionnelle floraison romantique. Si ces avancées, cette acclimatation au parlementarisme, cet enrichissement , certes bien inégalitaire, du pays ont fini emportés par le torrent de 1848, c'est en partie parce que les équipes dirigeantes, à l'épreuve du pouvoir, n'ont pas bien su accompagner le projet : défaut d'imagination devant l'événement, routine, rivalités personnelles, aveuglement ou sincérité douteuse du roi, scandales, résistance au changement, particulièrement en matière sociale, tout vint pervertir et gauchir une construction qui aurait peut-être assuré à la France un avenir meilleur. On aurait tort de condamner les idées et les aspirations des hommes de 1830 au motif que le régime a sombré dans le discrédit et a partiellement échoué à unir la nation. Nourri de l'intime connaissance que son auteur a de l'orléanisme, éclairé par de longs passages dus à d'illustres témoins – de Hugo à Chateaubriand, de Tocqueville à Guizot, de Rémusat à Louis Blanc… –, enrichi des recherches et des problématiques les plus récentes, ce livre offre la synthèse précise et vivante qui manquait. Un grand pan de notre histoire, longtemps négligé, nous est ainsi révélé. Membre de l’Académie française et de l’Académie des sciences morales et politiques, chancelier de l’Institut de France, Gabriel de Broglie est l’auteur de plusieurs biographies sur l’orléanisme et sur les grands représentants de ce courant : Guizot, Mme de Genlis, Mac Mahon, etc.
 
L'article d'Alain Duhamel. - Le Point du 9 juin 2011.
Les leçons de la monarchie de Juillet. Louis-Philippe est l'un des souverains français les plus sous-estimés, et la monarchie de Juillet pâtit toujours d'une image caricaturale. On regarde encore aujourd'hui le roi des Français sous la forme de la fameuse poire dessinée par Daumier, on fait du parapluie son sceptre, on se gausse du roi bourgeois qui préconisait le "juste milieu". Dans notre historiographie et plus encore dans la mémoire collective, les modérés ont rarement bonne presse et, à droite, sous la Ve République notamment, on place plus haut les bonapartistes que les orléanistes. En son temps, Valéry Giscard d'Estaing en a souvent pâti. Aujourd'hui, les centristes en paient toujours le prix. D'où l'intérêt particulier de l'excellent livre que Gabriel de Broglie consacre à la monarchie de Juillet (1), à la fois érudit et d'une parfaite clarté, ne manquant ni d'empathie pour le sujet ni de la distance nécessaire vis-à-vis de ses acteurs. On sent ses préférences - il place plus haut Guizot, Victor de Broglie bien sûr ou même Molé que Thiers, qu'il méprise, ou que les médiocres maréchaux (Soult, Gérard, Mortier) dont le roi fait par fausse habileté les chefs nominaux de ses gouvernements et que l'auteur réduit à juste titre à leur piètre proportion politique. Il dépeint fort bien Louis-Philippe lui-même, sans doute le roi le plus intelligent depuis Louis XIV, assurément le plus moderne, le plus sage, le plus pacifique et le plus subtil. Le plus original aussi par son éducation, imprégnée des Lumières, par son itinéraire (après avoir brillé à Valmy et Jemmapes, il doit s'exiler vingt-cinq ans en Allemagne, en Suisse, en Scandinavie et jusqu'en Laponie, aux Etats-Unis puis en Angleterre, dans des circonstances extrêmement périlleuses, parfois sans le sou), par son mélange de bonhomie et de fierté, de courage et de ladrerie, de clairvoyance et de prudence. Quelqu'un en somme de très peu banal, à l'opposé même de sa légende.
Plutôt que par l'histoire événementielle, nécessaire mais classique, le livre de Gabriel de Broglie se distingue par de remarquables chapitres thématiques, avec de larges ouvertures sur la société. Bien sûr, l'histoire parlementaire de la monarchie de Juillet est intéressante, puisqu'il s'agit en fait de l'apprentissage de la démocratie libérale, malgré un corps électoral encore exigu. Louis-Philippe respecte scrupuleusement, il est le premier à le faire, la règle de la majorité sortie des urnes. On s'émerveille au passage de la qualité des orateurs et de la vivacité des articles de presse de l'époque. Plus stimulant est néanmoins le contraste souligné par l'auteur entre l'avènement d'une société bourgeoise, dominée par l'argent et par la notabilité, et l'explosion simultanée du romantisme, de Berlioz à Delacroix, d'Hugo à Vigny ou Lamartine, au moment où culmine Balzac et où s'affirme Stendhal. D'un côté, une France dominée par les banquiers et par les financiers plus que par les industriels - comme en 2011 -, de l'autre un bouillonnement intellectuel, artistique et littéraire presque sans égal, à la différence d'aujourd'hui. Au passage, Gabriel de Broglie scande d'ailleurs judicieusement ses récits et ses analyses par des extraits bien choisis d'Hugo ou de Chateaubriand, de Guizot ou de Tocqueville, de Remusat ou de la comtesse de Boigne.
De même la volonté de Louis-Philippe de restaurer méthodiquement l'unité nationale après des décennies de tempêtes, un objectif permanent du courant orléaniste, est-elle soulignée à bon droit. Après une phase d'anticléricalisme, le régime organise ainsi une cohabitation apaisée entre le catholicisme (qui cesse d'être religion d'Etat), le protestantisme et le judaïsme. Il propose une réécriture tolérante de l'histoire officielle. Il multiplie les symboles de fierté et de rassemblement : Versailles s'ouvre aux visiteurs, on dresse l'obélisque de Louxor place de la Concorde, on inaugure la colonne de Juillet place de la Bastille, on construit l'Arc de triomphe mais surtout on organise en grande pompe le retour des cendres de Napoléon. François Mitterrand, grand connaisseur de la période, avait retenu la leçon que Nicolas Sarkozy a oubliée.
C'est aussi une époque de croissance démographique(la seule au XIXe siècle), de développement économique, des premières lois sociales ou scolaires, des premiers équipements collectifs (éclairage au gaz, hôpitaux, bains publics). La France se redresse et s'apaise. Pourtant, le régime doit faire face à des émeutes, à des coups de force, à des attentats. Républicains, légitimistes, bonapartistes le harcèlent. S'il s'effondre subitement, c'est cependant par la conjonction d'une brutale crise économique, de scandales à répétition, de la mort accidentelle du très populaire héritier du trône et d'un conservatisme croissant qui sclérose le pouvoir : la France a besoin d'équilibre mais aussi de rêves, de bonne gestion mais également d'audace ou de gloire. Cela vaut toujours.

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20 février 2012 1 20 /02 /février /2012 13:40
Talleyrand
Dernières nouvelles du diable
 
de Emmanuel de Waresquiel
Mis en ligne : [20-02-2012]
Domaine : Histoire
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Emmanuel de Waresquiel, né en 1957, est historien. Ancien élève de l'Ecole normale supérieure, il est un spécialiste de l'histoire du XIXe siècle et du mouvement des idées. Il a récemment publié : Cent Jours, la tentation de l'impossible, mars-juillet 1815 (Fayard, 2008), Le duc de Richelieu (Perrin, 2009), Une femme en exil : Félicie de Fauveau, artiste, amoureuse et rebelle (Robert Laffont, 2010).
 

Emmanuel de Waresq uiel, Talleyrand, dernières nouvelles du diable. Paris, CNRS, septembre 2011, 210 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Après l’immense succès de son Talleyrand, Emmanuel de Waresquiel prolonge sa réflexion sur cette figure fascinante, ténébreuse, tortueuse, immorale et géniale, en une série d’études que l’on lira comme le complément indispensable à la biographie du grand homme d’Etat.Virevoltant d’un monde à l’autre, grand seigneur corrompu, cynique absolu, maître espion et maître chanteur, diplomate hors pair qui négocia le Concordat et orchestra le Congrès de Vienne, monarchiste sous la monarchie, révolutionnaire sous la Révolution, bonapartiste sous Bonaparte, le « diable boiteux » a traversé les régimes et sauté les obstacles avec une souplesse, une intelligence des hommes et une rouerie à nulle autre pareille.Emmanuel de Waresquiel nous rappelle qu’au-delà des trahisons et des reniements, l’évêque défroqué fut, d’abord et surtout, un fils des Lumières, un théoricien libéral habité par l’idée que la raison devait toujours l’emporter sur les sentiments, et le calcul des possibles sur l’utopie. Il nous montre le diplomate en action, l’homme de paix et l’Européen, le confident du tsar Alexandre, le négociateur de Presbourg, Erfurt, Paris et Vienne.Il nous montre le formidable metteur en scène de son propre personnage, l’étiquette et les convenances, l’intimité et le charme, le savoir-faire et le savoir-vivre. Il nous montre, derrière les miroirs, derrière ses images innombrables, un homme extraordinairement complexe, paradoxal, pudique et secret, dont la destinée a profondément marqué l’histoire de la France moderne.
 
Recension. - L'Histoire, novembre 2011.
Après le succès public et critique de son Talleyrand paru en 2003, Emmanuel De Waresquiel nous propose ces Dernières nouvelles du diable boiteux : en effet "le cadavre bouge encore" ! Ce nouvel opus se compose de textes inédits ou parus de manière dispersée depuis 2003. Evoquer le grand seigneur des Lumières, le visiteur curieux d'une Amérique en devenir, le gastronome le plus réputé de Paris, l'incomparable maestro du jeu politique du printemps 1814, le mourant tracassé par sa postérité, envisager la modernité du personnage, c'est montrer combien l'homme fut "complexe, divers et successif". "Successif": on aime ce dernier adjectif, qui manifeste autant de modestie que d'élégance chez son biographe. Car l'unité d'un homme est fait de vérités qui se construisent, se renforcent au fil du temps et se contredisent aussi, souvent. Soulignons le profit et l'agrément que le lecteur prendra à la lecture de deux chapitres, l'un consacré à la "vision européenne" de Talleyrand, l'autre au "bon usage de la méthode" en matière diplomatique. Et quand le savoir-faire sait trouver l'accord parfait avec le savoir-vivre, les leçons du diable sont toujours bonnes à prendre.

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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 22:22
Condé
Le héros fourvoyé 
 
de Simone Bertière
Mis en ligne : [19-12-2011]
Domaine : Histoire
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Née en 1926, Simone Bertière est biographe et écrivain. Elle est l'auteur de nombreux articles sur la littérature comparée, qu'elle a enseignée à Bordeaux puis à l'Ecole normale supérieure de jeunes filles. Elle a récemment publié : Mazarin, le maître du jeu (De Fallois, 2007) - Dumas et les "Mousquetaires", histoire d'un chef d'oeuvre (De Fallois, 2009).
 

Simone Bertière, Condé, le héros fourvoyé . Paris, De Fallois, octobre 2011, 544 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
A vingt-deux ans, il passait pour l'égal de César et d'Alexandre. De 1643 à 1648, durant la guerre franco-espagnole, il accumula les exploits et devint l'idole de la jeune noblesse d'épée. Il avait tout, naissance et fortune. Il ne lui manquait que d'être roi. Se croyant tout permis, il rejetait obstacles et interdits et cultivait le scandale. L'action politique, où il s'engagea imprudemment, fut son talon d'Achille. Il soutint d'abord Anne d'Autriche et Mazarin lorsque les magistrats déclenchèrent contre eux la Fronde parlementaire. Mais pour prix de ses services, il montra une telle arrogance et afficha des prétentions si outrées qu'elles lui valurent une année de prison. A sa sortie, il se jeta dans une guerre civile qu'il perdit et, plutôt que de s'incliner, il alla mettre son génie militaire au service des Espagnols, sans pouvoir empêcher leur défaite finale. De retour après la paix des Pyrénées, il se résigna à n'être qu'un homme privé, dans une France qui avait profondément changé. Il opéra alors une extraordinaire mutation psychologique et morale, faisant de son domaine de Chantilly un haut lieu de culture, de tolérance et de paix. A travers l'histoire d'un héros, ce livre invite à réfléchir à la gloire, à ses enjeux, à ses dérives. En arrière-plan, il évoque, avec la régente, Gaston d'Orléans, Mazarin, Turenne et le jeune Louis XIV, les grandes figures d'une époque où les derniers sursauts de l'esprit féodal s'effacent pour laisser place à la France moderne. Bien que solidement documenté et non romancé, il s'anime sous la plume alerte de Simone Bertière de plaisantes anecdotes et se colore d'humour.
 
Article de Jean Sévillia. - Le Figaro Magazine, 12 novembre 2011.
Le Grand Condé, prince, capitaine et mécène. C'est Bossuet, en 1687, qui prononça à Notre-Dame de Paris l'oraison funèbre du «Très Haut et Très Puissant Prince Louis de Bourbon, Prince de Condé, Premier Prince du Sang». Le plus bel hommage était venu de Louis XIV : «Je viens de perdre le plus grand homme de mon royaume.» Ils s'étaient réconciliés depuis longtemps, mais comment oublier que Condé, après avoir été le plus grand capitaine du roi de France, était resté pendant huit ans son pire ennemi ?
Simone Bertière, auteur d'ouvrages de référence sur les reines de France au temps des Valois et des Bourbons et biographe de Mazarin, s'est passionnée pour la question, qui oriente le livre qu'elle publie aujourd'hui sur Condé, «le héros fourvoyé». «La présente biographie, explique-t-elle, tourne autour d'une interrogation majeure : sa rébellion, qui l'amena d'abord à allumer sur place la guerre civile, puis à combattre dans les rangs espagnols, fut-elle vraiment un accident ou l'aboutissement prévisible d'un itinéraire?»*
Louis II de Bourbon, quatrième prince de Condé, dit le Grand Condé, naît à Paris en 1621. Sa famille, issue d'un oncle d'Henri IV, forme une branche des Bourbons où l'on est volontiers rebelle. Son arrière-grand-père, Louis de Bourbon, chef du parti huguenot, trempa dans la conjuration d'Amboise et mourut en affron tant les troupes royales à la bataille de Jarnac. Son grand-père, Henri Ier de Bourbon, cousin et compagnon d'Henri de Navarre, s'opposa à ce dernier quand il devint le roi Henri IV. Son père, Henri II de Bourbon, fut emprisonné pour avoir pris la tête des grands contre Marie de Médicis, veuve d'Henri IV, et son favori Concini.
En 1627, quand le jeune Louis s'apprête à entrer au collège, son père est cependant rentré en grâce et sert loyalement Louis XIII et son ministre Richelieu. Titré duc d'Enghien, le garçon devient un brillant élève des jésuites de Bourges. Celui qui se destine à la carrière des armes, comme l'exige son rang, reçoit, après ses 14 ans, une formation complémentaire en droit, en histoire et en mathématiques.
En 1640, Louis de Bourbon subit le baptême du feu à Arras, où se dévoilent ses qualités militaires. L'année suivante, il épouse une nièce de Richelieu, Claire Clémence de Maillé-Brézé, qu'il n'aimera jamais. Vainqueur à Perpignan en 1642, quelques mois avant la mort du cardinal ministre, il entre dans la gloire à Rocroi en 1643 - le jour même des funérailles de Louis XIII - en remportant une victoire décisive sur les tercios espagnols, réputés invincibles. A 22 ans, Condé vient de sauver Paris de l'invasion et passe pour l'égal de César et d'Alexandre. Successivement commandant des armées de Flandre et de Picardie, gouverneur de Champagne et de Brie, gouverneur de Guyenne, du Berry et de Bourgogne, grand maître de France, commandant sur le Rhin avec Turenne avec qui il remporte la victoire de Nördlingen, commandant pendant la campagne de Flandre au cours de laquelle il s'empare de Dunkerque, tout lui réussit. Et en 1646, à la mort de son père, il devient le premier prince du sang.
Désormais, il a tout : la naissance, la fortune, et un rare génie militaire soutenu par le courage physique. Toutefois, arrogant, doté d'une très haute idée de lui-même, il nourrit une ambition démesurée. «Il ne lui manque que d'être roi», observe Simone Bertière. C'est précisément cet orgueil qui va le perdre. Après six années glorieuses, Condé, qui ne peut pas monter plus haut, va descendre du pinacle où son talent l'avait hissé.
S'il entre au Conseil du roi en 1647, ses rapports avec Mazarin, qu'il méprise, sont difficiles. Un échec en Catalogne lui vaut d'être écarté du commandement en chef dans les Flandres, en 1648, même s'il prend sa revanche sur les Espagnols à Lens la même année, victoire qui hâte la conclusion des traités de Westphalie, mettant fin à la guerre de Trente Ans. Lorsque éclate la Fronde, il hésite entre son ressentiment contre Mazarin et le dédain que lui inspirent les parlementaires et les chefs de la révolte nobiliaire, auxquels il s'estime supérieur. Il sauve le trône, dans un premier temps, en mettant le siège devant Paris (1649), mais finit par rejoindre les frondeurs. Arrêté sur ordre de Mazarin en 1650, il est interné treize mois à Vincennes, puis au Havre.
Libéré en 1651, Condé prend la tête de la Fronde des princes, lève des troupes et combat l'armée du roi. Battu par Turenne, au faubourg Saint-Antoine, en 1652, déchu de ses dignités et gouvernements, privé de ses biens, qui lui sont confisqués, il passe dans l'armée espagnole et poursuit la guerre sur les lieux mêmes où, dix ans plus tôt, il servait la France : Rocroi, Arras, Valenciennes, Cambrai. En 1654, la justice royale le condamne à mort. Mais en 1658, Turenne écrase les Espagnols à la bataille des Dunes (où Condé n'était pas), et la paix des Pyrénées est signée en 1659.
En 1660, Louis XIV accorde son pardon au prince rebelle, qui finira par reprendre du service après plusieurs années d'inactivité. En 1668, Condé conquiert la Franche-Comté en trois semaines. En 1674, pendant la guerre de Hollande, il bat le prince d'Orange à Seneffe. En 1675, successeur de Turenne en Alsace, il est vainqueur des Impériaux à Saverne : ce sera sa dernière campagne. Perclus de goutte, il prend sa retraite et entame une nouvelle vie. Dans son domaine de Chantilly, acquis en 1643, Monsieur le Prince cultive les lettres et les arts et entretient Boileau, Racine ou La Bruyère. Il meurt à Fontainebleau en 1686.
Simone Bertière, dans ce beau livre, brosse le portrait d'une figure flamboyante. A travers cet homme, c'est aussi une époque qu'elle dépeint : on voit émerger la France moderne au milieu des sursauts ultimes de l'esprit féodal, dont le Grand Condé, à sa manière fastueuse, fut le représentant emblématique .
 
Autre critique. - Marc Riglet, "Condé, prince des frondeurs", Lire, novembre 2011.
 
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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 21:46
Le grand désenclavement
du monde, 1200-1600  
 
de Jean-Michel Sallmann
Mis en ligne : [21-11-2011]
Domaine : Histoire
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Professeur émérite d'histoire moderne à l'université de Paris X-Nanterre, Jean-Michel Sallmann a étendu son champ d'investigation originel sur l'Italie des XVIe-XVIIe siècles à une approche globale de la Renaissance à travers l'Europe. Il a récemment publié : Charles Quint : l'empire éphémère (Payot, 2000) - La circulation des élites européennes : entre histoire des idées et histoire sociale, dir. (Seli Arslan, 2002) - Géopolitique du XVIe siècle : 1490-1618 (Le Seuil, 2003).



Jean-Michel Sallmann, Le grand désenclavement du monde . Paris, Payot, avril 2011, 690 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Ce livre est né d'une constatation : le monde est en train de vivre des bouleversements considérables et les modalités d'ajustement sont difficiles. Tout se passe comme si l'effondrement de notre monde bipolaire, entre États-Unis et Union Soviétique, avait ouvert la boîte de Pandore des conflits disséminés auxquels nous avons bien du mal à donner un sens. Pourtant, si le monde est devenu plus insaisissable, parce redevenu multipolaire, il l'était déjà il y a plusieurs siècles.C'est entre 1200 et 1600 que l'ensemble du monde a progressivement été mis en relation, aboutissant à un grand désenclavement, ou à une première "mondialisation" pour reprendre un terme à la mode. Refusant l'approche traditionnelle, européo-centrée, de l'histoire des relations internationales, basée sur le concept de l'État-nation, Jean-Michel Sallmann privilégie dans cet essai "politiquement incorrect" le paradigme civilisationnel tel que l'ont décrit Samuel Huntington dans son Choc des civilisations et avant lui Fernand Braudel. Il souligne combien au début du XIIIe siècle, l'humanité est cloisonnée, divisée en quatre grandes civilisations - chinoise, européenne, musulmane et hindoue - qui, par leur poids démographique et leur dynamisme, jouent un rôle majeur sur le plan stratégique, culturel et économique, laissant pourtant des territoires entiers coupés du reste du monde : l'Amérique, l'Afrique noire et le continent austral. Les invasions mongoles viendront briser partiellement l'isolement de cet Ancien Monde, avant que le cataclysme de la seconde moitié du XIVe siècle, engendré par la Peste noire et ses conséquences, redistribue les cartes en faveur de l'Occident chrétien. C'est lui qui sera finalement, contre toute attente, le catalyseur du désenclavement qui se produira avec les Grandes Découvertes du XVe siècle.Un livre foisonnant et ambitieux, à la curiosité salutaire, qui nous entraîne dans un style enlevé sur les routes humaines qui, d'Alep à Quanzhou, d'Ormuz à Calicut, ont de tout temps sillonné le globe, nous offrant un regard neuf sur le monde d'aujourd'hui.
 
Recension de Pierre de Charentenay. - Etudes, novembre 2011.
Empruntant l’idée de civilisation aux travaux de Samuel Huntington, avec le rôle d’État phare et de la religion, l’auteur décrit vers 1200 de notre ère la division du monde en espaces culturels. Il observe les relations qui vont s’y développer dans la période 1200 à 1600. À chaque fois, c’est l’Europe qui réalise cette mise en communication, alors qu’elle était plutôt en retard économiquement et technologiquement. La Chine constitue un autre ensemble massif et solide, mais relativement statique. Entre les deux, l’islam contrôle les routes du commerce international. De son côté, la très riche civilisation indienne s’est repliée sur elle-même et résiste à l’islam. Ces quatre grandes civilisations laissent des régions isolées et peu peuplées, l’Amérique ou l’Afrique où vivaient de multiples sociétés autonomes. Ce livre volumineux présente cette situation en 1200, puis la crise provoquée par la peste noire à la fin du xive siècle, et la recomposition des rapports de force entre les civilisations à la fin du xvie. Un bilan sur le début du xviie montre comment l’Europe est freinée dans l’expansion qu’elle développe vers l’Asie. Les seize chapitres qui constituent cet immense parcours sont fouillés, détaillés, bien informés. Ils s’achèvent sur une conclusion qui met en mouvement tous ces éléments historiques de la vie de quatre siècles mouvementés de notre monde. Voilà un grand panorama qui vaut d’être parcouru si l’on a la capacité et le désir de passer d’une civilisation à l’autre pour en suivre les évolutions et les relations
 
Recension. - L'Histoire, octobre 2011.
Choc des civilisations. Certains historiens tentent aujourd'hui de réinventer une histoire du monde émancipée du grand récit de l'affrontement, en longue durée, des civilisations. Dans un livre surprenant et ambitieux, Jean-Michel Sallmann prend crânement le contrepied de cette tendance historiographique : il propose une large fresque, écrite d'une seule plume et d'un même élan qui, parcourant les espaces à vastes enjambées, décrit le "grand désenclavement d'un monde" cloisonné en 1200, unifié sous l'emprise de l'Occident en 1600. Les amateurs d'histoire à grand spectacle ne seront pas déçus: depuis la "tornade mongole" du XIIIe siècle jusqu'à la "fermeture" du Japon à la fin du XVIe siècle, ils seront transportés en seize chapitres lestes et fortement documentés, articulant de manière fort habile tableau et récit. Il convient de saluer l'héroïsme de la synthèse, au moment où les complexités de l'histoire et les scrupules des historiens la découragent le plus souvent. Reste qu'on ne doit pas feindre d'ignorer que Jean-Michel Sallmann propose ici une histoire résolumment orientée. Elle l'est dans son mode de récit, qui vise à expliquer, et en partie justifier, l'occidentalisation du monde. Elle l'est surtout dans sa manière de faire de quatre "grandes civilisations" (chinoise, européenne, musulmane et hindoue) les héros anonymes de l'histoire mondiale, selon un modèle qui s'inspire explicitement du Choc des civilisations de Samuel Huntington, "ouvrage (qui) n'a pas reçu en Europe l'accueil qu'il méritait". On ne pourra pas reprocher à l'auteur de masquer ses intentions idéologiques. Elles s'expriment de manière éclatante dans sa conclusion, regrettant qu'en critiquant leur propre histoire "les Occidentaux fournissent des arguments à ceux qui n'en demandaient pas tant pour les affaiblir", et affirmant finalement que " l'Occident n'a pas à rougir de ses actes ni à présenter ses excuses au monde entier" ni à recevoir de leçons "de ceux dont l'histoire n'est guère plus édifiante". Que répondre, sinon que l'on peut être en droit d'attendre autre chose de l'histoire que l'édification des uns et l'affaiblissement des autres ? 
 
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24 octobre 2011 1 24 /10 /octobre /2011 21:14
Aliénor d'Aquitaine  
 
de Philippe Delorme
Mis en ligne : [24-10-2011]
Domaine : Histoire
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Né en 1960, Philippe Delorme est historien et journaliste. Spécialiste des familles royales, journaliste à Point de Vue, il est l'auteur d'une trentaine de livres traitant des grands destins et des « têtes couronnées ». Il a récemment publié :  Entretiens avec Henri comte de Paris - L'homme qui rêvait d'être roi. (Buchet-Chastel, 2006), Albert II de Monaco - Les surprises du prince. (Michel Lafon, 2006), Les Princes du malheur - Le destin tragique des enfants de Louis XVI et Marie-Antoinette. (Perrin, 2008), Henri comte de Chambord - Journal. (F.X. de Guibert, 2009), Les Dynasties du monde. (L'Express-Point de Vue, 2010), Henri IV - les réalités d'un mythe. (L'Archipel, 2010).

 

Philippe Delorme, Aliénor d'Aquitaine. Paris, Tallandier, juin 2011, 311 pages.

 
Présentation de l'éditeur.
Tour à tour duchesse d'Aquitaine, reine de France épouse de Louis VII, puis reine d'Angleterre par son mariage avec le futur Henri II, Aliénor domine par sa personnalité hors du commun le XIIe siècle occidental. Cette souveraine lucide et lettrée s'imposa vite comme une femme de pouvoir, outrepassant les traditionnelles attributions conférées à une reine et occupa une place déterminante dans les relations entre la France et l'Angleterre en apportant à l'un puis à l'autre de ses deux maris et souverains le puissant domaine d'Aquitaine. Elle fut encore un véritable mécène protégeant artistes et troubadours. Philippe Delorme peint ici le portrait d'une femme maîtresse de son destin, mère du fameux Richard Coeur de Lion et qui s'éteignit à l'âge exceptionnel de quatre-vingt-deux ans.
 
La critique de Christian Tarente. - Politique Magazine, septembre 2011.
Aliénor, ce diable de femme. Vie passionnante que celle d'Aliénor d'Aquitaine, passionnante à vivre sans doute, passionnante à lire sous la plume de Philippe Delorme certainement. Élevée à la Cour de Poitiers, une des plus brillantes d'Occident, elle voit, à 15 ans, son mariage avec le futur Louis VII organisé par l'abbé Suger, conseiller avisé de Louis VI. Reine de France, Aliénor, de fort tempérament, se plaint de ce mari trop monacal. Elle le suit quand il part secourir les Chrétiens de Syrie, mais l'échec de la croisade précipite l'échec conjugal. Le mariage qui, en quinze ans n'a donné que deux filles, est annulé.
  Redevenue duchesse d'Aquitaine, Aliénor épouse en 1152 Henri Plantagenet, héritier du trône anglais. Deux ans après, la voilà reine d'Angleterre. Elle donnera huit enfants à Henri II, dont deux rois, Richard Coeur de Lion et Jean sans Terre. Quand ceux-ci se rapprocheront du roi de France, Alénor les soutiendra. Arrêtée, emmenée à Salisbury, elle passera quinze ans en résidence surveillée.
  En 1189, Henri meurt : Aliénor, veuve, a encore quinze ans à vivre, qui seront bien remplis. Aussitôt roi, Richard Coeur de Lion la libère, et part en croisade : elle assure brillamment la régence.  Pour marier son fils, elle parcourt mille et mille lieues et décroche la main de Bérengère de Navarre qu'elle emmène en Sicile rejoindre Richard pour l'épouser... à Chypre! Et au retour, quand Richard est capturé par Léopold d'Autriche, Aliénor réunit la rançon et le fait libérer. 
  Le sort tourne en 1199 : Richard tué d'un coup d'arbalète, son frère Jean sans Terre se révèle incapable de tenir tête à Philippe-Auguste, qui fait prononcer la "commise" de ses fiefs, conquérant ainsi la Normandie et l'Aquitaine. A Fontevraud, entourée d'une cour de lettrés et de troubadours, Aliénor assiste à l'écroulement de ses rêves : l'heure est capétienne. Le 1er avril 1204, à quatre-vingts ans, elle meurt à Fontevraud où elle repose toujours.
   Des chroniqueurs anglais et même Michelet l'ont accusé d'adultère avec son oncle Raymond lors de la croisade avec Louis VII, et du meurtre de Rosamonde, la favorite d'Henri II... Philippe Delorme fait justice de ces ragots.

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Revue trimestrielle
N°1 - 2009/01
 
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