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17 juillet 2010 6 17 /07 /juillet /2010 12:46
Visages de Barrès                       
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Assiste-t-on à un retour de Barrès ? Cette revue, dont il fut le parrain et le maître, ne peut y être insensible. Il est vrai que l'on sent depuis quelques années, à l'occasion de rééditions ou de biographies, une forme de retour en grâce du grand Lorrain.  De  récentes chroniques de Michel Crépu, dans la Revue des deux Mondes, ainsi que les articles qui ont accompagné la publication chez Bartillat d'une nouvelle édition des Déracinés, excellemment préfacée par François Broche, semblent à nouveau le confirmer. Notre ami Eugène Charles, qui fait partie des barrésiens inconditionnels, en est persuadé et il l'exprime ci-dessous avec force et conviction. Un de nos jeunes rédacteurs, Léon Degraeve, qui rend compte ici de la récente biographie de Barrès par Jean-Pierre Colin, en est beaucoup moins convaincu. Le débat est ouvert.

  La Revue Critique.

 

 

Oui, Barrès est de retour parmi nous

 

On ne lit pas Barrès. On le dévore ou on l'ignore. Dans les temps médiocres que nous venons de traverser, on se faisait une gloire de l'ignorer et d'étouffer son oeuvre. Mais voilà que Barrès revient d'exil et que les barrésiens se réveillent. Après la belle biographie de Jean-Pierre Colin, dont rend compte ci-dessous Léon Degraeve, les Editions Bartillat viennent de rééditer Les Déracinés   [1], qui plus est dans une collection de poche. Pari audacieux ? Non, pari réussi puisque le livre se vend, qu'il trouve même un large public et d'abord dans la jeunesse instruite. Barrès disait au soir de sa vie "qu'il peut encore naître après nous des enfants de vingt ans avec qui mes livres ouvriront un dialogue, dût-il être différent des dialogues qui s'établissaient avec mes compagnons de route, car les livres des poètes tiennent des discours divers aux diverses générations"   [2]. Voilà  les conditions réunies pour que ce charmeur envoûte à nouveau les figures de notre jeunesse.

Les Déracinés sont précisément un roman d'apprentissage.  Barrès y donne en quelque sorte une leçon de vie à la génération née dans la défaite de 1870 et qui va devenir la génération de la Revanche. On en connaît la trame : un groupe de lycéens lorrains sont fascinés par la présence de leur professeur de philosophie, le républicain Bouteiller, proche de Gambetta. Il les incite à poursuivre leurs études à Paris. Tous partent pour la capitale, remplis d'ambitions, d'idées chimériques et d'espoirs. Pour ceux d'entre eux qui sauront garder leur sang froid et le lien avec la Lorraine natale, l'aventure politique et la réussite sociale seront au rendez-vous. Les autres, déçus dans leurs rêves et broyés par la dure réalité parisienne, finiront dans la misère et dans l'avilissement. 

Lorsque Barrès publie Les Déracinés, il a 35 ans et une carrière littéraire et politique déjà bien remplie : auteur d'une première trilogie à succès, le Culte du Moi, il est élu député de Nancy à 27 ans et battu à 31. Blessé par la défaite du boulangisme, écoeuré par les moeurs parlementaires de la Troisième commençante, il se lance dans la rédaction d'un énorme "roman historique" qui couvre toute l'épopée boulangiste jusqu'au scandale de Panama. L'oeuvre, remaniée et simplifiée, sera éditée en trois parties : Les Déracinés en 1897, auxquels succéderont l'Appel au Soldat en 1900 et Leurs Figures en 1902. L'ensemble formera le cycle du Roman de l'énergie nationale, l'oeuvre-mère de toute une génération, le premier grand roman du XXe siècle par son écriture, son rythme et la forme de son récit. Le livre des livres pour Malraux, pour Aragon, pour Mauriac, Bernanos, Drieu, Montherlant, et des dizaines d'autres, moins grands.

Les Déracinés sont d'abord un grand roman politique. Ils marquent en quelque sorte la mort clinique du républicanisme jacobin. Renan, puis Taine, avaient les premiers, et avec succès, portés le couteau. Barrès achève le travail. Bouteillier le républicain, l'homme du kantisme, de l'hégelisme, amant d'une France virtuelle, d'un pays sans chair et sans âme, qui pourrait être un autre pays, voici la cible de Barrès. Il est le pédagogue desséchant, le bourreur de jeunes crânes, l'ennemi intime de nos sept Lorrains à qui il apprend, sous prétexte de philosophie et d'abstraction, à mépriser leur terre et leurs origines. Bouteillier a tout de l'inquiétant joueur de flûte de Hameln, il fascine ses victimes en même temps qu'il les débarrasse de leur histoire. Fourier d'un régime où seul le Nombre a de l'importance, il n'est pas là pour former des êtres mais des soldats, des producteurs mais des électeurs, des créateurs mais des bacheliers, des Français mais des numéros. 

C'est la France de Bouteillier que Barrès rêve de mettre par terre. Cette France qui vient de perdre par deux fois la guerre :  en 1870 avec l'Empire, ses rêves chimériques et sa fin, dans l'horizon blême de Sedan; en 1871 avec Thiers, Gambetta et la République voulue par Bismarck. Cette France qui ne peut plus rien contre l'Allemagne, parce qu'elle pense en allemand, qu'elle rêve en allemand, qu'elle conceptualise en allemand. L'initiation de nos jeune gens sera double:  dans un premier temps, c'est leur petite patrie lorraine qui délaisseront, qu'ils renieront pour un Paris lointain, brumeux, rêvé, siège moderne de l'idée pure; mais, dans un second temps, c'est le reflux pour François Sturel, pour Gallant de Saint-Phlin, pour Roemerspacher, pour Suret-Lefort, pour ces multiples figures de Barrès qui reprennent langue avec leur pays, redécouvrent ses charmes et, sous son ombre, trouvent leur place au service de la Grande Patrie. Que nous dit Barrès ? Que la France ne saurait se résumer à une idée, qu'elle soit pleine ou vide, fumeuse ou opérante, qu'on s'en fasse une idée certaine ou incertaine. La France, c'est d'abord une diversité, une variété, une pluralité qui s'efforce aussi d'être une unité. En montrant que l'on peut être tout à la fois Français et Lorrain, boulangiste et fédéraliste, socialiste et ami de la liberté, fervent patriote et parfait connaisseur des beautés italiennes, espagnoles ou rhénanes, Barrès innove. Il offre au Français de 1900 une nouvelle façon d'aimer son pays, plus entière, plus complexe, plus exigeante.

Mais Les Déracinés sont aussi un grand roman social. Le Paris que nous décrit Barrès, c'est celui de l'Argent et de l'argent qui coule à flots. Le capitalisme financier y occupe toute la place, il n'est qu'agiotage, corruption, recherche d'affaires douteuses, si possible rapides sur le dos de l'Etat. La société qu'il décrit est plus proche de la nôtre que de celle de Balzac. c'est un monde où les affaires n'ont plus de limites, où démocratie, presse, argent et parlementarisme font bon ménage, où une oligarchie arrogante et cosmopolite organise la vie du pays comme s'il s'agissait d'une entreprise familiale. Les Etats y sont partout dans l'Etat, et la plume fulgurante de Barrès sait saisir la poignée de main ambiguë, la grimace complice, le coup d'oeil approbateur. Le Paris des Déracinés, c'est aussi celui du déclassement, de la division sociale et de la misère. Arrivés comme des frères à Paris, nos sept jeunes lorrains vont y subir comme tant d'autres la force centrifuge de l'argent. Certains surnageront, pour les plus faibles ce sera la misère et la tragédie, d'autres, traumatisés par l'expérience, retourneront au pays s'enfermer dans le silence.

Nationalisme, idées nouvelles, rejet de la société d'argent... On se méprendrait toutefois en pensant que Les Déracinés sont de la famille de ces romans à thèses, ennuyeux comme ceux de Jean-Paul Sartre, poussiéreux comme ceux de Paul Bourget. Il n'en est rien, bien au contraire. "Barrès, quel film !", proclamait récemment François Broche dans une belle chronique, "quel merveilleux scénario de film donnerait ce grand roman ! que de personnages pleins de relief, que de belles scènes ! quelles couleurs ! quelles passions ! quel mouvement ! quelle somptueuse fresque sur le Paris de la fin du XIXe siècle !" [3]. On démêle en effet dans l'oeuvre de Barrès plusieurs livres en un seul. A côté du roman politique, du roman social dont nous avons parlé, on trouve aussi des passages de roman policier, des pages de sociologie, des récits de journaliste, une histoire d'amour, un conte exotique, des chroniques littéraires, des pages de pure poésie... le tout jeté dans le brasier d'une époque qui court à grande vitesse vers son destin. Le récit mémorable de l'enterrement de Victor Hugo, l'évocation furtive de la foule parisienne, grouillante, un soir d'hiver sous la pluie, le théâtre d'ombres du salon du baron de Reinach, la visite des sept jeunes lorrains au tombeau des Invalides, où Barrès exalte, à la façon de Stendhal, Napoléon professeur d'énergie, et tant d'autres scènes qui donnent au roman un rythme, une intensité et une force particulière. Combien de nos écrivains modernes puiseront à cette inspiration? Que l'on songe aux Cloches de Bâle ou à La Semaine Sainte d'Aragon, aux Conquérants ou à La Condition humaine de Malraux, au Gilles de Drieu, aux Hommes de bonne volonté de Romains... et jusqu'aux Mémoires de guerre de Charles de Gaulle.

Et Barrès quel style et quel homme derrière le style ! Car tout Barrès est derrière son style, derrière ces mots qui jaillissent parfois d'un trait, puis qui se reforment en longues phrases sonores pour rejaillir, plus loin, à nouveau dans une pointe d'ironie ou un accès de mélancolie. Là encore, quelle belle écriture, chargée quand il faut l'être, pure et limpide quand la vie du roman avance par grands flots, sombre, parfois cassée, lorsque l'émotion étreint brusquement le poète. On  n'écrit plus comme Barrès, me disait l'autre jour un lecteur de Gide. C'est sans doute pour celà qu'on ne lit plus guère Gide. Et qu'on fira par relire Barrès.

Eugène Charles.

 

 

Maurice Barrès: "un Prince oublié"... pour longtemps encore ?


On l’évoque parfois : il existe, pour certains écrivains de la IIIe République, une sorte de malédiction, qui semble les condamner, pour longtemps, à rester dans un purgatoire littéraire dont ils ne parviennent à sortir que très difficilement. Charles Péguy, par exemple, n’est redevenu fréquentable aux yeux des bien pensants qu’à partir des années 1980, après que Daniel Bensaïd ou bien encore Edwy Plenel, des gens connus pour être du "bon côté", celui qui n’est pas "obscur", aient déclaré le lire bien volontiers.

Pour d’autres en revanche, comme Maurice Barrès, dont la sublime écriture a marqué des générations d’écrivains, la période de quarantaine risque de durer encore un peu. Malgré plusieurs tentatives, la mayonnaise n’a pas pris et l’on refuse toujours à ce "pestiféré des lettres françaises" [4] les honneurs de La Pléiade. Il faut dire que Barrès, en laissant entendre que le capitaine Dreyfus avait une forme de propension à trahir la nation française du fait de sa  "race" [5] (et bien qu’il ait admis sur la fin de sa vie s’être trompé au moment de l’ "Affaire"), n’a rien fait de son vivant pour ménager la postérité de son œuvre… Bref, celui qui fut longtemps le "Prince de la jeunesse" (Paul Adam) risque, pour un bon moment encore, de rester ce "Prince oublié" dont nous entretient Jean-Pierre Colin dans un essai  [6] qu'il présente lui-même comme une "biographie subjective". Sans cette précaution, on aurait pu en effet reprocher à Jean-Pierre Colin sa réfutation un peu rapide d'une des rares thèses plausibles du très controversé Zeev Sternhell, qui voit dans la pensée de Barrès l'annonce d'une nouvelle forme de « "droite", très différente de celle du XIXe siècle. On aurait également pu lui reprocher d'adopter sans beaucoup de discussions la thèse selon laquelle Barrès serait le précurseur du gaullisme.

Mais mis à part cela, rien de bien important à redire. Jean-Pierre Colin ne l’a pas caché, et c’est tout à son honneur : il n’avait pas vraiment d’autre ambition que de nous parler de « son » Barrès « à lui », ce qui, vu le contexte actuel, est pour le moins courageux. On conviendra d’ailleurs qu’il le fait fort bien, avec une qualité de plume que l'on ne peut que louer. On notera même qu’il lui arrive très souvent, et pas seulement lorsqu’il le cite, de donner envie de lire cet homme que le sinistre ouvrage de 1902 précité a malheureusement rendu infréquentable. Et puis la très intéressante bibliographie (pages 242 à 247) vaut le détour. C’est en effet une véritable mine, qui permet à celui que l’écriture du Lorrain ne laisse pas un indifférent, de se faire une idée plus précise, et par conséquent plus juste, de l'homme que fut réellement Barrès, loin des grossières caricatures que l'on continue de faire de lui.

Cet ouvrage, paru chez une maison d’édition encore trop peu connue, contribuera-t-il à faire sortir l’Académicien déchu de l’oubli, de cette quarantaine que l’on évoquait plus haut ? Bien que l’on puisse très sincèrement l’espérer rien n’est moins sûr. Quoi qu’il en soit, et même si cet essai ne nous apprend rien qui ne soit déjà connu - pas même que cette somme de paradoxes qu'était Barrès s’assumait parfaitement et qu'il était, au fond, un être beaucoup plus humain qu’on ne veut bien l’admettre - l'essai de Jean-Pierre Colin reste une heureuse tentative, qu’il faut, sinon applaudir des deux mains, du moins saluer avec sympathie. 

Léon Degraeve.


[1]. Maurice Barrès, Les Déracinés. Préface de François Broche. (Bartillat, 2010) .

[2]. Propos rapportés par Henri Massis, in Henri Massis, Barrès et nous (Plon, 1962).

[3]. François Broche, "Barrès quel film !" Service littéraire - janvier 2010 .

[4]. Thierry Clermont, "Le dandy négligé" Le Figaro littéraire - 5 novembre 2009.

[5]. Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, (Félix Juven éditeur, 1902).  pp 152-153.

[6]. Jean-Pierre Colin, Maurice Barrès, le Prince oublié (Infolio, 2009) .


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16 juin 2010 3 16 /06 /juin /2010 18:42
Le hasard fait parfois               
bien les choses
                        

 

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La toute première fois que votre serviteur a lu Sébastien Lapaque, il était loin de se douter que cela deviendrait une habitude. A l’époque, il voulait juste savoir qui était un certain Antonio Gramsci. Ouvrant plusieurs encyclopédies « de référence », qui n’en disaient rien, il s’était alors résigné à chercher une telle entrée dans un Dictionnaire de la contestation au XXème siècle [1]. C’est précisément dans ce dernier qu’un certain Sébastien Lapaque avait commis, pages 245 et 246, un article fort instructif sur ce fascinant Italien, auquel il n’a manifestement jamais cessé de songer, ce dont témoignent les pages 50 à 52 de son dernier et succulent ouvrage : Au hasard et souvent [2].

Entre 1999 et ce « Bloc-notes » largement amélioré, qu'il vient tout juste de publier, et qu’il faut lire, ne serait-ce que pour se délecter de vivifiantes sentences (« s’il y a un seul monument à visiter au Brésil, c’est son peuple » [3]) et des raisonnements qui conduisent leur auteur à les prononcer, Sébastien Lapaque nous aura gratifié, entre autres, d’une curieuse mais non moins intéressante anthologie [4], d’un pamphlet [5] sur ce président de la République qu’il accuse en 2010 de parler un « français désossé, dénervé, dévitalisé » (p 35), d’une compilation de textes de son auteur fétiche [6], dont il aura au préalable relaté les années d’exil au Brésil [7]: ce Lion de Dieu que fut l’écrivain de combat Georges Bernanos.

On ne peut désormais qu’espérer, tant la lecture de ce qu’il produit nous a depuis procuré comme plaisir, que le prochain roman qu’il envisage d’écrire, puisqu’il suggère qu’il y pense fortement page 169, est pour bientôt…

Leon Degraeve.

 


[1]. Emmanuel de Waresquiel (dir.), Le siècle rebelle. Dictionnaire de la contestation au XXème siècle, (Larousse-Bordas, 1999)
[2]. Sébastien Lapaque, Au hasard et souvent. (Actes Sud, 2010).
[3]. Ibid., p 107.
[4]. Sébastien Lapaque, Malheur aux riches ! (Librio, 2000).
[5]. Sébastien Lapaque, Il faut qu'il parte. (Stock, 2008).
[6]. Georges Bernanos, Brésil, terre d'amitié.  (La Table Ronde, 2009).
[7]. Sébastien Lapaque, Sous le soleil de l'exil. Georges Bernanos au Brésil, 1936-1945. (Grasset, 2003).

 

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11 juin 2010 5 11 /06 /juin /2010 18:42
Ici l'Ombre...                          
de gaulle
 

Benoît Duteurtre cache bien son jeu. Dans son précédent roman, Ballets roses, il nous avait replongé dans cette France des années 50 où les hommes politiques étaient gentiment corrompus, les moeurs gentiment légères et les écrivains gentiment plein de talents. On y croisait, sous les ors de la Quatrième finissante, au milieu d'un tourbillon de jolies femmes, l'arrière grand-père de notre auteur en la personne du président de la République, René Coty, le mirobolant André Le Troquer, amateur de corps de ballet et de chair fraîche sur pointes, suivi par un quarteron de ministres défraîchis, et, selon les souvenirs qu'en garde Duteurtre, "des starlettes et des modistes devenues reines de Paris, une fausse comtesse roumaine, des politiciens grivois traînant dans les coulisses de l'Opéra, une République encore accrochée à son Empire, une justice paternaliste, des rues sombres et des maisons closes, des music-halls rive-droite où Maurice Chevalier et Damia chantaient encore, des cabarets rive-gauche où Brassens et Ferré chantaient déjà ; bref, ce monde en noir et blanc, si proche et si lointain, juste avant les bouleversements de notre modernité.»

Et puis, il y eût de Gaulle, et tout rentra dans l'ordre. Le président Coty rendit sa queue de pie, Le Troquer sombra dans l'oubli, les politiciens grivois, les starlettes et les comtesses roumaines prirent leur carte à l'U.N.R. et les Français se mirent au travail. Quant aux rues sombres, aux boîtes de nuit louches et aux maisons closes, elles firent les frais des opérations de rénovation. Paris se transforma en une ville propre et lumineuse, Malraux ravala les façades, les Halles prirent la forme d'un trou et La Défense finit plate comme une dalle. Benoit Duteurtre fait profession d'aimer cette époque, parce qu'elle fut celle de son enfance et qu'à partir d'un certain âge, vers cinquante ans, comme il le dit et s'en amuse lui-même, on regarde ses vertes années avec les yeux de l'amour. Et pourtant, son dernier roman, Le Retour du Général [1], n'est ni un roman de jeunesse, ni une chronique fétichiste des années gaulliennes.  Duteurtre est trop nostalgique pour chercher à faire revivre le passé, il préfère en rêver tranquillement, bien au chaud dans notre époque ennuyeuse. 

  A quoi peut bien rêver un jeune écrivain quinquagénaire dans un monde dominé par de petits cons déjà vieux ? A tout foutre en l'air, bien sûr ! A la révolution, évidemment. Mais pas à n'importe quelle révolution. Pour qu'elle soit vraiment drôle, il faut que cette révolution soit un peu réactionnaire. Et si les vraies révolutions, les révolutions révolutionnaires commencent toujours par de grands évènements, les révolutions réactionnaires ne se nourrissent  généralement que de faits anodins, d'histoires sans importance, de détails presque mesquins. Lorsque Duteurtre découvre un jour à la terrasse de son bistrot parisien préféré qu'on lui sert son oeuf mayonnaise couvert d'une sauce industrielle, c'est la révolte. Et lorsque le gargotier lui apprend qu'une nouvelle directive européenne interdit désormais les mayonnaise maison, son sang ne fait qu'un tour et c'est la révolution. De pétitions en protestations, de manifestations en émeutes, l'affaire de l'oeuf mayonnaise finit par provoquer l'effondrement de la République et... le retour du général de Gaulle. Les premières apparitions du Grand Charles ont lieu comme il se doit sur les ondes, mais cette fois ci sur les ondes de la télévision. Dans des interventions façon Radio Londres, le général pourfend les pouvoirs en place, dénonce l'Europe du renoncement et le capitalisme mondial et appelle les Français à la résistance. Son appel sera une nouvelle fois entendu. A l'issue d'élections régulières, où de Gaulle manoeuvre dans l'ombre, ses partisans arrivent au pouvoir. Et voilà le grand homme à nouveau à l'Elysée, avec Tante Yvonne.

Le meilleur du livre est évidemment ce qui s'en suit et que nous laisserons le lecteur découvrir dans le détail. Qu'il sache seulement, ce lecteur, que tout y est drôle et, pour mieux dire, réjouissant. La révolution gaullienne transforme la France en un pays de Cocagne, où la mondialisation n'existe plus, où les services publics fonctionnent sans concurrence libre et non faussée, où les Français n'ont plus honte de ce qu'ils produisent, de ce qu'ils mangent, du monde dans lequel ils vivent. L'Europe, l'OTAN, la veulerie oligarchique sont rejetés hors de nos frontières. En clair, la France se paye une sorte de mai 68 à l'envers, qui fait enrager le monde entier et qui prend, presque chaque jour, des airs de fête nationale. Comme toute les bonnes choses, tout cela aura naturellement une fin. L'ombre du général finira par disparaître, les nains reprendront le pouvoir et la France rentrera dans l'ordre du monde. Mais pour combien de temps ?

Faut-il en dire plus ? Que Duteurtre dessine parfaitement ses personnages, à commencer par lui-même en éternel jeune homme ? Que les dialogues qu'il invente entre de Gaulle et son entourage, que les discours qu'il fait prononcer au général n'ont rien à envier aux souvenirs d'Alain Peyrefitte ou de Michel Droit, en évidemment plus cocasses ? Que Duteurtre a du talent et qu'il est sans doute un des meilleurs de sa génération ? Mais on savait déjà tout cela. Qu'il continue donc à nous faire plaisir !

Eugène Charles.

 


[1]. Benoît Duteurtre, Le retour du Général (Fayard, 2010).


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18 mai 2010 2 18 /05 /mai /2010 10:00

L'oeil de Stendhal

 

L'actualité de notre grenoblois est à nouveau pleine de bonnes surprises. Après le Stendhal brillant des fêtes (Revue critique du 29 décembre 2009), c'est l'observateur, le moraliste  et le touriste qui sont sous les feux de la rampe.

Un retour rapide sur Filosofia Nova, Pensées, Marginalia, par Stendhal (Ressouvenances, juillet 2009, 334 p.), signalé trop rapidement dans notre précédente chronique. Tout beyliste doit se procurer la réédition de ces deux recueils de notes, publiés pour la première fois dans les années 1930 par l'excellent Henri Martineau. Il y trouvera une véritable mine de pensées, de réflexions et d'annotations que Stendhal conservait précieusement pour des ouvrages futurs, et qui finissent par former une sorte de "théorie intérieure", d'où l'appelation fantaisiste, moitié latine, moitié italienne de Filosofia nova. "Le but de la Filosofia, nous dit-il, est de faire goûter le plus possible plusieurs vérités morales que j'ai découvertes et que je crois neuves. Cet ouvrage sera composé de descriptions et de vérités". Rien de moins. Ce qui fascine, c'est la constance du personnage et cette volonté, en permanence de se percer à jour. Ainsi " Je suis peut-être l'homme dont l'existence est la moins abandonnée au hasard parce que je suis dominé par une passion excessive pour la gloire à laquelle je rapporte tout." (1804), ou encore "La principale crainte que j'ai eue en écrivant ce roman, c'est d'être lu par les femmes de chambre et les marquises qui leur ressemblent." (1828), et enfin "Il semble que l'ennui est un malheur qui vient des choses extérieures. On n'a pas assez d'esprit pour voir que l'ennui provient des exclusions prononcées par l'excessive vanité. " (1830). Un Stendhal comme l'aimait Jacques Laurent, voyeur, assez menteur, émouvant même (ou surtout) lorsqu'il se joue la comédie. Trois qualités du bon romancier.

On lira avec plaisir la petite plaquette consacrée à Londres (Magellan, mars 2010, 76 p). Un mélange de textes extraits du Journal, de la Correspondance ou de Souvenir d'égotisme sur les séjours de Stendhal outre Manche. Beyle oscille en permanence entre admiration, exaspération et mépris pour ces pauvres anglais. Il se jette à Londres le plus souvent pour oublier Paris ou Milan, mais la petite musique du lieu le prend assez vite et il se laisse aller à cette terre de contraste où Shakespeare et  les outrances de Kean voisinent avec le plus plat conformisme. Londres suscite aussi chez Stendhal une forme d'ironie particulière, moins joyeuse, moins "littéraire", plus féroce et plus vraie qu'ailleurs. Là bas, il se défoule et ne se passe rien.

Pour les amateurs de beaux portraits stendhaliens, Martial Daru, baron d'Empire, maître et bienfaiteur de Stendhal, par Henri Daru (Editions RJ, décembre 2009, 535 p.). On se souvient de la haute figure d'administrateur et de militaire, personnage mi sévère, mi indulgent, qui entraîne dans ses fourgons son jeune cousin Henri Beyle, en Allemagne, en Italie et en Russie et qui lui sert d'hôte à Paris. Daru, c'est un bloc de force, de fermeté et de volonté, le type même de l'homme supérieur de l'épopée napoléonienne. Et c'est en même temps l'élégance, le plaisir de vivre et la curiosité qui sont pour Stendhal les trois vertus françaises. Un ouvrage écrit avec aisance, des notes pleines d'érudition, une iconographie peu connue, ainsi que desux inédits de Stendhal. A découvrir absolument.

Nous signalons enfin le colloque international organisé les 3, 4 et 5 juin prochains par l'Université de Grenoble sur Stendhal, historien d'art (renseignements ici) et la parution prochaine d'un Stendhal de Philippe Berthier, professeur à la Sorbonne, grand spécialiste de Beyle et animateur de la revue de référence l'Année stendhalienne.

Nous aurons l'occasion de revenir sur cet ouvrage annoncé comme important ainsi que sur le recueil d'articles de Michel Crouzet, Regards de Stendhal sur le monde moderne (Editions Kimé, février 2010, 482 p.).

Eugène Charles.


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13 mai 2010 4 13 /05 /mai /2010 18:42
Vive Tintin...
au Congo et ailleurs!                  
tintin au congo

Nos amis du Lyon Royal relataient hier les derniers épisodes de ce qu'il faut bien appeler l'affaire "Tintin au Congo". Le Conseil Représentatif des Associations Noires de France (CRAN) vient en effet de s'associer à l'action engagée par un ressortissant congolais résidant en Belgique, M. Bienvenu Mbutu Mondondo, qui demande depuis plusieurs mois aux tribunaux belges "le retrait de la vente ou à défaut, l'ajout d'un avertissement" sur l'album d'Hergé, parce qu'il considère qu'il est "raciste à l'égard des Africains".  La justice belge devrait se prononcer sur la recevabilité de ces plaintes le 31 mai prochain. Le CRAN envisage également de porter l'affaire devant les tribunaux français, afin d'obtenir l'insertion d'un avertissement de même nature dans tous les exemplaires diffusés dans l'hexagone.

On est effondré devant un tel déferlement de conformisme, de sottise et de mauvaise foi. Le blog du Nouvel Observateur, que l'on peut difficilement taxer d'indifférence vis à vis du racisme, n'hésitait pourtant pas la semaine dernière à qualifier M. Mbutu Mondodo, "d'étrange étudiant en sciences politiques animé par une hargne qui ne l'est pas moins" et de laisser entendre qu'il cherchait surtout la popularité dans cette affaire. L'écrivain Alain Mabanckou, interrogé par le même blog, reflétait l'opinion de l'immense majorité des intellectuels français ou francophones en déclarant : "Je ne suis pas partisan d'une interdiction de cette bande dessinée. Elle doit rester une trace de l'esprit belge de ces années trente. Elle est une des preuves historiques d'une certaine pensée occidentale (...). Ce n'est pas à partir de « Tintin au Congo » que la pensée du Blanc sur le Nègre s'est formée. Lorsque Tintin est « arrivé au Congo », l'idéologie raciste et coloniale sur le Noir était déjà bien établie. Il est ridicule de songer à rajouter un texte pédagogique dans l'album « Tintin au Congo ». Pourquoi ne pas, alors, le faire aussi dans « l'Esprit des lois »  de Montesquieu, où il est dit que les gens du sud sont faibles comme des vieillards et que les gens du nord sont forts comme des jeunes hommes ? A ce train-là il va falloir relire tous les livres du monde et rajouter des pages pédagogiques ici et là !" Dans ces conditions, en effet, on ne voit pas pourquoi on n'interdirait pas tout simplement l'ensemble des oeuvres de Voltaire, de Diderot, de Balzac ou de Gobineau, au prétexte qu'elles sont très largement entachées d'antisémitisme ou de racisme. Sans parler, plus proche de nous, de l'infâme Céline, dont les éditeurs, de gauche comme de droite, s'arrachent journaux et carnets, alors qu'ils exhalent souvent l'antisémitisme le plus abject.

Faut-il le rappeler au petit nombre de Français qui ne l'ont pas (encore) lu : Tintin n'est pas raciste, bien au contraire. Si les premiers albums (Au pays des soviets, au Congo, en Amérique) reflètent une certaine vision  de l'époque - il était difficile pour un jeune français ou un jeune belge des années 30 de penser la colonisation autrement qu'à travers l'image qu'en donnaient les manuels scolaires - le héros d'Hergé n'hésite pas à se démarquer des préjugés coloniaux et à prendre la défense du jeune africain, du jeune chinois ou du petit indien maltraités par le blanc arrogant. Cette posture, habituelle aujourd'hui, était courageuse pour l'époque. Elle fait évidemment partie du charme et de la légende de Tintin, des raisons qui font que Tintin a été, est et sera toujours le héros de l'enfance généreuse. C'est pour celà que le procès qu'on lui fait aujourd'hui est particulièrement infâme !

Il faut faire confiance à la justice belge et à celle de notre pays, et plus généralement à l'esprit de liberté qui prévaut encore chez nous. Les flics de la pensée, les gueules de vache de la bien pensance, les censeurs du communautarisme imbécile n'y ont pas encore acquis les positions qu'ils tiennent ailleurs. S'ils osent s'attaquer à Tintin, gageons qu'ils seront bien reçus !

En attendant ces perspectives martiales, nous renvoyons nos lecteurs au bel article publié en octobre 2007 par Gabriel Matzneff dans Royaliste, à la gloire de notre ami reporter.

Paul Gilbert.

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25 mars 2010 4 25 /03 /mars /2010 11:35
Le souvenir de Mistral

Mistral disparut un 25 mars 1914, dans les premiers jours d'un printemps calme, quelques mois avant la terrible tempête qu'il pressentait et qui devait saigner à blanc ce Midi des bourgs, des plaines et des bois qui faisait toute sa vie. Dans la Revue critique du 10 avril 1914, l'hommage à Mistral était rendu par un autre poète, lorrain celui là, Lionel des Rieux, qui devait tomber dix mois plus tard au bois de Malancourt, à la tête de sa section. Voilà comment l'homme de l'est saluait la mémoire du grand Provençal :
Mistral est entré dans l'immortalité. Nous ne verrons plus sa noble et haute figure, la mâle allure de son feutre gris campé sur ses beaux cheveux blancs. Nous n'entendrons plus sa voix chaude et prenante clamer le verbe de Provence. Il est mort, celui qui, illustre en sa sereine simplicité, nous apparaissait ainsi qu'un héros antique, quelque dieu descendu sur terre, Apollon gardant les troupeaux d'Admète. Mais une vie nouvelle s'ouvre pour lui ; et nous nous répétons les termes de l'admirable lettre de Barrès à Mme Mistral : "C'est maintenant l'apothéose qui commence. Maillane devient un lieu sacré, un temple à ciel ouvert, où les générations iront en pèlerinage réciter les poèmes immortels sur la tombe du héros et méditer, comme nous avons tous fait, l'exemple d'une vie si puissante et si pure. Plus que Saint-Trophime et l'Arc de Saint-Remi, tout autant que le Rhône et la Durance, son œuvre durera. "
Barrès avait raison. Les grands poèmes de Mistral ont duré, ils sont universellement connus et Mireille, Calendal, Nerte et le Poème du Rhône sont traduits dans toutes les langues que parlent les gens d'esprit. Mais Mistral est également un grand prosateur et ses contes, ses récits, ses fabliaux et ses cascarelettes, publiés pendant près d'un demi-siècle dans l'Almanach provençal (Armana prouvençau), font encore aujourd'hui la joie du peuple du Midi. Voilà, pour célébrer la mémoire de notre Maillanais, une de ses moralités où s'exprime sa proverbiale bonhommie:


Les pénitents

Les Pénitents de Malaussène, blancs et gris, faisaient, un an, les Rogations. Comme ils dépassaient les faubourgs, les blancs devant, les gris derrière, un coq mal avisé traversa la procession; et pour le chasser, un bâtonnier des blancs frappa sur le cacaraca, pan ! et le tua raide.
Sans faire semblant de rien, un des pénitents blancs le cacha sous son habit... Et les pénitents gris, qui avaient vu la chose, se mirent à chanter :

Pénitents blancs
Qui êtes devant,
Couvrez au moins la queue qui se voit tant !

Mais les pénitents blancs ne perdirent pas la note, et leur firent ce répons :

Pénitents gris
Qui l'avez vu
N'en dites rien
Nous le mangerons tous ensemble.
Frédéric Mistral.
(Almanach provençal,1880).


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14 mars 2010 7 14 /03 /mars /2010 19:42
Le poète a toujours raison
 

Jean Ferrat est mort samedi, dans ces montagnes de l'Ardèche qu'il aimait et qui lui servaient de refuge depuis quarante ans. Si sa France n'avait pas toujours le même visage que la nôtre, si elle répondait parfois du nom de Robespierre, là où nous lui donnons plus volontiers le sourire d'Henri IV, la candeur de Jeanne ou la haute figure de Richelieu, c'était bien au fond le même pays. Sa voix familière enchanta notre jeunesse des poèmes d'Aragon. Elle vibra en 1968, reflétant les luttes et l'espoir de la jeunesse, de la nouvelle classe ouvrière, de ce peuple du travail qui construisit de ses mains les usines que la bourgeoisie ferme où délocalise aujourd'hui. Son regard clair, son port de mousquetaire et son bonheur de vivre étaient aussi de chez nous. Salut, camarade !

Paul Gilbert.

 
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20 février 2010 6 20 /02 /février /2010 13:42
Notre Bernanos                 
 bernanos 2
  

C'est un 20 février 1888 qu'est né Georges Bernanos. Voici l'occasion de rendre un premier hommage à celui que Roger Nimier salua du titre de Grand d'Espagne, en reproduisant la fin d'un entretien qu'il donna au Brésil en février 1939. Texte prémonitoire puisqu'il exprime en quelques phrases ce que va être la tragédie de 1940 et, en même temps,  hymne à la France et à son éternelle joie de vivre.

La tristesse est le plus grand vice du monde moderne, le monde moderne est triste, c'est pourquoi d'ailleurs il s'agite tant. La tristesse n'est pas chrétienne. Les chrétiens tristes sont des imposteurs. Ni votre peuple [NDLR: le Brésil] ni le nôtre ne sont prisonniers de ce démon. Les fausses grandeurs qui menacent aujourd'hui l'Europe sont tristes, avides et tristes, tristes comme des bêtes affamées, tristes jusque dans les manifestations colossales de leur ivresse collective, tristes et cruelles comme Satan. Si calomnié que soit mon pays, quiconque a pris la peine de le voir de près, a parcouru en ami ses villes et ses campagnes, ne se contente pas de le juger sur le témoignage d'une certaine presse française de droite et de gauche nototoirement vendue à l'étranger, sait qu'il a gardé le secret de sa joie, de cette profonde allégresse intérieure qui a fait jadis de notre "gai royaume de France" l'ornement et comme la fleur de l'antique chrétienté. C'est pourquoi, au cours des siècles, nous avons toujours vu venir à nous, l'injure à la bouche, les orgueilleux, les hypocrites et les pharisiens, tous ceux que le Christ a maudits, et qu'il maudit encore, même s'ils prétendent s'autoriser de son nom. Qu'ils accourent aujourd'hui avec des canons, des avions, et des générateurs d'hypérite, ils n'en sont ni moins laids ni moins tristes, et - qu'ils veuillent bien me permettre de leur dire - moins impuissants. Car ce qu'ils veulent nous prendre est hors de portée. C'est l'héritage des saints et des héros de notre race, c'est cet esprit d'enfance, cette jeunesse surnaturelle que vient d'incarner notre petite sainte Thérèse, pour l'épreuve et le scandale des fanatiques de toute espèce, même de ceux qui voudraient faire de l'Eglise un cimetière austère et lugubre, alors qu'elle est un parterre fleuri. Le trésor que convoitent les ravisseurs de joie armés jusqu'aux dents, il ne leur appartient pas plus de le prendre qu'à nous de le vendre. Et qu'ils entrent demain en maîtres au palais de Versailles ou dans la cathédrale de Chartres, ils y trouveront peut-être les cadavres de nos fils mais non le secret de notre liberté.

Georges Bernanos (1).
  


(1). Georges Bernanos, Le monde moderne est un monde humilié, Entretien donnée à Juiz de Fora et publiée dans O Jornal le 10 février 1939.

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29 décembre 2009 2 29 /12 /décembre /2009 11:00
Les fêtes
avec Stendhal                       
la chartreuse de parme

 

La Revue critique des idées et des livres souhaite à ses lecteurs de bonnes fêtes de fin d’année et leur adresse ses meilleurs voeux pour 2010. Nous reprendrons notre rythme de publication régulier à partir du mardi 5 janvier. En attendant, nous vous proposons une petite sélection d'essais, récents ou moins récents, sur Stendhal qui vous feront terminer l'année et commencer la suivante de la meilleure façon.


Petite sélection stendhalienne

Stendhal, par Sandrine Fillipetti (Folio biographies, février 2009, 336 p.). Excellente biographie, à la fois précise et pleine de charme. Sandrine Fillipetti connaît son grenoblois par coeur. Elle a de la tendresse pour le jeune (et bref) officier de cavalerie et pour le consul mélancolique de Civita-Vecchia. Elle regarde avec un oeil malicieux et à qui rien n'échappe l'éternel ami des femmes dans ses bonnes et ses moins bonnes fortunes. Tout celà écrit dans un style enlevé. Que du plaisir.

Stendhal et l'Amérique, par Michel Crouzet (Editions de Fallois, avril 2008, 288 p). Par un des meilleurs connaisseurs de l'oeuvre stendhalienne. Stendhal a rêvé l'Amérique, même s'il n'y a jamais mis les pieds. "Ce pays singulier, où l'homme n'est mû que par trois idées : l'argent, la liberté et Dieu", voilà d'une formule sa vision d'une contrée qui lui inspire à la fois de l'admiration, de la crainte et de la répulsion. Gageons que Beyle n'aurait pas aimé Bush, qu'il ne serait pas dupe d'Obama et que la démocratie américaine actuelle n'aurait aucun attrait pour lui (il désignait déjà à son époque le peuple souverain américain comme "le tyran aux mains sales"). A l'inverse,  la modernité le fascinerait... ainsi que certaines actrices qui valent le détour. Rassurez vous, le livre est plus sérieux que mon commentaire !

Portraits de Stendhal, par Thierry Laget (Gallimard, L'un et l'autre, janvier 2008, 210 p.). Une cinquantaine de croquis pris sur le vif, à la façon de Beyle, et à partir des notes de Beyle. C'est intelligent, renseigné et parfaitement écrit. Et on y cueille presque à chaque page une formule suffisante pour nous enchanter toute une journée. Ainsi "l'ombre des beaux arbres, la beauté du ciel pendant les nuits, l'aspect de la mer, tout a pour moi un charme, une force d'impression qui me rappelle une sensation tout à fait oubliée, ce que je sentais, à seize ans, à ma première campagne. C'est comme de l'amour et cependant je ne suis amoureux de personne".

Filosofia Nova, Marginalia, par Stendhal (Ressouvenances, juillet 2009, 334 p.). Une idée magnifique : la réédition de deux recueils de notes de Stendhal, l'un rédigé pendant sa jeunesse et l'autre qui couvre une période plus longue, les deux publiés par les soins d'Henri Martineau pendant l'entre deux guerres. Une véritable mine  de formules, d'idées, de descriptions que Beyle conservait dans les marges de ses livres et qui lui servait de "magasin" pour la rédaction de ses oeuvres. Le livre de cuisine du créateur.

Pour les amateurs de beaux textes sur Stendhal, on se mettra en quête ou (plus sûr) on se fera offrir :
- Stendhal
,
par Claude Roy (Ecrivains de toujours/Seuil, 1951, 192 p.). Les commentaires d'un grand amateur.
- Stendhal comme Stendhal,
par Jacques Laurent (Grasset, 1984, 286 p.). A servir glacé avec le meilleur Champagne!
- Stendhal célébré
à CivitaVecchia,
par Eugène Marsan (Champion, Les amis d'Edouard, 1925). Rare. Belle récompense pour chercheur obstiné.

Enfin, pour ceux qui, même dans la fête, ne se départissent jamais d'un certain sérieux, nous recommandons la lecture de la revue de référence, la seule, la vraie, l'unique, l'Année Stendhalienne (1). Sa livraison de 2009 est précisément consacrée à Stendhal et la femme, thème festif s'il en est. On lira avec toute la gravité et toute l'application qui s'imposent l'article de Béatrice Didier, la femme du XVIIIe siècle selon Stendhal. Après quoi, on se dirigera d'un pas décidé, mais sans précipitation excessive, dans le petit salon voisin, où nos amies nous attendent...

Eugène Charles.



(1). L'Année stendhalienne, n°8 - 2009, Stendhal et la femme. (Librairie Honoré Champion, 3 rue Corneille, Paris 6e)

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2 décembre 2009 3 02 /12 /décembre /2009 19:42
Il signor Marsan                      

 

Une sympathique petite maison de livres, l'Editeur singulier, vient de rééditer un bouquet oublié de textes d'Eugène Marsan, parmi lesquels ces Cannes de Monsieur Paul Bourget[1], qui firent, dans les premières années du siècle précédent, le délice des gens d'esprit et des amateurs de forme parfaite. On sait ce que cette revue doit à Eugène Marsan. Il en fut, avec Jean Rivain, le créateur, l'âme vivante et le génie attentif. Il en fut aussi l'aimant, celui qui sut rapprocher les talents, et, par une curieuse alchimie, faite d'amitié et de séduction, "faire lever la pâte". C'est donc par fidélité que nos lecteurs se procureront ce petit recueil. Mais sa lecture les poussera vers d'autres sentiments, l'admiration d'abord, puis le plaisir de découvrir une âme singulière.

Eugène Marsan n'était pas de son siècle et il aurait détesté le nôtre. Son raffinement extrême, sa courtoisie, son immense culture, ses exigences morales, concouraient à faire de lui le type représentatif d'une autre époque. Il avait tout de ces seigneurs italiens, joyeux et  affables, qu'on rencontrait au XVIIIe ou au XIXe siècles dans les rues de Rome, de Naples ou de Florence. Né à Bari, d'une mère italienne et d'un père provençal, Marsan était un vrai latin, esprit léger bien que lesté par deux mille ans de culture, ordonné bien qu'attiré par la fantaisie, curieux de toutes les formes de la vie et de l'intelligence. Il avait aussi un peu de sang espagnol dans les veines et la sensualité cohabitait chez lui avec une certaine mélancolie.

Cet atavisme, sa formation et les admirations de sa jeunesse devait faire de lui un ardent défenseur du classicisme, dans lequel il voyait le fond même de l'esprit français. "Je suis de ceux, écrivait-il, qui refusent de confondre esprit classique et routine. L'esprit classique ne s'oppose pas à la nouveauté. Sans se laisser séduire, il l'appelle". C'est assez dire qu'il ne limitait pas son classicisme au seul dix-septième siècle et que dans ses innombrables articles de la Revue critique, de l'Action française, du Figaro, du Temps ou de l'Echo de Paris, on saluait Carco, Gide, Montherlant, Cendrars, Ramuz, Proust ou Drieu au même titre qu'on honorait Racine, Corneille, Boileau ou La Fontaine. Stendhal était pour lui le modèle absolu, écrivain de la vitesse et de la légèreté, capable d'exprimer, dans une langue simple et superbe, l'exaltation de Fabrice à Waterloo et la nostalgie du consul de Civita-Vecchia.

Il signor Marsan fut aussi l'homme de curieux et de charmants essais sur le costume masculin, la mode féminine, les chapeaux, les cannes et les cigares. Mais ce serait se tromper sur sa vraie nature que de ne voir en lui qu'un être superficiel, une sorte de dandy français. Dans ses goûts littéraires comme dans ses fétichismes de collectionneur, ce qui touchait d'abord Marsan, c'était la beauté et la poésie des choses. Son esthétique était aussi très liée à la vision qu'il avait de l'ordre du monde. Comme l'écrivait son ami, le critique stendhalien Henri Martineau: "s'étant fait l'historiographe de la vie élégante, il a souvent répété que, sans raffinement du ton, des manières et de l'habitation, il ne saurait plus rien exister de cette aristocratie de la pensée qui est le signe le moins douteux de la civilisation".

Nous aurons l'occasion de revenir plus amplement sur l'oeuvre d'Eugène Marsan et de fournir à nos lecteurs l'accès à certains de ses écrits rares. D'ici là, procurerez vous sans attendre ce petit récit où il est aussi peu question de cannes que de M. Bourget, mais où l'on parle de mille autres choses tout aussi intéressantes. Vous ferez le bonheur d'un jeune éditeur méritant et vous compterez vite parmi les lecteurs passionnés d'un grand écrivain.

Eugène Charles.

 


[1]. Eugène Marsan, Quelques portraits de dandy, précédé de Les cannes de M. Paul Bourget. (L'Editeur singulier, 2009, 70 p.)

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N°1 - 2009/01
 
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